Sine Tsaggarakis A.E.E. c. Grèce
Karar Dilini Çevir:
Sine Tsaggarakis A.E.E. c. Grèce


Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 229
Mai 2019
Sine Tsaggarakis A.E.E. c. Grèce - 17257/13
Arrêt 23.5.2019 [Section I]
Article 6
Procédure administrative
Article 6-1
Droits et obligations de caractère civil
Procès équitable
Jugements contradictoires sur des recours convergeant vers la fermeture d’une activité commerciale concurrente : article 6 applicable ; violation
En fait – Exploitante d’un multiplexe cinématographique, la société requérante forma un recours en annulation contre les permis accordés à une entreprise concurrente pour l’édification et l’exploitation d’un complexe du même genre dans un quartier voisin. Elle soutenait notamment que le plan d’urbanisme réservait cette zone à des habitations.
Sur ce premier recours, la 4e section du Conseil d’État rendit un arrêt selon lequel le respect dû à la « confiance légitime » s’opposait à ce que la légalité du permis de construire puisse être réexaminée par l’administration au stade de l’octroi du permis d’exploitation. Identifiant là une divergence avec la 5e section, la 4e section décida de renvoyer l’affaire à la formation plénière du Conseil d’État.
Bien que la plénière ait tranché en défaveur de son approche, la 4e section rejeta néanmoins le recours de la requérante, au motif que les circonstances de l’espèce étaient « exceptionnelles ». En parallèle, sur un autre recours de la requérante, la 5e section ordonna que le nouveau multiplexe soit mis sous scellés.
Estimant que les arrêts ainsi rendus dans son affaire sont contradictoires, la requérante dénonce une divergence de jurisprudence portant atteinte à son droit à la sécurité juridique.
En droit – Article 6 § 1
a)  Applicabilité
i.  Contestation relative à un droit de caractère civil – Même s’il semble à première vue porter sur une question de défense de la légalité, le recours de la requérante ne peut pas être assimilé à une actio popularis. En effet, la requérante soulevait aussi des arguments tenant à la perte de clientèle que lui causait le multiplexe concurrent. Or la Cour a maintes fois reconnu la clientèle comme un intérêt patrimonial constitutif d’un « bien ».
La qualité pour agir de la requérante n’a jamais été contestée par les intervenants dans la procédure ni par les diverses formations du Conseil d’État qui ont statué sur l’affaire.
Ainsi, vu l’enjeu du recours, la nature des actes attaqués et la qualité pour agir de la requérante, la « contestation » soulevée par la requérante avait un lien suffisant avec un « droit de caractère civil » dont elle pouvait se dire titulaire.
ii.  Caractère déterminant du litige – L’issue de la procédure devant le Conseil d’État était directement déterminante pour le droit en question, puisqu’une décision favorable à la requérante aurait entraîné la fermeture du multiplexe concurrent ; ce qui était d’ailleurs en réalité son but ultime.
b)  Fond – Les conditions posées par la Cour en matière de sécurité juridique n’apparaissent pas remplies en l’espèce.
i.  La divergence observable – Il existait bien une divergence « profonde et persistante » de jurisprudence entre la 4e et la 5e section du Conseil d’État au sujet de la question de savoir s’il était possible, voire nécessaire d’examiner à nouveau la légalité du permis de construction à l’occasion de l’examen de la légalité et de l’octroi du permis d’exploitation.
Cette divergence existait depuis plusieurs années. Elle touchait, de surcroît, à des questions d’intérêt général puisqu’elle concernait plusieurs cas similaires et impliquait le respect par l’administration de principes de droit administratif et constitutionnel de grande importance.
ii.   L’existence d’un mécanisme d’harmonisation de la jurisprudence – Dans l’ordre administratif grec, c’est à la formation plénière du Conseil d’État qu’est dévolue la fonction de régler les divergences entre ses différentes sections, ou entre les autres juridictions administratives.
En l’occurrence, la formation plénière avait estimé qu’afin de mieux respecter le principe de la protection de l’environnement, garanti par la Constitution, la possibilité d’installer le multiplexe devait être contrôlée non seulement au stade de l’octroi du permis de construire mais aussi à l’occasion de l’octroi du permis d’exploitation.
Par ailleurs, l’arrêt de la formation plénière ne s’était pas limité à un énoncé abstrait des principes applicables, mais avait tranché la question-clé du litige en cause.
iii.  L’efficacité du mécanisme – Statuant sur renvoi, la 4e section a en substance statué dans les lignes de son ancienne jurisprudence, en invoquant des « circonstances exceptionnelles ». Or, la formation plénière avait déjà tenu compte des particularités du cas d’espèce.
L’issue de ces recours a créé une situation où, d’un côté, l’arrêt de la 4e section permettait le fonctionnement normal du multiplexe tandis que, de l’autre, l’arrêt de la 5e section en ordonnait la cessation (par le biais des scellés).
En outre, la situation s’est encore aggravée par le refus de la mairie de se conformer à l’arrêt de la 5e section – refus entériné par le comité du Conseil d’État chargé de surveiller la bonne exécution des arrêts, au motif que le multiplexe concurrent avait déposé une demande de « régularisation ».
Ainsi, la divergence entre la 4e et la 5e section a persisté pendant des années et persiste encore malgré l’intervention de la formation plénière du Conseil d’État. La situation d’insécurité juridique qui en est résultée démontre que ce mécanisme d’harmonisation de la jurisprudence n’a pas été efficace.
Conclusion : violation (cinq voix contre deux).
Article 41 : 8 000 EUR pour préjudice moral ; demande pour dommage matériel rejetée, mais obligation pour l’État défendeur de rouvrir dans les six mois la procédure, si la société requérante le désire.
 
© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme
Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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