E-91/2014 - Abteilung V - Demande d'asile présentée à l'étranger et autorisation d'entrée - Demande d'asile présentée à l'étranger et autorisa...
Karar Dilini Çevir:
E-91/2014 - Abteilung V - Demande d'asile présentée à l'étranger et autorisation d'entrée - Demande d'asile présentée à l'étranger et autorisa...
B u n d e s v e rw a l t u ng s g e r i ch t
T r i b u n a l ad m i n i s t r a t i f f éd é r a l
T r i b u n a l e am m in i s t r a t i vo f e d e r a l e
T r i b u n a l ad m i n i s t r a t i v fe d e r a l








Cour V
E-91/2014, E-94/2014



A r r ê t d u 6 a o û t 2 0 1 4
Composition

Emilia Antonioni Luftensteiner (présidente du collège),
Esther Karpathakis, William Waeber, juges,
Thierry Leibzig, greffier.



Parties

A._______, né le (…), et
B._______, né le (…),
Erythrée,
tous deux représentés par C._______,
(…)
recourants,



contre


Office fédéral des migrations (ODM),
Quellenweg 6, 3003 Berne,
autorité inférieure.

Objet

Demandes d’asile présentées à l’étranger et autorisations
d’entrée ; décisions de l’ODM du 12 décembre 2013 /
N (…) et N (…).


