Rooman c. Belgique [GC]
Karar Dilini Çevir:
Rooman c. Belgique [GC]

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 225
Janvier 2019
Rooman c. Belgique [GC] - 18052/11
Arrêt 31.1.2019 [GC]
Article 5
Article 5-1-e
Aliéné
Obligation de moyens pour surmonter un obstacle linguistique au traitement des troubles mentaux de la personne internée : violation ; non-violation
Article 3
Traitement dégradant
Obligation de moyens pour surmonter un obstacle linguistique au traitement des troubles mentaux de la personne internée : violation ; non-violation
En fait – Souffrant d’un grave déséquilibre mental le rendant incapable de contrôler ses actions, le requérant est interné depuis 2004 dans un établissement spécialisé mais dépourvu de personnel médical germanophone, alors que lui-même ne parle que l’allemand (l’une des trois langues officielles de la Belgique). La commission de défense sociale signala à maintes reprises que la difficulté de communiquer revenait à priver le requérant de tout traitement de ses troubles mentaux (ce qui empêchait par ailleurs d’envisager sa remise en liberté), mais ses recommandations ne furent que faiblement ou tardivement suivies par l’administration. L’autorité judiciaire compétente fit des constats similaires en 2014.
Par un arrêt du 18 juillet 2017 (voir la Note d’information 209), une chambre de la Cour a conclu, à l’unanimité, à la violation de l’article 3 à raison de l’absence de soins appropriés depuis treize ans et, par six voix contre une, à la non-violation de l’article 5 § 1, en retenant que l’obstacle à la fourniture de soins adéquats était étranger à la nature même de l’établissement. L’affaire a été renvoyée devant la Grande Chambre à la demande du requérant.
Depuis août 2017, diverses mesures ont été prises en faveur du requérant : des rencontres avec la psychologue sur un rythme mensuel ; la disponibilité obtenue d’une psychiatre germanophone ; le recours à un interprète pour les entretiens mensuels avec le médecin généraliste. Mais l’intéressé s’est montré peu réceptif (il a négligé cette possibilité de consultations psychiatriques et refusé d’associer la psychologue externe au travail de l’équipe psychosociale interne).
En 2016 est entrée en vigueur une nouvelle loi sur l’internement, qui met l’accent sur le trajet de soins à offrir aux personnes internées.
En droit
Article 3 (volet matériel) : L’élément purement linguistique peut être décisif s’agissant de savoir si des soins psychiatriques appropriés étaient administrés (ou disponibles), mais uniquement en l’absence d’autres éléments permettant de compenser le défaut de communication ; et surtout, sous réserve de la coopération de la personne concernée.
– Période de 2004 à 2017 – La Grande Chambre reprend ici en substance les considérations de la chambre ; et n’aperçoit pas d’éléments compensatoires. Pour justifier l’absence de suivi psychothérapeutique, les autorités se sont bornées à observer que, d’un côté, la dangerosité du requérant interdisait de le transférer dans un établissement germanophone, moins sécurisé, et que, de l’autre, l’établissement en cause n’avait pas de soignants germanophones, sans envisager d’autres moyens.
Conclusion : violation (seize voix contre une).
– Période depuis août 2017 – Premièrement, les autorités ont manifesté une volonté réelle de remédier à la situation après l’arrêt de la chambre, avec des mesures concrètes, correspondant a priori à la notion de « soins adéquats ».
Deuxièmement, le requérant n’a pas suffisamment coopéré et ne s’est pas montré réceptif aux soins proposés (à savoir, une psychiatre extérieure se tenant « à disposition »). Si l’absence d’un calendrier thérapeutique est sans doute regrettable, il reste que le requérant n’a même pas demandé à bénéficier d’une consultation psychiatrique telle que proposée. Certes, d’une part, le requérant étant une personne vulnérable, sa coopération n’est qu’un élément parmi d’autres à prendre en compte dans l’examen de l’effectivité des soins requis ; néanmoins, ayant été assisté par un avocat dans toutes les procédures internes, le requérant aurait pu se montrer ouvert aux efforts des autorités en réponse à l’arrêt de la chambre. Certes, d’autre part, le requérant est en droit de ne pas accepter les soins qui lui sont proposés ; mais alors, il prend le risque de réduire ses perspectives de libération.
