EUR-Lex -  61998CC0196 - FR
Karar Dilini Çevir:
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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. ANTONIO SAGGIO
présentées le 12 octobre 1999 ( *1 )

1. 
Cette affaire préjudicielle concerne l'interprétation de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ( 1 ) (ci-après la «directive»). La question centrale dont l'organisme de renvoi, le Social Security Commissioner (Royaume-Uni), a saisi la Cour concerne la faculté des États membres de réglementer une prestation en matière de sécurité sociale en introduisant, en ce qui concerne les pensions d'invalidité, une différence de traitement entre travailleurs de sexe masculin et travailleurs de sexe féminin liée aux âges de retraite différents.
Cadre juridique
Réglementation communautaire

2.
Comme l'énonce son article 1er, la directive vise «la mise en œuvre progressive ( 2 )... du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale». Ce principe implique, comme le prévoit l'article 4, paragraphe 1, l'interdiction de toute « discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement... en particulier en ce qui concerne:... le calcul des prestations... et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations». Un traitement inégal est toutefois considéré comme justifié, sur la base de l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive, qui prévoit que celle-ci «ne fait pas obstacle à la faculté qu'ont les États membres d'exclure de son champ d'application: a) la fixation de l'âge de la retraite pour l'octroi des pensions de vieillesse et de retraite et les conséquences pouvant en découler pour d'autres prestations». L'article 5 prévoit que «Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l'égalité de traitement». Les États membres, dispose ensuite l'article 8, paragraphe 1, mettent en vigueur de telles dispositions dans un délai de six ans à compter de la notification. Enfin, l'article 7, paragraphe 2, prévoit le réexamen périodique, par les États membres, des matières exclues en vertu de ladite disposition, afin de déterminer si de telles exclusions continuent d'être justifiées et doivent dès lors être maintenues. Toujours dans cette logique, l'article 8, paragraphe 2, prévoit que les États membres informent la Commission des raisons qui justifient le maintien éventuel dans leurs ordres juridiques respectifs, des dispositions « existantes dans les matières visées à l'article 7 paragraphe 1 et des possibilités de leur révision ultérieure».
Réglementation du Royaume-Uni

3.
Au Royaume-Uni, en application de la loi sur la sécurité sociale de 1975, une prestation appelée Special Hardship Allowance (ci-après la «SHA»; allocation pour difficultés particulières) était accordée, jusqu'en 1986, aux travailleurs victimes d'un accident du travail ayant entraîné une diminution de leur capacité de travail.

4.
Le Social Security Act de 1986 a remplacé la SHA par une autre prestation dénommée Reduced Earnings Allowance (ci-après la «REA»; allocation pour diminution du revenu). Cette nouvelle prestation recouvre une somme égale à la différence entre le revenu du travail que l'intéressé réalisait grâce à son activité professionnelle antérieure à l'accident et celui qu'il était en mesure de produire après l'accident. La REA a pour fonction, en pratique, d'indemniser le travailleur de la perte de revenus occasionnée par l'accident.

5.
Par diverses modifications législatives introduites après 1986, le législateur du Royaume-Uni a cherché à limiter le versement de la REA aux seules personnes en âge de travailler, de sorte à utiliser cet instrument pour compenser la diminution du revenu professionnel découlant de l'invalidité. À cet effet, c'est-à-dire afin de ne pas octroyer aux travailleurs ayant cessé leur activité à la fois la pension de retraite et le taux plein de la REA (ce qui ne paraissait pas compatible avec la fonction de ces prestations destinées toutes deux à compenser la perte de revenus professionnels), il a agi sur le montant de la REA en imposant des restrictions liées aux âges différents prévus selon le sexe pour le départ à la retraite dans le régime des pensions.

6.
Le régime de sécurité sociale du Royaume-Uni, dont la compatibilité avec l'ordre juridique communautaire et, en particulier, avec la directive précitée est contestée dans le cadre de la présente procédure préjudicielle, prévoit, dans ses grandes lignes, que les personnes qui ont été victimes d'un accident du travail ou ont contracté une maladie professionnelle, qui sont parties à la retraite entre avril 1987 et avril 1989 et qui, avant leur départ à la retraite, bénéficiaient de la REA au taux complet touchent, au lieu de cela, la REA au taux «gelé», c'est-à-dire un taux qui renvoie à une certaine date et qui n'est pas susceptible de varier en fonction des augmentations annuelles ultérieures du coût de la vie ( 3 ). Il prévoit aussi que les personnes qui ont pris leur retraite plus tard, c'est-à-dire après le mois d'avril 1989, mais qui, pour le reste, se trouvent dans les mêmes circonstances que la première catégorie, perdent le droit à la REA et reçoivent, si certaines conditions sont réunies, une prestation dénommée Retirement Allowance (ci-après la «RA»), correspondant à un montant inférieur à celui de la REA au taux «gelé». La RA, qui est accordée à vie, est égale à 25 % du dernier montant hebdomadaire de la REA auquel le bénéficiaire pouvait prétendre auparavant ou à 10 % du montant maximal d'une pension d'invalidité ( 4 ).

7.
Quant à l'âge auquel les travailleurs partent à la retraite au Royaume-Uni, le régime se caractérise par sa flexibilité. Une personne qui a cessé de déployer une activité professionnelle normale peut en effet choisir le moment de son départ à la retraite dans un délai de cinq ans après avoir atteint l'âge de la retraite, qui est de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes ( 5 ). Une personne n'ayant pas opéré ce choix au cours dudit délai est considérée avoir pris sa retraite à l'âge de 70 ans s'il s'agit d'un homme et de 65 ans s'il s'agit d'une femme.

8.
La fixation d'âges de retraite différents selon le sexe a pour conséquence que la perte du droit à la REA et son remplacement par la REA au taux réduit ou par une prestation d'un montant sensiblement inférieur comme la RA s'opèrent à des moments différents pour les hommes et pour les femmes.
Faits et procédure

9.
Les cinq litiges auxquels se réfère l'ordonnance de renvoi concernent les modalités de calcul de la pension d'invalidité et, plus précisément, l'incidence des âges de retraite différents pour les hommes et pour les femmes sur la détermination du montant de ladite pension et, corrélativement, sur le principe de l'égalité de traitement entre personnes de sexe différent. Le cadre de chacun de ces litiges, tel qu'il ressort de l'ordonnance de renvoi, est brièvement résumé ci-après.

10.
Mme Spencer, née en 1926, ayant été victime d'un accident du travail, elle percevait la SHA puis la REA à partir de 1967. Elle a choisi de toucher sa pension de retraite à compter du 23 décembre 1986, à savoir la date à laquelle elle a atteint l'âge de 60 ans. L'autorité compétente lui a communiqué que, conformément à l'article 12 de l'annexe 7 de la Social Security Contributions and Benefits Act de 1992, elle n'était en droite de percevoir la REA qu'au taux «gelé». A la suite du recours de l'intéressée, le juge connaissant des litiges en matière de sécurité sociale a annulé cette décision et lui a reconnu le droit de percevoir le taux plein de la REA, en arguant de ce qu'un travailleur de sexe masculin, également né en 1926 et se trouvant dans les mêmes circonstances, aurait eu droit au taux plein de cette prestation jusqu'à l'âge de 65 ans. Le bureau compétent de la sécurité sociale a interjeté appel de cette décision, en réaffirmant que Mme Spencer ne pouvait se voir verser que la REA au taux réduit. Mme Spencer a au contraire soutenu que, en vertu de la directive, elle pouvait prétendre à l'intégralité de la prestation jusqu'à l'âge de 65 ans accomplis et que, dans le cas contraire, elle serait discriminée par rapport aux travailleurs de sexe masculin. En d'autres termes, elle contestait la compatibilité avec le droit communautaire de la modification législative en application de laquelle la REA avait été réduite à un taux fixe, en faisant valoir qu'une personne de sexe masculin se trouvant dans les mêmes circonstances qu'elle aurait pu continuer à prétendre au taux plein de cette prestation.

11.
Mme Hepple, née en 1933, ayant contracté une maladie professionnelle, elle percevait la REA depuis le 27 janvier 1987. Cette prestation a été réduite à compter du 31 mars 1996 parce que, à cette date, elle avait dépassé l'âge de 60 ans et cessé d'exercer une activité professionnelle. A la suite du recours de l'intéressée, qui réclamait le paiement du taux plein de la REA en invoquant le principe de l'égalité de traitement sans distinction de sexe, le juge compétent a confirmé le refus de l'administration. Mme Hepple a interjeté appel de cette décision en faisant valoir que, vu le principe de l'égalité de traitement, la prestation en cause ne pouvait être réduite avant qu'elle n'ait atteint l'âge de 65 ans, à savoir l'âge de la retraite des hommes.

