KWIATKOWSKI c. POLOGNE
Karar Dilini Çevir:
KWIATKOWSKI c. POLOGNE

 
 
 
 
PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
Requête no 58996/11
Robert KWIATKOWSKI
contre la Pologne
 
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 23 avril 2019 en un comité composée de :
Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 12 septembre 2011,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1.  Le requérant, M. Robert Kwiatkowski, est un ressortissant polonais né en 1961 et résidant à Varsovie. Il a été représenté devant la Cour par Mes M. Gąsiorowska et I. Kotiuk, avocates à Varsovie, puis par Me A. Szejna, conseil à Varsovie.
A.  Les circonstances de l’espèce
2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
3.  De 1998 à 2004, le requérant fut le président du conseil d’administration de la télévision publique (« la TVP S.A. »).
4.  En décembre 2002, la Gazeta Wyborcza, un grand quotidien national, publia un article traitant de la corruption à l’occasion de travaux législatifs tendant à l’adoption d’une modification de la loi sur l’audiovisuel. Selon cet article, en juillet 2002, Lew Rywin, un célèbre producteur de cinéma, avait offert, en échange de certains avantages, aux représentants de la société éditrice de la Gazeta Wyborcza son aide pour modifier la loi sur l’audiovisuel de façon à permettre à ladite société d’acheter une chaîne de télévision privée. M. Rywin aurait agi en étant commandité par un supposé « groupe détenant le pouvoir » (grupa trzymająca władzę), auquel auraient appartenu certains hauts membres de l’appareil d’État.
5.  À la suite de la révélation de l’affaire par la presse, en janvier 2003, la Diète (Sejm) – la chambre basse du Parlement ‑ adopta une résolution créant une commission parlementaire d’enquête (« la commission »). Selon les termes de cette résolution, la commission fut constituée pour enquêter sur les circonstances de l’affaire susmentionnée et en particulier pour déterminer l’identité des personnes susceptibles d’avoir été à l’origine des démarches de M. Rywin.
6.  Les 9 et 21 février et 18 juillet 2003, le requérant fut entendu par la commission.
7.  En décembre 2004, à l’issue de la procédure pénale diligentée à son encontre parallèlement aux travaux de la commission, M. Rywin fut déclaré coupable de complicité de trafic d’influence (pomocnictwo do płatnej protekcji) et puni d’une peine d’emprisonnement de deux ans et d’une amende de 100 000 zlotys polonais.
8.  Entre-temps, le 5 avril 2004, la commission avait adopté son rapport final, dont la conclusion était que M. Rywin avait agi seul. Plusieurs membres de la commission avaient présenté à la Diète leurs propres projets de rapport. Après l’avoir examiné en séance plénière le 28 mai 2004, la Diète avait rejeté le rapport de la commission et s’était prononcée en faveur de celui du député Z. Ziobro, considéré comme étant le plus radical. Il ressort du dossier que ce dernier rapport avait été élaboré afin de mettre éventuellement en jeu la responsabilité des personnes visées devant la Cour d’État. Compte tenu des doutes quant à la portée du vote du 28 mai 2004, la Diète avait entériné le rapport du député Z. Ziobro par un vote final qui avait eu lieu le 24 septembre 2004. La thèse présentée dans ledit rapport était la suivante :
« Leszek Miller, Premier ministre, Aleksandra Jakubowska, secrétaire d’État au ministère de la Culture, Lech Nikolski, chef du cabinet politique du Premier ministre, Robert Kwiatkowski, président du comité d’administration de la TVP S.A., et Włodzimierz Czarzasty, membre du Conseil de l’audiovisuel, ont commis par leur action délibérée et concertée en juillet 2002 le délit de corruption active, au sens de l’article 228 § 5 du code pénal combiné avec l’article 13 § 1 de ce code, en ce sens que [tout] en influençant le contenu de la loi sur l’audiovisuel en cours de révision et les travaux parlementaires y afférents, ils ont, en juillet 2002, par le truchement de Lew Rywin agissant en tant que commandité du « groupe détenant le pouvoir », adressé une proposition corruptrice aux représentants d’Agora S.A, à savoir le 15 juillet 2002 à Wanda Rapaczyńska et à Piotr Niemczycki et le 22 juillet 2002 à Adam Michnik, consistant à exiger un avantage financier de 17,5 millions de dollars américains (USD), la nomination de Lew Rywin au poste de président de la [chaîne de télévision] Polsat et une promesse de la part d’Agora selon laquelle la Gazeta Wyborcza renoncerait à ses attaques à l’égard du Premier ministre et du gouvernement, en échange de dispositions favorables pour Agora dans la loi sur l’audiovisuel lui permettant d’acheter la chaîne de télévision Polsat.
