KARAKUŞ ET AUTRES c. TURQUIE
Karar Dilini Çevir:
KARAKUŞ ET AUTRES c. TURQUIE

 
 
 
 
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 43122/09
Mutahir KARAKUŞ et autres
contre la Turquie
 
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 19 mars 2019 en un comité composé de :
Valeriu Griţco, président,
Ivana Jelić,
Darian Pavli, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 24 juillet 2009,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1.  La liste des parties requérantes figure en annexe.
2.  Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
Les circonstances de l’espèce
3.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1.  La genèse de l’affaire
4.  Le 28 septembre 2004, Sezai Karakuş, fils et frère des requérants, fut arrêté et placé en garde à vue par la police chargée de la lutte contre le terrorisme dans le cadre d’une enquête dirigée à son encontre pour soupçon d’appartenance au PKK, une organisation armée illégale.
5.  Le 22 novembre 2004, l’intéressé se serait suicidé par pendaison dans sa cellule alors qu’il était en détention provisoire.
2.  L’action en réparation pour atteinte à la réputation
6.  Le 30 septembre 2004, le 3 octobre 2004, et le 23 novembre 2004, des articles de presse intitulés « Les poseurs de bombes dans deux hôtels à Istanbul ont été capturés », « Il était venu pour attaquer, il a voulu se faire plaisir », « L’aventure du poseur de bombe » et « Il était menacé » furent publiés dans le quotidien Sabah. Ces articles portaient sur les circonstances entourant l’arrestation du proche des requérants, accusé d’appartenance à l’organisation illégale PKK, et sur le décès de celui-ci en détention provisoire. L’un des articles, illustré d’images obtenues à partir des enregistrements des caméras de surveillance situés à l’entrée d’un hôtel, relatait que, avant son arrestation, le proche des requérants avait eu un rapport sexuel avec une prostituée. Le dernier article en date affirmait que, avant son décès, l’intéressé avait été menacé par le PKK, qu’il avait demandé à être protégé auprès des autorités et qu’il était probablement victime d’une exécution interne à ladite organisation.
7.  Le 30 septembre 2005, les requérants intentèrent une action en réparation contre le propriétaire de la maison d’édition et le rédacteur en chef du quotidien ainsi que contre les journalistes auteurs des articles litigieux. Ils alléguaient que, dans ces publications, leur proche était désigné comme un poseur de bombe qui avait dépensé l’argent du PKK pour entretenir des relations sexuelles avec des prostituées. Ils se plaignaient que les articles en question avaient porté atteinte à la réputation de leur proche ainsi qu’à celle de leur famille.
8.  Le 25 mars 2008, le tribunal d’instance d’Istanbul (« le tribunal d’instance ») débouta les requérants de toutes leurs demandes. Il estima que le contenu des articles en question correspondait à la réalité apparente au moment de leur publication dans la mesure où le proche des requérants avait effectivement été arrêté par la police chargée de la lutte contre le terrorisme alors qu’il était en possession de produits explosifs et qu’il entreprenait des actes préparatoires d’un attentat à la bombe, que les articles litigieux n’avaient employé aucune expression qui aurait constitué une atteinte aux droits de la personnalité de l’intéressé et qu’ils présentaient un intérêt pour le public.
9.  Le 4 novembre 2008, la Cour de cassation confirma la décision de première instance et, le 26 janvier 2009, elle rejeta le recours en rectification des requérants.
GRIEFS
10.  Invoquant les articles 8 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit et au droit de leur proche à la protection de la réputation en raison des publications litigieuses. Ils soutiennent que les tribunaux internes n’ont pas dûment examiné leurs allégations.
EN DROIT
11.  Les requérants se plaignent d’une atteinte à la réputation de leur proche et à celle de leur famille en raison des publications litigieuses et dénoncent l’absence d’une réponse judiciaire adéquate de la part des tribunaux internes. Ils invoquent les articles 8 et 13 de la Convention.
12.  La Cour rappelle qu’un grief comporte deux éléments : des allégations factuelles et des arguments juridiques. En vertu du principe jura novit curia, elle n’est pas tenue par les moyens de droit avancés par un requérant en vertu de la Convention et de ses Protocoles, et elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d’un grief en examinant celui-ci sur le terrain d’articles ou de dispositions de la Convention autres que ceux invoqués par le requérant (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018). En l’espèce, elle estime qu’il convient d’examiner les griefs des requérants sous l’angle du seul article 8 de la Convention.
13.  Le Gouvernement soulève deux exceptions d’irrecevabilité. En premier lieu, il excipe de l’absence de qualité de victime des requérants. Il soutient à cet égard que la question de l’atteinte à la réputation d’un proche décédé est un droit rattaché à la personne et non transférable aux héritiers. Il argue ensuite que les intéressés n’ont pas épuisé les voies de recours internes dans la mesure où ils n’ont pas emprunté la voie du droit de réponse rectificative.