12.
Mme Stec, née en 1933, ayant été victime d'un accident du travail, elle percevait la REA depuis 1990. Cette prestation a été réduite à compter du 31 mars 1996 parce que, à cette date, elle avait dépassé l'âge de 60 ans et n'exerçait aucune activité professionnelle. À la suite du recours de l'intéressée, le juge compétent a annulé la décision de l'autorité administrative et reconnu à la demanderesse le droit de percevoir la REA au taux plein jusqu'à l'âge de 65 ans, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'elle atteigne l'âge de la retraite des hommes. L'administration a fait appel de ce jugement.

13.
Les demanderesses Mmes Hepple et Stec contestent dès lors, en substance, la compatibilité avec le droit communautaire de la modification législative en vertu de laquelle la REA a été remplacée par une autre prestation d'un montant fixe et inférieur, en faisant valoir que, à conditions égales, la perte de revenus frappait les femmes avant les hommes.

14.
M. Lunn, né en 1923, ayant été victime d'un accident, il percevait la SHA puis la REA depuis le 12 mai 1974. Il a touché la pension de vieillesse pour la première fois en 1993, à l'âge de 70 ans accomplis. La REA qui lui était versée a été réduite au montant de la RA à compter du 31 mars 1996. À la suite du recours de l'intéressé, le juge compétent a confirmé la décision de l'administration. M. Lunn a contesté ce jugement en faisant valoir qu'il était en droit de toucher pour le reste de sa vie la REA au taux fixe, étant donné qu'une dame du même âge que lui aurait touché une telle prestation à compter de 1988.

15.
M. Kimber, né en 1924, ayant été victime d'un accident du travail, il percevait depuis 1982 la SHA puis la REA. Il a touché la pension de vieillesse à l'âge de 70 ans, c'est-à-dire à compter de 1994. Par la suite, sa REA a été réduite au taux de la RA à compter du 31 mars 1996. À la suite du recours de l'intéressé, le juge compétent a annulé la décision de l'administration et a reconnu au demandeur le droit de continuer à percevoir la REA au taux plein étant donné qu'une femme se trouvant dans les mêmes circonstances aurait bénéficié de cette prestation supérieure. En effet, une femme née, comme M. Kimber, le 30 septembre 1924, qui n'aurait pas choisi de toucher sa pension de retraite avant le 30 septembre 1994 aurait vu sa REA réduite au montant de la RA dès le 30 septembre 1989; mais si elle avait au contraire choisi de réclamer sa pension entre le 30 septembre 1988 et le 9 avril 1989 (ce que M. Kimber n'avait pas eu la possibilité de faire), elle aurait perçu à vie la REA au taux fixe.

16.
MM. Lunn et Kimber contestent en substance le fait que, ne s'étant pas vu accorder la REA au taux fixe à laquelle auraient cependant pu prétendre les femmes se trouvant dans les mêmes conditions à la même époque, le montant qu'ils touchaient dans le cadre du régime de la RA était inférieur à celui que touchait une femme se trouvant dans une situation analogue à la leur, et ce régime devait dès lors être considéré comme incompatible avec le droit communautaire.

17.
Selon la juridiction de renvoi, la question centrale, commune à chacun de ces cinq litiges, consiste à déterminer si une réglementation nationale prévoyant le versement d'une prestation comme la REA à des personnes trop âgées pour mener leur activité professionnelle constitue une anomalie suffisamment importante pour justifier la suppression de l'octroi de la REA à des âges différents pour les hommes et pour les femmes. En d'autres termes, il s'agit de déterminer si un tel choix législatif est compatible ou non avec l'exception visée à l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive.

18.
Eu égard au cadre factuel et réglementaire décrit ci-dessus, l'organisme de renvoi saisit la Cour des questions suivantes:
«1)
L'article 7 de la directive 79/7/CEE du Conseil autorise-t-il un État membre à subordonner à des conditions d'âge inégales liées aux âges de retraite différents des hommes et des femmes en vertu de son régime de pensions de vieillesse légal le droit à une prestation ayant les caractéristiques de l'allocation pour diminution du revenu (REA) versée dans le cadre d'un régime d'assurance accidents du travail et maladies professionnelles légal, de sorte qu'il en résulte, dans le cadre dudit régime, des paiements hebdomadaires en espèces différents pour des hommes et des femmes se trouvant par ailleurs dans une situation similaire, en particulier lorsque cette inégalité:
a)
n'est imposée par aucune raison financière en rapport avec l'un ou l'autre régime; et
b)
n'a jamais existé auparavant, qu'elle est mise en œuvre pour la première fois de nombreuses années après l'instauration des deux régimes et également après le 23 décembre 1984, date limite à compter de laquelle la directive devait s'appliquer pleinement en vertu de son article 8 ?
2)
En cas de réponse affirmative à la question 1, quels éléments faut-il prendre en considération pour déterminer si des conditions d'âge inégales telles que celles instituées en Grande-Bretagne aux fins de l'allocation pour diminution du revenu à compter de 1988-1989 sont nécessaires pour assurer la cohérence entre les régimes [respectivement des pensions de retraite et des pensions d'invalidité] ou relèvent autrement de l'exclusion [de l'égalité de traitement] autorisée à l'article 7?
3)
Si ces conditions d'âge différentes ne relèvent pas de l'exclusion autorisée à l'article 7, la doctrine de l'effet direct oblige-telle la juridiction nationale (en l'absence de législation nationale conforme à la directive) à corriger cette inégalité en accordant un complément de prestation à chaque personne concernée pour toute semaine pour laquelle le versement qui lui est alloué en vertu du régime d'assurance accidents du travail et maladies professionnelles est inférieur à celui dont bénéficie une personne de l'autre sexe qui se trouve par ailleurs dans une situation similaire (la ‘personne de référence’), et cela indépendamment de:
a)
tout avantage inverse lorsque, pour d'autres semaines, la même personne bénéficie d'un versement plus élevé que la personne de référence; et/ou de
b)
l'existence ou de l'exercice d'options différenciées selon le sexe, dans le cadre du régime de pensions, en vue de choisir l'âge à partir duquel la pension devra être versée, l'effet combiné de ces options et des conditions inégales prévues par le régime d'assurance accidents du travail et maladies professionnelles pouvant entraîner des paiements hebdomadaires modifiés (et inégaux) en vertu dudit régime: certaines semaines à l'avantage de l'intéressé, d'autres semaines à l'avantage de la personne de référence?
Ou faut-il au contraire tenir compte de ces éléments, et dans ce cas, quels sont les principes applicables en ce qui les concerne lorsque l'on confère un effet direct à l'article 4?»
Sur les première et deuxième questions

19.
Notons tout d'abord que toutes les parties sont d'accord pour reconnaître que la législation du Royaume-Uni en cause est contraire au principe de l'égalité de traitement et que, dès lors, il suffit en l'espèce d'établir si une telle dérogation est justifiable au titre de l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive.

20.
Par sa première question, le juge de renvoi souhaite s'entendre dire si la fixation d'âges différents ouvrant le droit à la REA, parallèlement à des dispositions analogues concernant l'âge de la retraite, peut relever du champ d'application de ladite disposition, en particulier lorsque cette mesure n'est pas dictée par des exigences financières et n'existait pas à l'époque de l'entrée en vigueur de la directive. Par sa deuxième question, qui est étroitement liée à la première, le juge de renvoi demande, dans l'hypothèse d'une réponse affirmative à la première question, de quels éléments il convient de tenir compte pour déterminer, d'une part, si la différence dans l'âge de la retraite a une incidence sur le régime des pensions d'invalidité et, d'autre part, si la nécessité d'assurer la cohérence entre les deux régimes ou d'autres exigences reconnues par l'article 7 peuvent justifier d'éventuelles discriminations dans le régime des prestations d'invalidité. La réponse à la deuxième question est si étroitement liée à celle à la première qu'il nous semble opportun d'examiner ces deux questions ensemble.

