EUR-Lex -  61984CC0124 - FR
Karar Dilini Çevir:
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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. G. FEDERICO MANCINI
présentées le 2 mai 1985 ( *1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,

1. 
Vous êtes appelés à statuer sur une question préjudicielle qui vous a été posée par le Finanzgericht de Hesse dans le cadre d'une affaire pendant devant cette juridiction entre la société Spitta et le bureau principal des douanes de Francfort-sur-le-Main-Est, et qui a pour objet la détermination du prélèvement applicable à l'importation de Madagascar d'un lot de viande bovine relevant de la sous-position 16.02 B III b) 1 aa) du tarif douanier commun. Le juge a quo vous demande en particulier d'établir si le règlement (CEE) n° 932/77 de la Commission du 29 avril 1977, qui a défini les sommes dont sont diminuées les charges applicables à l'importation de viandes bovines originaires des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ci-après ACP) (JO L 109, p. 16), est valide.
La société de droit allemand H. Spitta & Co., demanderesse dans l'affaire principale, fait le commerce de produits agricoles et, surtout, importe en République fédérale des préparations de viande bovine provenant de Madagascar. En 1976, elle a conclu les contrats relatifs à l'importation d'un lot de 1000 tonnes de viande assaisonnée, désossée et congelée, entrant sous la sous-position tarifaire 16.02 B III b) 1; mais le retard intervenu dans la livraison de la marchandise a fait que les formalités douanières ont été effectuées après le 1er avril 1977, date d'entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 425/77. Cette source a modifié ladite position tarifaire et inclus le produit importé par la société Spitta dans la sous-position tarifaire 16.02 B III b) 1 aa), en le soumettant à un prélèvement spécial de 147,94 marks par quintal, auquel s'ajoutent un facteur rectificatif de 0,925 à titre de coefficient correcteur et un montant compensatoire de 55,29 marks par quintal. En conséquence, par un avis du 25 juin 1977 fondé sur les règles en vigueur au moment de l'enregistrement des marchandises (24 et 25 mai 1977), le bureau des douanes a perçu le prélèvement dû pour un montant total de plus de 240000 marks.
Après avoir introduit une réclamation demeurée sans succès, la société Spitta a saisi le Finanzgericht de Hesse en invoquant l'invalidité de la disposition qui l'obligeait à verser cette somme. Par ordonnance du 25 avril 1984, la septième chambre du tribunal a sursis à statuer et a demandé à la Cour « si le montant de diminution fixé par l'article 1er du règlement (CEE) n° 932/77 de la Commission, du 29 avril 1977, à 143956 unités de compte pour les produits de la sous-position 16.02 B III b) 1 aa) du tarif douanier commun est valide ».

