EUR-Lex -  61991CC0005 - FR - Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 10 décembre 1991
Karar Dilini Çevir:
EUR-Lex -  61991CC0005 - FR - Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 10 décembre 1991

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . Ce sont à nouveau les difficultés d' interprétation posées par l' article 46 du règlement ( CEE ) n 1408/71 ( 1 ) qui sont à l' origine des trois questions préjudicielles posées par le tribunal du travail de Mons, section de la Louvière .
2 . M . Tormen Guerrino, ressortissant italien, né le 4 janvier 1923, a travaillé comme mineur de fond en Belgique de 1952 à 1977 ( la période d' invalidité 1965-1977 étant assimilée à une période de travail ), soit pendant 26 ans . Il a également travaillé en Italie pendant deux ans entre 1938 et 1943 .
3 . Le 1er avril 1978, la pension d' invalidité belge a été transformée en pension de retraite . M . Guerrino bénéficiait également, depuis 1965 semble-t-il, d' une pension d' invalidité italienne, compte tenu des périodes d' assurance accomplies en Italie . Il est décédé le 12 janvier 1981 .
4 . Mme Di Prinzio, requérante au principal, veuve de M . Guerrino, a reçu notification le 2 mars 1984 par l' Office national des pensions belge ( ci-après "ONP ") des décisions fixant la pension de retraite de son mari due au 1er avril 1978, sa pension de retraite d' épouse séparée due au 1er février 1980 et sa pension de survie due au 1er février 1981 ( cette dernière étant d' un montant annuel de 199 217 BFR à charge de la Belgique et de 331 500 LIT à charge de l' Italie ).
5 . La législation belge applicable pour l' ouverture et la constitution des droits de M . Guerrino lors de son départ à la retraite était l' article 10, paragraphe 2, de l' arrêté royal belge n 50, du 24 octobre 1967 ( 2 ), qui prévoit que celui qui a travaillé comme mineur de fond pendant 25 ans au moins est censé avoir été occupé pendant 30 ans et a droit à une pension complète ( 30/30 ). Il bénéficie donc d' un nombre d' années d' occupation supplémentaires fictives égal à la différence entre 30 et le nombre d' années d' activité réelle .
6 . La loi du 10 février 1981, avec effet rétroactif au 1er janvier 1981, a inséré dans l' article 10, paragraphe 2, point 1, de l' arrêté royal n 50, un nouvel alinéa dont le texte est le suivant :
"Ce nombre d' années supplémentaires est toutefois diminué du nombre d' années pour lesquelles le travailleur peut prétendre à une pension de retraite ou à un avantage en tenant lieu en vertu d' un autre régime belge, à l' exclusion de celui des travailleurs indépendants, en vertu d' un régime d' un pays étranger ou en vertu d' un régime applicable au personnel d' une institution de droit international public" ( 3 ).
7 . M . Tormen Guerrino justifiant d' une carrière de 26 années, l' ONP lui a reconnu quatre années supplémentaires fictives pour le faire bénéficier d' une pension sur la base de 30/30 pour la période comprise entre le 1er avril 1978 ( date de sa cessation d' activité ) et le 31 décembre 1980 . La pension de retraite de l' intéressé était donc une pension complète pendant ces deux années et demi .
8 . Pour la période débutant le 1er janvier 1981, l' ONP, faisant application de la clause de réduction ( ou clause anticumul ) insérée dans l' article 10, paragraphe 2-1 , de l' arrêté royal n 50, a déduit du nombre d' années fictives octroyées à M . Guerrino les années prestées en Italie .
9 . Les deux années passées comme ouvrier relevant du régime général en Italie correspondant à une année dans le régime belge des mineurs ( 4 ), une année supplémentaire fictive a été supprimée et la pension a été calculée sur la base d' une carrière de 29/30 .
10 . C' est ce mode de calcul pour déterminer la durée de la carrière servant de référence pour fixer le montant de la pension de retraite et de la pension de survie que conteste la requérante au principal . Elle soutient que la carrière de son mari doit être prise en compte sur la base des 30/30 sans suppression d' une année fictive, même après l' entrée en vigueur de la loi du 10 février 1981 .
11 . Avant de trancher le litige au fond, le juge a quo a tenu à vérifier que l' application du règlement n 1408/71 n' aboutissait pas à un résultat plus favorable que celle du droit national à laquelle a procédé l' ONP, auquel cas priorité devrait être donnée au régime communautaire . Il a posé trois questions préjudicielles .
