ȘTEFAN POPA c. ROUMANIE
Karar Dilini Çevir:
ȘTEFAN POPA c. ROUMANIE

 
 
 
 
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 71730/13
Ștefan POPA
contre la Roumanie
 
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 30 avril 2019 en un comité composé de :
Paulo Pinto de Albuquerque, président,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 8 novembre 2013,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1.  Le requérant, M. Ștefan Popa, est un ressortissant roumain né en 1938 et résidant à Bucarest. Il a été représenté devant la Cour par Me M. Eisenstat, avocat à Bucarest.
2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
A.  Les circonstances de l’espèce
3.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
4.  Entre 2002 et 2006, le requérant a occupé la fonction de vice‑président de la Chambre de commerce et d’industrie de Roumanie (ci‑après « la Chambre »), personne morale autonome et non‑gouvernementale.
5.  Le 3 août 2006, l’assemblée générale de la Chambre élit les membres du collège de direction. Le requérant, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Bucarest, en fit partie. L’assemblée décida que les membres du collège de direction et du comité exécutif ne percevraient pas de rémunération.
6.  Le 7 août 2006, plusieurs chambres départementales contestèrent devant les juridictions internes le résultat de l’élection alléguant la méconnaissance des règles de représentativité des personnes ayant participé à l’élection.
7.  Les 7 et 14 septembre 2006, le collège et le comité décidèrent que leurs membres allaient percevoir une indemnité de fonction mensuelle.
8.  Par un jugement du 30 janvier 2007, le tribunal de première instance de Bucarest fit droit à l’action des chambres départementales et annula les résultats de l’élection. Le tribunal ordonna également la tenue de nouvelles élections. La Chambre fit appel auquel elle renonça ultérieurement.
9.  Le 29 mars 2007, à la demande d’une chambre départementale, le tribunal de première instance de Bucarest ordonna la suspension des effets des décisions prises par les organes de direction de la Chambre élues le 3 août 2006 (paragraphe 5 ci-dessus). Entre autres, le tribunal constata que, contrairement aux normes statutaires de la Chambre, les membres des organes de direction avaient décidé de s’octroyer une rémunération (paragraphe 7 ci-dessus).
10.  Le 27 décembre 2007, la Chambre élit un nouveau collège de direction.
11.  Par un jugement du 19 juin 2009, le tribunal de première instance de Bucarest annula les décisions prises par les organes de direction élus le 3 août 2006.
12.  La Chambre demanda devant les juridictions internes la condamnation du requérant au remboursement de 28 699 lei roumains (ROL), soit environ 8 000 euros, au titre de l’indemnité mensuelle qu’il avait reçue jusqu’au 27 décembre 2007. La Chambre allégua que l’annulation de l’élection impliquait l’annulation du droit à l’indemnité et, par conséquent, la répétition de l’indu.
13.  Le requérant s’opposa à cette demande. Il soutint qu’en tant que membre du collège, il avait accompli de nombreuses tâches qui avaient assuré le fonctionnement normal de la Chambre dans l’attente de l’élection du nouveau collège. Il ajouta que les actes de gestion courante de la Chambre, adoptés par le collège invalidé, n’avaient pas été annulés. Il conclut que l’indemnité réclamée par la Chambre lui était due pour l’activité accomplie au bénéfice de celle-ci.
14.  Par un jugement du 18 janvier 2011, le tribunal de première instance de Bucarest accueillit la demande de la Chambre. Citant les dispositions des articles 992 et 1092 du code civil (paragraphe 19 ci-après) et faisant application du principe de la restitution in integrum qui découlait de l’annulation avec effet rétroactif des élections du 3 août 2006, le tribunal condamna le requérant à rembourser l’indemnité.
15.  Le requérant forma un pourvoi. Il allégua que les actes effectués pour le compte de la Chambre jusqu’à l’élection du nouveau collège demeuraient valables. Il en conclut que pendant cette période, il avait exercé, avec l’accord de la Chambre, une gestion d’affaires au profit de cette dernière. Il estima que cette activité n’était pas gratuite et qu’elle constituait une exception à la règle de la nullité des actes juridiques.
16.  Par un arrêt définitif du 9 mai 2013, le tribunal départemental de Bucarest rejeta le pourvoi. Il écarta l’argument du requérant concernant la gestion d’affaires et nota que le versement de l’indemnité litigieuse avait été effectué sur la base de la décision du collège et pour la participation du requérant à ses réunions. Or, compte tenu du fait que l’élection du collège, ainsi que les décisions prises par celui-ci avaient été annulées avec effet rétroactif, le tribunal jugea que l’indemnité n’était pas due et que, par conséquent, son versement était également frappé de nullité. Il en découlait que le requérant avait l’obligation de remboursement.
