KALLIPOLITOU c. GRÈCE
Karar Dilini Çevir:
KALLIPOLITOU c. GRÈCE

 
 
 
 
PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
Requête no 49031/12
Liliana-Evaggelia KALLIPOLITOU
contre la Grèce
 
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 26 mars 2019 en un comité composé de :
Aleš Pejchal, président,
Tim Eicke,
Gilberto Felici, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 27 juillet 2012,
Vu les déclarations formelles d’acceptation d’un règlement amiable de l’affaire.
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1.  La requérante, Mme Liliana-Evaggelia Kallipolitou, est une ressortissante grecque née en 1958 et résidant à Athènes.
2.  Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Apessos, à l’époque président du Conseil juridique de l’État.
3.  La requérante se plaignait d’une violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.
4.  Le 28 août 2017, la partie du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et relatif à la durée de la procédure a été communiquée au Gouvernement. La partie du grief tiré de l’article 6 § 1 et relatif à l’accès à un tribunal ainsi que le grief tiré de l’article 13 et relatif à l’absence de recours effectif permettant de se plaindre à cet égard ont été réservés pour examen ultérieur par la Cour, et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.
A.  Les circonstances de l’espèce
5.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
6.  Le 31 octobre 2005, la requérante déposa une plainte contre H.-V. H. pour vol de documents (υπεξαγωγή εγγράφου), lésions corporelles (σωματική βλάβη), voies de fait (παράνομη βία), acte d’autojustice (αυτοδικία), menaces, troubles du domicile et insultes (εξύβριση). La requérante se constitua également partie civile et sollicita l’allocation de la somme de 30 euros (EUR) à titre de dommage moral, avec réserve de ses droits (με επιφύλαξη).
7.  Le 15 novembre 2005, la requérante déposa une seconde plainte contre H.-V. H. pour vol de documents, acte d’autojustice, entrave à l’exercice de ses droits (παρακώλυση της άσκησης δικαιώματος) et dégradation de la propriété d’autrui (φθορά ξένης ιδιοκτησίας). La requérante se constitua également partie civile et sollicita l’allocation de la somme de 30 EUR à titre de dommage moral, avec réserve de ses droits.
8.  À une date non précisée, des poursuites pénales furent engagées contre H.-V. H.
9.  L’acte d’accusation fut rédigé le 13 novembre 2007. Il portait sur les chefs de vol de documents commis à répétition, lésions corporelles simples, insultes commises par actes et paroles (εξύβριση έργω και λόγω), menaces et troubles du domicile commis à répétition.
10.  Le 25 janvier 2010, après avoir procédé à la requalification de l’infraction de délit de lésions corporelles simples en contravention (πταίσμα) de lésions corporelles légères (ασήμαντη σωματική βλάβη), le tribunal de première instance d’Athènes siégeant en formation de juge unique (« le tribunal ») constata que les infractions concernées étaient prescrites et mit fin aux poursuites engagées pour troubles du domicile commis à répétition et pour lésions corporelles légères. Le tribunal relaxa H.-V. H. du chef de vol de documents commis à répétition et le déclara coupable d’insultes commises par actes et paroles et de menaces. Il le condamna à une peine de cinq mois d’emprisonnement au total, assortie d’un sursis à exécution de trois ans, et alloua à la requérante la somme de 30 EUR pour dommage moral avec réserve de ses droits (jugement no 9610/2010).
11.  Le même jour, H.-V. H. interjeta appel contre ce jugement.
12.  Le 26 janvier 2010, la requérante demanda au procureur près la cour d’appel d’interjeter appel contre ledit jugement.
13.  Par une ordonnance (διάταξη) du 2 février 2010, le procureur débouta la requérante, considérant qu’« il n’y a[vait] pas de raison d’interjeter appel (...) ».
14.  Le 20 juillet 2012, l’affaire fut classée par une ordonnance du procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes à la suite de l’adoption de la loi no 4043/2012, dont l’article 2 §§ 1 et 2 prévoyait la prescription de la peine qui avait été infligée en l’espèce.
B.  Le droit interne pertinent
15.  L’article 2 de la loi no 4043/2012 entrée en vigueur le 13 février 2012 se lisait ainsi :
« 1.  Sont prescrites et ne sont pas exécutées les peines ne dépassant pas six mois d’emprisonnement, infligées en vertu de décisions rendues jusqu’à la date de la publication de la présente loi, si, à cette même date, lesdites décisions ne sont pas devenues irrévocables et si les peines n’ont pas été purgées de quelque manière que ce soit. Cette disposition s’applique sous réserve que le condamné ne commette pas, dans les deux ans à compter de la publication de la présente loi, une nouvelle infraction intentionnelle, pour laquelle il serait condamné irrévocablement, quelle que soit la date de la condamnation, à une peine privative de liberté de plus de six mois. Dans ce cas, le condamné purge, de façon cumulative, après exécution de la nouvelle peine, la peine non exécutée (...)