2. 
Pour bien comprendre la portée de la question, il est nécessaire de mentionner la réglementation compliquée qui lui sert de fondement. Comme on le sait, le règlement (CEE) n° 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, relatif à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 148, p. 24), prévoyait la perception de droits de douane et de prélèvements à l'importation, par les pays tiers, de la viande bovine fraîche, réfrigérée, congelée, salée, séchée et fumée; il exemptait cependant du prélèvement les produits prévus dans la sous-position 16.02 B III b) 1 du tarif douanier commun, c'est-à-dire les « autres préparations et conserves de viandes ou d'abats non dénommées, contenant de la viande ou des abats de l'espèce bovine, à l'exclusion de celles contenant de la viande ou des abats de l'espèce porcine ». Les marchandises soumises au prélèvement étaient mentionnées sous a) à l'article 1er, tandis que celles qui bénéficiaient de l'exemption figuraient sous b). Il faut ajouter que le régime des montants compensatoires s'appliquait aux unes et aux autres.
Toutefois, les dispositions relatives aux rapports entre Communauté et États ACP interféraient avec ces règles. Selon l'article 2, paragraphe 2, sous a), de la convention signée à Lomé le 28 février 1975 [règlement (CEE) n° 199/76], les produits originaires des Etats ACP — qui font l'objet d'une organisation commune des marchés ou soumis, en application de la politique agricole commune, à une réglementation spécifique — doivent être importés dans la Communauté européenne à des conditions préférentielles. En conséquence, l'article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement (CEE) n° 1599/75 du Conseil du 24 juin 1975 (JO L 166, p. 67) a établi que les charges à l'importation pour les produits visés à l'article 1er, sous a), du règlement (CEE) n° 805/68, originaires des Etats ACP, sont diminuées d'un montant fixé chaque trimestre par la Commission et correspondant à 90 % de leur moyenne au cours de la période de référence. Toutefois, l'importateur devait prouver qu'il avait versé à l'État ACP une taxe à l'exportation d'un montant correspondant à cette diminution.
En d'autres termes, le prélèvement relatif à la viande bovine fraîche, réfrigérée, congelée, salée, séchée et fumée provenant des États ACP est divisé en deux parties: 90 % vont à ces États qui le perçoivent par avance et 10 % à la Communauté. Ce mécanisme, avec ses effets encourageant les exportations de viande ACP vers la Communauté européenne, a été prorogé par le règlement (CEE) n° 3328/75 du Conseil du 18 décembre 1975 (JO L 329, p. 4) sans variations importantes ou, en tout cas, de longue durée. Les limitations quantitatives qu'il avait introduites aux importations provenant du Botswana, de Madagascar, du Kenya et du Swaziland ont en effet été supprimées par le règlement (CEE) n° 1501/76 de la Commission du 25 juin 1976 (JO L 167, p. 35).
Toutefois, des changements d'une toute autre portée se profilaient à l'horizon. S'apercevant que l'exemption du prélèvement de certaines préparations se prêtait à des abus, le Conseil a décidé d'y remédier. D'où le règlement (CEE) n° 425/77 du 14 février 1977, qui a modifié certaines règles du règlement (CEE) n° 805/68. Plus précisément, dans l'article 1er de cette dernière source, la sous-position 16.02 B III b) 1 a été scindée en deux positions: la 16.02 B III b) 1 aa) (« autres préparations et conserves de viandes ou d'abats, contenant de la viande ou des abats de l'espèce bovine, non cuites ») qui, aujourd'hui, figure au paragraphe 1, sous a), et la 16.02 B III b) 1 bb) (« autres préparations et conserves de viande ou d'abats, contenant de la viande ou des abats de l'espèce bovine, non dénommées ») qui apparaît dans le même paragraphe, sous b). Puis, dans l'article 9, il a été disposé que les produits visés à l'article 1er, paragraphe 1, sous a) — c'est-à-dire les préparations de viande bovine non cuite —, étaient soumis au prélèvement.

3. 
Venons-en maintenant à l'application de la réglementation ainsi décrite. L'article 2, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 1599/75 établit que les modalités qui s'y rapportent sont arrêtées selon la procédure dite du « comité de gestion » et prévue par l'article 27 du règlement (CEE) n° 805/68. L'article 3 du règlement (CEE) n° 3328/75 dispose également que celles-ci (en particulier la base de calcul, la période de référence, les règles pour la fixation de la taxe à percevoir dans le pays exportateur, la délivrance des certificats d'importation, les preuves admises, etc.) sont définies par le comité de gestion.
Dans le quatrième et dans le cinquième considérant du règlement (CEE) n° 3376/75, du 23 décembre 1975, qui régit l'application de cette dernière source (JO L 333, p. 44), la Commission a reconnu que les charges à l'importation dans les différents États membres variaient selon le niveau du prélèvement applicable et qu'à cette différence pouvait s'ajouter celle découlant du régime différent des montants compensatoires (adhésion ou monétaires) auquel les États membres sont soumis. Afin d'éviter des problèmes complexes de gestion, elle a donc estimé opportun: a) de calculer forfaitairement lesdites charges, d'une part, dans la région formée par les États qui appliquent les montants adhésion (Royaume-Uni et Irlande), d'autre part, dans l'ensemble des autres États; b) d'adopter pour chacune de ces « régions » les montants compensatoires applicables dans l'État qui importe les plus grandes quantités de viande.
L'article 4 de la source en question [telle qu'elle a été modifiée par le règlement (CEE) n° 3136/76 de la Commission du 22 décembre 1976, JO L 353, p. 40] a donc fixé en son paragraphe 1 la somme visée au paragraphe 1 de l'article 1er du règlement (CEE) n° 3328/75 pour les produits à importer en Irlande ou au Royaume-Uni et au paragraphe 2 la somme relative aux importations dans les autres États. Par rapport à ces dernières, la réduction est égale à 90 % du prélèvement corrigé, le cas échéant, du montant compensatoire valable pour la France pendant la semaine qui précède celle où commence le trimestre pour lequel le montant de diminution est calculé. L'article 1er du règlement (CEE) n° 931/77 de la Commission du 29 avril 1977 (JO L 109, p. 15) a introduit une dérogation à cette disposition: la diminution pour la période qui commence le 2 mai 1977 a été calculée sur la base des prélèvements, des montants compensatoires adhésion et des montants compensatoires monétaires valables à la même date.
Il reste à examiner la disposition sur laquelle le Finanzgericht vous interroge. L'article 1er du règlement (CEE) n° 932/77 de la Commission du 29 avril 1977 (JO L 109, p. 16) fixe en annexe le montant de diminution pour les importations en provenance des Etats ACP au cours de la période du 2 mai au 30 juin 1977. En appliquant les critères établis dans le règlement (CEE) n° 3376/75, il distingue entre les « régions » en lesquelles est divisée la Communauté. En ce qui concerne les produits de la sous-position 16.02 B III b) 1 aa), qui sont ceux importés par l'entreprise Spitta, le montant de diminution est fixé pour les États autres que l'Irlande et la Grande-Bretagne à 143,956 unités de compte par quintal. Ce chiffre représente donc 90 % du prélèvement corrigé- du montant compensatoire monétaire valable pour la France.
Nous sommes ainsi parvenus à la dernière étape de l'histoire réglementaire longue et tourmentée qui a pour objet les prélèvements à l'importation. Nous précisons qu'elle est postérieure aux faits de l'affaire. Il est cependant utile de l'évoquer en raison de la lumière qu'elle peut projeter sur l'interprétation du régime en vigueur antérieurement.
Par le règlement (CEE) n° 622/78 du 30 mars 1978 (JO L 84, p. 15), la Commission a modifié la réglementation [le règlement (CEE) n° 3376/75] sur la base duquel elle avait jusqu'alors calculé les diminutions. Désormais, la somme dont les charges sont diminuées est égale à 90 % du prélèvement corrigé, le cas échéant, du montant compensatoire monétaire valable dans l'État membre d'importation. La Commission a ainsi abandonné le système consistant à diviser la Communauté en deux « régions » et, pour l'une d'elles, en alignant sur la France le montant des diminutions. Elle a en outre décidé d'exprimer la somme qui s'y rapporte non plus en unités de compte, mais dans la monnaie de chaque État membre.