12 . La première paraît pouvoir être ainsi reformulée : la liquidation de la pension de retraite d' un travailleur bénéficiaire à la fois d' une pension de retraite dans un État membre et d' une pension d' invalidité non encore transformée en pension de retraite dans un autre État membre relève-t-elle du champ d' application de l' article 46 du règlement n 1408/71, lorsque l' âge de la retraite n' est pas atteint dans le premier État pour la liquidation de la pension à laquelle donnent droit les années de cotisation dans le second État?
13 . Les deuxième et troisième questions peuvent être regroupées et faire l' objet d' une réponse unique . Nous vous proposons de les reformuler ainsi : quelles sont les conditions d' application de l' article 46, et notamment de son paragraphe 3, du règlement n 1408/71, en présence d' années fictives ajoutées à des années d' occupation effectives pour constituer une pension de retraite complète dans un État membre et d' une pension d' invalidité non transformée en pension de vieillesse dans un autre État?
14 . La première question - qui tend, donc, à vérifier l' applicabilité à l' espèce de l' article 46 du règlement n 1408/71 - ne peut être abordée sans faire un constat : le jeu de la clause anticumul nationale belge a créé une situation dans laquelle une personne qui a travaillé dans deux États membres perçoit du premier État une pension de retraite inférieure à celle qu' elle aurait reçue si elle n' avait jamais travaillé dans le second État .
15 . De même, la veuve de l' intéressé - dont la pension de survie est un pourcentage de la pension de retraite perçue par le travailleur dans le premier État membre - peut être, du fait de la réduction de celle-ci, dans une situation moins favorable que la veuve du travailleur qui a travaillé dans un seul État : cette dernière touchera, en effet, une pension de survie calculée sur une pension de retraite non soumise à réduction .
16 . Le travailleur migrant qui a travaillé successivement dans plusieurs États membres et ses ayants droit peuvent donc se trouver bénéficiaires de prestations d' un montant inférieur à celles qu' ils auraient perçues si l' intéressé n' avait travaillé que dans un État . On est alors en présence d' une entrave à la libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la Communauté .
17 . On sait que le règlement n 1408/71, pris en application de l' article 51 du traité CEE, a précisément pour objet de remédier à de telles entraves .
18 . L' article 46 de ce règlement, qui détermine les conditions de liquidation des prestations lorsque le travailleur a été assujetti à la législation de deux ou plusieurs États membres, prend en compte les exigences de l' article 51 du traité en prévoyant la totalisation des périodes d' assurance accomplies dans les différents États membres et un calcul de la prestation due par chaque État membre au prorata de la durée des périodes d' assurance dans cet État .
19 . Avant d' examiner si l' article 46 peut recevoir application en l' espèce, il nous paraît utile d' en résumer les dispositions relatives au calcul des prestations .
20 . Lorsque l' intéressé peut bénéficier d' une pension dans un État membre sans avoir recours aux périodes d' assurance accomplies dans d' autres États ( ce qui est le cas en l' espèce pour la pension belge ), l' article 46 s' applique en deux étapes . L' institution qui procède à la liquidation de la pension doit d' abord déterminer, selon sa propre législation, "le montant de la prestation correspondant à la durée totale des périodes d' assurance ou de résidence à prendre en compte en vertu de cette législation" ( 5 ), à l' exclusion des règles anticumul nationales ( 6 ). C' est ce que l' on appelle la prestation autonome . Elle calcule aussi, en application du paragraphe 1, deuxième alinéa, la prestation qui serait due conformément au régime de totalisation et de proratisation prévu à l' article 46, paragraphe 2, sous a ) et b ), que l' on appelle la prestation proratisée . La plus élevée de ces prestations sera retenue .
21 . Comment calcule-t-on la prestation proratisée de l' article 46, paragraphe 2? Cette disposition vise les situations dans lesquelles le droit aux prestations d' une personne n' est ouvert que compte tenu des périodes d' assurance accomplies dans plusieurs États membres . Elle prévoit que l' institution qui procède à la liquidation de la prestation dans le premier État doit d' abord calculer le montant théorique de la prestation auquel l' intéressé pourrait prétendre si toutes les périodes d' assurance accomplies par l' intéressé dans les différents États membres l' avaient été dans l' État membre en cause, puis le montant effectif ( 7 ) "établi sur la base du montant théorique ... au prorata de la durée des périodes d' assurance ... accomplies avant la réalisation du risque ( 8 ) sous la législation qu' elle applique, par rapport à la durée totale des périodes d' assurance ... accomplies avant la réalisation du risque sous les législations de tous les États membres en cause" ( 9 ). Selon l' article 46, paragraphe 2, sous c ), la durée totale des périodes d' assurance prises en compte a pour plafond la durée maximale requise par la législation d' un des États en cause pour le bénéfice d' une prestation complète . L' institution qui procède à la liquidation retient, nous l' avons vu, de la prestation autonome et de la prestation proratisée, celle dont le montant est le plus élevé . La prestation obtenue fait éventuellement l' objet d' une correction, en application des dispositions de l' article 46, paragraphe 3 ( 10 ).
