Résumé juridique - Avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention
Karar Dilini Çevir:
Résumé juridique - Avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention


Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 228
Avril 2019
Avis consultatif demandé par la Cour de cassation française
Demande no P16-2018-001
10.4.2019 [GC]
Résumé juridique
Article 8
Respect de la vie privée
Avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention
Contexte et questions – Les questions posées par la Cour de cassation française dans sa demande d’avis consultatif sont ainsi formulées :
« 1.  En refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, en ce qu’il désigne comme étant sa « mère légale » la « mère d’intention », alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le « père d’intention », père biologique de l’enfant, un État-partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 [de la Convention] ? À cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la « mère d’intention » ?
2.  Dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 de la Convention ? »
La jurisprudence de la Cour de cassation a évolué postérieurement à l’arrêt Mennesson c. France (65192/11, 26 juin 2014, Note d’information 175). La transcription de l’acte de naissance d’un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger est désormais possible pour autant qu’il désigne le père d’intention comme étant le père de l’enfant lorsqu’il en est le père biologique. Elle demeure impossible s’agissant de la maternité d’intention. L’épouse du père, mère d’intention, a toutefois maintenant la possibilité d’adopter l’enfant si les conditions légales sont réunies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant, ce qui crée un lien de filiation à son égard, l’adoption de l’enfant du conjoint étant par ailleurs facilitée par le droit français.
Par une décision du 16 février 2018, la cour de réexamen des décisions civiles a fait droit à la demande de réexamen du pourvoi en cassation déposée le 15 mai 2017 par les époux Mennesson, agissant en qualité de représentants légaux des deux enfants mineurs, contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 mars 2010 qui avait annulé la transcription sur les registres de l’état civil français des actes de naissance américains de ces derniers.
La Cour de cassation a saisi la Cour de la présente demande d’avis consultatif dans le cadre du réexamen de ce pourvoi en cassation.
Avis
a)  Sur la question de savoir si le droit au respect de la vie privée, au sens de l’article 8, d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, qui requiert la reconnaissance en droit interne du lien de filiation entre celui-ci et le père d’intention lorsqu’il est le père biologique, requiert également la possibilité d’une reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale », dans la situation où l’enfant a été conçu avec les gamètes d’une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne
i.  S’agissant de l’intérêt supérieur de l’enfant – L’absence de reconnaissance d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention a des conséquences négatives sur plusieurs aspects du droit de l’enfant au respect de la vie privée. D’un point de vue général, il défavorise l’enfant dès lors qu’il le place dans une forme d’incertitude juridique quant à son identité dans la société.
En outre, du fait que l’intérêt supérieur de l’enfant comprend aussi l’identification en droit des personnes qui ont la responsabilité de l’élever, de satisfaire à ses besoins et d’assurer son bien-être, ainsi que la possibilité de vivre et d’évoluer dans un milieu stable, l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise.
ii.  S’agissant de l’étendue de la marge d’appréciation dont disposent les États parties – Malgré une certaine évolution vers la possibilité d’une reconnaissance juridique du lien de filiation entre les enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et les parents d’intention, il n’y a pas consensus en Europe sur cette question.
Aussi, lorsqu’un aspect particulièrement important de l’identité d’un individu se trouve en jeu, comme lorsque l’on touche à la filiation, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte. En outre, d’autres aspects essentiels de la vie privée des enfants sont concernés dès lors que sont en question l’environnement dans lequel ils vivent et se développent et les personnes qui ont la responsabilité de satisfaire à leurs besoins et d’assurer leur bien-être. Ceci conforte le constat de la Cour quant à la réduction de la marge d’appréciation.
iii.  Conclusion (unanimité) : Vu les exigences de l’intérêt supérieur de l’enfant et la réduction de la marge d’appréciation, le droit au respect de la vie privée, au sens de l’article 8, d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale ».
b)  Sur la question de savoir si le droit au respect de la vie privée de l’enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger, dans la situation où l’enfant a été conçu avec les gamètes d’une tierce donneuse, requiert que la reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger, ou s’il admet qu’elle puisse se faire par d’autres moyens, tels que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention
L’identité de l’individu est moins directement en jeu lorsqu’il s’agit non du principe même de l’établissement ou de la reconnaissance de sa filiation mais des moyens à mettre en œuvre à cette fin. Ainsi, le choix de ces moyens pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d’intention tombe dans la marge d’appréciation des États, sachant qu’il n’y a pas de consensus européen sur cette question.
De plus, l’intérêt supérieur de l’enfant, s’appréciant avant tout in concreto, requiert que ce lien, légalement établi à l’étranger, puisse être reconnu au plus tard lorsqu’il s’est concrétisé. Il appartient en principe en premier lieu aux autorités nationales d’évaluer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, si et quand ce lien s’est concrétisé. Cependant, on ne saurait déduire de l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi compris que la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention impose aux États de procéder à la transcription de l’acte de naissance étranger en ce qu’il désigne la mère d’intention comme étant la mère légale. Selon les circonstances de chaque cause, d’autres modalités peuvent également servir convenablement cet intérêt supérieur, dont l’adoption, qui, s’agissant de la reconnaissance de ce lien, produit des effets de même nature que la transcription de l’acte de naissance étranger.
En somme, vu la marge d’appréciation dont disposent les États s’agissant du choix des moyens, d’autres voies que la transcription, notamment l’adoption par la mère d’intention, peuvent être acceptables dans la mesure où les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de leur mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant, apprécié par le juge à la lumière des circonstances de la cause.
Il revient au juge interne de se prononcer sur l’adéquation du droit français de l’adoption avec les critères énoncés ci-dessus par la Cour, en tenant compte de la situation fragilisée dans laquelle se trouvent les enfants tant que la procédure d’adoption est pendante.
Conclusion (unanimité) : Le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8, ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.
(Voir Labassee c. France, 65941/11, 26 juin 2014, Note d’information 175 ; Foulon et Bouvet c. France, 9063/14 et 10410/14, 21 juillet 2016 ; et Paradiso et Campanelli c. talie [GC], 25358/12, 24 janvier 2017, Note d’infor­mation 203. Voir aussi la fiche thématique Gestation pour autrui)
 
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