Haddad c. Espagne
Karar Dilini Çevir:
Haddad c. Espagne

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 230
Juin 2019
Haddad c. Espagne - 16572/17
Arrêt 18.6.2019 [Section III]
Article 8
Obligations positives
Article 8-1
Respect de la vie familiale
Placement d’une enfant en accueil préadoptif malgré l’acquittement de son père pour violences domestiques et la reprise par celui-ci de la garde de ses frères aînés : violation
En fait – En février 2012, dans le contexte d’une plainte de son épouse pour violences conjugales, un juge délivra contre le requérant une ordonnance judiciaire d’éloignement, qui lui interdisait aussi d’approcher de ses enfants.
En juin 2012, à la demande de leur mère, qui déclarait ne plus pouvoir s’en occuper, les trois enfants du couple (deux garçons âgés de neuf et six ans, et une fille âgée d’un an et demi) furent déclarés en situation légale d’abandon, mis sous tutelle, et placés dans un centre d’accueil. Le requérant n’en fut pas informé.
En juin 2013, un rapport d’orientation constata le déséquilibre psychique de l’épouse du requérant, mais fit état de maltraitances du père envers les enfants. Le 24 septembre 2013, sa fille fut placée en accueil préadoptif dans une famille.
Le 27 septembre 2013, le requérant fut acquitté des accusations susmentionnées. L’interdiction des contacts avec ses enfants fut alors levée. Il obtint d’ailleurs rapidement la garde des deux garçons.
En novembre 2013, le service de protection des mineurs rencontra pour la première fois le requérant. Mais la possibilité de renouer le contact avec sa fille lui fut refusée. Les autorités administratives persistèrent à pencher pour la nécessité de l’accueil familial préadoptif, en se référant : aux maltraitances physiques et émotionnelles graves que ce dernier aurait infligées à ses enfants ; à l’instabilité émotionnelle et à l’intelligence limitée de leur mère ; à l’absence de contact du requérant avec ses enfants depuis juin 2012 ; et à l’absence de lien d’attachement entre le requérant et sa fille.
En février puis décembre 2014, des rapports firent état de la bonne intégration de la fille du requérant dans sa famille d’accueil. En 2015 puis 2016 en appel, les tribunaux entérinèrent la démarche de placement préadoptif.
En droit – Article 8 : La Cour n’est guère convaincue par les raisons que l’administration et les juridictions internes ont estimé suffisantes pour justifier le placement en accueil préadoptif de la mineure :
–  à aucun moment de la procédure administrative n’ont été pris en compte : i) le très jeune âge de la fille du requérant au moment de la séparation de ce dernier et de son épouse ; ii) la relation affective préalable existant entre la mineure et ses géniteurs ; iii) le délai écoulé depuis leur séparation ; iv) les conséquences qui en découlaient pour tous les trois, ainsi que pour la relation de l’enfant avec ses frères ;
–  l’hypothèse des maltraitances physiques n’a pas été prouvée et ne figure que dans le rapport de juin 2013, qui semble faire référence au contenu de la plainte pour violences conjugales (accusations dont le requérant a entre-temps été acquitté) ;
–  le déséquilibre psychique de l’épouse du requérant ne démontre guère une éventuelle influence négative du requérant, mais plutôt le contraire (du moins après son acquittement). La preuve en est que l’intéressé s’est vu accorder la garde de ses deux fils et qu’il persiste dans sa volonté de récupérer également la garde de sa fille mineure ;
–  les tribunaux n’ont pas constaté de déficits affectifs (question qu’ils ont manqué d’examiner chez le requérant), ni d’état de santé inquiétant des enfants, ni de privations matérielles ou de conditions de vie insatisfaisantes du côté du requérant. Ses capacités éducatives et affectives n’ont pas non plus été formellement mises en cause.
La Cour décèle en outre de graves manques de diligence des autorités. Les autorités administratives auraient dû envisager d’autres mesures moins radicales que l’accueil familial préadoptif et, en tout état de cause, prendre en compte les demandes du père à partir du moment où sa situation pénale avait été clarifiée. La procédure aurait dû s’entourer des garanties appropriées permettant de protéger les droits du requérant et de prendre en compte ses intérêts.
Certes, on peut comprendre que les trois enfants du requérant aient initialement été placés sous tutelle de l’administration, puisque c’était leur propre mère qui le demandait. Mais cette décision aurait dû s’accompagner dans les meilleurs délais des mesures les plus appropriées, permettant d’évaluer en profondeur la situation des enfants, au besoin avec le père et la mère séparément.
En effet, vu l’interruption judiciaire des contacts entre le requérant et ses enfants à l’époque, la situation était particulièrement grave, compte tenu de l’âge de sa fille, qui n’avait qu’un an et demi lors de son placement sous tutelle. Le passage du temps a eu pour effet de rendre définitive une situation qui était censée être provisoire.
Or, les services de protection de l’enfance se sont initialement fondés sur des rapports élaborés au cours de la période où le requérant ne pouvait pas démontrer son aptitude à être père – puisqu’il se trouvait privé de l’autorité parentale et faisait l’objet d’une procédure pénale. Cette attitude de l’administration n’a pas changé à la suite de l’acquittement définitif du requérant : l’administration n’a jamais apprécié, sur la base d’éléments tangibles, l’évolution des circonstances.
Quant aux tribunaux, ils ont ensuite montré une certaine inertie (même si le requérant a eu la possibilité de leur présenter ses arguments) : ils se sont limités à prendre en considération l’accord donné par l’organisme chargé de la protection des mineurs et par la famille d’accueil pour un placement préadoptif, puis à confirmer les décisions adoptées par l’administration sur la base des arguments utilisés par cette dernière et mécaniquement reproduits tout au long des procédures.
Aux yeux de la Cour, les autorités compétentes sont elles-mêmes responsables de l’interruption des contacts entre le requérant et sa fille (du moins depuis l’acquittement) et ont failli à leur obligation positive de prendre des mesures pour les rétablir ; la Cour note ici :
–  que la prise en considération de la vulnérabilité de l’épouse du requérant au moment du placement de sa fille en accueil institutionnel aurait pu jouer un rôle important pour comprendre la situation dans laquelle se trouvaient l’enfant et sa mère ;
–  que, surtout, l’acquittement définitif du requérant et la levée de l’interdiction de tout contact avec ses enfants ne semblent pas avoir retenu l’attention des tribunaux ; or, cette interdiction expliquait précisément l’absence prolongée de contacts qui était prise comme argument contre le requérant pour refuser de rétablir un contact et confirmer la voie préadoptive ;
–  que, alors que le rapport de février 2014 faisait état d’une « peur » et d’un « manque de confiance envers la figure paternelle » de leur part, le requérant s’est rapidement vu rendre la garde de ses deux autres enfants (qui, eux, n’avaient pas fait l’objet d’une procédure de préadoption).
Ainsi, le temps écoulé, conséquence de l’inertie de l’administration, et l’inertie des juridictions internes, qui n’ont pas qualifié de déraisonnables les motifs donnés par l’administration, ont contribué de façon décisive à l’absence de toute possibilité de regroupement familial entre le requérant et sa fille.
Nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur en la matière, les autorités n’ont pas déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit du requérant à vivre avec son enfant en compagnie des frères de cette dernière.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 41 : Notant que le droit interne permet si nécessaire, sous réserve des droits acquis par les tiers de bonne foi, de réviser les décisions définitives à la suite d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour invite les autorités à réexaminer rapidement la situation – notamment quant à la possibilité d’établir un contact entre le requérant et sa fille – afin que soient prises les mesures appropriées dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
 
© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme
Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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