22 . Le contenu de l' article 46 étant ainsi rappelé, déterminons son champ d' application . Situé au chapitre 3 du règlement n 1408/71 intitulé "Vieillesse et décès ( pensions )", s' applique-t-il pour les liquidations de toutes les prestations? S' applique-t-il plus particulièrement en cas de cumul d' une pension de retraite et d' une pension d' invalidité, comme en l' espèce?
23 . Lorsque l' intéressé bénéficie de prestations de même nature, d' invalidité, de vieillesse ou de décès ( par exemple deux pensions d' invalidité ) liquidées par les institutions de deux ou plusieurs États membres, votre jurisprudence a consacré le principe suivant : le travailleur a droit, dans l' État membre où la liquidation est demandée, à la prestation la plus élevée entre celle à laquelle il peut prétendre au titre de la législation de ce seul État ( appliquée dans son ensemble y compris les dispositions anticumul nationales et les conditions d' âge pour l' ouverture du droit à une pension de retraite ) et celle à laquelle il peut prétendre en application du règlement n 1408/71 dans son ensemble, y compris la deuxième phrase de l' article 12, paragraphe 2 ( 11 ), de ce règlement et l' article 46, paragraphe 3, qui contient ce que l' on pourrait appeler une disposition communautaire anticumul ( 12 ).
24 . Ce principe s' applique-t-il lorsqu' on est en présence d' une pension de retraite liquidée dans un État membre et d' une pension d' invalidité non encore transformée en pension de retraite dans un autre État membre?
25 . Vous avez jugé, dans les affaires D' Amico ( 13 ) et Celestre ( 14 ), vous fondant notamment sur les articles 48 à 51 du traité CEE, que,
"lorsqu' un travailleur bénéficie de prestations d' invalidité transformées en pension de vieillesse en vertu de la législation d' un État membre et de prestations d' invalidité non encore transformées en pension de vieillesse dans la législation d' un autre État membre, la pension de vieillesse et les prestations d' invalidité sont à considérer comme étant de même nature ... les dispositions du chapitre 3 du règlement n 1408/71 sont d' application pour la détermination des droits du travailleur et, en vertu de la dernière phrase du paragraphe 2 de l' article 12 du règlement n 1408/71, l' application des règles anticumul nationales est exclue" ( 15 ).
26 . Tout récemment, dans l' arrêt Di Felice, vous avez jugé que
"cette jurisprudence est également applicable dans le cas où les pensions de vieillesse ( retraites ) dues en vertu de la législation d' un État membre ne résultent pas de la transformation de prestations d' invalidité, dès lors qu' une pension de vieillesse, qu' elle résulte ou non d' une telle transformation, a la même nature qu' un pension d' invalidité" ( 16 ).
27 . Vous en avez déduit que le travailleur bénéficiant d' une pension de retraite anticipée en Belgique et d' une pension d' invalidité italienne non encore transformée en pension de retraite ( l' intéressé n' ayant pas encore atteint l' âge de la retraite requis pour cette transformation ) était titulaire de deux prestations de même nature au sens de l' article 12, paragraphe 2, du règlement n 1408/71 et que les règles nationales anticumul étaient exclues ( 17 ).
28 . Les arrêts D' Amico ( 18 ) et Di Felice ( 19 ) démontrent donc que les deux types de prestation en cause dans la présente espèce sont "de même nature" au sens de l' article 12, paragraphe 2, que les règles nationales anticumul sont exclues et que l' article 46 est applicable dans son ensemble .
29 . Notons qu' une autre solution, qui autoriserait l' application, dans un tel cas de figure, de la clause anticumul nationale, irait à l' encontre des objectifs poursuivis par l' article 51 du traité et la réglementation communautaire . La pension de retraite nationale serait, en effet, réduite du nombre d' années prestées à l' étranger, alors que ne serait pas soumise à réduction la pension de celui qui n' a pas travaillé dans un autre État membre .