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Faits :
A.
Le 13 septembre 2012, A._______ et B._______ (ci-après : les
recourants), tous deux frères, ont chacun déposé une demande d’asile
auprès de l’Ambassade de Suisse au Caire (ci-après : l’Ambassade) et
ont sollicité l’autorisation d’entrée en Suisse.
Dans un courrier non-daté, intitulé "Our Testimony" et joint à leurs
demandes, ils ont exposé les raisons de leur départ d’Erythrée et leur
situation en Egypte. Ils ont également invoqué qu’ils avaient de la famille
résidant en Suisse et ont joint à ce titre des copies des autorisations de
séjour (permis B) de leur mère, C._______, et de leur sœur, D._______,
ainsi que les cartes d’identité suisses de leur frère, E._______, et de leur
autre sœur, F._______. Ils ont en outre produit, sous forme de copie, une
carte d’identité érythréenne ainsi que leurs cartes de demandeurs d’asile
en Egypte ("Asylum seeker registration card" ou "yellow card"), délivrées
en (…) 2012 par l’office régional du Haut commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés (ci-après : HCR) au Caire. En annexe à leurs demandes
figure aussi une lettre datée du 23 juillet 2012, adressée à l’Ambassadeur
de Suisse au Caire par un tiers connaissant la famille des recourants en
Suisse.
Le 13 septembre 2012, l’Ambassade a transmis à l’ODM les demandes
d’asile des intéressés.
B.
Par décision incidente du 23 novembre 2012, l’ODM a informé les
recourants que l’Ambassade, en proie à des difficultés liées à des
carences en personnel et en locaux, ainsi qu’à des préoccupations en
matière de sécurité, n’était pas en mesure de procéder à leurs auditions,
et les a en conséquence invités à répondre à un questionnaire relatif à
leur situation personnelle en Egypte et à leurs motifs d’asile respectifs.
C.
Par courrier du 26 novembre 2012, G._______ a informé l’ODM que
E._______, frère des recourants, l’avait chargée de la défense des
intérêts de ces derniers. Elle a produit deux procurations du
14 octobre 2012, signées par les recourants, en faveur des membres de
leur famille en Suisse, ainsi qu’une procuration du 16 novembre 2012,
signée par E._______, en faveur de l’avocate. Dans son courrier,
G._______ a en outre rappelé les faits allégués par les recourants à
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l’appui de leurs demandes d’asile et a enjoint l’ODM d’examiner leurs
requêtes sans retard.
D.
Le 16 décembre 2012, l’Ambassade a reçu une lettre des recourants,
répondant aux questions posées par l’ODM dans sa décision incidente du
26 novembre 2012.
En substance, il ressort des réponses données par les intéressés, ainsi
que du courrier intitulé "Our Testimony" joint à leurs demandes d’asile,
qu’ils seraient des ressortissants érythréens, d’ethnie hamasienne et de
religion chrétienne orthodoxe. Ils seraient tous deux mariés et auraient
chacun trois enfants, tous demeurés en Erythrée. Leur mère, C._______,
leur frère, E._______, et leurs deux sœurs, D._______ et F._______,
résident en Suisse depuis 1991. Ils y ont obtenu l’admission provisoire en
1997. F._______ et E._______ ont désormais acquis la nationalité
Suisse.
Les recourants seraient tous deux nés dans le district de H._______. En
1983, ils se seraient rendus au Soudan, avec leurs parents et leur famille,
afin de fuir le conflit avec l’Ethiopie. Ils seraient ensuite demeurés
plusieurs années dans l’est du Soudan, dans le camp de réfugiés de
I._______. En 1990, ils auraient décidé de retourner en Erythrée et de
s’engager dans l’EPLF (Front populaire de libération de l’Erythrée),
laissant le reste de leur famille au Soudan. En 1991, alors que les
intéressés étaient toujours en Erythrée, leur mère, leur frère et leurs
sœurs auraient quitté le Soudan et se seraient rendus en Suisse pour y
demander l’asile.
De 1990 à 1993, les intéressés auraient combattu au sein de l’EPLF. Ils
seraient ensuite revenus à la vie civile pendant quelques années. En
1998, lorsque la guerre a éclaté entre l’Erythrée et l’Ethiopie, ils auraient
été appelés au Service national et y seraient restés dans les domaines de
la construction et de l’agriculture.
Après avoir manifesté pour obtenir une augmentation de salaire,