Les éléments rassemblés dans l’affaire rendent très plausible (w wysokim stopniu uprawdopodabnia) la thèse susmentionnée, au point de justifier les poursuites pénales à l’encontre des personnes susvisées. »
9.  Ce rapport, diffusé par les médias, fut amplement discuté et commenté par les différents acteurs de la vie publique (voir également, pour un exposé des faits pertinents, Rywin c. Pologne, nos 6091/06, 4047/07 et 4070/07, §§ 32-34, 18 février 2016).
1.  L’action engagée par le requérant en vue de la protection de sa réputation
10.  À la suite de la publication de ce rapport, le requérant engagea à l’encontre du Trésor public substitué par la Diète une action en protection de sa réputation sur la base des articles 23, 24 et 448 du code civil combinés avec les articles 30 et 31 de la Constitution. Dans son recours, l’intéressé demandait que la Diète s’excusât publiquement pour les allégations à son sujet contenues dans le rapport en cause.
11.  Le 18 novembre 2009, le tribunal régional de Varsovie rejeta la demande du requérant. Dans les attendus de son jugement, il observa ce qui suit :
–  l’atteinte alléguée à la réputation du requérant n’était pas constituée dès lors que, en l’espèce, la Diète avait exprimé un avis sur la conduite de l’intéressé en tant que personnalité publique, lequel avis ne se prêtait pas à une démonstration de son exactitude et, de plus, les constats du rapport en cause ne visaient pas à humilier le requérant ni à le rabaisser aux yeux de l’opinion publique ;
–  même à supposer que les affirmations contenues dans le rapport de la commission d’enquête avaient nui à la réputation du requérant, celles-ci n’étaient pas irrégulières dès lors que la commission avait procédé en application et dans les limites de la Constitution et de la loi sur la commission d’enquête parlementaire ;
–  la commission était un instrument de contrôle du gouvernement par le Parlement, sa mission était d’établir un rapport sur les circonstances factuelles d’une affaire à la demande du Parlement et, le cas échéant, d’exprimer un avis en la matière, et elle examinait notamment la conduite des autorités publiques soumises au contrôle du Parlement en application de la Constitution et des lois ;
–  dès lors que le requérant était une personne occupant des fonctions officielles à la télévision publique, son activité professionnelle pouvait être contrôlée par le Parlement selon les modalités définies dans la résolution de la Diète portant création de la commission ; en entérinant le rapport dans lequel l’un des membres de la commission avait – en empruntant des termes et des méthodes propres à la loi pénale – examiné la conduite du requérant, la Diète n’avait pas enfreint la loi ; la Diète avait le droit de parvenir à des conclusions différentes de celles auxquelles les autres autorités, notamment pénales, auraient abouti à propos de la même affaire ; le fait que, en l’espèce, elle avait exprimé un avis sur la conduite du requérant n’était constitutif d’aucune immixtion de celle-ci dans la sphère d’attributions réservées à l’autorité judiciaire ni d’atteinte aux principes d’indépendance et d’impartialité juridictionnelle ou de séparation des pouvoirs ; à l’inverse, l’éventuel jugement obligeant la Diète à s’excuser pour les allégations contenues dans le rapport en cause aurait été constitutif d’immixtion du tribunal dans le droit du Parlement de s’informer de l’activité de certaines institutions publiques et d’exprimer son avis en la matière ;
–  le fait que le requérant n’a jamais été inculpé ni condamné pour les faits ayant été examinés par la commission impliquait de constater que l’intéressé avait bénéficié de décisions lui donnant satisfaction ; le fait que le Parlement, agissant dans l’exercice de ses attributions en matière de contrôle à l’égard de l’exécutif, était parvenu à des conclusions différentes de celles auxquelles les autorités pénales avaient abouti à propos de la même affaire n’impliquait aucune infraction à la législation pertinente.