30 . Comme le soulignait l' avocat général M . Capotorti dans ses conclusions sur l' affaire Brouwer-Kaune ( 20 ):
"Si l' on est en présence de règles nationales anticumul qui prennent en considération la pension de vieillesse perçue par l' ( assuré ) dans un autre État aux fins de réduire sa pension d' invalidité, la nature différente des deux droits à pension concurrents ne doit pas non plus servir à exclure l' applicabilité des principes ou des dispositions communautaires qui garantissent au travailleur le droit aux prestations acquis dans l' État dans lequel les règles anticumul précitées sont en vigueur, à tout le moins dans la limite de la proratisation prévue par l' article 46" ( 21 ).
31 . La circonstance, en l' espèce, que la pension d' invalidité italienne ne puisse pas être transformée en pension de vieillesse ne rend pas impossible l' application de l' article 46 et permet le calcul de la pension théorique, malgré les doutes exprimés par le juge a quo dans sa question préjudicielle ( 22 ). Vous noterez d' ailleurs qu' il a lui-même procédé au calcul de cette pension dans son jugement à la page 6 .
32 . Il y a donc lieu de considérer que l' article 46 du règlement n 1408/71 est applicable à la liquidation de pensions telles que celles soumises au juge a quo .
33 . Les deuxième et troisième questions vous invitent à déterminer les modalités d' application de l' article 46, lorsqu' on est en présence de périodes d' assurance fictives d' une part, d' une pension de retraite et d' une pension d' invalidité non transformée d' autre part .
34 . Rappelons que, lorsque le travailleur bénéficie du droit à pension sans qu' il soit besoin de faire appel aux périodes prestées dans les autres États membres, l' application de l' article 46 suppose en premier lieu le calcul de la prestation autonome, puis celle de la prestation effective de son paragraphe 2, sous b ), la plus élevée étant attribuée à l' intéressé .
35 . La prestation autonome est fixée, nous l' avons vu, par application exclusive de la loi nationale, sans tenir compte des clauses anticumul nationales .
36 . Vous avez jugé dans l' arrêt Romano ( 23 ) que :
"Une norme nationale qui réduit les années supplémentaires d' occupation fictive dont pourrait bénéficier le travailleur, en fonction du nombre d' années pour lequel le travailleur peut prétendre à une pension dans un autre État membre, constitue une clause de réduction au sens de l' article 12, paragraphe 2, du règlement n 1408/71 ... dont l' application est écartée en vertu de la dernière phrase de ce texte, lors du calcul du montant de la pension au titre de l' article 46, paragraphe 1, de ce règlement" ( 24 ).
37 . Il s' ensuit que, lorsqu' une législation donne droit, compte tenu d' années d' assurance fictives, à la pension complète, la pension autonome de l' article 46, paragraphe 1, est égale à cette pension complète, sans que le nombre d' années fictives puisse être réduit de celui des années prestées dans un autre État membre, la clause anticumul nationale étant inapplicable .
38 . La prestation théorique est, rappelons-le, celle à laquelle l' intéressé pourrait prétendre si toutes les périodes d' assurance accomplies par lui sous les législations de plusieurs États membres l' avaient été dans un seul État sous la législation de celui-ci .
39 . Les années fictives doivent-elles être prises en compte? Selon l' article 15, paragraphe 1, sous c ), du règlement ( CEE ) n 574/72, "au cas où l' époque à laquelle certaines périodes d' assurance ont été accomplies sous la législation d' un État membre ne peut être déterminée de façon précise, il est présumé que ces périodes d' assurance ne se superposent pas à des périodes accomplies sous la législation d' un autre État membre et il en est tenu compte dans la mesure où elles peuvent être utilement prises en compte" ( 25 ).
40 . Vous avez jugé que cette disposition s' appliquait à la totalisation et à la proratisation des périodes d' assurance et qu' un État membre ne pouvait appliquer des règles nationales moins favorables ( 26 ). Dans des circonstances telles que celles du cas d' espèce, il y aura donc lieu de prendre en considération la pension complète dans le premier État membre sans réduction des années fictives .
41 . Qu' en est-il des années prestées dans un autre État membre? En droit belge, les années pendant lesquelles l' intéressé a travaillé dans le régime général, notamment à l' étranger, en plus d' une carrière complète d' ouvrier mineur, n' entraînent pas d' augmentation de la pension calculée sur la base d' une fraction de 30/30 .