A._______ aurait été placé en détention du 4 mars 2011 au 9 mai 2012,
dans la prison de J._______. Durant cette détention, il aurait demandé
des soins médicaux. Ceux-ci lui ayant été refusés, il aurait entamé une
grève de la faim qui aurait duré cinq jours. Au vu de son état de santé
très affaibli, les autorités auraient finalement décidé de le transférer dans
un hôpital. Il aurait alors saisi cette opportunité pour s’évader (selon une
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première version, telle que décrite dans la lettre "Our Testimony", il se
serait échappé par la fenêtre des toilettes de l’hôpital, alors que dans ses
réponses fournies au questionnaire de l’ODM, il a affirmé s’être évadé du
véhicule qui l’emmenait à l’hôpital). Il se serait alors rendu à K._______,
où il aurait été rejoint par son frère, évadé lui aussi.
B._______ aurait quant à lui manifesté pour sa liberté et son refus de
servir pour l’armée. Les autorités érythréennes le considérant comme
dangereux, il aurait été détenu de 2010 à 2011 dans une prison appelée
"L._______", puis de 2011 à 2012 dans la prison de M._______. Le
11 mai 2012, les gardiens de prison auraient permis aux détenus de sortir
pour uriner. B._______ en aurait alors profité pour s’évader et aurait
échappé aux coups de fusil tirés par les gardiens. Il aurait ensuite rejoint
son frère à K._______.
Les deux frères seraient alors demeurés cinq jours à K._______, avant
d’entreprendre ensemble un voyage à pied et en bus en direction du
Soudan. Ils auraient traversé la frontière soudanaise à pied en date du
22 mai 2012. Peu après leur arrivée dans ce pays, la police soudanaise
les aurait vendus à des bandits de l’ethnie rachaïda. Ceux-ci les auraient
rançonnés d’une somme de 10'000 dollars, mais les recourants leur
auraient indiqué qu’ils ne connaissaient aucun proche capable de payer
cette somme. Après les avoir torturés pendant plus d’un mois, leurs
tortionnaires les auraient revendus à d’autres trafiquants en Egypte. Les
deux frères auraient toutefois réussi à s’échapper et auraient couru
pendant six heures d’affilée jusqu’à Aswan, où ils auraient trouvé refuge
dans une église. Un Erythréen rencontré sur place les aurait alors aidés à
obtenir des billets de train pour le Caire, où ils seraient finalement arrivés
après douze heures de voyage.
Depuis 2012, les recourants résideraient au Caire, où ils seraient
enregistrés en tant que demandeurs d’asile auprès du HCR. Ils y vivraient
dans une grande précarité, partageant des appartements avec d’autres
Erythréens et changeant régulièrement de logement. Ils y bénéficieraient
toutefois de l’aide de leur famille en Suisse et de leurs compatriotes
érythréens. Ils craindraient avant tout d’être renvoyés dans leur pays par
les autorités égyptiennes ou d’être retrouvés par les trafiquants puis
vendus dans le Sinaï. Ils vivraient en outre dans une grande insécurité à
cause de l’instabilité générale du pays depuis la révolution.
E.
Par courriers du 9 avril 2013 et du 2 mai 2013, G._______, alors
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mandataire des recourants (cf. point C. supra), a demandé à l’ODM de lui
adresser une copie de la décision incidente du 23 novembre 2012 et de
lui communiquer toute autre pièce importante au dossier. Elle a
également rappelé que la situation de ses mandants au Caire était très
difficile et a en conséquence sollicité que l’ODM statue rapidement sur
leurs demandes d’asile et d’entrée en Suisse.
Le lendemain, l’ODM a transmis à la mandataire une copie de la décision
incidente du 23 novembre 2012.
F.
Le 25 octobre 2013, les membres de la famille des recourants en Suisse
ont fait parvenir une lettre à l’ODM. Dans ce courrier, ils invoquent pour
l’essentiel que la situation en Egypte est instable et risquerait de devenir
catastrophique, voire de conduire à une guerre civile. Ils font en outre état
de leurs craintes que les intéressés, tous deux chrétiens, puissent être la
cible des Frères musulmans et allèguent qu’ils vivraient dans une
situation très précaire et que leurs vies seraient menacées. Enfin, ils font
