Ndayegamiye-Mporamazina c. Suisse
Karar Dilini Çevir:
Ndayegamiye-Mporamazina c. Suisse

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 226
Février 2019
Ndayegamiye-Mporamazina c. Suisse - 16874/12
Arrêt 5.2.2019 [Section III]
Article 6
Procédure civile
Article 6-1
Accès à un tribunal
Immunité de juridiction d’un État étranger dans un litige de travail, par l’interprétation stricte des notions de renonciation ou de résidence : non-violation
En fait – De nationalité burundaise, la requérante fut recrutée en 1995 comme secrétaire administrative par la Mission permanente de représentation de la République du Burundi auprès des Nations unies à Genève, sur le mode du « recrutement local » ; la requérante résidait alors à proximité de Genève, mais sur le territoire de la France. Une clause du contrat prévoyait la compétence du pouvoir judiciaire local pour autant que les « usages diplomatiques » le permettent.
En 2007, la requérante engagea une action pour licenciement abusif, devant la justice suisse. Le Burundi excipa de son immunité de juridiction. Le tribunal de première instance examina néanmoins l’affaire, estimant que la clause susmentionnée révélait la commune intention des parties d’opter pour le for suisse. Au contraire, les juridictions supérieures reconnurent l’immunité de juridiction du Burundi : pour le Tribunal fédéral, la réserve des usages diplomatiques empêchait de voir dans la clause litigieuse une renonciation anticipée à l’immunité de juridiction ; d’autre part, la nationalité et le lieu de résidence de la requérante entraient dans les cas d’exclusion de la compétence particulière reconnue, en matière de contrats de travail, à l’État sur le territoire duquel sont accomplies les tâches.
En droit – La Cour se réfère à la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens (CNUIJE – non encore en vigueur), qui reprend essentiellement des règles d’origine coutumière, ainsi qu’aux commentaires de la Commission du droit international sur le projet d’articles qui l’avait précédée.
a) Sur le refus de considérer que le Burundi avait renoncé d’avance à son immunité de juridiction – Comme le reflète l’article 7 § 1 b) de la CNUIJE, le droit international admet qu’un État étranger puisse renoncer, notamment par le biais de clauses contractuelles, à l’immunité de juridiction dont il bénéficie coutumièrement devant les tribunaux d’un autre État, mais à la condition que ce consentement soit exprès. Autrement dit, expliquait la Commission du droit international, ce consentement ne peut être présumé : il doit être clair et non équivoque.
Or, la clause pertinente du contrat de travail de la requérante a été interprétée de manière très différente par les trois instances qui l’ont examinée. Par conséquent, on ne saurait dire qu’il s’agissait d’une clause contractuelle exprimant de manière claire et non équivoque l’intention de la République du Burundi de renoncer à son immunité de juridiction. Quant à l’interprétation du Tribunal fédéral selon laquelle la réserve des « usages diplomatiques » contenue dans la clause litigieuse devait être comprise comme incluant l’immunité de juridiction, la Cour n’y voit rien d’arbitraire.
b) Sur le refus d’écarter l’immunité de juridiction au titre des liens de l’employée avec la Suisse – En ce qui concerne les litiges relevant d’un contrat de travail conclu entre des ambassades ou missions permanentes et leur personnel subalterne, la Cour a toujours protégé les ressortissants de l’État du for ou les non-ressortissants qui y résident (voir Sabeh El Leil c. France [GC], 34869/05, 29 juin 2011, Note d’information 142 ; Cudak c. Lituanie [GC], 15869/02, 23 mars 2010, Note d’information 128 ; Fogarty c. Royaume-Uni [GC], 37112/97, 21 novembre 2001, Note d’information 36 ; Naku c. Lituanie et Suède, 26126/07, 8 novembre 2016, Note d’information 201 ; Wallihauser c. Autriche, 156/04, 17 juillet 2012, Note d’information 154).
Cette jurisprudence constante est en ligne avec la coutume internationale, codifiée par la CNUIJE : en principe, un État ne peut invoquer l’immunité de juridiction dans le cadre d’un litige relatif à un contrat de travail exécuté sur le territoire de l’État du for. Mais au nombre des exceptions à ce principe figure le cas où « l’employé est ressortissant de l’État employeur au moment où l’action est engagée, à moins qu’il n’ait sa résidence permanente dans l’État du for » (article 11 § 2 e)). En outre, expliquait la Commission du droit international, si l’employé a la nationalité de l’État employeur, il dispose de recours devant les tribunaux de ce dernier.
En l’occurrence, la requérante a la nationalité de l’État employeur. Or, au moment où elle a engagé son action, elle n’avait de résidence en Suisse ni au sens du droit international public ni au sens du droit interne.
En effet, au moment où elle a engagé son action, la requérante vivait avec son mari et ses enfants sur le territoire de la France. Ni le fait que le poste de travail était en Suisse ni l’existence d’une prétendue pratique administrative entre la France et la Suisse en la matière ne permettent à la Cour de remettre en cause la conclusion des tribunaux suisses selon laquelle, d’un point de vue objectif, la condition de résidence dans l’État du for n’était pas remplie. Peu importe que la requérante se soit installée en Suisse par la suite.
Ceci suffit à justifier le refus d’écarter l’immunité de juridiction (les alinéas pertinents de la CNUIJE étant alternatifs, il n’y pas lieu d’examiner la nature des tâches exercées par la requérante).
c) Sur l’absence alléguée de tout accès à la justice ailleurs qu’en Suisse – Quant aux doutes émis par la requérante quant à la possibilité d’accéder à un tribunal indépendant et impartial au Burundi, la Cour rappelle que la compatibilité de l’immunité de juridiction avec l’article 6 § 1 de la Convention ne dépend pas de l’existence d’alternatives raisonnables pour la résolution du litige (Stichting Mothers of Srebrenica et autres c. Pays-Bas (déc.), 65542/12, 11 juin 2013, Note d’information 164).
Au demeurant, la requérante n’est pas dépourvue de tout recours. D’une part, il apparaît que la requérante avait déjà, par le passé, soumis un litige de travail aux autorités burundaises, que ces dernières avaient bien su résoudre. D’autre part, durant la procédure en Suisse, le Burundi a fourni à la requérante des assurances quant au fait que la saisine d’un tribunal suisse serait reconnue par les tribunaux du Burundi comme valant interruption de la prescription.
***
Bref, les tribunaux suisses ne se sont pas écartés des principes de droit international généralement reconnus en matière d’immunité des États. La restriction au droit d’accès à un tribunal n’a pas lieu d’être considérée comme disproportionnée.
Conclusion : non-violation (unanimité).
 
© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme
Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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