42 . Par application de l' article 46, paragraphe 2, sous c ), du règlement n 1408/71, l' addition des périodes d' assurance - nécessaire pour calculer le montant théorique - a pour plafond la durée maximale requise pour le bénéfice d' une prestation complète par la législation de l' État dont dépend l' institution qui procède à la liquidation de la pension . La pension théorique sera donc égale à la pension complète dans le premier État membre, sans prise en compte des années prestées dans le second État membre . Dans un tel cas, la prestation théorique est du même montant que la prestation autonome .
43 . Aux termes de l' article 46, paragraphe 2, sous b ), l' opération suivante consiste à calculer le montant effectif de la prestation sur la base du montant théorique, au prorata de la durée des périodes d' assurance accomplies avant la réalisation du risque sous la législation qu' elle applique, par rapport à la durée totale des périodes d' assurance ou de résidence, accomplies avant la réalisation du risque sous les législations de tous les États membres en cause .
44 . Y a-t-il lieu à "proratisation" lorsqu' il n' y a pas eu "totalisation" des périodes d' assurance?
45 . L' ONP soutient en effet dans ses observations écrites que, dès lors qu' il n' y a pas eu "totalisation" de toutes les périodes d' assurance accomplies dans tous les États membres, il n' y a pas lieu à "proratisation ". La prestation théorique ( égale à la pension complète belge ) ne serait donc pas soumise à la réduction résultant de la proratisation et de l' application de l' article 46, paragraphe 3 .
46 . En fait, la totalisation des périodes d' assurance est limitée par le jeu
1 ) de l' application du correctif de l' article 46, paragraphe 2, sous c ), ( qui prévoit, nous l' avons vu, que, si la durée totale des périodes d' assurance est supérieure à la durée maximale requise par la législation d' un des ces États pour le bénéfice d' une prestation complète, c' est cette durée maximale qu' il faut prendre en compte );
2 ) de l' application de la loi belge qui prévoit que la pension complète belge ne peut être dépassée, même en cas d' années supplémentaires prestées à l' étranger .
47 . En l' espèce, la totalisation est limitée par le fait que la période d' assurance accomplie sous la législation belge est égale, à elle seule, à la durée maximale requise par cette législation pour le bénéfice d' une prestation complète . Les années prestées en Italie sont donc, en quelque sorte, superflues . Notons que s' il avait manqué au travailleur des années d' assurance pour bénéficier de la pension complète belge, on aurait pu ajouter aux années prestées en Belgique les années prestées en Italie, jusqu' à concurrence de la durée maximale requise pour la pension complète belge ( 27 ).
48 . Il serait donc exact, à notre sens, de dire que l' opération de totalisation a eu lieu, et que le jeu de l' article 46, paragraphe 2, sous c ), a donné pour résultat la pension complète belge .
49 . Chaque fois que le travailleur bénéficie d' une pension complète dans un État membre, la totalisation est ramenée à la durée maximale requise pour l' obtention de cette pension, sans que les années prestées à l' étranger puissent être prises en compte .
50 . L' article 46, paragraphe 2, n' en devient pas pour autant inapplicable; il s' applique au contraire intégralement :
"L' institution compétente ... prend en considération cette durée maximale au lieu de la durée totale desdites périodes pour l' application du présent paragraphe " ( 28 ).
51 . Par conséquent, la proratisation prévue par l' article 46, paragraphe 2, sous b ), doit s' appliquer, même si elle conduit nécessairement à une réduction de la prestation définitive, dès lors que des années ont été prestées à l' étranger .
52 . Vous avez d' ailleurs toujours rappelé avec force que l' article 46 formait un tout et devait être appliqué dans son ensemble .
53 . Dans l' arrêt Mura II ( 29 ), vous avez jugé que,
"dans le cas où les dispositions de l' article 46 du règlement n 1408/71 sont plus favorables au travailleur que les dispositions de la seule législation nationale en vertu de laquelle le travailleur reçoit une pension, les dispositions de cet article doivent être appliquées intégralement" ( 30 ).
54 . Dans l' arrêt D' Amico ( 31 ), vous avez plus spécialement déclaré que le chapitre 3 du règlement n 1408/71 - et donc l' article 46 dans son ensemble, y compris sa disposition relative à la proratisation - était applicable au cas d' un mineur pensionné bénéficiant d' une pension de retraite complète en Belgique et d' une pension d' invalidité italienne non transformée .
