Marcello Viola c. Italie (n° 2)
Karar Dilini Çevir:
Marcello Viola c. Italie (n° 2)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 230
Juin 2019
Marcello Viola c. Italie (n° 2) - 77633/16
Arrêt 13.6.2019 [Section I]
Article 3
Peine dégradante
Peine inhumaine
Compressibilité d’une peine de réclusion à « perpétuité réelle » pour direction d’une mafia, subordonnée à la collaboration du condamné avec la police : violation
En fait – En 1999 et 2002 en appel, le requérant fut condamné à la réclusion à perpétuité pour appartenance à une association de malfaiteurs à caractère mafieux, avec circonstance aggravante d’en avoir été le chef. Le régime applicable est alors celui de la « perpétuité réelle » par défaut. Selon le droit interne, toute perspective d’élargissement d’un tel condamné est subordonnée à sa collaboration avec la police : l’intéressé doit fournir des éléments décisifs pour prévenir les conséquences ultérieures du délit ou faciliter l’établissement des faits et l’identification des responsables d’infractions criminelles (à moins qu’une telle collaboration soit impossible ou inexigible, et que l’intéressé prouve la rupture de tout lien actuel avec le groupe mafieux).
Or le requérant refuse cette collaboration, refus qu’il explique à la fois par son intime conviction d’être innocent et par la crainte de représailles envers lui ou sa famille. En conséquence, bien qu’il ait accumulé environ cinq ans de remise de peine potentielle par sa participation au programme de réinsertion, il est privé de cette remise en pratique.
Ainsi, pour rejeter la demande de libération conditionnelle du requérant, le tribunal de l’application des peines a relevé son absence de collaboration avec la justice, sans se livrer à une appréciation des éventuels progrès que le requérant disait avoir faits depuis sa condamnation.
En droit – Article 3 (volet matériel)
i.  Sur la perspective d’élargissement et la possibilité de demander la libération conditionnelle – Dans la présente affaire, la législation interne n’interdit pas, de manière absolue et avec un effet automatique, l’accès à la libération conditionnelle et aux autres bénéfices propres au système pénitentiaire, mais le subordonne à la « collaboration avec la justice ». Et, en raison de l’existence de la circonstance aggravante liée à l’assomption du rôle de chef au sein du groupe mafieux d’appartenance retenue contre lui, l’intéressé ne saurait voir son éventuelle collaboration être qualifiée d’« impossible » ou d’« inexigible » au sens du droit interne.
S’il est vrai que le régime interne offre au condamné le choix de collaborer ou pas avec la justice, la Cour doute de la liberté de ce choix, tout comme de l’opportunité d’établir une équivalence entre le défaut de collaboration et la dangerosité sociale du condamné. Le défaut de collaboration ne saurait être toujours un choix libre et volontaire, ni forcément refléter la persistance de l’adhésion aux « valeurs criminelles » et le maintien de liens avec le groupe d’appartenance.
En effet, un refus de coopérer peut s’expliquer par d’autres circonstances ou considérations (telles que la crainte de représailles envers l’intéressé ou ses proches) ; et, à l’inverse, l’acceptation de coopérer peut résulter d’un calcul purement opportuniste. Dans de tels cas de figure, l’équivalence conçue entre absence de collaboration et présomption irréfragable de dangerosité sociale finit par ne pas correspondre au parcours réel de rééducation du requérant.
Sur le terrain de l’article 5 de la Convention, la Cour a déjà jugé qu’une présomption légale de dangerosité peut se justifier, en particulier lorsqu’elle n’est pas absolue, mais se prête à être contredite par la preuve du contraire. Cela vaut à plus forte raison pour l’article 3 de la Convention, dont le caractère absolu ne souffre aucune exception. Or, considérer la coopération avec les autorités comme la seule démonstration possible de la « dissociation » du condamné et de son amendement revient à ne tenir aucun compte des autres indices permettant d’évaluer les progrès accomplis par le détenu.
En l’occurrence, le système pénitentiaire italien offre un éventail d’occasions progressives de contact avec la société – allant du travail à l’extérieur à la libération conditionnelle, en passant par les permissions de sortie et la semi-liberté – qui ont pour finalité de favoriser le processus de resocialisation du détenu. Or, le requérant n’a pas bénéficié de ces occasions progressives de réinsertion sociale, et ce, alors même que divers éléments du dossier interne font ressortir une évolution favorable de la personnalité de l’intéressé et des résultats positifs dans son parcours de resocialisation.