14.  Les requérants contestent les thèses du Gouvernement.
15.  La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les exceptions préliminaires du Gouvernement tirées de l’absence de qualité de victime des requérants et du non-épuisement des voies de recours internes, la requête étant en tout état de cause irrecevable pour les raisons exposées ci-dessous.
16.  Le Gouvernement indique que le contenu des articles litigieux était conforme à la réalité au moment des faits révélés par les enquêtes tant policière que journalistique. Il soutient en outre que, en ce qui concerne le langage employé dans ces publications, la presse a usé de son droit de recourir à une certaine dose d’exagération, voire même de provocation. Pour ces raisons, et dans la mesure où le sujet présentait – à ses yeux – un intérêt pour le public, il argue que lesdits articles ne sont pas constitutifs d’une quelconque atteinte à la vie privée du proche des requérants ni à celle de ces derniers.
17.  Les requérants n’ont pas répondu aux arguments du Gouvernement.
18.  La Cour rappelle les principes découlant de sa jurisprudence en matière de protection de la vie privée et de liberté d’expression, lesquels sont résumés notamment dans les arrêts Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France ([GC], no 40454/07, §§ 83-93, CEDH 2015 (extraits)) et Tarman c. Turquie (no 63903/10, §§ 36-38, 21 novembre 2017).
19.  En l’espèce, elle observe que les requérants ont entamé une action en réparation contre les responsables du quotidien et contre les auteurs des articles de presse qu’ils estimaient attentatoires au droit de leur proche au respect de sa réputation ainsi qu’à celle de leur famille et que le tribunal d’instance les a déboutés de toutes leurs demandes, ce qui a été confirmé par la Cour de cassation (paragraphes 8 et 9 ci-dessus).
20.  La Cour est d’avis que, eu égard à la marge d’appréciation dont bénéficie l’État défendeur en pareilles circonstances, les autorités nationales sont les mieux placées pour apprécier le contexte factuel dans le cadre duquel se plaçaient les articles en cause. À cet égard, elle relève que les autorités internes, et en particulier le tribunal d’instance, ont procédé à un examen, sur la base des critères élaborés par sa jurisprudence (Tarman, précité, § 38), du juste équilibre à ménager entre le droit des requérants et celui de leur proche au respect de leur réputation et le droit de la partie adverse à la liberté d’expression. En l’occurrence, après avoir examiné le dossier, le tribunal d’instance a estimé que les propos employés dans les articles de presse dénoncés ne concernaient pas la personnalité du proche des requérants, qu’ils ne contenaient pas de termes attentatoires à la réputation de l’intéressé ni à celle des requérants et que le contenu desdits articles était conforme à ce qui semblait correspondre à la réalité au moment de leur publication dans la mesure où le proche des requérants avait été arrêté par la police chargée de la lutte contre le terrorisme alors qu’il était en possession de produits explosifs et qu’il entreprenait des actes préparatoires en vue de commettre un attentat à la bombe. En ce qui concerne spécifiquement les passages des articles litigieux portant sur des relations sexuelles que le proche des requérants aurait eues avec une prostituée avant son arrestation, les pièces du dossier révèlent que ces allégations se fondaient sur le contenu des enregistrements des caméras de surveillance d’un hôtel dans lequel l’intéressé se trouvait alors qu’il était poursuivi par la police.
21.  Eu égard de ce qui précède, la Cour considère que les autorités nationales ont procédé à une évaluation circonstanciée de l’équilibre à ménager entre la liberté de la presse et le droit des intéressés et de leur proche à la protection de la réputation. Rien ne permet de conclure que, dans cette évaluation d’intérêts divergents, les autorités internes ont outrepassé la marge d’appréciation qui leur est reconnue et qu’elles ont manqué à leurs obligations positives à l’égard des requérants au titre de l’article 8 de la Convention.
22.  Pour ces raisons, la Cour conclut que la requête doit être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 11 avril 2019.
Hasan BakırcıValeriu Griţco
Greffier adjointPrésident


 
ANNEXE
 
No
Prénom NOM
Année de naissance
Nationalité
Lieu de résidence
Représentant 
Mutahir KARAKUŞ
1972
turc
DİYARBAKIR
İ. Akmeşe 
Ahmet KARAKUŞ
1935
turc
ERZURUM
İ. Akmeşe 
Aslıhan KARAKUŞ
1972
turc
ERZURUM
İ. Akmeşe 
Bediha KARAKUŞ
1970
turc
ERZURUM
İ. Akmeşe 
Muhsine KARAKUŞ
1935
turc
ERZURUM
İ. Akmeşe 
Muzahıt KARAKUŞ
1973
turc
ERZURUM
İ. Akmeşe 
Şengül KARAKUŞ
1981
turc
ERZURUM
İ. Akmeşe 
Şıhap KARAKUŞ
1969
turc
ERZURUM
İ. Akmeşe 
Songül KARAKUŞ
1978
turc
ERZURUM
İ. Akmeşe
 
 

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