2.  Les affaires dans lesquelles une décision n’est pas mise à exécution en vertu du premier paragraphe sont classées par acte du procureur compétent (...) »
GRIEFS
16.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de la durée de la procédure engagée devant les juridictions pénales.
17.  Invoquant le même article, elle se plaint également d’une violation de son droit d’accès à un tribunal en raison du rejet, selon elle non motivé, de sa demande par le procureur, ainsi que du rejet de sa plainte avec constitution de partie civile pour cause de prescription à la suite de l’entrée en vigueur de l’article 2 de la loi no 4043/2012.
18.  Invoquant l’article 13, elle se plaint en outre de l’absence, en droit interne, d’un recours effectif qui aurait été susceptible de lui permettre de se plaindre à cet égard.
EN DROIT
A.  Sur le grief communiqué tiré de l’article 6 § 1 de la Convention quant à la durée de la procédure litigieuse
19.  Les 22 et 29 novembre 2017, la Cour a reçu des déclarations de règlement amiable signées par les parties. Par ces déclarations, le Gouvernement s’est engagé à verser à la requérante la somme de 2 300 EUR et la requérante a dit renoncer à toute autre prétention à l’encontre de la République hellénique à propos des faits à l’origine de cette partie de la requête (paragraphe 4 ci-dessus). La somme en question, qui couvrira tout préjudice moral ainsi que les frais et dépens, sera exempte de toute taxe éventuellement applicable et sera versée dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision de la Cour. À défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s’est engagé à verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au règlement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage ; ce versement vaudra règlement définitif de l’affaire.
20.  La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties. Elle estime que celui-ci s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses Protocoles, et elle n’aperçoit par ailleurs aucun motif justifiant de poursuivre l’examen de la requête pour autant qu’elle concerne l’article 6 § 1 de la Convention quant à la durée de la procédure litigieuse.
21.  En conséquence, il convient de rayer l’affaire du rôle pour autant qu’elle concerne cette partie de la requête.
B.  Sur les griefs non communiqués tirés des articles 6 § 1 et 13 de la Convention quant au droit d’accès à un tribunal et à l’absence de recours effectif à cet égard
1.  Sur le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention concernant le rejet de la demande de la requérante et la motivation du procureur près la cour d’appel à cet égard
22.  La requérante soutient que, en rejetant, selon elle sans motivation, la demande par laquelle elle le priait d’interjeter appel du jugement no 9610/2010, le procureur près la cour d’appel a porté atteinte à l’exercice par elle de son droit d’accès à un tribunal.
23.  La Cour observe que le procureur a rejeté la demande de la requérante par une ordonnance rendue le 2 février 2010, donc plus de six mois avant le 27 juillet 2012, date de l’introduction de la requête devant elle.
24.  Il s’ensuit que cette partie de la requête est tardive et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2.  Sur le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention concernant la prescription des infractions concernées
25.  Dénonçant une violation de l’article 6 § 1, la requérante soutient que le classement de sa plainte a découlé d’un défaut de diligence des autorités compétentes qui aurait abouti à la prescription des peines infligées et non purgées constatée à la suite de l’entrée en vigueur de l’article 2 de la loi no 4043/2012. Elle reproche également aux juridictions internes de ne pas s’être prononcées sur sa plainte avec constitution de partie civile par une décision irrévocable.
26.  La Cour estime que lorsque l’ordre juridique offre un recours au justiciable, comme le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile, l’État a l’obligation de veiller à ce que celui-ci jouisse des garanties fondamentales de l’article 6. Elle rappelle à cet égard que chaque justiciable a le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. C’est ainsi que l’article 6 § 1 de la Convention consacre le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 43, CEDH 2001-VIII, et Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, § 54, CEDH 2010). Le droit d’accès à un tribunal n’est cependant pas absolu ; appelant de par sa nature même une réglementation par l’État, il peut donner lieu à des limitations, lesquelles ne sauraient cependant restreindre l’accès d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 59, CEDH 1999-I).