La personnalité d’un condamné ne reste pas figée au moment où l’infraction a été commise : elle peut évoluer pendant la phase d’exécution de la peine, comme le veut la fonction de resocialisation. Or, en l’occurrence, l’absence de « collaboration avec la justice » détermine une présomption irréfragable de dangerosité, qui a pour effet de priver le requérant de toute perspective réaliste d’élargissement. Toute démonstration par le requérant qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne justifie plus son maintien en détention devient impossible : en maintenant l’équivalence entre l’absence de collaboration et la présomption irréfragable de dangerosité sociale, le régime en vigueur rattache en réalité la dangerosité de l’intéressé au moment où les délits ont été commis, au lieu de tenir compte du parcours de réinsertion et des éventuels progrès accomplis depuis la condamnation.
Cette présomption irréfragable empêche de facto le juge compétent d’examiner la demande de libération conditionnelle et de rechercher si, au cours de l’exécution de sa peine, le requérant a tellement évolué et progressé sur le chemin de l’amendement que le maintien en détention ne se justifie plus pour des motifs d’ordre pénologique. L’intervention du juge se voit limitée au constat du non-respect de la condition de collaboration, sans pouvoir mener une appréciation du parcours individuel du détenu et de son évolution sur le chemin de la resocialisation.
Certes, les délits pour lesquels le requérant a été condamné portent sur un phénomène particulièrement dangereux pour la société. La réforme du régime pénitentiaire dont est issu le régime en cause avait d’ailleurs été adoptée (en 1992) dans un contexte d’urgence à la suite d’un épisode extrêmement marquant pour l’Italie. Cela étant, la lutte contre ce fléau ne saurait permettre de déroger aux dispositions de l’article 3 de la Convention, qui prohibent en termes absolus les peines inhumaines ou dégradantes. Ainsi, la nature des infractions reprochées au requérant est ici dépourvue de pertinence. Au demeurant, la fonction de resocialisation vise, en dernier ressort, à empêcher la récidive et à protéger la société.
ii.  Sur les autres remèdes internes visant au réexamen de la peine – Quant à la possibilité d’une grâce ou d’une libération pour motifs d’humanité (tels qu’un âge avancé ou des raisons de santé), la Cour a déjà jugé que ce type de remède ne correspond pas à ce que recouvre l’expression « perspective d’élargissement » employée depuis l’arrêt Kafkaris c. Chypre [GC] (21906/04, 12 février 2008, Note d’information 105). Au demeurant, le Gouvernement n’a fourni aucun exemple d’un condamné similaire ayant obtenu un aménagement de sa peine en vertu d’une grâce présidentielle.
iii.  Conclusion – Le régime applicable à l’intéressé restreint excessivement sa perspective d’élargissement et la possibilité de réexamen de sa peine. Dès lors, cette peine perpétuelle ne peut être qualifiée de compressible, méconnaissant par là le principe du respect de la dignité humaine inhérent à la Convention et à l’article 3 en particulier (la Cour précisant toutefois que cette conclusion ne saurait être comprise comme ouvrant au requérant la perspective d’un élargissement imminent).
Conclusion : violation (six voix contre une).
Article 46 : La nature de la violation constatée indique que l’État mette en place, de préférence par initiative législative, une réforme du régime de la réclusion à perpétuité garantissant la possibilité d’un réexamen de la peine, de façon à permettre : i) aux autorités, de déterminer si, au cours de l’exécution de sa peine, le détenu a tellement évolué et progressé sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne justifie plus son maintien en détention, et ii) au condamné, de savoir ce qu’il doit faire pour que sa libération soit envisagée et quelles sont les conditions applicables. La rupture de l’intéressé avec le milieu mafieux peut s’exprimer autrement qu’avec la collaboration avec la justice et l’automatisme législatif actuellement en vigueur. La Cour précise toutefois que cette possibilité de demander un élargissement ne prive pas forcément les autorités de la possibilité de rejeter la demande, si l’intéressé constitue toujours un danger pour la société.
Article 41 : constat de violation suffisant pour le préjudice moral.
(Voir également la fiche thématique Détention à perpétuité)
 
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