17.  Avant la tenue des nouvelles élections, le requérant participa à plusieurs missions de coopération économique et accorda plusieurs entretiens à des journalistes roumains et étrangers. Les pièces versées au dossier font état de la participation du requérant à ces activités en sa qualité de président de la Chambre de commerce et d’industrie de Bucarest.
18.  Devant la Cour, le requérant a produit deux décisions concernant B.V. et G.C., deux autres membres de la Chambre. À la suite de l’élection du 3 août 2006 (paragraphe 5 ci-dessus), B.V. fût nommé président de la Chambre et G.C. membre du collège de direction de la cour d’arbitrage international de la Chambre. La demande de la Chambre visant le remboursement des indemnités reçues par B.V. et G.C. fut rejetée par le tribunal de première instance et par le tribunal départemental de Bucarest. Ces juridictions observèrent que, outre leur participation aux réunions des organes de direction de la Chambre, B.V. et G.C avaient effectué diverses activités dans l’exercice de leur mandat, activités que la Chambre n’avait pas contestées.
B.  Le droit interne pertinent
19.  Les dispositions pertinentes du code civil en vigueur à l’époque des faits étaient ainsi libellées :
Article 992
« Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû est obligé à le restituer à celui dont il l’a indûment reçu. »
Article 1092
« Tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à restitution. »
GRIEFS
20.  Invoquant les articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à la Convention, le requérant dénonce le caractère arbitraire et disproportionné de l’obligation de rembourser l’indemnité de fonction.
EN DROIT
21.  Le requérant se plaint d’un défaut d’équité de la procédure qui a pris fin par l’arrêt du 9 mai 2013 du tribunal départemental de Bucarest (paragraphe 16 ci-dessus). Il affirme que deux autres anciens membres du collège ont conservé l’indemnité, car à leur égard les tribunaux internes ont rejeté la demande de remboursement de la Chambre (paragraphe 18 ci‑dessus). Il y voit une divergence de jurisprudence qui porte atteinte au droit à un procès équitable.
22.  Le requérant dénonce en outre une atteinte au droit au respect de ses biens. Il soutient que l’indemnité en question constituait une rémunération des services qu’il avait rendus à la Chambre.
23.  Les dispositions invoquées sont ainsi libellées en leurs parties pertinentes en l’espèce:
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
1.  Arguments des parties
a)  Le Gouvernement
24.  Le Gouvernement estime que deux solutions différentes prononcées dans des affaires similaires ne sauraient constituer une divergence de jurisprudence. Il expose que onze autres anciens membres du collège élu le 3 août 2006 ont été condamnés à rembourser l’indemnité indûment perçue.
25.  Le Gouvernement considère également que le requérant ne saurait alléguer une atteinte à son droit au respect de ses biens en raison de l’obligation de rembourser l’indemnité. Il rappelle que le requérant et les autres membres de la direction de la Chambre se sont octroyés cette indemnité contrairement à la volonté de l’assemblée exprimée le 3 août 2006 (paragraphe 5 ci-dessus) et que la décision illégale du collège a été annulée par les tribunaux internes (paragraphe 9 ci-dessus). En tout état de cause, il ressortirait d’une lettre de la Chambre du 23 novembre 2015, que le requérant a reçu l’indemnité mensuelle en vertu du fait qu’il était membre du collège et non pour un quelconque travail effectué au profit de la Chambre.
b)  Le requérant
26.  Le requérant compare sa situation avec celle de deux autres anciens membres du collège. Il estime que les décisions contradictoires des différentes juridictions internes emportent violation du droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention.
27.  S’agissant de l’atteinte alléguée à son droit au respect de ses biens, il fait état de sa participation à de divers projets et missions, ce qui s’analyserait en une gestion d’affaires au profit de la Chambre (paragraphe 17 ci-dessus). Dès lors, il estime qu’il a dû supporter une charge manifestement disproportionnée, à savoir l’accomplissement d’un travail non-rémunéré pendant environ un an et demi.
2.  Appréciation de la Cour
28.  Pour ce qui est du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour renvoie aux principes bien établis dans sa jurisprudence applicables aux affaires portant sur des divergences de jurisprudence (voir, par exemple, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 116, 29 novembre 2016).
29.  La Cour constate que le requérant dénonce une situation individuelle, à savoir un prétendu conflit entre les décisions des tribunaux internes concernant des situations, selon lui, identiques.