part de la souffrance de la mère des intéressés, qui ne supporterait plus
d’être séparée de ses deux fils et en aurait perdu le sommeil. En
conclusion, ils demandent à l’ODM d’autoriser l’entrée en Suisse des
recourants, afin qu’ils puissent à nouveau être entourés de leur famille,
après plus de vingt ans de séparation.
G.
Par décisions séparées du 12 décembre 2013, notifiées le lendemain,
l’ODM a refusé aux intéressés l’autorisation d’entrer en Suisse et a rejeté
leurs demandes d’asile.
Dit office a considéré, en substance, que les recourants n’avaient pas
rendu vraisemblables leurs motifs d’asile. Il a en particulier souligné que
les allégations de B._______ relatives à sa détention et son évasion
étaient vagues et stéréotypées, alors que le récit de A._______
comportait des divergences importantes s’agissant des circonstances de
son évasion. Il a également considéré peu crédible que les deux frères,
détenus dans des lieux différents, aient réussi à s’évader dans des temps
très rapprochés. Enfin, il a constaté que les recourants n’avaient versé au
dossier aucune preuve de leur séjour en Erythrée ou de leur engagement
à l’armée, rappelant qu’une copie de carte d’identité n’avait qu’une valeur
probante très restreinte.
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L’ODM a par ailleurs estimé qu’il pouvait être raisonnablement exigé des
intéressés qu’ils poursuivent tous deux leur séjour en Egypte. Il a précisé
que, si les troubles survenus dans ce pays début 2011 avaient certes
atteint un certain degré de violence, ceux-ci n’avaient toutefois jamais
remis en cause la sécurité de la population entière. Il a ajouté que la
situation s’était depuis suffisamment stabilisée et que les recourants
n’avaient pas rendu vraisemblable l’existence d’un risque de persécution
particulière susceptible de les toucher de manière concrète. S’agissant de
leurs craintes d’être la cible des Frères musulmans en raison de leur
religion chrétienne, l’ODM a relevé que celles-ci étaient purement
hypothétiques et n’étaient étayées par aucun élément concret. Il a en
outre précisé à ce sujet que les Constitutions égyptiennes de mars 2011
et de décembre 2012 garantissaient la liberté de religion et que, si des
actes de violence isolés avaient certes été commis, ceux-ci visaient avant
tout la minorité copte. Il a également rappelé que l’Egypte était partie à la
Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés
(Conv. réfugiés, RS 0.142.30), que de nombreux Erythréens résidaient
dans ce pays depuis plusieurs années et que, si les autorités égyptiennes
avaient effectivement déporté des Erythréens par le passé, il s’était agi de
personnes qui n’étaient pas enregistrées auprès du HCR, ce qui n’était
pas le cas des intéressés. Il a ajouté que les autorités égyptiennes
offraient également aux Erythréens emprisonnés en vue d’un renvoi la
possibilité d’aller en Ethiopie, un pays dans lequel une protection effective
existe. Ce dernier cas de figure ne concernant qu’un très petit nombre
d’Erythréens en Egypte, le risque que les recourants soient renvoyés
d’Egypte serait en conséquence réduit. Enfin, dit office a considéré que la
seule présence en Suisse de la mère et des frères et sœurs des
recourants ne constituait pas un lien d’intensité suffisante avec ce pays
pour conduire à l’octroi d’une autorisation d’entrée. Il a ajouté que les
conditions pour un regroupement familial en Suisse au sens de
l’art. 51 al. 4 de la loi du 26 juin 1998 sur l’asile (LAsi, RS 142.31)
n’étaient pas non plus remplies dans le cas d’espèce.
H.
Par acte daté du 20 décembre 2013 et adressé à l’ODM, la famille des
recourants en Suisse a demandé à dit office de réexaminer les requêtes
des intéressés et de reconsidérer ses deux décisions du
12 décembre 2013, invoquant notamment que les recourants étaient
considérés comme des traitres dans leur pays d’origine, qu’ils risquaient
d’y être détenus à vie s’ils devaient y retourner et qu’ils vivaient dans la
terreur en Egypte, au point de vouloir mettre fin à leurs jours.
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En date du 8 janvier 2014, l’ODM a transmis cet acte au Tribunal
administratif fédéral (ci-après : le Tribunal).