Troisièmement, la brièveté de la période écoulée depuis cette évolution n’offre guère de recul pour évaluer l’impact de la prise en charge.
Ainsi, malgré quelques lacunes organisationnelles, le seuil de gravité requis pour le déclenchement de l’article 3 n’a pas été atteint à ce stade.
Conclusion : non-violation (quatorze voix contre trois).
Article 5 § 1
a) Affinement des principes quant à l’obligation de fournir des soins en cas d’internement – Même tel qu’interprété aujourd’hui, l’article 5 n’interdit pas la détention fondée sur l’incapacité (à la différence de ce que propose le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU). Mais la privation de liberté au titre de l’article 5 § 1 e) de la Convention doit poursuivre une double fonction : d’une part, une fonction sociale de protection ; d’autre part, une fonction thérapeutique, dans l’intérêt de la personne aliénée.
La première fonction ne saurait a priori justifier l’absence de mesures visant à remplir la seconde. Quel qu’en soit le lieu, toute détention de personnes souffrant de maladies psychiques doit viser à la guérison ou l’amélioration, autant que possible, de leur trouble mental, y compris, le cas échéant, la réduction ou la maîtrise de la dangerosité, dans le but de les préparer à une éventuelle libération.
L’administration d’un traitement adapté et individualisé fait partie intégrante de la notion d’« établissement approprié » : il est possible qu’une institution a priori inappropriée, telle une structure pénitentiaire, s’avère en fin de compte satisfaisante au vu des soins fournis ; ou qu’à l’inverse, un établissement spécialisé en psychiatrie se révèle inapte à prodiguer les soins nécessaires. Le simple « accès » à des professionnels de santé, à des consultations ou à des médicaments ne saurait ici suffire.
Cependant, le rôle de la Cour n’est pas d’analyser le contenu des soins proposés et administrés : ce qui importe, c’est qu’elle soit en mesure de vérifier l’existence d’un « parcours individualisé », tenant compte des spécificités de l’état de santé mentale de la personne internée, dans l’objectif de préparer celle-ci à une éventuelle future réinsertion. Dans ce domaine, la Cour accorde aux autorités une certaine marge de manœuvre, à la fois pour la forme et pour le contenu de la prise en charge thérapeutique ou du parcours médical en question.
Enfin, en cas de problème entravant la thérapie du requérant, d’éventuelles conséquences négatives sur ses chances d’évolution ne suffisent pas nécessairement à conclure à la violation de l’article 5 § 1, sous réserve que les autorités aient déployé des efforts suffisants.
L’intensité du contrôle de la Cour peut différer selon qu’un grief est présenté sous l’angle de l’article 3 – qui suppose un certain seuil de gravité, dont l’appréciation est relative, et dépend de l’ensemble des données de la cause – ou de l’article 5 § 1 – où prédominera la question du caractère approprié de l’établissement (nécessaire au maintien du lien entre l’internement et son but affiché). Un constat de non-violation de l’article 3 ne conduira pas automatiquement à un constat de non-violation de l’article 5 § 1 ; alors qu’un constat de violation de l’article 3 par manque de soins appropriés peut entraîner un constat de violation de l’article 5 § 1 pour les mêmes motifs.
Certes, l’article 5 § 1 e) ne garantit pas le droit pour la personne internée à bénéficier de soins dans sa langue. Toutefois, le besoin d’une prise en charge personnalisée et appropriée des personnes internées est souligné par la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (2006), ou encore par la Recommandation Rec (2004) 10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux – qui préconise en particulier l’élaboration d’un plan de traitement personnalisé approprié, après consultation (autant que possible) de la personne concernée. Or, on conçoit naturellement l’importance du facteur linguistique pour que le patient interné (sauf à accroître sa vulnérabilité) puisse recevoir les informations nécessaires à ce sujet.
b) Application au cas d’espèce
– Période de 2004 à 2017 – Même si l’allemand a le statut de langue officielle en Belgique, il est peu parlé dans la région où se trouve l’établissement en cause. Par ailleurs, la législation applicable n’exige pas de ce type d’établissements qu’ils emploient du personnel bilingue français/allemand.