12.  Dans un appel interjeté contre le jugement de première instance, se basant, notamment, sur les articles 6, 8, 13 et 14 de la Convention européenne des droits l’homme, le requérant se plaignait d’une atteinte à sa réputation causée par les constats du rapport de la commission et par la publication subséquente de ceux-ci dans le Journal officiel. Il alléguait plus particulièrement que, eu égard à leur libellé, les constats du rapport en cause avaient préjugé de son appartenance à un « groupe détenant le pouvoir ». Il soutenait en outre que, en entérinant ledit rapport, la Diète – et non un tribunal – l’avait déclaré coupable d’une infraction pénale.
13.  Le 29 avril 2010, la cour d’appel de Varsovie rejeta l’appel du requérant. Dans les motifs de son arrêt, la cour d’appel observa ce qui suit :
–  la résolution de la Diète portant création de la commission n’a jamais été déclarée inconstitutionnelle, ce qui impliquait que cette commission avait été régulièrement constituée et qu’elle avait procédé dans le respect des dispositions législatives relatives à la compétence du Parlement en matière de contrôle à l’égard du gouvernement ;
–  la commission avait le droit d’examiner les circonstances factuelles autour de l’activité du requérant en tant que président du conseil d’administration de la télévision publique, y compris celles susceptibles d’étayer la thèse de son éventuelle responsabilité pénale ; en l’espèce, les travaux de la commission visaient les cas allégués de corruption à l’occasion des travaux législatifs visant à réviser la loi sur l’audiovisuel ;
–  l’adoption du rapport dont se plaignait le requérant était une prérogative de la Diète relevant de la sphère de l’autonomie constitutionnelle du Parlement ; en entérinant ce rapport, la Diète ne s’était pas prononcée sur la responsabilité pénale du requérant mais elle avait exprimé un avis selon lequel les éléments collectés par la commission justifiaient les poursuites pénales à l’encontre de l’intéressé du chef de l’infraction punie par l’article 228 § 5 du code pénal combiné avec l’article 13 du même code ; l’avis que la Diète avait exprimé sur ce point ne se substituait pas à une éventuelle décision de justice en la matière et ne liait pas les tribunaux ; nonobstant leur libellé, les constats du rapport de la commission reflétaient un jugement de valeur ne se prêtant pas à une démonstration de son exactitude ; l’éventuelle erreur d’appréciation de la Diète sur la conduite du requérant ne pouvait pas, en soi, rendre ce rapport illégal ; une telle appréciation, bien qu’elle puisse faire l’objet d’un contrôle dans le cadre d’une éventuelle procédure pénale, ne pouvait engager la responsabilité de la Diète sur le terrain des articles 23 et 24 du code civil ;
–  les allégations du requérant à propos des violations de ses droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme étaient dénuées de fondement : d’une part, l’intéressé n’avait pas été privé de l’exercice effectif de son droit à voir sa cause examinée par un tribunal et, d’autre part, le rapport de la commission que la Diète avait entériné ne concernait que les activités publiques de l’intéressé et non sa vie privée ;
–  la responsabilité de la Diète ne pouvait être engagée du fait des déclarations médiatiques prononcées en rapport avec l’affaire.