21.
Pour des raisons d'ordre logique, il convient d'examiner en premier lieu la partie de la question qui figure sous b) et qui concerne l'applicabilité de la règle du standstill à la dérogation visée à l'article 7, paragraphe 1, sous a). Il s'agit donc avant tout d'établir si la directive permettait aux États membres d'introduire de nouvelles discriminations liées, par un rapport de cause à effet, à la différence dans l'âge de la retraite, nouvelles en ce sens qu'elles n'existaient pas avant l'entrée en vigueur de la directive. Si l'on admet que la directive contient une obligation de standstill, l'étendue de la dérogation doit nécessairement être limitée aux seules discriminations existantes à l'échéance du délai de six ans fixé pour la transposition de la directive, c'est-à-dire le 23 décembre 1984. Si l'on accueillait cette prémisse en l'espèce, il y aurait lieu de déclarer l'incompatibilité des discriminations entre hommes et femmes existant dans le régime d'assurances invalidité étant donné que les dispositions qui les ont introduites pour la première fois dans l'ordre juridique du Royaume-Uni datent de 1986, à savoir une date ultérieure à l'entrée en vigueur de la directive.
À l'appui de la thèse selon laquelle la dérogation visée à l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive doit être interprétée en tenant compte de la règle du standstill, les demandeurs et la Commission invoquent le libellé des dispositions pertinentes de la directive. Ils font valoir que l'article 7, paragraphe 2, qui dispose que « Les États membres procèdent périodiquement à un examen des matières exclues en vertu du paragraphe 1, afin de vérifier, compte tenu de l'évolution sociale en la matière, s'il est justifié de maintenir les exclusions» figurant dans ledit paragraphe, laisserait entendre qu'il est loisible aux États membres de maintenir en vigueur les exclusions qui y sont envisagées, mais non pas d'introduire par la suite de nouvelles exclusions du type de celles qui sont autorisées. L'utilisation du terme «maintenir» et l'obligation à charge des États membres de justifier le «maintien » desdites dispositions dans leurs ordres juridiques respectifs accréditeraient cette thèse.
L'article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive conduirait également à cette interprétation. Il prévoit que les États membres «informent la Commission des raisons qui justifient le maintien éventuel des dispositions existantes ( 6 ) dans les matières visées à l'article 7 paragraphe 1 et des possibilités de leur révision ultérieure». Il y aurait lieu d'interpréter ce libellé en ce sens qu'il présuppose que la dérogation visée à l'article 7, paragraphe 1, sous a), ne s'applique qu'aux discriminations existantes au moment de l'entrée en vigueur de la directive. Nous avons déjà vu que les discriminations en cause en l'espèce ont été introduites dans l'ordre juridique du Royaume-Uni en 1986, alors que la directive, adoptée en 1978, devait être transposée, comme nous l'avons déjà dit, avant le 23 décembre 1984.
Cette interprétation serait ensuite confirmée par la circonstance que la directive est caractérisée par la progressivité de la mise en œuvre de l'égalité de traitement, progressivité qui impliquerait nécessairement que les mesures nationales discriminatoires fondées sur l'article 7, paragraphe 1, dont l'élimination progressive constituerait, malgré la dérogation, le résultat auquel tend la directive sont de nature temporaire. L'article 1er de la directive signale expressément le caractère progressif de la mise en œuvre de ses objectifs. A cet égard, la Commission cite l'arrêt Bramhill de 1994 ( 7 ), dans lequel la Cour a estimé conforme à l'article 7, paragraphe 1, sous d), de la directive (qui autorise l'octroi de majorations de certaines prestations à long terme) la suppression d'une telle discrimination pour certaines femmes mais non pas pour toutes, parce qu'une mesure de ce type, même si elle ne supprimait pas tout à fait l'inégalité de traitement, avait néanmoins le mérite de réduire les discriminations qui existaient initialement.

22.
Il ne nous semble pas pouvoir souscrire aux arguments présentés à l'appui d'une interprétation stricte de la dérogation visée à l'article 7, paragraphe 1, sous d), et donc de la thèse de l'incompatibilité avec la directive de la législation du Royaume-Uni en cause, et cela pour plusieurs raisons.
Il convient avant tout de garder présent à l'esprit que la règle du standstill est en général formulée dans des termes exprès. C'est ainsi qu'est formulé, par exemple, l'article 37, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 31, paragraphe 2, CE). Or on ne trouve dans la directive, comme nous le verrons ci-après, que des indices quelque peu ambigus d'une prétendue impossibilité d'introduire de nouvelles discriminations, mais certes pas une formulation de la règle dans des termes clairs, bien que cela nous eût semblé indispensable étant donné qu'il s'agit d'une règle touchant au champ d'application de la directive et dont les intéressés, principalement les travailleurs, doivent pouvoir connaître aisément l'existence et la portée.
Toute incertitude peut toutefois être levée si l'on considère que l'article 7, paragraphe 1, lorsqu'il définit les limites dans lesquelles il est loisible aux États membres de ne pas appliquer le principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, est libellé en termes généraux en ce qu'il affirme que la directive « ne fait pas obstacle à la faculté qu'ont les États membres d'exclure de son champ d'application» une série de mesures discriminatoires parmi lesquelles figure également la fixation d'une limite d'âge, différente selon le sexe, pour la retraite et les conséquences pouvant en découler pour d'autres prestations sociales. Vu la manière dont elle est formulée, cette disposition revêt manifestement une portée générale, en ce sens qu'elle accorde avant tout aux États membres la faculté d'exclure certaines formes de discrimination du champ d'application du principe de l'égalité lorsqu'ils adoptent les dispositions concernées et leur permet aussi, à plus forte raison, de maintenir en vigueur lesdites discriminations au cas où elles existaient déjà à l'époque de son entrée en vigueur.
On ne saurait donc estimer que les États membres ne peuvent intervenir dans les matières visées à l'article 7, paragraphe 1, que pour éliminer les discriminations existantes ou pour en réduire la portée. Selon nous, invoquer les articles 7, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, qui prévoient, comme nous le savons, respectivement l'examen périodique des matières exclues afin de vérifier s'il est justifié de maintenir les exclusions et l'obligation pour les États membres d'informer la Commission des raisons qui justifient le maintien éventuel des dispositions existantes dans les matières visées à l'article 7, paragraphe 1, ne renforce en rien cette thèse. L'invocation de l'article 7, paragraphe 2, est dénuée de pertinence parce que cette disposition concerne l'éventuelle réduction des exclusions prévues dans son paragraphe 1 et non pas leur effet dans les droits internes. L'invocation de l'article 8, paragraphe 2, ne présente pas davantage de pertinence parce que, si l'on interprète l'article 7, paragraphe 1, comme nous venons de le proposer, il y a lieu d'entendre par dispositions existantes non seulement celles qui étaient déjà applicables au moment de l'entrée en vigueur de la directive, mais également celles qui ont été nouvellement adoptées après cette date, dans la mesure où une obligation d'«information» de la Commission a été prévue en ce qui concerne ces dernières également, obligation à laquelle se réfère l'article 8, paragraphe 2, second alinéa.
À cela s'ajoute que, comme le souligne le mémoire en défense du gouvernement du Royaume-Uni, l'article 7, paragraphe 1, sous e), prévoit que les États membres peuvent exclure du champ d'application de la directive les conséquences résultant de l'exercice, «avant l'adoption de la... directive» ( 8 ), d'un droit d'option en matière de sécurité sociale: cette disposition montre à l'évidence que, lorsqu'il a estimé nécessaire de limiter le champ d'application de la dérogation, en liant celle-ci à l'existence de conditions devant déjà être remplies avant l'adoption de la directive, le législateur communautaire a formulé cette restriction dans des termes parfaitement clairs. Le législateur communautaire aurait formulé les règles pertinentes d'une manière tout aussi transparente s'il avait voulu restreindre la portée de toutes les exclusions qui figurent à l'article 7, paragraphe 1, en prévoyant une obligation de standstill en ce qui les concerne.