I.
Par courrier du 14 janvier 2014, G._______ a informé le Tribunal qu’elle
mettait un terme à son mandat en faveur des intéressés.
J.
Par ordonnance du 17 janvier 2014, constatant que les procurations des
recourants en faveur des membres de leur famille en Suisse étaient
toujours valables, et considérant qu’il ressortait implicitement de l’acte du
20 décembre 2013 que ceux-ci souhaitaient s’opposer aux décisions de
l’ODM du 12 décembre 2013, le Tribunal a invité les membres de la
famille des intéressés en Suisse, dans un délai de sept jours dès
notification, à indiquer s’ils souhaitaient, par cet acte, recourir contre les
décisions de l’ODM du 12 décembre 2013 et, le cas échéant, à
régulariser leur mémoire.
K.
En date du 29 janvier 2014, C._______, mère et représentante des
recourants, a fait parvenir au Tribunal, dans le délai imparti, un mémoire
de recours régularisé.
Elle a fait valoir, en substance, que les recourants séjournaient en Egypte
dans des conditions extrêmement précaires et que, dans ses décisions,
l’ODM n’avait pas pris en compte les liens étroits qu’ils entretenaient avec
la Suisse, à savoir le fait que les intéressés avaient des plusieurs
membres de leur famille installés et intégrés dans ce pays. Elle a en outre
allégué qu’en l’absence d’auditions auprès de l’Ambassade, les autorités
suisses avaient violé leurs obligations légales et que les intéressés
n’avaient en conséquence pas pu rendre crédibles leurs motifs d’asile.
Compte tenu de l’absence totale de liens entre les recourants et l’Egypte
ainsi que du danger qu’ils pourraient courir en cas de renvoi en Erythrée,
C._______ a conclu à l’annulation des décisions de l’ODM du
12 décembre 2013, à l’octroi d’autorisations d’entrée en Suisse pour les
intéressés et à l’admission de leurs demandes d’asile. Elle a en outre
sollicité un délai supplémentaire d’au moins vingt jours pour compléter à
nouveau son mémoire de recours, après avoir pu consulter un juriste
spécialiste en la matière.
L.
Par ordonnance du 4 février 2014, le Tribunal a refusé d’allouer un délai
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supplémentaire aux recourants pour compléter une nouvelle fois leur
mémoire de recours, considérant que les conditions de l’art. 53 de la loi
fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA,
RS 172.021) n’étaient pas remplies en l’espèce.
M.
Le 25 février 2014, N._______, du O._______, a fait parvenir au Tribunal
un courrier concernant les recourants, tout en précisant qu’elle n’agissait
pas en tant que mandataire dans la présente procédure. Dans sa lettre,
elle a expliqué connaître la mère des recourants depuis son arrivé en
Suisse. A l’époque, celle-ci lui aurait dit qu’elle était sans nouvelle de ses
fils et qu’elle espérait les revoir un jour. Les recourants auraient repris
contact avec leur mère directement depuis l’Egypte, après vingt ou vingt-
deux ans de service, d’abord pour le compte de l’EPLF, puis dans les
rangs de l’armée régulière érythréenne. N._______ a ensuite invoqué
qu’au vu de leur situation, les intéressés ne pourraient retourner en
Erythrée et que leur situation au Caire était très inconfortable. Se fondant
sur un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (ci-après :
OSAR) joint à son courrier, elle a précisé que les migrants africains
résidant au Caire étaient victimes de racisme et étaient privés d’accès au
travail, au logement, à l’éducation et aux soins médicaux. Elle a
également joint un second document de l’OSAR et un article de Human
Rights Watch (ci-après : HRW) décrivant la situation de migrants
érythréens victimes d’enlèvements, de trafic d’êtres humains et de torture
dans le Sinaï. Elle a souligné que les recourants avaient vécu des
parcours d’exils particulièrement difficiles et a invité le Tribunal à autoriser
leur entrée en Suisse, non seulement au regard des critères retenus à
l’art. 3 LAsi, mais aussi pour des raisons humanitaires. En conclusion,
elle a affirmé soutenir le recours déposé par la mère des recourants et a
enjoint le Tribunal à admettre celui-ci.
N.
Les autres faits de la cause seront exposés, si nécessaire, dans les
considérants en droit.