14.  À une date non précisée dans la requête, le requérant se pourvu en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Varsovie susmentionné. Par une ordonnance du 17 mars 2011, la Cour suprême refusa de statuer sur le recours de l’intéressé.
2.  Les autres procédures diligentées en rapport avec l’affaire dite « de Rywin »
15.  De 2004 à 2008, le parquet national diligenta une enquête relative aux allégations de corruption autour de la procédure législative tendant à la révision de la loi sur l’audiovisuel. Cette enquête fut finalement abandonnée pour prescription. La décision du parquet y mettant fin constatait que les membres du dénommé « groupe détenant le pouvoir » n’avaient pas été identifiés.
16.  Le 10 décembre 2002, le parquet d’appel de Varsovie refusa de diligenter une enquête sur les allégations de faux témoignage du requérant devant la commission.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
17.  Les dispositions de la législation et de la jurisprudence internes pertinentes en l’espèce sont exposées dans l’arrêt Rywin c. Pologne (nos 6091/06, 4047/07 et 4070/07, §§ 82-96, 18 février 2016).
GRIEFS
18.  Invoquant l’article 6 de la Convention sous son volet pénal, le requérant se plaint d’avoir été déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés en rapport avec l’affaire dite « de Rywin » par la Diète, autorité législative, et non par un tribunal « indépendant » et « impartial », comme l’exige cette disposition de la Convention. Sur le terrain du même article, il se plaint également de n’avoir eu à sa disposition aucun recours juridictionnel pour contester sa « condamnation ».
19.  Sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, le requérant allègue que les constats du rapport de la commission entériné par la Diète ont porté atteinte à sa présomption d’innocence.
20.  Invoquant l’article 8 de la Convention, il argue que les constats du rapport en cause ont nui à sa réputation. Il allègue plus particulièrement que, en qualifiant les constats en cause de jugements de valeur, les juridictions nationales l’ont privé de la possibilité de prouver que ces constats n’étaient pas avérés et qu’elles lui ont refusé la protection de sa réputation. Le requérant se plaint en outre que les déclarations médiatiques prononcées en rapport avec l’affaire ont aggravé le préjudice causé à sa réputation par les constats du rapport en cause.
21.  Invoquant l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8 de celle-ci, le requérant se plaint de n’avoir disposé d’aucun recours effectif pour contester les allégations contenues dans le rapport de la commission.
EN DROIT
A.  Sur l’équité du procès
22.  Le requérant se plaint d’avoir été déclaré coupable de l’infraction pénale par la Diète et non par un tribunal. Il invoque l’article 6 §§ 1 de la Convention, qui se lit ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce :
Article 6
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...). »
23.  La Cour doit déterminer si l’article 6 de la Convention sous son volet pénal s’applique en l’espèce. Autrement dit, il lui incombe de vérifier si, dans la procédure ayant conduit à l’adoption du rapport en cause, il a été statué sur une « accusation en matière pénale » portée contre l’intéressé.
24.  La Cour rappelle que les travaux de la commission d’enquête parlementaire, tels qu’ils sont régis par la législation et la jurisprudence polonaises pertinentes, ont fait l’objet de son analyse en profondeur dans l’affaire Rywin précitée (paragraphe 17 ci-dessus). Il en ressort plus particulièrement que les travaux de cette commission revêtent un caractère politique et peuvent, notamment, porter sur la conduite des personnalités politiques membres de l’exécutif (Rywin, précité, §§ 90 et 94). La procédure diligentée par la commission parlementaire d’enquête a une finalité distincte de celle de la procédure pénale : la commission enquête sur le fonctionnement des pouvoirs publics et sur les éventuelles irrégularités dans ce domaine (idem, § 95). La mission d’une telle commission est d’établir un rapport sur les circonstances factuelles d’une affaire à la demande du Parlement et, le cas échéant, d’exprimer un avis en la matière (idem, § 90). Ce rapport a vocation à servir de point de départ ou à nourrir un éventuel débat des assemblées sur les irrégularités constatées dans la sphère des autorités et des institutions publiques soumises au contrôle du Parlement (idem, § 209). Les éléments d’informations recueillis par la commission ont vocation à contribuer à l’adoption rapide par le Parlement d’éventuelles mesures de redressement, telles qu’une modification de la législation existante ou la mise en jeu de la responsabilité constitutionnelle ou politique des membres du gouvernement (idem, § 95).