23.
Telles sont les règles de droit communautaire dérivé qui entrent en ligne de compte, mais c'est également sur la base d'un raisonnement plus général qu'il ne nous paraît de toute façon pas vraiment pertinent d'invoquer le standstill. Il convient en effet de considérer que la question de savoir si une obligation de standstill existe ou non en ce qui concerne des règles déterminées de droit dérivé ne se pose pas, pour des raisons évidentes, en présence d'une disposition expresse en ce sens, car, dans ce cas, l'interprète n'est appelé qu'à déterminer la portée de la disposition limitative expresse qu'il doit appliquer, mais tel n'est pas le cas en l'absence d'une telle disposition. C'est ainsi que les directives se présentent en général, si bien que certains en sont venus à affirmer que celles-ci auraient pour effet, dès avant l'échéance de leur délai de transposition dans les ordres juridiques nationaux, de supprimer la liberté des États membres de promulguer des règles qui pourraient compromettre la transposition ultérieure de celles-ci ( 9 ). Mais le cas d'espèce ne peut être ramené à aucune de ces deux hypothèses, étant donné que la directive en cause contient une disposition, à savoir l'article 7, paragraphe 1, qui reconnaît explicitement aux États membres la faculté d'exclure de son champ d'application des matières déterminées.
Il convient en outre de considérer qu'une obligation de standstill ne saurait se concevoir que lorsque le délai de transposition de la directive n'a pas encore expiré ( 10 ). Or il est constant en l'espèce que les nouvelles dispositions du Royaume-Uni ont été adoptées après l'expiration du délai de six ans prévu pour transposer la directive, si bien qu'elles ne s'inscrivent pas dans le cadre typique d'une obligation de standstill dérivant d'une directive, obligation que l'on ne saurait concevoir que pour la période antérieure à l'échéance de son délai de transposition. Dans une telle hypothèse, l'attitude d'un État membre qui est incompatible avec les obligations que la directive fait naître dans son chef ne constitue en effet pas une violation de l'obligation de standstill, mais des obligations directement liées au contenu spécifique de la directive inappliquée et/ou de principes généraux dont la directive serait l'expression.

24.
Maintenant que nous avons conclu à l'inexistence d'une obligation de standstill, il convient de déterminer si une réglementation telle que celle concernée en l'espèce, qui introduit une différence de traitement entre hommes et femmes dans le domaine des prestations d'invalidité, peut être considérée comme justifiée au regard de l'article 7, paragraphe 1, sous a); en d'autres termes, il y a lieu de définir la nature du lien qui doit exister entre, d'une part, les âges de la retraite différents et, d'autre part, les discriminations dans le cadre d'autres prestations sociales pour pouvoir considérer que ces dernières sont justifiées au regard de l'article 7, paragraphe 1, sous a). Nous rappelons que, en vertu de cette disposition, les États membres conservent la faculté d'exclure du champ d'application de la directive la fixation de l'âge auquel les travailleurs acquièrent le droit de toucher la «pension de vieillesse et de retraite» ainsi que les conséquences pouvant découler pour d'autres prestations de sécurité sociale du choix de limites d'âge déterminées.
Pour répondre à cette question, il convient dès lors d'établir si ce régime de pension d'invalidité différent selon qu'il s'agit d'hommes ou de femmes peut être qualifié de « conséquence » de la fixation de limites d'âge différentes pour les hommes et pour les femmes aux fins d'acquérir le droit à la pension de vieillesse et de retraite au sens de la disposition que nous venons de citer.

25.
Cette question n'est pas neuve. La Cour s'est déjà penchée dessus dans divers arrêts portant sur des situations similaires. Nous rappelons ci-après les lignes essentielles des deux plus importants d'entre eux.
Dans son arrêt du 30 mars 1993, Thomas e.a. ( 11 ), la Cour s'est penchée sur la compatibilité avec le principe de l'égalité de traitement d'une disposition nationale excluant l'octroi de prestations d'invalidité aux personnes ayant dépassé l'âge de la retraite, étant donné que cet âge est différent pour les hommes et pour les femmes. La Cour a constaté qu'une telle disposition est contraire au principe précité tout en estimant qu'elle était justifiée au titre de l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive dans la mesure où il s'agit d'une conséquence pouvant découler, pour des prestations autres que la pension de vieillesse, de la fixation d'âges de retraite différents. Elle a précisé que l'effet justificatif se produit dès lors que les discriminations sont «nécessairement et objectivement liées à la différence quant à l'âge de la retraite» et, plus précisément, seulement si elles «sont objectivement nécessaires pour éviter de mettre en cause l'équilibre financier du système de sécurité sociale ou pour garantir la cohérence entre le régime des pensions de retraite et le régime des autres prestations» ( 12 ). Elle a ajouté qu'il appartient au juge national d'établir s'il s'agit d'une discrimination objectivement nécessaire pour éviter de mettre en cause l'équilibre financier du système de sécurité sociale ou pour garantir la cohérence entre le régime des pensions de retraite et le régime des autres prestations ( 13 ). Elle a ensuite précisé qu'il n'en demeure pas moins que la Cour peut donner des indications de nature à mettre le juge national en mesure de statuer ( 14 ). La Cour a également relevé, en se référant à l'exigence de préserver l'équilibre financier entre le régime des pensions de vieillesse et celui d'autres prestations sociales, que l'octroi de prestations relevant de régimes non contributifs à des personnes exposées à certaines risques, sans considération du droit de ces personnes à une pension de vieillesse basée sur les cotisations accomplies, «n'exerce pas une influence directe sur l'équilibre financier des régimes contributifs de pension» ( 15 ). Partant de ce préalable, la Cour semble indiquer au juge national que la réglementation britannique en matière de prestations d'invalidité ne devrait pas être considérée comme une conséquence des âges de retraite différents dans la mesure où elle n'est pas nécessaire pour garantir la cohérence et l'équilibre financier du régime des pensions, étant évidemment entendu qu'il appartient au juge national de constater s'il est satisfait à cette condition in concreto.
Dans son arrêt du 11 août 1995, Graham e.a. ( 16 ), la Cour réitère l'affirmation générale qui figure dans les arrêts précédents et, plus précisément, que l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive autorise non seulement la fixation par la loi d'âges différents selon le sexe pour l'octroi des pensions de vieillesse et de retraite, mais également les discriminations dans d'autres régimes de prestations sociales qui sont nécessairement et objectivement liées à la différence quant à l'âge de la retraite. En application de cette disposition, la Cour tient pour légitime (au regard de la directive) une réglementation nationale qui, après avoir fixé l'âge de la retraite à 65 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes, d'une part, prévoit que le taux de la pension d'invalidité dont bénéficient les personnes frappées d'une incapacité avant d'atteindre l'âge de la retraite est limité au taux réel de la pension de retraite à partir de l'âge de 60 ans pour les femmes et à partir de l'âge de 65 ans pour les hommes et, d'autre part, accorde une allocation en sus de la pension d'invalidité aux personnes qui, au moment où leur incapacité prend cours, sont âgées de moins de 55 ans dans le cas des femmes et de moins de 60 ans dans le cas des hommes. La Cour parvient à cette conclusion en considérant que la nature discriminatoire desdites dispositions, qui caractérise la limitation et le complément à la pension d'invalidité dans le sens précité, est justifiée, étant donné que celles-ci relèvent du champ d'application de la dérogation visée à l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive, car elles sont directement et nécessairement liées à la différence dans l'âge de la retraite ( 17 ). A cet égard, la Cour a affirmé que lesdites «discriminations sont objectivement nécessaires pour éviter de mettre en cause l'équilibre financier du système de sécurité sociale ou pour garantir la cohérence entre le régime des pensions de retraite et celui des autres prestations» ( 18 ). La Cour a précisé que de telles discriminations sont objectivement liées à la fixation d'un âge de la retraite différent pour les femmes et pour les hommes dans la mesure où elles découlent directement de ce que des âges de retraite différents ont été fixés ( 19 ). Elle a en outre précisé que les discriminations en cause sont nécessairement liées à la différence dans l'âge de la retraite étant donné que les prestations d'invalidité ont pour fonction de remplacer le revenu procuré par l'activité professionnelle, si bien que rien ne s'oppose à ce qu'un État membre prévoie qu'elles cessent et sont remplacées par la pension de retraite au moment où les bénéficiaires arrêteraient de toute façon de travailler du fait qu'ils atteignent l'âge de la retraite ( 20 ). La Cour souligne qu'interpréter l'article 7, paragraphe 1, sous a), en ce sens qu'il interdirait aux États membres de limiter le taux des prestations d'invalidité à verser aux travailleurs avant qu'ils n'aient atteint l'âge de la retraite et qu'il imposerait de fixer ce montant à un niveau correspondant à la pension de vieillesse auquel lesdites personnes auraient eu droit à la retraite reviendrait à restreindre la faculté même qu'a un État membre de fixer des âges de retraite différents, alors que cette disposition a expressément reconnu aux États membres cette faculté ( 21 ). La Cour relève enfin qu'une interprétation aussi restrictive aurait également pour effet de compromettre la cohérence entre le régime des pensions de retraite et celui des prestations d'invalidité parce que: a) les États membres ne pourraient pas accorder aux travailleurs frappés d'une incapacité de travail mais n'ayant pas encore atteint l'âge de la retraite des prestations d'invalidité supérieures à la pension de retraite mais correspondant aux revenus qu'ils auraient continué à percevoir jusqu'à l'âge de la retraite s'ils avaient continué à travailler; b) les femmes bénéficieraient d'une pension d'invalidité au taux plein de la pension de retraite si, pour assurer l'égalité de traitement entre hommes et femmes, la pension d'invalidité qui leur est reconnue à partir de l'âge de 60 ans leur était au contraire reconnue, comme pour les hommes, à l'âge de 65 ans ( 22 ).