4. 
Au cours de la procédure devant notre Cour, des observations écrites ont été présentées par la requérante dans l'affaire principale et par la Commission. La société Spitta soutient que, en quantifiant les sommes dont les charges à l'importation sont diminuées, la Commission n'a pas tenu compte des principes établis par l'article 1er du règlement (CEE) n° 3328/75 du Conseil, commettant ainsi un excès de délégation. En effet, cette disposition lui imposait de s'en tenir au prélèvement moyen applicable aux importations; et dire moyen implique d'exclure que l'on puisse se référer à un seul État membre. Cette interprétation est d'autant plus rationnelle que les coefficients et les montants compensatoires qui entrent dans le calcul de la moyenne des charges sont exprimés en monnaies nationales. Autrement dit, ils diffèrent pour chaque État; en les multipliant, comme fait le règlement contesté, par un montant fixe de diminution, on aboutira donc à des valeurs différentes, dépendantes de la situation monétaire de chaque État.
Or — continue l'entreprise allemande —, la diminution, pour les viandes importées en République fédérale, que la Commission a quantifiée sur la base de la situation française ne correspond pas à la moyenne des charges. Les calculs contenus dans l'ordonnance de renvoi prouvent même que les prélèvements pour les importations en Allemagne sont un multiple de ceux perçus pour la même quantité de viande importée en France. Il s'ensuit que la méthode adoptée par la Commission se traduit par une discrimination interdite par l'article 40 du traité CEE dans la mesure où elle favorise des importateurs français et polarise les importations vers la France.
La Commission défend évidemment la validité de sa réglementation en affirmant que le Conseil lui avait attribué une marge considérable d'appréciation en ce qui concerne l'adoption du système de calcul. D'autre part, si elle n'avait pas opté pour une méthode forfaitaire, « l'application précise des montants ... (aurait donné) lieu à des problèmes de gestion complexes (et aurait contraint) les pays (ACP) à percevoir des montants différents selon la destination dans la Communauté [cinquième considérant du règlement (CEE) n° 3376/75] ». Quant au choix de l'unité de compte comme valeur exprimant la réduction, il est certain qu'il n'a pas été exorbitant. En effet, c'est de l'unité de compte que les États ACP se servent pour exprimer la taxe à l'exportation. En outre, convertir l'unité de compte dans la monnaie de l'État membre de destination au cours représentatif et dans la monnaie du pays ACP au cours du jour de l'exportation aurait déterminé pour ce pays des difficultés considérables de nature comptable.
Enfin, il faut exclure des violations de l'article 40. On peut même observer — soutient la Commission — que, en ayant conclu les contrats pour l'importation de la viande avant le mois d'avril 1977, l'entreprise Spitta n'a pas été soumise à 90 % du prélèvement applicable à Madagascar. Elle n'a donc pas été défavorisée par l'application de la diminution dans la Communauté; au contraire, elle a tiré un avantage de la réglementation en vigueur lors de l'importation en République fédérale.