25.  La Cour observe que, en l’espèce, le requérant se plaint des constats du même rapport de la commission d’enquête que celui qui incriminait M. Rywin. Dans ce contexte, elle rappelle avoir observé dans l’affaire Rywin précitée que les travaux de la commission d’enquête ayant donné lieu à l’adoption du rapport en cause ont été engagés à la suite de publications de presse suggérant que des irrégularités pouvaient avoir été commises par des personnes exerçant des fonctions officielles lors de la procédure parlementaire tendant à la révision de la loi sur l’audiovisuel (idem, § 212). Elle rappelle aussi avoir constaté que la commission d’enquête a été créée pour enquêter sur des allégations de corruption et d’immixtion irrégulière de hautes personnalités de l’État dans le déroulement de la procédure législative visant à réviser la loi sur l’audiovisuel (idem, § 213) et que la conclusion du rapport de la commission entériné par la Diète constatait que certaines hautes personnalités de l’État, parmi lesquelles le requérant, étaient fortement soupçonnées d’avoir commis le délit de corruption (idem, paragraphe 217).
26.  La Cour rappelle également avoir dit dans l’affaire Rywin précitée que, nonobstant leur libellé, les affirmations contenues dans le rapport de la commission – lues à la lumière du rapport entier et du contexte dans lequel elles ont été prononcées – devaient se comprendre comme une manière pour cette commission d’informer le Parlement que, au regard des éléments recueillis, les hautes personnalités de l’État qui s’y trouvaient désignées étaient fortement soupçonnées d’avoir commis le délit de corruption (Rywin, précité, § 217). En l’espèce, elle n’aperçoit aucune raison de se départir de sa conclusion sur ce point. Elle note, comme les juridictions nationales ayant statué sur l’action tendant à la protection de la réputation du requérant, qu’en entérinant le rapport en cause la Diète ne s’est pas prononcée sur la responsabilité pénale de l’intéressé mais a exprimé un avis sur la conduite de celui-ci en tant que personnalité publique (paragraphes 11 et 13 ci-dessus).
27.  La Cour observe que le requérant n’a subi aucune sanction à la suite du rapport de la commission d’enquête. Elle note qu’il ressort des attendus des juridictions nationales susmentionnées que l’intéressé n’a jamais été condamné ni même inculpé pour les faits examinés par cette commission, contrairement à M. Rywin.
28.  Dans ces circonstances, la Cour constate que la question dont la commission parlementaire était saisie n’était pas de nature à emporter décision sur une « accusation en matière pénale » pesant sur le requérant (voir, mutatis mutandis, Montera c. Italie (déc.), no 64713/01, 9 juillet 2002). L’article 6 de la Convention sous son volet pénal ne trouve donc pas à s’appliquer en l’espèce.
29.  Il s’ensuit que le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention est incompatible ratione materiae avec les dispositions de cette dernière et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
B.  Sur la protection de la réputation
30.  Le requérant se plaint que les constats du rapport de la commission d’enquête ont porté atteinte à sa présomption d’innocence et ont nui à sa réputation et que les juridictions nationales ont manqué à leurs obligations en matière de protection de cette dernière. Il invoque les articles 6 § 2 et 8 de la Convention qui se lisent ainsi :
Article 6 § 2
« 2.  Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
Article 8
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
31.  La Cour rappelle que lorsque aucune procédure pénale n’est en cours ou n’a été ouverte, les propos imputant à autrui la responsabilité d’une infraction ou d’une autre conduite répréhensible relèvent plutôt de la protection contre la diffamation ainsi que du droit de saisir les tribunaux d’une contestation portant sur des droits de caractère civil et soulèvent des problèmes potentiels sous l’angle des articles 8 et 6 de la Convention (Zollmann c. Royaume-Uni (déc.) ; Ismoilov et autres c. Russie, no 2947/06, § 160, 24 avril 2008 ; et Mikolajová c. Slovaquie, no 4479/03, §§ 42-48, 18 janvier 2011). Elle examinera donc ce grief sous l’angle de l’article 8 de la Convention, tout en soulignant que cela ne l’empêche pas de prendre en compte les intérêts protégés par l’article 6 § 2 dans l’exercice de mise en balance effectué ci-dessous (voir, mutatis mutandis, A. c. Norvège, no 28070/06, § 47, 9 avril 2009, et Mikolajova c. Slovaquie, précité, § 44).
