SOLOVYEV c. RUSSIE
Karar Dilini Çevir:
SOLOVYEV c. RUSSIE

 
Communiquée le 4 février 2019
 
TROISIÈME SECTION
Requête no 59071/16
Aleksandr Sergeyevich SOLOVYEV
contre la Russie
introduite le 30 septembre 2016
EXPOSÉ DES FAITS
Le requérant, M. Aleksandr Sergeyevich Solovyev, est un ressortissant russe né en 1980 et résidant dans la ville de Tchaïkovski (région de Perm). Il est représenté devant la Cour par Me V.V. Antropovskiy, avocat exerçant à Tchaïkovski.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
En 2015, une procédure pénale fut diligentée contre P., qui était accusé d’avoir tiré, le 7 janvier 2015, sur la personne de M. avec un pistolet à cartouches à gaz. Pendant l’enquête, des expertises balistiques établirent que la cartouche retrouvée sur le lieu du crime avait été tirée par le pistolet appartenant au requérant. Interrogé en tant que témoin pendant l’enquête préliminaire ainsi que pendant le procès pénal dirigé contre P., le requérant déclara qu’il n’avait jamais remis son pistolet à P.
Par un jugement du 20 juillet 2015, devenu définitif le 29 septembre 2015, le tribunal de la ville de Tchaïkovski (« le tribunal ») reconnut P. coupable d’avoir infligé de graves dommages à la santé de M., infraction réprimée par l’article 111 § 2, alinéa 3, du code pénal (CP). Le tribunal rejeta, entre autres, le témoignage du requérant en motivant sa décision comme suit :
« Le tribunal estime que le témoignage de A.S. Solovyev, qui a déclaré qu’il n’avait pas remis à [P.] le pistolet MR-81 dont celui-ci s’était servi par la suite pour tirer sur la victime, est sciemment mensonger dans la mesure où il est réfuté par les conclusions des rapports établis dans le cadre des expertises balistiques, selon lesquelles la cartouche retrouvée sur le lieu du crime avait été tirée par le pistolet MR‑81 [numéro de série] appartenant à A.S. Solovyev. Le tribunal n’a pas de raison de douter des conclusions desdits rapports. Le 14 avril 2015, le requérant s’est vu infliger une sanction administrative, conformément à l’article 20.8 § 4 du code des infractions administratives de la Fédération de Russie, pour avoir failli [à son obligation de] respecter les règles relatives à la détention d’armes, et avoir ainsi rendu possible l’utilisation du pistolet MR-81 [sur le lieu du crime] ; ladite sanction n’a pas été contestée [par le requérant] et a acquis force de chose jugée. »
Ultérieurement, le requérant fut traduit en justice pour faux témoignage, infraction réprimée par l’article 307 § 1 du CP. Il lui fut notamment reproché d’avoir fait des déclarations sciemment mensongères devant l’enquêteur et devant le tribunal dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre P. et d’avoir nié lui avoir remis son pistolet. Durant le procès, le requérant plaida non coupable. Sa ligne de défense consista à dire que deux de ses amis, K.L. et Ko.L., avaient utilisé son pistolet à son insu, la veille du crime commis par P., à l’occasion d’une altercation avec des tiers au même endroit, ce qui aurait expliqué la présence de la cartouche retrouvée par la suite sur le lieu du crime. Il affirma que P. avait utilisé un autre pistolet pour tirer sur la victime.
Par un jugement du 10 février 2016, le tribunal reconnut le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à une peine d’un an de travaux correctionnels. Il s’appuya sur les faits tels qu’ils avaient été établis dans le jugement du 20 juillet 2015 rendu contre P. Son jugement contenait les motifs suivants :
« Le jugement de condamnation de P., qui a été rendu le 20 juillet 2015 par le tribunal de la ville de Tchaïkovski de la région de Perm et a acquis force de chose jugée, a établi que, le 7 janvier 2015, à 2 heures, près du club Slaï foks dans la ville de Tchaïkovski, P. avait tiré sur la victime [M.] avec le pistolet à cartouches à gaz MR‑81 [numéro de série] appartenant à A.S. Solovyev.
Conformément à l’article 90 du code de procédure pénale de la Fédération de Russie, le tribunal admet, sans vérification supplémentaire, les circonstances établies par un jugement ayant acquis force de chose jugée.
L’accusé a affirmé auparavant et continue d’affirmer que ledit pistolet a toujours été en sa possession et qu’il ne l’a jamais remis à [P.].