5. 
Pour répondre à la question du Finanzgericht, il faut donc établir si la méthode forfaitaire de calcul que la Commission a adoptée dans le règlement (CEE) n° 932/77 en application des critères qu'elle a elle-même fixés par le règlement (CEE) n° 3376/75 respecte les principes directeurs prévus par le règlement (CEE) n° 3328/75 du Conseil et l'interdiction d'effectuer une discrimination entre les importateurs dans la Communauté. Disons tout de suite que la réponse doit être négative: cette méthode dépasse les limites dans lesquelles le Conseil a entendu contenir le pouvoir de la Commission et elle est en tout cas injustifiée.
Sur le premier point, il suffit de relire l'article 1er du règlement (CEE) n° 3328/75. « Les charges à l'importation — y est-il dit —... sont diminuées ... d'un montant correspondant à 90 % de (leur) moyenne. » Or, « correspondant » est synonyme de « conforme »; nous ne voyons pas comment, en fixant une somme conforme à un certain pourcentage, il est possible de faire usage de méthodes forfaitaires. Celui qui les emploie renonce à obtenir des résultats précis. Du reste, la Commission elle-même en convient lorsqu'elle affirme, dans le cinquième considérant du règlement (CEE) n° 3376/75, qu'elle a fixé des sommes « très voisines » (donc ni « correspondantes » ni « conformes ») à la moyenne des montants compensatoires applicables dans chaque État membre et, par cela même, des charges à l'importation.
Passons au second point. Comme on le sait, l'usage de méthodes forfaitaires est admis lorsqu'il s'agit d'évaluer des grandeurs difficilement quantifiables ou lorsque des nécessités d'administration rationnelles exigent des formes de calcul simplifiées. Or, dans notre cas, les grandeurs considérées, c'est-à-dire les montants compensatoires, sont parfaitement définies; et les exigences administratives semblent tout autres qu'impératives. La Commission, nous l'avons dit, a mis l'accent sur les graves difficultés que les États ACP auraient rencontrées à la suite de l'adoption d'une méthode non forfaitaire et, en l'espèce, du choix d'exprimer les diminutions dans les monnaies nationales. Toutefois, nous avons dit que, deux années plus tard seulement, elle a renoncé à l'une et à l'autre option en raison de leur aptitude — nous citons la motivation du règlement (CEE) n° 622/78 — à «créer des problèmes notamment pour le pays exportateur ».
L'adoption d'une méthode forfaitaire qui a pour base la situation monétaire française est en définitive dépourvue de justification et provoque entre les importateurs communautaires une inégalité de traitement certainement interdite par l'article 40 du traité. En effet, dans le cadre de notre procédure, les remarques faites sur ce point par la Commission ne peuvent être d'aucun poids.

6. 
L'invalidité de la disposition litigieuse que nous vous suggérons de déclarer soulève deux problèmes: celui de ses effets et celui de l'organe auquel il appartiendra de déterminer les nouveaux montants de diminution. Il n'est cependant pas difficile de les résoudre à la lumière des principes que vous avez plusieurs fois et constamment établis au fil des années.
Ainsi, en ce qui concerne le second, nous nous limiterons à rappeler les arrêts dits du Gritz et du Quellmehl (affaires jointes 117/76 et 16/77, Ruckdeschel, Rec. 1977, p. 1753; les affaires jointes 124/76 et 20/77, Moulins de Pont-à-Mousson, Rec. 1977, p. 1795), qui ont également constaté l'invalidité de certaines dispositions de règlements. Dans l'un et dans l'autre (voir en particulier l'attendu 29 du second), vous avez affirmé « qu'il appartient aux institutions compétentes en matière de politique agricole commune d'apprécier les facteurs économiques et politiques sur la base desquels le montant des sommes doit être défini ». Puis, à propos du premier problème, des exigences évidentes de certitude du droit conseillent de limiter dans le temps les effets qui découlent de la déclaration d'invalidité. Vous vous êtes exprimés en ce sens dans l'arrêt récent du 27 février 1985, affaire 112/83, Société des produits de maïs SA, Rec. 1985, p. 732.

7. 
Pour toutes les considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante à la question qui lui a été posée par la septième chambre du Finanzgericht de Hesse, par ordonnance du 25 avril 1984 dans l'affaire H. Spitta & Co./Hauptzollamt Frankfurt am Main-Ost:
Le montant de diminution des charges à l'importation, fixé par l'article 1er du règlement (CEE) n° 932/77 de la Commission du 29 avril 1977, applicable à l'importation de viande bovine en provenance des États ACP, n'est pas valide.
( *1 ) Traduit de l'italien.

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