26.
Il résulte de cette jurisprudence que, pour qu'une discrimination en matière de sécurité sociale puisse être considérée comme justifiée au titre de l'article 7, paragraphe 1, sous a), elle doit être la «conséquence» nécessaire de la fixation d'âges de retraite différents pour les hommes et pour les femmes. Les arrêts Thomas e.a. et Graham e.a., dont les passages essentiels ont été relatés ci-dessus, fournissent les orientations permettant de statuer en l'espèce. Dans ceux-ci, la Cour précise qu'une discrimination induite, provoquée par la différence dans l'âge de la retraite (il s'agissait dans ces affaires, comme en l'espèce, de prestations d'invalidité dont le régime variait en fonction de l'âge de la retraite) peut être considérée comme une «conséquence» de cette différence lorsqu'elle est objectivement nécessaire pour garantir l'équilibre financier du régime de sécurité sociale ou la cohérence entre le régime des pensions de retraite et celui des autres prestations. Elle précise en outre que ces discriminations sont objectivement liées à l'âge de la pension dans la mesure où elles découlent directement du fait que ledit âge a été fixé de manière différente selon le sexe, et qu'elles sont nécessairement liées à ce préalable parce que les prestations d'invalidité remplacent le revenu du travail et, dès lors, leur fonction n'est en principe plus justifiée lorsque la retraite est intervenue et que, par conséquent, la production de revenus du travail a cessé. Dans l'arrêt Graham e.a., la Cour explique que, pour être légitimes, les discriminations induites doivent garantir la cohérence entre les deux régimes à deux points de vue: en premier lieu parce que les États membres ne pourraient pas accorder aux travailleurs frappés d'incapacité avant d'avoir atteint l'âge de la retraite des prestations d'invalidité correspondant aux revenus qu'ils auraient continué à percevoir s'ils avaient pu continuer à travailler; et en second lieu parce que les femmes bénéficieraient d'une prestation d'invalidité au taux de la pension de retraite si, pour assurer l'égalité de traitement, la pension d'invalidité leur était accordée au même âge que les hommes, c'est-à-dire à 65 ans.

27.
En l'espèce, les discriminations dont est saisi le juge de renvoi concernent, dans trois des cas, des femmes et, dans deux, des hommes. Mme Spencer fait valoir que le remplacement de la REA au taux plein par la REA au taux gelé pour les travailleurs ayant pris, comme elle, leur retraite entre avril 1987 et avril 1989 avait rendu la prestation dont elle bénéficiait moins favorable que la prestation analogue due aux hommes qui, prenant leur retraite plus tard, à 65 ans, et se trouvant par ailleurs dans une situation similaire, avaient eu la possibilité de conserver le droit à la REA au taux plein. Les demanderesses Mmes Hepple et Stec font valoir que le remplacement de la REA par une allocation inférieure, la RA, lorsqu'elles ont atteint l'âge de la retraite avait détérioré leur traitement par rapport à celui qui était réservé aux hommes se trouvant dans une situation similaire étant donné que, comme les femmes partent à la retraite avant les hommes, elles cessent avant eux de toucher la pension d'invalidité au taux plein. Les demandeurs Lunn et Kimber arguent d'une discrimination inverse, c'est-à-dire qui s'effectue à l'avantage des femmes et au détriment des demandeurs. Ils font valoir que la REA au taux fixe ne leur était pas versée parce que, au cours de la période d'avril 1987 à avril 1989, ils n'avaient pas encore atteint l'âge de la retraite, alors que des femmes du même âge, dans les mêmes conditions, auraient pu prendre leur retraite et donc acquérir le droit à la REA au taux plein (même «gelé»).
Toutes les discriminations dénoncées par les demandeurs, et décrites ci-dessus, sont indubitablement liées par un rapport de cause à effet à la différence prévue dans l'âge de la retraite des hommes et des femmes. Pour répondre à la première question, il convient d'établir si les discriminations induites sont objectivement nécessaires en ce sens que, en leur absence, les États membres n'auraient pas pu introduire dans leurs ordres juridiques respectifs un âge de retraite différent selon le sexe.

28.
Les demandeurs et la Commission, qui présentent des arguments qui se recoupent dans une large mesure, contestent l'existence d'un rapport nécessaire entre la différence dans l'âge de la retraite et les règles introduites à partir de 1986 pour les prestations d'invalidité.

29.
Les demandeurs font valoir que la législation du Royaume-Uni, en ce qu'elle établit un lien entre pensions de retraite et d'invalidité, est incompatible avec le principe de l'égalité de traitement garanti par la directive et ne saurait être considérée comme justifiée au sens de l'article 7, paragraphe 1, sous a). À l'appui de cette thèse, ils soulignent que, avant la réforme de 1986, le régime de la retraite et celui de la pension d'invalidité (qui, à l'époque, n'était pas liée à l'âge de la retraite et était versée aux ayants droit pour toute leur vie) avaient coexisté sans susciter d'inconvénients. C'est ce que confirme la juridiction de renvoi, qui affirme dans des termes exprès que la différence dans l'âge de la retraite avait «coexisté avec l'Industrial Injuries Scheme... pendant près de quarante ans depuis 1948» et que, en conséquence, la «REA aurait pu simplement être laissée en l'état, ou bien on aurait pu adopter un âge de suppression non discriminatoire sans bouleverser le système de pensions tel qu'il avait toujours fonctionné » ( 23 ).

30.
Dans le même ordre d'idées, la Commission soutient avant tout que la disposition litigieuse revêt un caractère exceptionnel et doit dès lors être interprétée de manière restrictive. Or il ne fait aucun doute que les exclusions figurant à l'article 7, paragraphe 1, constituent une dérogation par rapport à l'application généralisée, sujette aux modalités et aux délais fixés par la directive, du principe de l'égalité de traitement en matière de sécurité sociale. Nous avons déjà vu de quelle manière cet élément peut influencer l'interprétation de ladite disposition dans un contexte tel que celui qui se présente en l'espèce.

31.
Ces remarques nous paraissent raisonnables. Il nous semble difficile de soutenir que les âges de retraite différents rendent indispensables les discriminations fondées sur le sexe auxquelles le régime des pensions d'invalidité en vigueur au Royaume-Uni donne lieu, que ce soit au détriment des femmes ou des hommes. Ces discriminations semblent plutôt résulter d'un choix (volontaire) du législateur national, qui a sacrifié l'égalité de traitement pour supprimer, comme l'exprime l'ordonnance de renvoi, «une anomalie coûteuse» et, plus précisément, pour ne pas «continuer à payer une prestation telle que la REA à des personnes trop âgées pour travailler » ( 24 ). En outre, comme cela ressort de l'ordonnance de renvoi, ces discriminations ne sont pas objectivement nécessaires pour éviter de compromettre l'équilibre financier du système de sécurité sociale. Nous estimons dès lors que les discriminations qui caractérisent le système du Royaume-Uni ne constituent pas la meilleure solution au problème et qu'il y a lieu d'intervenir pour rationaliser le rapport entre les deux régimes. À cela s'ajoute que, si l'on tient compte de la nécessité de contrôler la compatibilité des nouvelles discriminations avec le principe de proportionnalité, il paraît d'autant plus évident que le fait que l'article 7, paragraphe 1, sous a), autorise les discriminations découlant des âges de retraite différents ne saurait être interprété comme n'autorisant que la transposition mécanique des limites d'âge différentes dans les régimes des prestations d'invalidité. Au contraire, c'est justement la nécessité que la dérogation compromette le moins possible l'égalité de traitement qui doit conduire à interpréter cette disposition en ce sens que les États membres doivent, le cas échéant et dans les limites du possible, agir au moyen de mesures conçues de sorte à ne pas battre en brèche la fonction de la directive et l'exigence fondamentale d'assurer le respect de l'égalité de traitement.
La Commission prétend ensuite, en se référant à la jurisprudence Thomas e.a. et Graham e.a., que les âges de retraite différents selon le sexe ne rendaient pas objectivement nécessaires les discriminations introduites à partir de 1986 dans le régime des pensions d'invalidité, parce que ces discriminations n'étaient imposées ni par des exigences financières ni par la nécessité de garantir la cohérence entre les deux régimes, celui de la retraite et celui des assurances contre les risques d'invalidité.
Tout comme les demandeurs, la Commission relève également que les deux régimes avaient coexisté sans inconvénients depuis 1948, bien que l'élément «âge de la retraite» ne fût nullement pris en compte aux fins du versement de la pension d'invalidité et de la détermination de son montant. Nous avons déjà dit que cet argument n'était pas sans fondement.

