Georgie c. Russie (I) (satisfaction équitable) [GC]
Karar Dilini Çevir:
Georgie c. Russie (I) (satisfaction équitable) [GC]

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 225
Janvier 2019
Georgie c. Russie (I) (satisfaction équitable) [GC] - 13255/07
Arrêt 31.1.2019 [GC]
Article 33
Requête interétatique
Quantification et identification des victimes pour la réparation du préjudice moral dans une affaire interétatique
Article 41
Satisfaction équitable
Quantification et identification des victimes pour la réparation du préjudice moral dans une affaire interétatique
En fait – Dans l’arrêt au principal du 3 juillet 2014 (voir la Note d’information 176), la Cour a dit qu’il y avait eu, à l’automne 2006, mise en place en Fédération de Russie d’une « politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens » constitutive d’une « pratique administrative » s’analysant en une expulsion collective d’étrangers, en violation de l’article 4 du Protocole no 4. La Cour a aussi jugé cette pratique contraire à l’article 5 §§ 1 et 4, à l’article 3 et à l’article 13 de la Convention, à raison notamment du caractère arbitraire et des conditions de la détention des personnes arrêtées.
En droit – Article 41
1. Applicabilité – Pour qu’une satisfaction équitable puisse être demandée dans le cadre d’une affaire interétatique, l’arrêt Chypre c. Turquie a énoncé trois critères :
i) le type de grief formulé par le gouvernement requérant, qui doit porter sur la violation de droits fondamentaux de ses ressortissants (ou d’autres personnes) ;
ii) la possibilité d’identifier les victimes ;
iii) l’objectif principal de la procédure, qui ne doit pas viser à indemniser l’État d’une violation de ses droits à lui, mais à dédommager des victimes individuelles.
En l’espèce, ces trois critères sont remplis.
Conclusion : article 41 applicable (seize voix contre une).
2. Application
a) Détermination d’un groupe de personnes « suffisamment précis et objectivement identifiable »
i. Rôle des Hautes Parties et de la Cour – En énonçant au paragraphe 135 de l’arrêt au principal que rien ne permettait de considérer comme non crédible le nombre allégué de victimes et qu’elle « part[ait] donc du principe » que plus de 4 600 décisions d’expulsion avaient été rendues à l’encontre de ressortissants géorgiens, dont environ 2 380 d’entre eux avaient été détenus et expulsés par la force, la Cour n’a fait que prendre ce cadre quantitatif comme point de départ pour déterminer l’existence d’une pratique administrative dans l’examen de l’affaire au principal – ce qui est très différent d’établir, aux fins de l’article 41, l’identité des victimes.
Contrairement à l’affaire Chypre c. Turquie, qui portait sur des violations multiples de la Convention suite aux opérations militaires de la Turquie dans le Nord de Chypre au cours de l’été 1974 et qui n’étaient pas basées sur des décisions individuelles, dans la présente affaire la pratique administrative en cause résultait de décisions administratives individuelles d’expulsion de ressortissants géorgiens de la Fédération de Russie au cours de l’automne 2006. Dès lors, les parties doivent être en mesure d’identifier ces personnes et de fournir à la Cour les informations pertinentes. À cet égard, l’obligation de coopération des Hautes Parties contractantes énoncée à l’article 38 de la Convention s’applique aux deux parties : nonobstant les difficultés liées à l’écoulement du temps et au rassemblement d’un nombre important de données, il incombe au gouvernement requérant d’étayer ses prétentions, et au gouvernement défendeur de produire tous les informations et documents pertinents en sa possession.
Suite aux demandes réitérées de la Cour, le gouvernement requérant a soumis une liste de 1 795 victimes individuelles, assortie d’annexes, et le gouvernement défendeur lui a adressé ses commentaires, également assortis d’annexes. La Cour a procédé à un examen préliminaire de cette liste, bien que le gouvernement défendeur n’ait pas soumis tous les informations et documents pertinents (notamment les ordres d’expulsion et les décisions de justice). Toutefois, la Cour n’a pas la capacité, et il ne sied pas à sa fonction de juridiction internationale, d’établir pour un si grand nombre de personnes les faits individualisés propres à confirmer pour chacune d’elles leur qualité de victime et à permettre de calculer la compensation financière à leur accorder (deux tâches qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes). Ceci est particulièrement vrai dans le cadre d’une affaire interétatique, qui par nature est différente d’une affaire regroupant plusieurs requêtes individuelles où les circonstances propres à chacune des requêtes sont exposées dans l’arrêt.
