Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC]
Karar Dilini Çevir:
Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC]

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 225
Janvier 2019
Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC] - 78103/14
Arrêt 31.1.2019 [GC]
Article 2
Obligations positives
Article 2-1
Vie
Suicide d’un homme malade mental placé volontairement dans un hôpital psychiatrique public pour traitement après une tentative de suicide : non-violation
En fait – Après avoir tenté de se suicider le 1er avril 2000, A.J., le fils de la requérante, consentit à être placé dans un hôpital psychiatrique public (ci-après « le HSC ») afin d’y suivre un traitement. Le 27 avril 2000, il s’échappa de l’hôpital et sauta devant un train. Il avait déjà été hospitalisé à plusieurs reprises dans le même établissement en raison de ses troubles mentaux, aggravés par sa dépendance à l’alcool et à la drogue. D’après son dossier médical, l’hôpital avait connaissance de ses tentatives de suicide antérieures.
L’action civile contre le HSC engagée par la requérante afin d’obtenir une indemnisation pour le décès de son fils n’aboutit pas.
Dans un arrêt du 28 mars 2017 (voir la Note d’information 205), une chambre de la Cour a dit, à l’unanimité, qu’il y avait eu violation de l’article 2 sous son volet matériel. Pour la Cour, eu égard à l’obligation positive de prendre des mesures préventives pour protéger un individu dont la vie est en danger, on pouvait attendre du personnel de l’hôpital, aux prises avec un patient atteint de troubles mentaux qui peu auparavant avait tenté de se suicider et qui était enclin à fuir, qu’il prît des précautions pour s’assurer que ce patient ne quitterait pas l’hôpital et le soumît à une surveillance plus régulière.
Le 18 septembre 2017, l’affaire a été renvoyée devant la Grande Chambre à la demande du Gouvernement.
En droit – Article 2 (volet matériel) : La présente affaire concerne des faits allégués de négligence médicale qui se seraient produits dans le contexte du suicide d’un patient survenu au cours d’une hospitalisation consentie dans un établissement psychiatrique public.
a) L’obligation positive de mettre en place un cadre réglementaire – L’absence de clôtures et de murs de sécurité autour du HSC était conforme à la loi sur la santé mentale et aux standards internationaux visant à instaurer un régime ouvert, préservant le droit du patient de circuler librement. Aussi, la législation interne prévoyait la possibilité d’une hospitalisation d’office lorsque les besoins spécifiques du patient la justifiaient et donnait donc les moyens thérapeutiques nécessaires au HSC pour répondre aux besoins médicaux et psychiatriques d’A.J.
En outre, le personnel du service assurait une surveillance générale et personnelle des patients hospitalisés avec leur consentement, qui concernait notamment le respect par ces derniers d’un emploi du temps précis et la présence de chacun d’eux aux heures des repas et des prises de médicaments. Il existait également un régime de surveillance plus restrictif au début de l’hospitalisation et lorsque le médecin le jugeait nécessaire. Enfin, dans les situations d’urgence, le HSC pouvait recourir à d’autres formes de contention, telle une chambre d’isolement. La procédure de surveillance en vigueur et les mesures de contention disponibles fournissaient donc au HSC les moyens nécessaires au traitement d’A.J.
La procédure de surveillance appliquée à A.J. était destinée à respecter sa vie privée et était conforme au principe de traitement des patients dans un environnement le moins restrictif possible. Un régime de surveillance plus intrusif aurait pu être contesté pour son incompatibilité avec les droits protégés par les articles 3, 5 et 8 de la Convention, d’autant qu’A.J. avait été hospitalisé avec son consentement.
Le jour de sa disparition, la procédure d’urgence consistant à alerter le médecin d’astreinte, la police et la famille du patient, fut mise en place entre 19 et 20 heures. Cette procédure était adéquate, il n’y a aucun lien de causalité entre une quelconque déficience alléguée de la procédure d’urgence et le décès d’A.J.
Enfin, la requérante a engagé une procédure civile, qui malgré sa durée, a été effective et a permis d’établir la responsabilité quant à la mort d’A.J.