32.
Le mémoire en défense du Royaume-Uni fait en revanche valoir que les discriminations en cause sont justifiées par la nécessité de garantir la cohérence entre le régime de la pension de retraite et celui de la pension d'invalidité. A cet égard, il observe que cette dernière est destinée à compenser une perte de revenus professionnels et que, dès lors, il serait illogique que le titulaire d'une telle prestation continue d'en bénéficier même après avoir atteint l'âge de la retraite, c'est-à-dire même au-delà de la date à laquelle il aurait de toute façon cessé de percevoir un revenu professionnel. Sur ce point, le mémoire en défense du gouvernement du Royaume-Uni invoque l'arrêt Graham e.a., précité, dans lequel il a été déclaré que, «les prestations d'invalidité ayant pour fonction de remplacer le revenu procuré par l'activité professionnelle, rien ne s'oppose à ce qu'un État membre prévoie qu'elles cessent d'être payées et sont remplacées par la pension de retraite au moment où les bénéficiaires arrêteraient de toute façon de travailler du fait qu'ils atteignent l'âge de la retraite» ( 25 ).

33.
Cet argument ne saurait être accueilli. Il ne fait aucun doute que les États membres sont libres de définir le régime de la pension d'invalidité en en déterminant les périodes de jouissance et le montant. Reste toutefois à vérifier s'il s'agit d'une liberté sans limites et, plus précisément, si le principe de l'égalité de traitement et le principe de proportionnalité jouent un rôle à cet égard et lequel.
A l'appui de la thèse selon laquelle les États seraient libres d'introduire des discriminations dans le régime des pensions d'invalidité corrélativement à la détermination d'âges de retraite différents selon le sexe, le même arrêt Graham e.a. observe que l'éventuelle interdiction de procéder de la sorte «compromettrait... la cohérence entre le régime des pensions de retraite et celui des prestations d'invalidité au moins à deux égards»: en premier lieu, parce qu'elle empêcherait d'accorder aux hommes frappés d'une incapacité mais n'ayant pas encore l'âge de la retraite des prestations d'invalidité supérieures à la pension de retraite qui leur serait due s'ils avaient continué à travailler jusqu'à l'âge de la retraite, alors qu'elle permettrait d'accorder aux femmes ayant atteint l'âge de la retraite un revenu global supérieur à celui qui leur est dû; et en second lieu parce que, si les femmes voyaient verser leur pension d'invalidité, comme pour les hommes, au taux réduit à partir de 65 ans plutôt qu'à partir de 60 ans, elles auraient le droit de bénéficier, si leur incapacité prend cours avant la date de la retraite, c'est-à-dire avant 60 ans, d'une pension d'invalidité d'un montant égal à la pension de retraite jusqu'à l'âge de 65 ans ( 26 ).

34.
Cet argument peut paraître convaincant à première vue. Toutefois, on peut observer à l'inverse que le gouvernement du Royaume-Uni n'a pas démontré l'impossibilité de rendre le système logique, c'est-à-dire de rendre cohérents les deux régimes, celui de la retraite et celui de la pension d'invalidité, sans créer de nouvelles discriminations ou en engendrant des discriminations moins marquées. Il est significatif à cet égard que, comme nous l'avons déjà souligné, la juridiction de renvoi a estimé que l'«on aurait pu adopter un âge de suppression non discriminatoire sans bouleverser le système des pensions ». Il ne nous paraît en effet pas possible, sur la base des éléments dont nous disposons, d'écarter toute autre forme d'intervention qui tiendrait compte de l'exigence de garantir l'égalité de traitement, égalité qui constitue la finalité de la directive et qui correspond aux principes généraux du système. Il ne suffit pas, pour justifier la dérogation, de mettre en évidence les incohérences du rapport entre les deux régimes mis en place à la suite des réformes introduites à partir de 1986; il convient au contraire, selon nous, de démontrer qu'il ne pouvait être remédié à ces incohérences qu'en recourant aux modalités choisies par le législateur du Royaume-Uni (et donc en introduisant dans le régime des pensions d'invalidité de nouvelles discriminations fondées sur le sexe) et, en outre, que cette intervention est proportionnelle à l'objectif poursuivi.
En tout état de cause, c'est au juge national qu'il appartient de constater ces éléments, la Cour pouvant tout au plus lui fournir des indications ( 27 ).

35.
Le gouvernement du Royaume-Uni invoque de nouveau l'arrêt Graham e.a. ( 28 ) pour faire valoir qu'une interprétation de l'article 7, paragraphe 1, sous a), en ce sens qu'il interdirait aux États membres de limiter les prestations d'invalidité à verser aux personnes ayant dépassé l'âge de la retraite reviendrait à restreindre voire à supprimer la faculté de prévoir des âges de retraite différents selon le sexe, faculté que cette disposition leur reconnaît dans des termes explicites et inconditionnels.
Ce dernier argument n'est pas convaincant non plus, parce que, comme nous l'avons déjà démontré, les États membres sont libres, pour assurer la cohérence entre les deux régimes, de rechercher et d'adopter des solutions différentes de la transposition mécanique des âges de retraite différents dans le régime des pensions d'invalidité et propres à ne pas engendrer de discriminations. Nous répétons que l'absence d'autres solutions n'a pas été démontrée et que, inversement, il est raisonnable de penser qu'il est possible d'en dégager en intervenant sur le montant de la pension d'invalidité et sur les périodes de jouissance de celle-ci.

36.
Ajoutons enfin que, pour interpréter l'article 7, paragraphe 1, sous a), il faut nécessairement tenir compte du principe de l'égalité de traitement lu en combinaison avec l'article 5, second alinéa, du traité CE (devenu article 10, second alinéa, CE), selon lequel « [les États membres] s'abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du... traité » ( 29 ), au nombre desquelles il faut également compter l'égalité de traitement que la directive a pour objet de réaliser dans un secteur déterminé ( 30 ).

37.
À partir de là, il faut envisager l'éventualité que des dispositions discriminatoires induites, nées à la suite de l'entrée en vigueur de la directive et pouvant relever in abstracto de la dérogation figurant à l'article 7, paragraphe 1, sous a), sacrifient à l'excès (c'est-à-dire dans une mesure qui n'est pas proportionnelle à l'objectif) le principe de l'égalité de traitement énoncé, par référence au traitement des travailleurs, à l'article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE), principe dont la directive constitue la mise en œuvre dans un secteur déterminé, celui de la sécurité sociale, et, de cette manière, empêchent cette directive de remplir sa fonction. Dans cette perspective, l'économie générale de la directive, qui consiste pour l'essentiel à corriger, progressivement dans un délai de six ans, la réglementation existante en matière de sécurité sociale de sorte à la rendre conforme au principe de l'égalité hommes-femmes, devient importante. Il en résulte qu'une disposition discriminatoire qui, par son contenu, compromet les buts de la directive peut être considérée comme incompatible avec le droit communautaire même lorsqu'elle peut être rattachée à la lettre de la règle dérogatoire. L'incompatibilité peut également dériver du fait que le même résultat aurait pu être poursuivi, comme nous l'avons déjà dit à plusieurs reprises, grâce à d'autres mesures qui, de par leur contenu intrinsèque et du fait qu'elles sont accompagnées de dispositions complémentaires comportant des effets compensatoires, ne sacrifient pas, ou alors dans une mesure moindre, l'égalité de traitement.