55 . Vous avez également admis, dans l' important arrêt Collini ( 32 ), que l' article 46 s' appliquait dans son ensemble, même lorsque la totalisation des périodes d' assurance est en fait limitée à la durée maximale requise pour une pension complète dans le premier État membre .
56 . Il est donc clair, pour répondre à une interrogation précise du juge a quo, que, lorsque l' opération de totalisation donne pour résultat la durée requise pour la pension complète dans un État membre sans qu' il soit nécessaire de prendre en compte les périodes d' assurance accomplies dans un autre État membre, l' opération de proratisation s' applique néanmoins .
57 . Prises en compte pour le calcul tant de la prestation autonome que de la prestation théorique, les années fictives accordées par la législation belge doivent-elles l' être également dans le calcul de la pension proratisée?
58 . Comme l' a noté la Commission dans ses observations, il résulte de la décision n 95 de la commission administrative des Communautés européennes et de l' arrêt Menzies ( 33 ) que les périodes fictives sont écartées pour le calcul du montant effectif visé à l' article 46, paragraphe 2, sous b ), lorsqu' elles sont postérieures à la réalisation du risque .
59 . Lorsqu' elles sont antérieures à la réalisation du risque, comme en l' espèce, elles doivent être considérées, conformément à la lettre du texte de l' article 46, comme des "périodes d' assurance accomplies avant la réalisation du risque ".
60 . Elles seront donc prises en compte tant en ce qui concerne le calcul de la durée totale des périodes d' assurance dans les différents États membres que le calcul de la durée totale des périodes d' assurance dans le premier État membre .
61 . Notons qu' une solution contraire aurait pour effet de désavantager le travailleur migrant par rapport au travailleur national, dans des conditions incompatibles avec l' article 51 du traité .
62 . Il n' y a donc pas lieu de supprimer des années fictives à concurrence du nombre d' années prestées dans le deuxième État membre, lorsqu' on procède au calcul suivant :
nombre d' années d' assurance
dans le premier État membre,
prestation proratisée = y compris les
prestation théorique x périodes fictives
nombre d' années d' assurance
dans les deux États membres,
y compris les périodes
fictives dans la limite du
plafond de l' article 46,
paragraphe 2, sous c ).
63 . Si la prestation proratisée se révèle inférieure à la prestation autonome ( 34 ), il appartiendra au juge a quo de prendre en compte cette dernière .
64 . La dernière opération consistera, par application de l' article 46, paragraphe 3, premier alinéa, à vérifier que l' addition de la prestation autonome et de la prestation due par le second État membre ne dépasse pas le montant théorique le plus élevé, soit, en l' espèce, la pension complète belge ( 35 ).
65 . Un cumul injustifié de prestations peut se produire lorsque le travailleur bénéficie de plusieurs prestations autonomes - qui, par hypothèse, n' ont pas été proratisées ni donc proportionnées à la durée de l' assurance . Dans ce cas, une clause de réduction est prévue à l' article 46, paragraphe 3, deuxième alinéa . Vous avez précisé dans l' arrêt Collini, précité, les conditions d' application de cet article, lorsqu' une seule prestation autonome - comme en l' espèce - doit être liquidée :
"L' article 46, paragraphe 3, deuxième alinéa, vise à répartir le montant à concurrence duquel le plafond visé au premier alinéa est dépassé entre les différentes institutions qui fournissent des prestations autonomes . Cette répartition implique l' établissement de coefficients de réduction, déterminés en fonction de l' importance relative que représente chaque prestation autonome dans la somme de ces prestations autonomes .
Il s' ensuit qu' il n' y a pas lieu de procéder à cette répartition lorsqu' il n' y a qu' une institution qui fournit une prestation autonome . En effet, dans ce cas, 'le rapport entre le montant de la prestation considérée et la somme des prestations déterminées selon les dispositions du paragraphe 1' visé par l' article 46, paragraphe 3, deuxième alinéa, est par définition égal à l' unité . Dans ces conditions, l' institution qui est la seule à fournir la prestation autonome doit la corriger en la diminuant du montant intégral à concurrence duquel la somme de sa prestation autonome et de la prestation proratisée dépasse le plafond visé au premier alinéa de l' article 46, paragraphe 3" ( 36 ).
66 . L' application de l' article 46, paragraphe 3, a donc pour effet d' imposer une diminution d' une prestation acquise en vertu du seul droit national : la prestation autonome .