32.  La Cour rappelle avoir dit que la réputation d’une personne, même si cette personne est critiquée dans le cadre d’un débat public, fait partie de son identité personnelle et de son intégrité morale, et dès lors relève aussi de sa « vie privée » (Hoon c. Royaume-Uni (déc.), no 14832/11, § 32, 31 janvier 2011). Cependant, pour que l’article 8 entre en ligne de compte, l’attaque à la réputation personnelle doit atteindre un certain niveau de gravité et avoir été effectuée de manière à causer un préjudice à la jouissance personnelle du droit au respect de la vie privée (A. précité, § 64).
33.  En l’espèce, la Cour note que le requérant se plaint d’une atteinte causée à sa réputation par les constats, entérinés par la Diète, du rapport de la commission d’enquête parlementaire. Compte tenu du libellé de ces constats et de la notoriété de l’autorité qui les a émis, la Cour accepte que l’adoption et la divulgation du rapport en question ont constitué une « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice d’un droit que le paragraphe 1 de l’article 8 de la Convention garantit au requérant.
34.  Elle rappelle que pareille ingérence méconnaît l’article 8 de la Convention, sauf si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et peut passer pour une mesure « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ces buts (Messina (no 2) c. Italie, no 25498/94, 29.9.2000, § 63).
35.  La Cour observe qu’il ressort des attendus des jugements des juridictions nationales que le requérant a saisies d’une action en protection de sa réputation que l’adoption du rapport dénoncée est intervenue en application des dispositions pertinentes de la Constitution polonaise et de celles de la loi sur la commission d’enquête parlementaire (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). En l’espèce, elle-même ne voit aucune raison de se départir de la conclusion des juridictions nationales sur ce point. Elle estime dès lors que l’ingérence litigieuse avait une base légale aux termes du deuxième paragraphe de l’article 8 de la Convention.
36.  La Cour relève que la tâche confiée à la commission était, en substance, celle d’enquêter sur des allégations de corruption et d’immixtion irrégulière de hautes personnalités de l’État dans le déroulement de la procédure législative. Compte tenu de la gravité de ces questions, elle estime que le fait de porter à la connaissance du public les constats de la commission visait des buts compatibles avec la Convention, à savoir la sûreté publique, la défense de l’ordre, la prévention des infractions pénales et la protection des droits et libertés d’autrui (Hoon, décision précitée, § 36).
37.  Il reste à déterminer si l’ingérence incriminée par le requérant était « nécessaire dans une société démocratique ».
38.  La Cour rappelle que l’affaire sur laquelle la commission avait enquêté avait pour toile de fond des faits de corruption que l’on soupçonnait de la part de hautes personnalités de l’État et dont la révélation avait déclenché un scandale politique de grande envergure (Rywin, précité, § 235). Il s’agissait, sans conteste, d’une importante question d’intérêt général sur laquelle l’opinion publique avait le droit de recevoir les informations. L’éventuelle absence de divulgation du rapport de la commission d’enquête serait allée à l’encontre de l’intérêt légitime du public d’être informé du résultat de la procédure menée par cette commission (Hoon, décision précitée, § 37).