[Toutefois], les circonstances établies [par le jugement du 20 juillet 2015] permettent de conclure que le pistolet à cartouches à gaz appartenant à A.S. Solovyev ne pouvait pas se trouver en possession de [P.] contre la volonté et à l’insu de A.S. Solovyev. »
Le tribunal rejeta en outre la version des faits avancée par le requérant et mit en doute la véracité des déclarations des témoins K.L., Ko.L., N. et Ts. interrogés à la demande de la défense. Il estima que lesdites déclarations étaient formulées d’une façon identique et trop détaillée s’agissant d’évènements aussi éloignés dans le temps. Il jugea peu vraisemblable que la même arme eût été utilisée deux jours de suite au même endroit. Il releva également qu’aucune cartouche supplémentaire n’avait été retrouvée sur le lieu du crime.
Le requérant interjeta appel du jugement du 10 février 2016. Il reprocha au tribunal de l’avoir reconnu coupable de faux témoignage en l’absence de preuves démontrant qu’il avait remis son pistolet à P. À cet égard, il indiqua que, en ce qui concerne l’établissement des faits, le tribunal s’était appuyé à tort sur le jugement du 20 juillet 2015 rendu à l’égard de P.
Par un arrêt du 7 avril 2016, la cour régionale de Perm rejeta l’appel formé par le requérant. Elle estima notamment que, pour établir les faits pertinents, le tribunal avait à bon droit reconnu que le jugement du 20 juillet 2015 rendu à l’égard de P. avait acquis force de chose jugée et qu’il avait dûment motivé sa décision quant à la culpabilité du requérant.
B. Le droit interne pertinent
Selon l’article 90 du code de procédure pénale (CPP), les faits qui ont été établis par un jugement de condamnation ayant acquis force de chose jugée ou par une autre décision de justice rendue dans une procédure civile, commerciale ou administrative sont admis par le tribunal, le procureur, l’enquêteur ou l’investigateur sans vérification supplémentaire.
GRIEFS
Invoquant l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention, le requérant se plaint de l’inéquité de la procédure pénale dirigée contre lui et du non-respect à son égard du principe de la présomption d’innocence. Il soutient notamment que, ayant reconnu que le jugement du 20 juillet 2015 rendu à l’égard de P. en ce qui concerne les faits établis lors la condamnation de ce dernier avait acquis force de chose jugée, le tribunal n’a pas effectué une appréciation indépendante des preuves dans le cadre du procès dirigé contre lui. Il estime que la conclusion du tribunal selon laquelle il aurait remis son pistolet à P. reposait, en l’absence de toute preuve à cet égard, sur une présomption de fait.
QUESTIONS AUX PARTIES
1. Le requérant a-t-il bénéficié d’un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention ? En particulier, les juridictions internes ont‑elles dûment motivé leurs décisions concluant à la culpabilité du requérant ? Leur reconnaissance, en ce qui concerne l’établissement des faits pertinents dans le cadre du procès pénal dirigé contre le requérant, de la force de chose jugée du jugement du 20 juillet 2015 rendu à l’égard de P. a‑t-elle enfreint les droits de la défense ?
2. La présomption d’innocence garantie par l’article 6 § 2 de la Convention a-t-elle été respectée à l’endroit du requérant ? Notamment, la conclusion émise par le tribunal de la ville de Tchaïkovski dans le jugement du 10 février 2016, selon laquelle « le pistolet à cartouches à gaz appartenant à A.S. Solovyev ne pouvait pas se trouver en possession de [P.] contre la volonté et à l’insu de A.S. Solovyev », a-t-elle constitué une présomption de fait entraînant un renversement de la charge de la preuve (comparer avec Salabiaku c. France, 7 octobre 1988, §§ 23-30, série A no 141-A, Klouvi c. France, no 30754/03, §§ 38-54, 30 juin 2011, Iasir c. Belgique, no 21614/12, §§ 19-33, 26 janvier 2016, et SA Transport Iwan Wertz c. Belgique (déc.) [comité], no 37216/17, 19 décembre 2017) ? L’appréciation des faits opérée par les juridictions nationales a-t-elle été conforme au principe in dubio pro reo (Ajdarić c. Croatie, no 20883/09, §§ 32-53, 13 décembre 2011) ?

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