ii. Méthode – Compte tenu du cadre quantitatif retenu dans son arrêt au principal, du fait que les violations constatées concernent des victimes individuelles et qu’elles reposent sur des événements qui se sont produits sur le territoire du gouvernement défendeur, la Cour part du principe que les personnes mentionnées sur la liste du gouvernement requérant peuvent être considérées comme victimes des violations constatées, et qu’il convient d’attribuer la charge de la preuve contraire au gouvernement défendeur.
En l’occurrence, les éléments fournis par ce dernier justifient d’écarter 290 personnes de cette liste, pour l’une ou l’autre des raisons suivantes : elles y figurent plus d’une fois ; elles ont déposé des requêtes individuelles devant la Cour ; elles ont soit acquis la nationalité russe, soit disposé dès le départ d’une nationalité autre que la nationalité géorgienne ; elles ont fait l’objet de décisions d’expulsion avant ou après la période en question ; elles ont utilisé avec succès les voies de recours disponibles ; elles n’ont pu être identifiées ou le gouvernement requérant n’a pas fourni de griefs suffisamment étayés à leur égard.
Dès lors, il y a bien un groupe « suffisamment précis et objectivement identifiable » d’au moins 1 500 ressortissants géorgiens ayant été victimes d’une expulsion collective d’étrangers et, pour certains d’entre eux, d’une privation illégale de liberté et conditions de détention inhumaines et dégradantes.
b) Préjudice moral
Rappelant qu’aucune disposition de la Convention ne prévoit expressément le versement d’une indemnité pour préjudice moral, la Cour se réfère aux principes résumés dans plusieurs arrêts relatifs à des violations à grande échelle : pour apprécier s’il y a lieu d’accorder une indemnité à ce titre, elle tient compte non seulement de la situation du requérant, mais aussi du contexte général dans lequel la violation a été commise, et le montant à accorder est fixé de manière à refléter approximativement la gravité du préjudice subi.
Malgré le nombre élevé de facteurs impondérables – dus notamment à l’écoulement du temps – qui entrent ici en jeu, il ne fait aucun doute que les victimes ont subi des traumatismes et éprouvé des sentiments de détresse, d’angoisse et d’humiliation au cours de la période d’application de la pratique administrative en cause. Les constats de violation opérés ne sauraient ici offrir une réparation suffisante.
Quant au calcul du niveau de la satisfaction équitable à accorder, la Cour jouit en la matière d’un pouvoir d’appréciation mais a toujours exclu l’attribution de dommages et intérêts punitifs ou exemplaires, même dans le cas de victimes individuelles d’une pratique administrative. Statuant en équité, elle juge raisonnable les montants détaillés ci-après.
Dans le cadre de l’article 46 de la Convention interprété à la lumière de l’article 1, il appartient au gouvernement requérant de mettre en place un mécanisme effectif pour la distribution des sommes indiquées aux victimes individuelles en tenant compte des indications et exclusions ci-dessus. Ce mécanisme devra être mis en place sous la supervision du Comité des Ministres et en conformité avec toutes modalités pratiques fixées par celui-ci.
Conclusion : 10 000 000 d’EUR pour préjudice moral (seize voix contre une) à verser au gouvernement requérant, somme à redistribuer comme suit aux victimes (un groupe d’au moins 1 500 ressortissants géorgiens) dans les dix-huit mois (ou tout autre délai que le Comité des Ministres jugera approprié) :
– 2 000 EUR à chacune des victimes d’une violation de l’article 4 du Protocole no 4 uniquement ;
– entre 10 000 et 15 000 EUR à celles qui ont également été victimes d’une violation de l’article 5 § 1 et de l’article 3 de la Convention, en prenant en compte la durée de leur détention respective.
(Voir Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) [GC], 25781/94, 12 mai 2014, Note d’information 174, et le résumé commun aux arrêts Chiragov et autres c. Arménie (satisfaction équitable) [GC], 13216/05, et Sargsyan c. Azerbaïdjan (satisfaction équitable) [GC], 40167/06, 12 décembre 2017, Note d’information 213)
 
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