CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE BULINWAR OOD ET HRUSANOV c. BULGARIE
(Requête no 66455/01)
ARRÊT
STRASBOURG
12 avril 2007
DÉFINITIF
12/07/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Bulinwar OOD et Hrusanov c. Bulgarie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
M.P. Lorenzen, président,
MmeS. Botoucharova,
M.V. Butkevych,
MmeM. Tsatsa-Nikolovska,
MM.R. Maruste,
J. Borrego Borrego,
MmeR. Jaeger, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 mars 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 66455/01) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Georgi Hrusanov, de même qu'une société à responsabilité limitée, Bulinwar OOD (« les requérants »), ont saisi la Cour en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le premier courrier des requérants, daté du 21 avril 2000, parvint à la Cour le 3 juillet 2000. Le cachet de poste étant en partie illisible, la requête fut enregistrée comme ayant été introduite le 26 juin 2000, cette date semblant la plus probable date d'envoi du courrier. Dans une communication du 7 décembre 2000, le conseil des requérants indiqua que M. Hrusanov l'avait assuré avoir posté la première lettre à la fin du mois d'avril 2000 au plus tard.
3. Les requérants étaient représentés par Me M. Ekimdjiev, avocat à Plovdiv. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») était représenté par son agent, Mme M. Pasheva, du ministère de la Justice.
4. Le 7 septembre 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant, M. Hursanov, est né en 1959 et réside à Sofia. Il est le gérant de la requérante, Bulinwar OOD, sise à Sofia.
6. A une date non précisée en 1996, la requérante acquit un magasin situé dans un immeuble en construction à Sofia.
7. Suite à la demande de l'entrepreneur responsable de la construction, le 26 novembre 1996 le directeur de l'inspection de la Construction et de l'Urbanisme de Sofia nomma une commission d'agrément, chargée de contrôler la conformité des travaux effectués aux normes de sécurité et d'équipement.
8. Suite au contrôle effectué, la commission refusa de délivrer un certificat de conformité au motif que la station d'approvisionnement de l'immeuble en électricité ne répondait pas aux prescriptions de la compagnie d'électricité, telles qu'indiquées dans une lettre adressée à l'entrepreneur dans une lettre du 1er août 1996. Le représentant de la compagnie observa notamment qu'une nouvelle station devait être construite, la station existante ayant de caractéristiques techniques différentes de celles indiquées dans la lettre et étant utilisée par une société bénéficiant de prix préférentiels.
9. Par une décision du 20 janvier 1997, le directeur de l'inspection refusa d'autoriser l'exploitation de l'immeuble.
10. Le 28 janvier 1997, la requérante saisit le tribunal de la ville de Sofia d'un recours en annulation du refus du directeur de l'inspection, en soutenant que la construction de la station en question n'était pas nécessaire au vu des niveaux habituels de consommation d'énergie.
11. Le tribunal ordonna une expertise technique aux fins d'établir la conformité de la station aux normes techniques. L'expert constata que la station en place répondait aux normes techniques en vigueur et que la construction d'une nouvelle station était inutile au vu des capacités des équipements déjà existants.
12. Par un jugement du 7 juin 1999, le tribunal fit droit à la demande de la requérante et ordonna la délivrance d'une autorisation d'exploitation. Le tribunal releva que l'exploitation de la station en place avait été autorisée en 1994. Il se référa également aux conclusions de l'expert selon lesquelles celle-ci était conforme aux normes techniques et pouvait assurer l'alimentation régulière de l'immeuble. En effet, la construction de la nouvelle station était inutile.
13. Le défendeur se pourvut en cassation. Par un arrêt du 2 novembre 1999, la Cour administrative suprême annula le jugement et débouta la requérante de ses prétentions. La haute juridiction constata que la décision litigieuse était fondée sur le refus de la commission d'agrément de délivrer un certificat de conformité de la construction. La cour observa que la conformité des constructions aux normes techniques et de sécurité pouvait être établie uniquement par cette commission et que son refus de constater la conformité d'une construction ne pouvait être annulé ni modifié par une autorité administrative ou judiciaire. Dès lors, le directeur de l'inspection de la Construction et de l'Urbanisme ne pouvait autoriser l'exploitation d'un édifice en l'absence de certificat de conformité. Les juridictions administratives étaient compétentes uniquement pour contrôler si la décision du directeur de l'inspection était conforme à la décision de la commission d'agrément.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La procédure d'autorisation d'exploiter un immeuble
14. A l'époque des faits, la procédure à suivre afin d'obtenir l'autorisation d'exploiter un nouvel édifice était régie par l'arrêté ministériel no 6 du 15 mars 1993 (Наредба №6 от 15 март 1993 г. за държавно приемане и разрешаване на ползването на строежите в Република България).
15. L'Inspection de la Construction et de l'Urbanisme (Държавна инспекция за териториалноустройствен и строителен контрол), un organe national au sein du ministère du Développement du territoire et de la Construction, nommait une commission d'agrément sur demande de l'entreteneur (article 6 alinéa 1). L'article 7 de l'arrêté stipulait que la commission devait être composée de représentants de plusieurs ministères, ainsi que de l'entrepreneur ou du propriétaire de la construction.
16. La commission d'agrément était compétente pour apprécier la conformité de la construction au permis de construire, ainsi qu'aux normes techniques et de sécurité. Suite au contrôle effectué, elle pouvait délivrer ou refuser le certificat de conformité (article 17 de l'arrêté). Aux termes de l'article 19, la commission refusait de délivrer le certificat lorsque :
« 1. l'immeuble n'a pas été réalisé en respectant les dispositions du permis de construire et la réglementation en vigueur, ce qui le rend impropre à sa destination ;
2. en cas de malfaçon affectant la sécurité et la longévité de la construction, qui empêche son exploitation normale et la protection de l'environnement ;
3. l'entrepreneur n'a pas fourni les documents nécessaires ;
4. les dispositions du présent arrêté n'ont pas été respectées. »
17. Les membres en désaccord avec l'avis majoritaire pouvaient formuler leur opinion dissidente par écrit (article 20).
18. L'exploitation de l'immeuble était autorisée sur la base de la décision de la commission d'agrément (article 3).
19. En particulier, le directeur de l'Inspection de la Construction et de l'Urbanisme devait refuser d'autoriser l'exploitation du bien en cas d'avis négatif de la commission (article 305 du décret d'application de la loi sur l'aménagement du territoire).
20. Le décret fut abrogé en juillet 2003, suite à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi sur l'aménagement territorial (Закон за устройството на територията).
B. Prononcé des jugements et des arrêts
21. En droit bulgare, les jugements des juridictions administratives et civiles sont notifiés aux parties uniquement lorsqu'ils sont susceptibles de recours. En revanche, les justiciables ne sont pas formellement informés du prononcé des arrêts des juridictions statuant en ultime instance. Dans pareil cas, le dépôt d'une copie de l'acte au greffe de la juridiction respective vaut prononcé de l'arrêt.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
22. Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, les requérants allèguent une violation de leur droit d'accès à un tribunal. La Cour considère que le grief relève de l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes:
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
23. Le Gouvernement considère que la requête est tardive ayant été introduite en dehors du délai de six mois à compter du prononcé de l'arrêt de la Cour administrative suprême du 2 novembre 1999. En particulier, le Gouvernement estime peu plausibles les explications des requérants, selon lesquelles ils auraient envoyé la première