MEHMOOD c. GRÈCE
Karar Dilini Çevir:
MEHMOOD c. GRÈCE

 
 
 
Communiquée le 1er avril 2019
 
PREMIÈRE SECTION
Requête no 77238/16
Qaiser MEHMOOD
contre la Grèce
introduite le 9 December 2016
EXPOSÉ DES FAITS
Le requérant, M. Qaiser Mehmood, est un ressortissant pakistanais né en 1973 et résidant à Athènes. Il est représenté devant la Cour par Me I. Kourtovik, avocate exerçant à Athènes.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant et son épouse, migrants pakistanais en Grèce résidaient à Athènes. Le 9 juillet 2011, l’épouse du requérant décéda à l’hôpital public‑maternité « Elena Venizelou » quatre jours après avoir donné naissance à son enfant.
L’épouse du requérant fut admise à l’hôpital le 5 juillet 2011 où elle accoucha le même jour. Quelques heures après l’accouchement, le requérant fut informé que le bébé avait été placé dans une salle spéciale car il dégageait une odeur fétide et son épouse avait fait deux incidents hémorragiques en l’espace des deux heures. L’épouse du requérant ne fit l’objet d’aucun examen clinique dans le but de détecter une infection.
Le 9 juillet 2011, l’hôpital demanda au requérant d’assister à la sortie de son épouse et de son bébé. Le matin même, l’épouse avait manifesté des difficultés à respirer et une douleur à la poitrine qui fut traitée par les infirmières. L’incident ne fut pas inscrit dans le dossier médical de celle-ci. À 9 h 50, l’épouse du requérant informa ce dernier qu’elle avait des douleurs et des difficultés à respirer et qu’elle avait fait un malaise. À 10 h 10, le requérant, accompagné d’une amie du couple, arriva à l’hôpital et trouva sa femme seule dans une salle et dans un mauvais état. Le requérant demanda l’aide du personnel médical, mais aucun cardiologue n’était présent en ce moment à l’hôpital et les autres médecins s’étaient déclarés incompétents. L’état de l’épouse du requérant continua à empirer. À 11 h, celle-ci fut transférée en salle d’accouchement. Une demie heure plus tard, le requérant fut informé que son épouse était décédée.
Le dossier médical de l’épouse du requérant indiquait que celle-ci entra dans la salle d’opérations à 11 h, qu’une médecin généraliste et un cardiologue furent appelés d’urgence dans cette salle pour une traiter une femme intubée qui se trouvait en état de mydriase et sans pouls cardiaque. Il était aussi indiqué qu’il y avait eu un effort de la réanimer mais le décès survint à 11 h 25.
Le certificat médical de décès, rédigé le 21 février 2012, précisait que le décès était dû à des lésions de cervicite et endocervicite septiques aigües après accouchement et à une réaction inflammatoire.
Une enquête préliminaire sur les causes du décès fut confiée au commissariat d’Ampelokipi. Le requérant et l’amie du couple furent invités à déposer le 11 juillet 2011.
Le 12 juillet 2011, une autopsie eut lieu dont le résultat fut envoyé au procureur le 25 février 2012. Le 10 août 2011, le dossier fut envoyé au parquet.
Le 6 décembre 2011, aucune mesure n’ayant été prise jusqu’alors, le requérant demanda une accélération de la procédure, suite de quoi le dossier fut renvoyé au commissariat mais sans indiquer aucune mesure pour l’enquête.
Le 23 février 2012, le requérant déclara qu’il souhaitait se constituer partie civile.
Le 4 avril 2012, le dossier fut renvoyé au parquet sans qu’aucun acte relatif à l’enquête ait été effectué.
Le 23 août 2013, le dossier fut transféré à un juge avec l’ordre de prendre la déposition du médecin traitant de l’épouse du requérant et de toute autre personne impliquée dans l’hospitalisation de celle-ci ainsi que de se procurer des copies du dossier médical.
Les 19 septembre et 7 octobre 2013, le juge reçut respectivement les copies du dossier médical et les noms des médecins impliqués. Le 23 octobre 2013, le juge convoqua à déposer seulement P.P., la sage-femme de l’épouse du requérant.
Le 5 janvier 2014, alors qu’aucun autre acte d’enquête n’avait été accompli, le dossier fut renvoyé au parquet. Depuis lors et jusqu’en juillet 2014, en dépit des appels du requérant, aucune autre mesure ne fut ordonnée.