67 . Dans une hypothèse telle que celle exposée par le juge a quo, si l' on applique le droit national belge, la pension complète belge sera réduite par le jeu de la clause anticumul nationale et, si l' on applique le droit communautaire, le total de la prestation autonome et de la prestation d' invalidité italienne sera réduit par le jeu de l' article 46, paragraphe 3, deuxième alinéa, tel qu' il est interprété par l' arrêt Collini .
68 . L' application de ce dernier article peut se révéler plus favorable pour le travailleur que l' application des règles anticumul nationales .
69 . Dans l' affaire Collini, où la totalisation était égale au nombre d' années requis pour la pension complète dans le premier État membre, l' application de la seule législation de cet État aurait été moins favorable que celle du régime de l' article 46 du règlement n 1408/71 .
70 . En l' espèce, si le juge a quo constate que l' addition de la prestation autonome belge et de la pension d' invalidité italienne ( le total ayant pour plafond le plus élevé des montants théoriques, soit la pension complète belge ) est plus élevée que la pension nationale compte tenu des clauses anticumul nationales, il lui appartiendra de faire application du droit communautaire .
71 . En revanche, s' il devait constater que la prestation communautaire était d' un montant inférieur à la prestation nationale, cette dernière devrait s' appliquer conformément au principe "Petroni" ( 37 ).
72 . Ainsi interprété, l' article 46 du règlement n 1408/71 répond bien à l' objectif visé par l' article 51 du traité, dès lors qu' il ne peut être appliqué que s' il permet d' octroyer au travailleur migrant une prestation au moins aussi élevée que celle due en vertu des seules dispositions d' une législation nationale .
73 . Comme l' indiquait l' avocat général M . Jacobs dans ses conclusions sur l' affaire Cabras ( 38 ), l' article 51 ne signifie pas que "une personne qui a travaillé dans plusieurs États membres doit, en termes de sécurité sociale, se trouver dans une situation plus favorable que celle d' une personne qui a effectué toute sa carrière dans un même État membre . Ce point de vue est assurément erroné : l' article 51 exige simplement que la première ne soit pas moins bien traitée que la seconde" ( 39 ).
74 . Nous vous proposons donc de répondre aux questions posées comme suit :
"1 ) Lorsqu' un travailleur bénéficie d' une pension de vieillesse en vertu de la législation d' un État membre et d' une pension d' invalidité non transformée en vertu de la législation d' un autre État membre, la liquidation de ces pensions relève du champ d' application de l' article 46 du règlement n 1408/71 . Il est indifférent pour l' application de cet article que l' intéressé n' ait pas atteint l' âge de la retraite requis pour liquider les prestations effectuées dans le second État membre .
2 ) a ) L' article 46, paragraphe 2, sous a ), doit être interprété en ce sens qu' il prévoit, aux fins du calcul de la pension théorique, la prise en compte de toutes les périodes d' assurance accomplies dans les différents États membres, y compris les périodes d' assurance fictives .
b ) L' article 46, paragraphe 2, sous b ), doit être interprété en ce sens que le montant effectif doit être calculé en tenant compte des périodes fictives antérieures à la réalisation du risque .
c ) Les périodes d' assurance fictives ne se confondent pas avec les périodes accomplies dans les autres États membres et il n' y a pas lieu de les réduire en fonction des périodes accomplies dans ceux-ci .
d ) Lorsque la totalisation est égale au nombre d' années d' assurances maximal requis pour bénéficier de la pension complète dans le premier État membre sans addition d' autres périodes d' assurance accomplies dans d' autres États membres, l' opération de proratisation s' applique néanmoins .
e ) Lorsqu' une seule institution fournit une prestation autonome au sens de l' article 46, paragraphe 1, du règlement n 1408/71, seule cette institution doit réduire sa prestation en vertu du paragraphe 3, deuxième alinéa, du même article; elle doit procéder à cette réduction en diminuant la prestation autonome de la somme des prestations calculées conformément aux dispositions des paragraphes 1 et 2, en tant qu' elle dépasse le plafond visé au paragraphe 3, premier alinéa ."
(*) Langue originale : le français .
( 1 ) Du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté ( JO L 149, p . 2 ).
( 2 ) Moniteur belge du 27.10.1967, arrêté modifié par la loi du 26 juin 1972 ( Moniteur belge du 30.6.1972, p . 7738 ) et par la loi du 28 mars 1975 ( Moniteur belge du 8.4.1975, p . 4108 ).