27.  En l’espèce, la Cour note d’emblée que, selon les éléments du dossier, alors que l’affaire était pendante en appel, le procureur a mis fin aux poursuites à la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 4043/2012. Partant, elle considère que la présente affaire doit être distinguée des affaires dans lesquelles elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention lorsque la clôture des poursuites pénales et le défaut d’examen de l’action civile étaient dus à des circonstances imputables aux autorités judiciaires, notamment des retards excessifs dans le cours de la procédure ayant entraîné la prescription de l’infraction (Anagnostopoulos c. Grèce, no 54589/00, §§ 31-32, 3 avril 2003, et Gousis c. Grèce, no 8863/03, §§ 34‑35, 29 mars 2007).
28.  En outre, la Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Papaioannou c. Grèce, no 18880/15, § 39, 2 juin 2016). Son rôle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1998-I). En l’espèce, la Cour ne voit pas d’élément lui permettant de penser que l’application de l’article 2 de la loi no 4043/2012 aurait été, en l’espèce, arbitraire ou autrement contraire à l’article 6 de la Convention, d’autant plus qu’il s’agissait d’une disposition plus favorable aux personnes condamnées en première instance ou en appel.
29.  Elle rappelle de plus que, dans des affaires similaires, elle a conclu à l’absence de violation du droit d’accès à un tribunal lorsque les intéressés disposaient d’autres voies judiciaires pour faire valoir leurs prétentions, notamment des actions disponibles devant les juridictions civiles (Assenov et autres c. Bulgarie, no 24760/94, § 112, Recueil 1998–VIII, Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, §§ 53-55, 15 juillet 2003, Moldovan et autres c. Roumanie (no 2), nos 41138/98 et 64320/01, §§ 119-122, CEDH 2005-VII (extraits), et Lacerda Gouveia et autres c. Portugal, no 11868/07, § 80, 1er mars 2011). En l’espèce, la Cour observe que la clôture des poursuites pénales a laissé intactes les prétentions civiles de la requérante, qui pouvait introduire une demande tendant à la réparation de son préjudice moral devant les juridictions civiles (voir aussi Dimitras c. Grèce, no 11946/11, § 46, 19 avril 2018).
30.  Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la restriction apportée au droit d’accès de la requérante à un tribunal n’a pas porté atteinte à la substance même dudit droit et qu’elle n’est pas disproportionnée au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
31.  Il s’ensuit que le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention quant au droit d’accès à un tribunal doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
3.  Sur le grief tiré de l’article 13 de la Convention concernant l’absence d’un recours effectif à l’égard du droit d’accès à un tribunal
32.  Invoquant l’article 13 de la Convention, la requérante se plaint de l’absence en droit interne d’un recours qui lui aurait permis de formuler son grief de méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention quant au droit d’accès à un tribunal.
33.  La Cour rappelle que les exigences de l’article 6 § 1, qui impliquent toute la panoplie des garanties propres aux procédures judiciaires, sont plus strictes que celles de l’article 13, qui se trouvent absorbées par elles (voir, par exemple, l’arrêt Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, no 26737/95, § 41, 19 décembre 1997). Compte tenu de ses conclusions ci-dessus (paragraphes 24 et 31) relatives au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le droit d’accès à un tribunal, la Cour estime qu’il n’y a aucun intérêt juridique à réexaminer l’allégation sous l’angle des exigences moins sévères de l’article 13 en l’espèce (voir Kudla c. Pologne, [GC], no 30210/96, § 146, 26 octobre 2000).
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Décide de rayer la requête du rôle en application de l’article 39 de la Convention en ce qui concerne le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention quant à la durée de la procédure litigieuse ;
Déclare la requête irrecevable en ce qui concerne le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention quant au droit d’accès à un tribunal ;
Décide qu’il ne s’impose pas d’examiner le grief tiré de l’article 13 quant au droit d’accès à un tribunal.
Fait en français puis communiqué par écrit le 18 avril 2019.
              Renata DegenerAleš Pejchal
              Greffière adjointePrésident

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