30.  En principe, il n’appartient pas à la Cour de comparer les diverses décisions rendues – même dans des litiges de prime abord voisins ou connexes – par des tribunaux dont l’indépendance s’impose à elle. De même, la différence de traitement opérée entre deux litiges ne saurait s’entendre comme une divergence de jurisprudence si elle est justifiée par une différence dans les situations de fait en cause (Ibid., § 116).
31.  En l’espèce, la Cour observe que plusieurs litiges concernant le remboursement des indemnités versées aux anciens membres du collège de la Chambre ont été portés devant des juridictions différentes. Dans la très grande majorité des cas, douze affaires sur quatorze, ces dernières ont fait droit à l’action en répétition de l’indu (paragraphe 24 ci-dessus).
32.  En ce qui concerne les deux affaires citées par le requérant (paragraphe 26 ci-dessus), la Cour note que, pour rejeter la demande de remboursement, les juridictions internes ont relevé que B.V. et G.C. avaient effectué diverses activités dans l’exercice de leur mandat, activités que la Chambre n’avait pas contestées (paragraphe 18 ci-dessus).
33.  Or, en l’espèce, il ressort des pièces versées au dossier (paragraphe 17 ci-dessus) que les activités dont le requérant entend se prévaloir ont été effectuées en sa qualité de président de la Chambre de commerce et d’industrie de Bucarest, et non pas de représentant de la Chambre de commerce et d’industrie de Roumanie.
34.  La Cour constate donc qu’il y avait une différence dans les situations de fait en cause. Par conséquent, elle estime que le requérant ne saurait prétendre avoir été victime d’une divergence de jurisprudence qui résulterait du rejet de l’action en répétition de l’indu à l’égard de B.V. et G.C.
35.  Enfin, la Cour constate que le requérant a bénéficié d’un procès contradictoire et qu’il a pu exposer ses arguments et défendre librement sa cause. Ses moyens ont été examinés par les juges internes qui ont conclu, de manière motivée à l’application en l’espèce des articles 992 et 1092 du code civil (paragraphes 14 et 16 ci-dessus).
36.  Dès lors, aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention ne saurait être décelée en l’espèce. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
37.  Pour ce qui est du grief tiré d’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour note que le requérant soutient qu’il était légitime qu’il perçoive une rémunération pour les services qu’il avait rendus à la Chambre.
38.  La Cour rappelle que, bien que l’article 1 du Protocole no 1 ne vaille que pour les biens actuels et ne crée aucun droit d’en acquérir, dans certaines circonstances, l’« espérance légitime » d’obtenir une valeur patrimoniale peut également bénéficier de la protection de cette disposition. Une espérance légitime doit être plus concrète qu’un simple espoir et se fonder sur une disposition juridique ou un acte juridique tel qu’une décision judiciaire. De plus, on ne peut conclure à l’existence d’une « espérance légitime » lorsqu’il y a controverse sur la façon dont le droit interne doit être interprété et appliqué et que les arguments développés par le requérant à cet égard sont en définitive rejetés par les juridictions nationales (Béláné Nagy c. Hongrie [GC], no 53080/13, §§ 74 et 75, 13 décembre 2016).
39.  En l’espèce, la Cour constate que l’action en répétition de l’indu faisait suite à l’annulation des décisions du collège pour avoir été prises de manière illicite (paragraphes 9 et 11 ci-dessus). La Cour attache de l’importance au caractère illicite de la décision d’octroi de la rémunération litigieuse, tel qu’il a été établi par les juridictions internes (paragraphe 9 ci-dessus). En effet, il ressort clairement de la décision de l’assemblée du 3 août 2006 que les membres des organes de direction devaient exercer leur mandat sans rétribution (paragraphe 5 ci-dessus). Or, en méconnaissance de cette décision, les membres des organes de direction avaient décidé de s’attribuer eux-mêmes une rémunération (paragraphe 7 ci-dessus).
40.  En deuxième lieu, dans la mesure où le requérant alléguait que son activité s’analysait en une gestion d’affaires au profit de la Chambre (paragraphe 15 ci-dessus), la Cour note qu’il n’a fourni aucune preuve du travail prétendument effectué pour le compte de la Chambre (paragraphes 17 et 33 ci-dessus).
41.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le requérant ne saurait se prétendre titulaire d’une « espérance légitime » au sens de sa jurisprudence. L’article 1 du Protocole no 1 ne trouvant pas à s’appliquer, ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 23 mai 2019.
Andrea TamiettiPaulo Pinto de Albuquerque
Greffier adjointPrésident

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