( 3 ) Article 11 de la loi, Moniteur belge du 14.2.1981, p . 1699 .
( 4 ) En application de l' article 32 quinquies de l' arrêté royal du 21 décembre 1967 .
( 5 ) Article 46, paragraphe 1, premier alinéa .
( 6 ) Arrêt du 13 mars 1986, Sinatra, point 21 ( 296/84, Rec . p . 1047 ).
( 7 ) Ou "proratisé ".
( 8 ) La retraite ou le décès .
( 9 ) Article 46, paragraphe 2, sous b ).
( 10 ) Lequel fixe un plafond pour le montant dont peut bénéficier un travailleur au titre de l' article 46, plafond correspondant au plus élevé des montants théoriques calculés selon l' article 46, paragraphe 2, sous a ).
( 11 ) Qui dispose que les clauses de réduction nationales ne s' appliquent pas lorsque l' intéressé bénéficie de prestations de même nature .
( 12 ) Arrêts du 13 octobre 1977, Mura I ( 22/77, Rec . p . 1709 ); du 16 mai 1979, Mura II ( 236/78, Rec . p . 1819 ); du 13 octobre 1977, Greco ( 37/77, Rec . p . 1711 ); du 14 mars 1978, Schaap ( 98/77, Rec . p . 707 ).
( 13 ) Arrêt du 15 octobre 1980 ( 4/80, Rec . p . 2964 ).
( 14 ) Arrêt du 21 juillet 1981 ( 116/80, 117/80, 119/80, 120/80 et 121/80, Rec . p . 1737 ).
( 15 ) Arrêt D' Amico, précité, point 18, souligné par nous .
( 16 ) Arrêt du 18 avril 1989, point 14 ( 128/88, Rec . p . 936 ).
( 17 ) Ibid ., points 13 et 16; voir également l' arrêt du 5 avril 1990, Pian ( C-108/89, Rec . p . I-1599 ).
( 18 ) Dont les circonstances de fait étaient exactement identiques à celles du présent litige : la pension d' invalidité belge servie à M . D' Amico au titre du régime spécial applicable au mineur a été transformée en pension de retraite par application de l' arrêté royal n 50, du 24 octobre 1967 . L' intéressé percevait également une pension d' invalidité italienne qui ne pouvait être transformée en pension de retraite .
( 19 ) Précité .
( 20 ) Arrêt du 19 juin 1979 ( 180/78, Rec . p . 2111 ); conclusions du 16 mai 1979, Rec . p . 2123 .
( 21 ) Ibid ., p . 2129 .
( 22 ) Voir les détails de ce calcul ci-après, point 36 .
( 23 ) Arrêt du 4 juin 1985 ( 58/84, Rec . p . 1679 ).
( 24 ) Idem point 15 et dispositif, souligné par nous .
( 25 ) Du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d' application du règlement n 1408/71 ( JO L 74, p . 1 ).
( 26 ) Arrêt Celestre précité, point 15 .
( 27 ) Voir l' arrêt du 17 décembre 1987, Collini, point 10 in fine ( 323/86, Rec . p . 5489 ), qui offre précisément un tel cas de figure .
( 28 ) Article 46, paragraphe 2, sous c ), souligné par nous .
( 29 ) Arrêt du 16 mai 1979 ( 236/78, Rec . p . 1829 ).
( 30 ) Point 13 et dispositif .
( 31 ) Précité .
( 32 ) Précité .
( 33 ) Arrêt du 26 juin 1980 ( 793/79, Rec . p . 2085 ).
( 34 ) Ce qui est nécessairement le cas quand la prestation proratisée est calculée à partir d' une prestation théorique égale à la prestation autonome .
( 35 ) Pour un autre exemple où, en matière d' invalidité, la prestation autonome et la prestation théorique sont égales à la prestation complète due en vertu de la seule législation d' un État membre, voir l' arrêt du 21 mars 1990, Cabras ( C-199/88, Rec . p . I-1049 ).
( 36 ) Points 15 et 16, souligné par nous .
( 37 ) Qui veut que la réglementation communautaire ne soit mise en oeuvre qu' à la condition que son application se révèle au moins aussi favorable au travailleur migrant que l' application intégrale de la seule législation nationale y compris ses règles anticumul ( voir arrêt du 21 octobre 1975, Petroni, point 13, 24/75, Rec . p . 1149 ).
( 38 ) Précitée ( Rec . p . 1023 ).
( 39 ) P . 1044, point 19 .


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