38.
Nous suggérons dès lors de répondre aux première et deuxième questions qu'il est loisible aux États membres de fixer, en tant que préalable à l'accès à une prestation d'invalidité, des conditions d'âge inégales selon le sexe liées aux conditions analogues prévues pour la retraite et, par ce biais, d'accorder des pensions d'invalidité recouvrant un montant différent selon qu'il s'agit d'hommes ou de femmes à des ayants droit qui se trouvent dans des conditions tout à fait similaires en dehors du sexe. Il faut toutefois que cette différence de montant soit nécessaire pour assurer la cohérence entre les deux régimes, celui de la retraite et celui des pensions d'invalidité, en ce sens que l'atteinte au principe de l'égalité de traitement dans le cadre du régime des prestations d'invalidité est, d'une part, inévitable vu la fixation d'âges de retraite différents et, d'autre part, indispensable pour poursuivre le résultat voulu et proportionnelle audit résultat. Ces questions relèvent de l'appréciation du juge national. Cette faculté peut également être exercée, à titre exceptionnel, pour introduire des dispositions discriminatoires qui n'existaient pas à l'échéance du délai de transposition de la directive, mais toujours dans le respect des conditions que nous venons d'indiquer, si nécessaire en prévoyant simultanément des compensations appropriées ou des modifications dans les modalités de calcul de la pension d'invalidité de nature à contrebalancer les effets des dispositions discriminatoires. Là encore, c'est au juge national qu'il appartient de procéder aux appréciations nécessaires et, plus précisément, d'établir si les circonstances sont de nature à justifier les dispositions discriminatoires.
Sur la troisième question

39.
Si le juge national, sur la base des appréciations indiquées ci-dessus, établit que les discriminations en matière de prestations d'invalidité ne sont pas justifiées au titre de l'article 7, paragraphe 1, sous a), et sont dès lors incompatibles avec le droit communautaire, se pose le problème des instruments que le droit met à la disposition des particuliers pour leur permettre de parer concrètement aux effets de ces discriminations sur leur sphère juridique. En termes plus généraux, il s'agit de déterminer les effets d'un arrêt prononcé à la suite d'une procédure d'interprétation préjudicielle sur les mesures nationales dérivant de la source communautaire concernée, et donc sur la sphère juridique des personnes pouvant revendiquer l'application directe de ladite source communautaire.
S'agissant de cet aspect de l'affaire, le juge de renvoi souhaite savoir si et dans quelles limites, en l'absence d'une réglementation nationale de transposition de la directive, les travailleurs discriminés peuvent se constituer devant le juge national, conformément à la théorie de l'effet direct, pour obtenir une prestation complémentaire, et notamment comment il convient de déterminer le montant de cette prestation.

40.
Nous rappelons que, selon votre jurisprudence, les personnes discriminées en violation de l'article 4, paragraphe 1, de la directive ont le droit d'être traitées de la même façon que les personnes privilégiées qui se trouvent dans la même situation qu'elles si ce n'est la différence de sexe. En effet, le traitement réservé à ces personnes à défaut de transposition de la directive est généralement considéré comme étant «le seul système de référence valable» pour éliminer les conséquences de la discrimination ( 31 ).
Cette affirmation de nature générale résulte d'une jurisprudence constante, reconnue par les parties. Il reste toutefois à déterminer selon quels critères il y a lieu de quantifier la prestation complémentaire destinée à rétablir l'égalité de traitement. À cet égard, le juge de renvoi souhaite en substance s'entendre dire s'il faut tenir compte dans ce calcul non seulement de la situation défavorable de la personne discriminée en la comparant avec celle de la personne de référence, mais également de tous les avantages différentiels dont la personne discriminée bénéficie dans certains cas en raison d'autres aspects du même régime de sécurité sociale. Il souhaite également savoir, toujours dans la même logique évidemment, s'il faut aussi tenir compte dans ce calcul des diverses options offertes aux travailleurs (et éventuellement exercées) en fonction des âges de retraite différents selon le sexe, options qui peuvent entraîner l'octroi à la personne discriminée de prestations plus ou moins avantageuses, d'une fois à l'autre, que celles versées à la personne de référence.

41.
Il convient de répondre à cette question par l'affirmative. C'est sur la base des considérations suivantes que nous parvenons à cette conclusion.
Le droit au complément à la pension d'invalidité trouve sa base juridique dans le droit communautaire, et plus précisément dans le principe de l'égalité de traitement dans la rémunération des travailleurs inscrit à l'article 119 du traité, dont l'article 4, paragraphe 1, de la directive est l'expression. Pour appliquer ce principe aux situations particulières, il y a lieu de prendre pour critère, comme nous l'avons dit, le traitement correspondant réservé aux personnes de référence. Ce critère est constitué des avantages que la réglementation nationale garantit à la personne de référence au titre de prestations d'invalidité. L'application de ce critère n'équivaut donc pas, comme semble en revanche le prétendre la Commission, à une simple extension aux personnes défavorisées du régime national applicable aux personnes de référence: une telle opération reviendrait en fait à reconnaître à certaines dispositions nationales une portée différente et plus vaste que celle qui leur est inhérente et, de cette manière, modifierait d'une manière substantielle la source du droit à la prestation complète, source qui, comme nous l'avons dit, émane du système communautaire et non pas des ordres juridiques nationaux. En outre, pour déterminer le montant de la pension d'invalidité complémentaire, il ne suffit pas de se référer aux avantages ou désavantages différentiels liés à l'âge, mais il convient également d'examiner comment les options auxquelles fait allusion le point b) de la troisième question peuvent agir sur lesdits montants: celles-ci influent en effet également sur les avantages que le système garantit aux intéressés, et elles peuvent dès lors modifier voire renverser le rapport entre les prestations consenties aux hommes et aux femmes.
Ces conclusions sont confirmées par la diversité des positions des demandeurs au principal, diversité qui appelle des solutions au cas par cas. Il appartient au juge national de procéder aux appréciations pertinentes et de déterminer, sur leur base, le niveau de la prestation complémentaire.

42.
A ce stade, il n'est pas inutile de répéter que l'obligation du législateur national de mettre en œuvre les mesures nécessaires à l'application de la directive reste entière. S'il faut insister sur cette obligation, c'est avant tout parce que l'on constate que les recours judiciaires qu'autorise l'effet direct du principe communautaire de l'égalité de traitement sont appelés à rencontrer d'importants obstacles sur le plan pratique en raison de la difficulté d'évaluer dans chaque cas de figure l'avantage différentiel de la personne de référence à retenir comme critère de la prestation complémentaire et parce que, de toute façon, s'agissant de recours judiciaires, il faut s'attendre à d'éventuelles divergences et à la difficulté de concilier en pratique des orientations différentes.

43.
Terminons par une dernière considération concernant un aspect délicat du litige sur lequel les parties ne se sont pas arrêtées. Dans l'hypothèse où le juge national, ayant opéré les constatations de fait relevant de sa compétence indiquées ci-dessus, conclut à l'incompatibilité de la réglementation du Royaume-Uni avec le droit communautaire, la Cour pourra éventuellement apprécier d'office si, eu égard au contenu et à l'impact de cette décision, il est possible et opportun d'en limiter les effets rétroactifs en application de la jurisprudence Barber ( 32 ).
Conclusions