Le 1er août 2014, le requérant porta plainte contre la sage-femme P.P. et contre toute autre personne responsable pour le décès de son épouse. Il demanda aussi l’accélération de la procédure et la jonction des deux dossiers.
Le 15 octobre 2014, une expertise fut ordonnée avec comme seul point l’examen de la responsabilité de P.P. ou d’un autre médecin. L’expertise fut confiée à un chirurgien, G.K., dont la nomination ne fut pas notifié au requérant.
L’expert déposa son rapport le 3 février 2015. Il concluait que le décès était dû à un choc septique qui « provoquait une très forte mortalité (dans 80% à 90% des cas) et était particulièrement difficile, voire impossible, à prévoir ». L’expert se fonda sur les explications écrites de P.P, qu’il reproduisit intégralement. Il considéra que la réaction des médecins était conforme aux règles de l’art médical.
Le 25 juillet 2015, le procureur près le tribunal correctionnel rejeta la plainte au motif que le décès de l’épouse du requérant était le résultat d’un choc septique qui ne pouvait pas être prévu et que les médecins impliqués avaient agi selon les règles de l’art médical.
Le 26 octobre 2015, le requérant introduisit un recours contre la décision susmentionnée devant le procureur près la cour d’appel.
Trois mois plus tard et cinq mois avant la prescription des faits, le dossier fut renvoyé à nouveau chez un juge avec l’ordre de faire effectuer une expertise. L’expert, le gynécologue G.K., fut invité à répondre dans un délai d’un mois, aux questions posées par le requérant dans son appel. La nomination de l’expert fut cette fois portée à la connaissance du requérant mais celui-ci n’entreprit aucune mesure par crainte de retarder l’expertise avant prescription.
Par une lettre des deux pages, datée du 23 février 2016, l’expert répondait de manière générale aux différentes questions et concluait que « la patiente fut prise en charge rapidement et avec la manière appropriée ». Comme source de ses informations, l’expert désignait l’enquête administrative effectuée au sein de l’hôpital qui avait conclu à l’absence de toute responsabilité du médecin traitant.
Le 10 juin 2016, le procureur près la cour d’appel rejeta le recours du requérant, en réitérant la conclusion précitée de l’expert.
Le requérant s’adressa aussi au Corps des inspecteurs de la Santé publique mais celui-ci refusa d’examiner l’affaire.
À la suite du décès de son épouse et ne pouvant pas élever seul ses enfants orphelins de leur mère, le requérant dut confier le nouveau-né et l’autre enfant de la famille, âgé de 5 ans à l’époque des faits, à ses parents au Pakistan et vit désormais seul en Grèce.
GRIEFS
Invoquant l’article 2 (volet matériel) de la Convention, le requérant se plaint que son épouse a perdu la vie en raison de diverses négligences médicales survenues tout au long de sa prise en charge
Invoquant l’article 2 (volet procédural) de la Convention, le requérant se plaint que les autorités n’ont pas mené une enquête adéquate, rapide et effective pour déterminer les causes du décès de l’épouse du requérant.
Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint d’une violation de son droit au respect de sa vie familiale, car à la suite du décès de son épouse, il a dû confier ses enfants à ses parents au Pakistan et vivre seul en Grèce.
QUESTIONS AUX PARTIES
1.  Y a-t-il eu atteinte au droit à la vie de l’épouse du requérant, protégé par l’article 2 de la Convention ? En particulier, les autorités nationales ont-elles rempli l’obligation positive de protection de la vie à son égard (voir notamment Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, 19 décembre 2017) ?
 
2.  Eu égard à la protection procédurale du droit à la vie, les procédures menées en l’espèce par les autorités internes ont-t-elle satisfait aux exigences de l’article 2 de la Convention ?
 
3.  Y a-t-il eu atteinte au droit au respect de la vie familiale du requérant, protégé par l’article 8 de la Convention, eu égard au fait qu’à la suite du décès de son épouse, celui-ci il a dû confier ses enfants à ses parents au Pakistan et vivre seul en Grèce ?

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