Taşdemir c. Turquie (déc.)
Karar Dilini Çevir:
Taşdemir c. Turquie (déc.)


Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 228
Avril 2019
Taşdemir c. Turquie (déc.) - 52538/09
Décision 12.3.2019 [Section II]
Article 37
Article 37-1
Radiation du rôle
Déclarations unilatérales ne contenant pas l’engagement de rouvrir l’enquête dans des affaires où pareille mesure est impossible de jure ou de facto : radiation du rôle
[Ce résumé concerne également les décisions Kutlu et autres c. Turquie, 18357/11, et Karaca c. Turquie, 5809/13, 12 mars 2019]
En fait – Les requérants alléguaient que des membres de leur famille avaient été tués illégalement par des agents de l’État. Dans deux des trois affaires, Kutlu et autres et Karaca, les accusés furent acquittés. Les tribunaux respectivement saisis déclarèrent les preuves insuffisantes dans la première affaire et retinrent la légitime défense dans la deuxième. Dans l’affaire Taşdemir, les poursuites pénales furent abandonnées au stade de l’appel pour cause de prescription.
Dans les trois affaires, le Gouvernement avait présenté des déclarations unilatérales par lesquelles il reconnaissait une violation de l’article 2 et proposait une indemnisation mais ne prenait pas l’engagement de rouvrir ou de poursuivre les investigations.
En droit – Article 37 § 1 c) : Dans le jugement rendu dans l’affaire Kutlu et autres, le juge avait ordonné d’informer le procureur de l’acquittement des policiers prononcé pour insuffisance de preuves afin de lui permettre de prendre des mesures pour identifier les responsables du meurtre du proche des requérants. Les requérants avaient donc la possibilité, s’ils le souhaitaient, de demander au procureur d’ouvrir une nouvelle enquête en vertu d’une modification récente de la loi, laquelle permettait une telle réouverture lorsqu’une requête avait été rayée du rôle par la Cour sur la base d’une déclaration unilatérale du Gouvernement.
Dans les affaires Taşdemir et Karaca, la Cour rappelle que, lorsque l’enquête menée au niveau national sur un meurtre ou une disparition avait à première vue été défaillante, elle a déjà refusé de prendre en compte les déclarations unilatérales qui n’étaient pas assorties d’un engagement du gouvernement défendeur d’entreprendre une enquête conforme aux exigences de l’article 2.
Dans certaines situations, il peut cependant se révéler impossible, de jure ou de facto, de rouvrir une enquête pénale. Cela peut notamment être le cas, par exemple, lorsque les auteurs présumés ont été acquittés et ne peuvent être poursuivis pour la même infraction, ou lorsque la procédure pénale a été frappée de prescription en vertu des dispositions du droit national. La réouverture d’une procédure pénale qui a été close en raison de l’expiration du délai de prescription pourrait en effet poser un problème concernant la sécurité juridique et donc avoir une incidence sur les droits de l’accusé découlant de l’article 7 de la Convention. De même, juger un accusé pour une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné pourrait soulever une question relative au droit de cet accusé à ne pas être jugé ou puni deux fois au sens de l’article 4 du Protocole no 7.
Outre les cas d’impossibilité de jure exposés ci-dessus, il y a aussi le cas où, lorsqu’un grand laps de temps s’est écoulé depuis l’incident, des preuves peuvent avoir disparu, avoir été détruites ou ne plus pouvoir être retrouvées, ce qui rend impossible en pratique la réouverture d’une enquête et sa conduite de manière effective.
Ainsi, le point de savoir si un État membre est dans l’obligation de rouvrir une procédure pénale et si, en conséquence, une déclaration unilatérale doit renfermer un tel engagement de sa part dépend des circonstances de l’affaire, notamment de la nature et de la gravité de la violation alléguée, de l’identité de l’auteur présumé, de l’éventuelle implication d’autres personnes non mises en cause dans la procédure, des raisons pour lesquelles la procédure pénale a été close, des insuffisances et des vices constatés dans la procédure pénale à l’issue de laquelle la décision de mettre un terme à cette procédure a été prise, et de la contribution éventuelle de l’auteur présumé aux insuffisances et vices qui ont conduit à la clôture de la procédure.
Dans l’affaire Taşdemir, la procédure pénale dirigée contre les policiers au motif qu’ils n’avaient pas empêché le proche des requérants de se suicider avait été frappée de prescription. Dans l’affaire Karaca, les gardes de village avaient été acquittés du meurtre du fils du requérant pour des motifs de légitime défense. Qui plus est, il n’avait pas été allégué que d’autres individus avaient été impliqués dans les décès qui étaient à l’origine des deux affaires. Par conséquent, selon le droit turc, il était impossible de jure de rouvrir une enquête pénale sur le décès des proches des requérants.
À cet égard, la Cour relève que, dans sa résolution relative à l’arrêt rendu par la Grande Chambre dans l’affaire Jeronovičs c. Lettonie, le Comité des Ministres a estimé que toutes les mesures requises par l’article 46 § 1 de la Convention avaient été adoptées et décidé d’en clore l’examen, même si la demande du requérant tendant à la réouverture de l’enquête avait été rejetée par le procureur en raison de l’expiration du délai de prescription.
La procédure de déclaration unilatérale revêt un caractère exceptionnel. Partant, lorsqu’il s’agit de violations des droits les plus fondamentaux garantis par la Convention, cette procédure n’a pas pour vocation de contourner l’opposition du requérant à un règlement amiable ou de permettre au Gouvernement d’échapper à sa responsabilité pour de telles violations. Les questions les plus courantes en Turquie dans ce type d’affaires font déjà l’objet d’une jurisprudence claire et abondante de la Cour et elles ont également été amplement portées à l’attention du Comité des Ministres. Elles font aussi l’objet d’un suivi en vertu de l’article 46 § 2 de la Convention.
Eu égard aux concessions que renferment les déclarations du Gouvernement, à la sanction disciplinaire imposée aux policiers dans l’affaire Taşdemir et au montant des indemnisations proposées (qui est conforme aux montants alloués dans des affaires similaires), il ne se justifie plus de poursuivre l’examen des trois requêtes. Cette décision ne préjuge en rien de la possibilité pour les requérants d’exercer, le cas échéant, d’autres recours afin d’obtenir réparation. Si le Gouvernement devait ne pas honorer les termes de sa déclaration unilatérale, les requêtes pourraient être réinscrites au rôle conformément à l’article 37 § 2 de la Convention.
Conclusion : radiation du rôle.
(Voir Tahsin Acar c. Turquie (question préliminaire) [GC], 26307/95, 6 mai 2003, Note d’information 53, et Jeronovičs c. Lettonie [GC], 44898/10, 5 juillet 2016, Note d’information 198)
 
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Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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