39.  La Cour observe que les juridictions nationales ayant statué dans l’affaire relative à la protection de la réputation du requérant ont établi que, en entérinant le rapport en cause, la Diète a exprimé un avis sur la conduite de l’intéressé en tant que personnalité publique et membre de l’exécutif. Elle rappelle dans ce contexte sa jurisprudence constante selon laquelle les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103, Incal c. Turquie, 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, p. 1567, § 54, et Feldek c. Slovaquie, no 29032/95, § 74, CEDH 2001-VIII).
40.  La Cour note que les juridictions nationales susmentionnées ont estimé que les constats du rapport incriminé par le requérant contenaient un jugement de valeur sur la conduite de l’intéressé dont l’exactitude était insusceptible de démonstration. Elle observe de plus que ces juridictions ont considéré que les constats précités ne visaient pas à humilier l’intéressé auprès de l’opinion publique (paragraphes 11 et 13 ci-dessus).
41.  La Cour estime que les conclusions auxquelles les juridictions nationales sont parvenues sur ce point correspondent au constat auquel elle‑même a abouti aux paragraphes 25-26 ci-dessus à propos de la nature des affirmations contenues dans le rapport en cause.
42.  Elle note qu’il ressort de l’affaire Rywin que la base factuelle sur laquelle reposaient les constats du rapport de la commission n’était pas inexistante. Elle relève plus particulièrement que ce rapport a été adopté sur la base des éléments recueillis par la commission au cours de ses travaux, parmi lesquels des témoignages et des documents (Rywin, précité, § 15). Elle constate de plus que le requérant a comparu devant la commission et a fait des déclarations (paragraphe 6 ci-dessus). En l’espèce, elle-même ne dispose pas d’éléments pour conclure que les constats du rapport de la commission d’enquête ont été arbitraires ou manifestement contraires à la réalité (voir, mutatis mutandis, Montera, décision précitée). Elle rappelle avoir observé au paragraphe 27 ci-dessus que, à la suite de l’adoption du rapport de la commission d’enquête parlementaire, le requérant n’a subi aucune sanction.
43.  Pour autant que le requérant se plaint d’un déni de protection par les juridictions nationales, la Cour note que celles-ci n’ont pas décliné leur compétence pour connaître de l’affaire relative à la protection de la réputation de l’intéressé mais qu’elles ont examiné cette affaire sur le fond avant de rejeter la demande du requérant y afférente, au motif qu’aucune atteinte à la réputation de celui-ci au sens des dispositions pertinentes en la matière du code civil polonais n’était à relever (paragraphes 11 et 13 ci‑dessus).
44.  Pour ce qui est du grief du requérant concernant la campagne de presse autour de l’affaire, la Cour rappelle que les autorités nationales ne sauraient être tenues pour responsables des actes de la presse (Rywin, précité, § 232).
45.  Eu égard aux éléments qui précèdent, la Cour estime que l’ingérence alléguée dans le droit du requérant au respect de sa vie privée n’a pas été disproportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis.
46.  Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
C.  Sur le recours effectif
47.  Le requérant allègue qu’il ne disposait d’aucun recours efficace pour contester les constats du rapport de la commission d’enquête parlementaire. Il invoque à cet égard l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
48.  La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cependant, pour que l’article 13 trouve à s’appliquer à un grief, il faut que celui-ci puisse passer pour défendable (Conka c. Belgique, no 51564/99, §§ 75-76, 5 février 2002).
49.  En l’espèce, la Cour vient de conclure que le grief tiré de l’article 6 de la Convention est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et que les doléances formulées par le requérant sous l’angle des articles 6 § 2 et 8 sont manifestement mal fondées. Les griefs principaux du requérant ne pouvant pas être considérés comme défendables, l’article 13 de la Convention ne trouve pas à s’appliquer.
50.  Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et qu’il doit être rejeté, en application de l’article  35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 16 mai 2019.
              Renata DegenerKsenija Turković
              Greffière adjointePrésidente

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