Toutefois, le droit du requérant à parler, à se faire comprendre et à être soigné en allemand a été explicitement reconnu par la commission de défense sociale en 2009 ; même si elle a par la suite semblé adhérer à l’idée que cet aspect n’était pas déterminant dans son évolution, et refusé de prononcer des injonctions ou des sanctions contre l’administration. La Cour ne saurait spéculer sur le point de savoir à quels résultats un traitement en allemand aurait abouti : elle doit se borner à constater son absence. Du reste, l’éventuelle incurabilité de la personne intéressée ne réduit pas l’obligation de soins.
Compte tenu des demandes de soins et de libération formulées par le requérant, il appartenait aux autorités de trouver les moyens de résoudre le blocage lié à la communication entre ses soignants et lui. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer de façon générale sur les types de solutions qui auraient pu être jugées suffisantes : leur choix relève de la marge de manœuvre des autorités.
En l’occurrence, les démarches sporadiques des autorités ne s’inscrivaient pas dans le cadre d’un parcours thérapeutique. La possibilité de soigner le requérant en Allemagne a été étudiée par les autorités, mais le résultat de leurs recherches n’est pas connu. En Belgique même, cependant, surmonter un problème lié à l’emploi de l’allemand ne paraissait pas irréaliste, puisqu’il s’agit de l’une des langues officielles du pays.
Conclusion : violation (unanimité).
– Période depuis août 2017 – Étant donné que le requérant est jugé capable de discernement et apte à donner son consentement, le droit interne interdit qu’une mesure thérapeutique lui soit imposée contre son gré. Toutefois, par définition, son discernement est fragilisé par ses troubles psychiques, ce qui accentue sa vulnérabilité. L’obligation des autorités consiste ici à tenter d’intégrer le requérant, autant que possible, dans un parcours médical individualisé susceptible de conduire à une amélioration de son état de santé.
En l’occurrence, les autorités ont adopté une approche multidisciplinaire et a priori cohérente entre les différents acteurs pour individualiser le trajet de soins du requérant en fonction de ses besoins de communication et de sa pathologie. La série de prestations en langue allemande (mise à disposition d’une psychiatre, d’une psychologue et d’une assistante sociale germanophones) est bien de nature à faciliter la communication et la construction d’une relation de confiance. 
De plus, la personne de confiance ou le représentant légal du requérant, le cas échéant, a un rôle actif à jouer pour l’aider à exercer son droit de consentir et de bénéficier d’un plan de traitement. Or, malgré l’assistance de ses représentants, le requérant a refusé de coopérer avec le personnel médical pour l’élaboration du trajet de soins.
Dans cette situation – en l’absence d’informations telles, par exemple, qu’un refus de la psychiatre germanophone de rencontrer le requérant et d’établir avec lui un projet thérapeutique adapté –, la Cour estime que l’obligation de moyens qui pèse sur l’État a été remplie.
Bref, eu égard notamment aux efforts significatifs déployés par les autorités, du caractère a priori cohérent et adapté du suivi médical désormais disponible, de la brièveté de la période examinée, ainsi que du fait que le requérant ne s’y montre pas toujours réceptif, malgré l’assistance de ses représentants, l’internement du requérant présente bien le but thérapeutique requis.
La Cour précise toutefois que, compte tenu de la vulnérabilité du requérant et de ses capacités amoindries à prendre des décisions, les autorités restent tenues de prendre toutes les initiatives nécessaires pour assurer, à moyen et à long terme, les soins psychiatriques, le suivi psychologique et l’accompagnement social propres à lui offrir l’espoir d’une future libération.
Conclusion : non-violation (dix voix contre sept).
Article 41 : 32 500 EUR pour préjudice moral ; demande pour dommage matériel rejetée.
(Voir aussi la fiche thématique Détention et santé mentale)
 
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Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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