Ainsi, dans les circonstances de l’espèce, le cadre réglementaire a été mis en œuvre dans le respect de l’article 2 de la Convention.
b) L’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique – La Cour a déjà établi que, dans certaines circonstances bien définies, l’article 2 peut mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu contre autrui ou contre lui-même, dès lors que les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il existait pour la vie d’un individu donné un risque réel et immédiat. Or la Cour considère que, s’agissant d’un malade mental qui a été hospitalisé avec son consentement, les autorités ont une obligation générale de prendre des mesures raisonnables pour le protéger contre un risque réel et immédiat de suicide.
La Cour a précédemment pris en compte divers facteurs – en particulier les antécédents et la gravité des troubles mentaux, les pensées ou menaces suicidaires, et les signes de détresse physique ou mentale – afin d’établir si les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il y avait un risque réel et immédiat pour la vie d’un individu, déclenchant l’obligation de prendre des mesures préventives adéquates.
Dans le cas d’espèce, le HSC connaissait depuis longtemps les troubles mentaux d’A.J. et les risques de suicide. Ayant souffert de troubles mentaux graves pendant une longue période, A.J. avait été hospitalisé au HSC avec son consentement à huit reprises entre 1984 et 2000. Seule sa dernière admission était due à une tentative de suicide. Il a été établi par les juridictions internes que, pendant les 25 jours de son séjour au HSC, A.J. n’avait présenté aucun signe donnant à penser qu’il était animé de pensées suicidaires. Son comportement n’avait rien de préoccupant dans les jours ayant immédiatement précédé son suicide.
Même si A.J. était vulnérable, l’environnement du HSC et son personnel lui étaient familiers. Il avait été soumis au régime restrictif, confiné en pyjama dans le pavillon, durant la première semaine de son séjour et au cours de précédentes hospitalisations. Lorsque le HSC avait constaté une amélioration de ses symptômes, il l’avait autorisé à circuler librement au sein de l’hôpital et à rentrer dans sa famille le week-end. Cette grande liberté de mouvement était accordée aux patients afin de renforcer leur sens des responsabilités et de leur permettre de réintégrer leur famille et la société dans les meilleures conditions. Par ailleurs, pour la psychiatre suivant A.J., le traitement consistant à lui faire prendre les médicaments prescrits, à l’amener à accepter son traitement et à établir avec lui une relation de confiance, était approprié et proportionné vu la situation.
Si l’on ne pouvait exclure le risque de suicide chez A.J., le HSC s’était efforcé de s’adapter au risque que présentait son état mental fluctuant en renforçant ou en allégeant le régime de surveillance en place, décision qui incombait à l’équipe médicale responsable d’A.J. La Cour tient compte de l’impossibilité, d’après l’expertise, de prévenir totalement le suicide chez un patient tel qu’A.J., et de la conclusion du tribunal administratif selon laquelle le suicide de l’intéressé n’était pas prévisible. En outre, la Cour aborde la question du risque en cherchant à déterminer s’il était à la fois réel et immédiat, et observe que l’obligation positive incombant à l’État doit être interprétée de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif. À la lumière de ces éléments, il n’a pas été établi que les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il existait un risque à la fois réel et immédiat pour la vie d’A.J. dans les jours ayant précédé le 27 avril 2000.
En conséquence, la Cour peut se dispenser de rechercher si les autorités avaient pris les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles.
Conclusion : non-violation (quinze voix contre deux).
La Cour conclut également, à l’unanimité, à la violation du volet procédural de l’article 2, la procédure ayant duré plus de onze ans devant deux degrés de juridiction.
Article 41 : 10 000 EUR pour préjudice moral ; demande pour dommage matériel rejetée.
(Voir aussi Osman c. Royaume-Uni, 23452/94, 28 octobre 1998 ; Keenan c. Royaume-Uni, 27229/95, 3 avril 2001, Note d’information 29 ; Reynolds c. Royaume-Uni, 2694/08, 13 mars 2012, Note d’information 150 ; Younger c. Royaume-Uni (déc.), 57420/00, 7 janvier 2003, Note d’information 49 ; Dodov c. Bulgarie, 59548/00, 17 janvier 2008, Note d’information 104 ; De Donder et De Clippel c. Belgique, 8595/06, 6 décembre 2011, Note d’information 147 ; Hiller c. Autriche, 1967/14, 22 novembre 2016 ; Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], 56080/13, 19 décembre 2017, Note d’information 213)
 
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