44.
Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, nous suggérons à la Cour de répondre aux questions posées par le Social Security Commissioner de la manière suivante:
« 1)
11 y a lieu d'interpréter l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, en ce sens que les États membres ont la faculté de fixer, en tant que condition d'accès à une prestation du type de la Reduced Earnings Allowance (REA; allocation pour diminution du revenu) prévue par la législation du Royaume-Uni en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles, des âges différents selon le sexe liés aux conditions d'âge pour accéder à la retraite, qui diffèrent également selon le sexe. Il faut cependant que ce lien et les différences qui en découlent, selon le sexe, pour le montant des prestations d'invalidité soient nécessaires pour garantir la cohérence entre les deux régimes, celui de la retraite et celui des prestations d'invalidité. Cette cohérence existe si la dérogation à l'égalité de traitement résulte nécessairement de la fixation d'âges de retraite différents, en ce sens que cette distinction ne saurait être introduite sans opérer la modification correspondante dans le régime des prestations d'invalidité et si, en outre, elle est proportionnelle au résultat qu'elle est censée atteindre. Ces éléments relèvent de l'appréciation du juge national. À titre exceptionnel, cette faculté peut également être exercée pour introduire des dispositions discriminatoires qui n'existaient pas à l'échéance du délai de transposition de la directive, mais toujours dans le respect des conditions que nous venons d'indiquer et en prévoyant simultanément, si nécessaire, des compensations adéquates ou des modifications dans les modalités de calcul de la prestation d'invalidité complémentaire ayant pour but de contrebalancer les effets des dispositions discriminatoires. Là encore, c'est au juge national qu'il appartient d'émettre les appréciations nécessaires, c'est-à-dire de déterminer si les circonstances sont de nature à justifier les dispositions discriminatoires.
2)
Si les dispositions en matière de sécurité sociale ne relèvent pas du champ d'application de la dérogation figurant à l'article 7, paragraphe 1, sous a), et en l'absence d'une réglementation nationale de transposition de la directive, les personnes discriminées disposent de la faculté de saisir le juge national afin d'obtenir, sur la base de l'article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) et de l'article 4, paragraphe 1, de la directive, une prestation d'invalidité complémentaire. Le montant de cette prestation est égal à la différence entre la valeur de la prestation due à la personne de référence et celle de la prestation due, d'après les dispositions nationales considérées comme incompatibles, à la personne discriminée. Par prestations dues à la personne de référence, il convient d'entendre tous les avantages, en rapport avec la prestation d'invalidité, que la réglementation nationale garantit à cette personne. Il appartient au juge national de déterminer cette valeur de référence au cas par cas. »
( *1 ) Langue originale: l'italien.
( 1 ) JO 1979, L 6, p. 24.
( 2 ) C'est nous qui ajoutons les caractères italiques.
( 3 ) Voir anicle 12 de l'annexe 7 de la Social Security Contributions and Benefits Act de 1992.
( 4 ) Voir article 13 de l'annexe 7 de la Social Security Contributions and Benefits Act de 1992.
( 5 ) Ainsi en dispose la Social Security Contributions and Benefits Act de 1992 précitée, dans son texte modifié par la Pension Act de 1995.
( 6 ) C'est nous qui ajoutons les caractères italiques.
( 7 ) Arrêt du 7 juillet 1994 (C-420/92, Rec. p. I-3191, point 21 ).
( 8 ) C'est nous qui ajoutons les caractères italiques.
( 9 ) Sur ce point, voir les conclusions de l'avocat général Mancini dans l'affaire Teuling (arrêt du 11 juin 1987, 30/85, Rec. p. 2497, p. 2507, en particulier p. 2513 et 2514). Voyez également les conclusions de l'avocat général Darmon dans l'affaire Commission/Belgique (arrêt du 7 mai 1991, C-229/89, Rec. 1991, p. I-2205, p. I-2216, en particulier p. I-2222).
( 10 ) À ce sujet voyez l'arrêt du 18 décembre 1997, Inter-Environnement Wallonie (C-129/96, Rec. p. I-7411, point 45); voyez également les conclusions de l'avocat général Darmon, précitées.
( 11 ) C-328/91, Rec. p. I-1247.
( 12 ) Point 12.
( 13 ) Point 13.
( 14 ) Ibidem.
( 15 ) Point 14.
( 16 ) C-92/94, Rec. p. I-2521.
( 17 ) Point 11.
( 18 ) Point 12.
( 19 ) Point 13.
( 20 ) Point 14.
( 21 ) Point 15.
( 22 ) Voyez également, entre autres, l'arrêt du 7 juillet 1992, Equal Opportunities Commission (C-9/91, Rec. p. I-4297), dans lequel la Cour a dit pour droit qu'il y a lieu d'interpréter l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive en ce sens qu'il autorise non seulement la fixation d'âges de retraite différents selon le sexe aux fins de l'octroi de la pension de vieillesse et de retraite, mais également les autres discriminations qui sont nécessairement liées à cette différence. En application de ce critère, il faut considérer qu'il est permis de prévoir pour les hommes et pour les femmes des périodes de contribution différentes ouvrant le droit à une pension d'un montant identique, car si cette inégalité dans la durée des périodes de cotisation n'est pas maintenue, « le maintien » d'un âge de retraite différent ne peut se réaliser sans modification des conditions de l'équilibre financier existant (point 16). La Cour ajoute qu'une interprétation de l'article 7, paragraphe 1, sous a), qui rendrait la dérogation inapplicable, en ce sens qu'elle ne permettrait pas que, du fait que des âges différents sont prévus pour la retraite des hommes et des femmes, des pensions d'un montant identique puissent correspondre à des contributions de niveaux différents, serait extrêmement restrictive parce que, d'une part, elle autoriserait l'introduction d'âges différents pour la retraite et, d'autre part, elle rendrait ce régime inapplicable dans la pratique en imposant de procéder à «un réajustement généralisé du système de cotisations et de prestations» dans un délai assez limité, c'est-à-dire avant l'échéance du délai de six ans fixé (à cet effet) par l'article 8 de la directive; cela comporterait une modification profonde de l'équilibre financier reposant sur l'obligation de cotiser jusqu'à des âges de retraite différents pour les hommes et pour les femmes (point 18). Selon la Cour, en effet, le caractère progressif (article 1er de la directive) de la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes décidé par le législateur ne pourrait pas être assuré si la portée de la dérogation accordée par l'article 7, paragraphe 1, sous a), était interprétée de manière restrictive. Dès lors, la Cour ayant constaté que la dérogation n'est accordée que si elle est nécessaire pour atteindre l'objectif de cette disposition de la directive, c'est-à-dire pour permettre aux États de fixer des âges de retraite différents pour les hommes et pour les femmes, elle reconnaît que d'éventuelles discriminations dans l'obligation de verser les contributions et dans le calcul de celles-ci aux fins de la pension «sont nécessairement liées» à la différence entre les âges de retraite. Voyez également l'arrêt, plus récent, du 19 octobre 1995, Richardson (C-137/94, Rec. p. I-3407), dans lequel la Cour examine si l'article 7, paragraphe 1, sous a), permet à un État membre qui, en application de cette disposition, a fixé l'âge de la retraite des femmes à 60 ans et celui des nommes à 65, de prévoir également que les femmes bénéficient d'une exonération des frais médicaux dès l'âge de 60 ans et les hommes uniquement à partir de l'âge de 65 ans. La Cour a estimé que la discrimination en matière d'exonération des frais médicaux ne relève pas de la dérogation visée à l'article 7, paragraphe 1, sous a), parce qu'elle n'est pas une conséquence nécessaire de la différence dans l'âge de la retraite, que ce soit en vertu de la considération générale selon laquelle l'octroi de prestations relevant de régimes non contributifs, sans considération du droit de l'intéressé à une pension de vieillesse, n'exerce pas une influence directe sur l'équilibre financier des régimes contributifs de pension (points 20, 21, 22, 23 et 24) ou parce que, pour garantir la cohérence entre le régime des pensions de retraite et les autres régimes de sécurité sociafe, il ne faut pas nécessairement accorder l'exonération des frais médicaux à un âge, celui de la retraite, fixé différemment selon le sexe et ne correspondant pas nécessairement à l'âge de la cessation effective de l'activité professionnelle et, dès lors, de la diminution des revenus (points 25, 26 et 27).
( 23 ) Voir point 27 de l'ordonnance de renvoi.
( 24 ) Voir point 28 de l'ordonnance de renvoi.
( 25 ) Point 14.
( 26 ) Points 16, 17 et 18.
( 27 ) Voyez, en ce sens, l'arrêt Thomas e.a., précité.
( 28 ) Point 15.
( 29 ) Voir conclusions de l'avocat général Darmon dans l'affaire Commission/Belgique, précitées.
( 30 ) Voir conclusions de l'avocat général Mancini dans l'affaire Teuling, précitées.
( 31 ) En ce sens, voyez entre autres les arrêts du 24 février 1994, Roks e.a. (C-343/92, Rec. p. I-571, point 18); du 28 septembre 1994, Avdel Systems (C-408/92, Rec. p. I-4435, point 16), et du 28 septembre 1994, van den Akker e.a. (C-28/93, Rec. p. I-4527, point 17).
( 32 ) Arrêt du 17 mai 1990 (C-262/88, Rec. p. I-1889). Voyez, dans le même sens, l'arrêt du 8 avril 1976, Defrenne (43/75, Rec. p. 455).

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