Droit :
1.
1.1 En vertu de l’art. 31 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal
administratif fédéral (LTAF, RS 173.32), celui-ci connaît des recours
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contre les décisions au sens de l’art. 5 PA prises par les autorités
mentionnées à l’art. 33 LTAF.
En particulier, les décisions rendues par l’ODM concernant l’asile peuvent
être contestées, par renvoi de l’art. 105 de la loi du 26 juin 1998 sur l’asile
(LAsi, RS 142.31), devant le Tribunal, lequel statue alors définitivement,
sauf demande d’extradition déposée par l’Etat dont le requérant cherche
à se protéger (art. 83 let. d ch. 1 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal
fédéral [LTF, RS 173.110]).
1.2 En premier lieu, le Tribunal constate que les causes des recourants
présentent une étroite connexité dans les faits (ils sont frères et résident
tous les deux au Caire, où ils ont déposé ensemble des demandes d’asile
et d’entrée en Suisse fondées sur des motifs analogues) et posent les
mêmes questions juridiques. Les requêtes des intéressés ont en outre
été traitées de manière conjointe en première instance et ont été rejetées
par des décisions certes séparées, mais datées du même jour et fondées
sur une argumentation presque identique. Enfin, dans son écrit du
20 décembre 2013, régularisé le 29 janvier 2013, la mandataire des
recourants fait valoir des motifs et des conclusions concernant
conjointement les deux recourants.
Dans ces conditions, il apparaît judicieux de statuer sur les causes dans
un seul et même arrêt.
1.3 Les recourants ont qualité pour recourir (cf. art. 48 al. 1 PA). Présenté
dans le délai légal (cf. art. 108 al. 1 LAsi) et régularisé dans la forme
prescrite par la loi (cf. art. 52 PA), le recours est, sur ces points,
recevable.
1.4 La loi fédérale du 28 septembre 2012 portant modification urgente de
la loi sur l’asile (RO 2012 5359), entrée en vigueur le 29 septembre 2012,
a supprimé la possibilité de déposer une demande d’asile auprès d’une
représentation suisse. Elle a prévu à titre de disposition transitoire que les
demandes d’asile déposées à l’étranger avant son entrée en vigueur
étaient soumises aux art. 12, 19, 20, 41 al. 2, 52 et 68 LAsi dans leur
ancienne teneur. Dès lors, les demandes d’asile présentées le
13 septembre 2012 par les intéressés doivent être examinées en regard
de ces dispositions.
1.5 La procédure relative à une demande d’asile présentée à l’étranger
est sui generis et ne peut déboucher que sur une autorisation d’entrée en
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Suisse (cf. art. 20 al. 2 aLAsi ; voir également ATAF 2012/3). La
conclusion des recourants tendant à l’admission de leurs demandes
d’asile sort donc de l’objet de la contestation. Elle est à ce titre
irrecevable.
2.
2.1 Il s’agit en premier lieu pour le Tribunal d’examiner le grief d’ordre
formel soulevé par le recourants. Ceux-ci font en effet valoir que l’ODM
aurait violé leurs droits procéduraux en fondant ses décisions uniquement
sur des pièces écrites, sans leur avoir donné la possibilité d’exposer leurs
motifs dans le cadre d’auditions personnelles.
2.2 Lorsqu’une demande d’asile est déposée auprès d’une représentation
suisse (cf. art. 19 al. 1 aLAsi), celle-ci la transmet à l’ODM accompagnée
d’un rapport (cf. art. 20 al. 1 aLAsi). Afin d’établir les faits, l’office autorise
le requérant à entrer en Suisse si celui-ci ne peut raisonnablement être
astreint à rester dans son Etat de domicile ou de séjour ou à se rendre
dans un autre Etat (cf. art. 20 al. 2 aLAsi).
2.3 Le Département fédéral de justice et police peut habiliter les
représentations suisses à accorder l’autorisation d’entrer en Suisse aux
requérants qui rendent vraisemblable que leur vie, leur intégrité corporelle
ou leur liberté sont exposées à une menace imminente pour l’un des
motifs mentionnés à l’art. 3 al. 1 LAsi (cf. art. 20 al. 3 aLAsi).
Selon l’art. 10 al. 1 de l’ordonnance 1 du 11 août 1999 sur l’asile relative à
la procédure (OA 1, RS 142.311), la représentation suisse à l’étranger
procède, en règle générale, à l’audition du requérant d’asile. Si une telle
audition se révèle impossible, notamment pour des raisons d’organisation
ou de capacités dans la représentation suisse ou d’obstacles de fait dans
le pays concerné, le requérant doit être invité, par lettre individualisée lui
signalant son obligation de collaborer, à répondre à des questions
concrètes et à exposer ses motifs d’asile (cf. ATAF 2007/30 consid. 5.4
p. 364 s.).
2.4 En l’espèce, les recourants ont valablement déposé leurs demandes
d’asile auprès de l’Ambassade. Celle-ci n’a pas pu procéder aux
auditions des intéressés, en raison de difficultés d’organisation, d’un
manque de personnel et de préoccupations en matière de sécurité. Ces
raisons ont toutes été explicitement exposées par l’ODM dans sa
décision incidente du 23 novembre 2012. Dans cette même décision, dit
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office a en outre invité les recourants à répondre de manière précise et
concrète à une série de questions relatives, notamment, à leur situation
personnelle en Egypte, à leurs motifs d’asile respectifs, aux circonstances
exactes de leur départ d’Erythrée, au trajet effectué jusqu’en Egypte et à
leurs éventuelles attaches avec la Suisse.
Les recourants ont donc pu faire valoir leurs motifs d’asile à l’occasion de
la demande qu’ils ont déposée par écrit (cf. leur courrier intitulé "Our
Testimony") ainsi qu’en répondant, le 16 décembre 2012, au
questionnaire que leur a soumis l’ODM. Ils ont également eu l’occasion
de formuler leurs observations en ce qui concerne l’effectivité d’une
protection de la part de leur pays d’accueil.
2.5 Au vu de ce qui précède, le Tribunal constate que les faits ont été
suffisamment établis pour permettre à l’autorité de première instance de
statuer en toute connaissance de cause. L’ODM s’est prononcé sur la
base d’un dossier complet, l’instruction de la demande ayant été conduite
conformément à la loi, en respectant le droit d’être entendus des
intéressés.
Il s’ensuit que le grief d’ordre formel invoqué par les recourants n’est pas
fondé.
3.
3.1 Sont des réfugiés les personnes qui, dans leur Etat d’origine ou dans
le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux préjudices
ou craignent à juste titre de l’être en raison de leur race, de leur religion,
de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou
de leurs opinions politiques. Sont notamment considérées comme de
sérieux préjudices la mise en danger de la vie, de l’intégrité corporelle ou
de la liberté, de même que les mesures qui entraînent une pression
psychique insupportable (art. 3 LAsi).
3.2 Quiconque demande l’asile doit prouver ou du moins rendre
vraisemblable qu’il est un réfugié (art. 7 al. 1 LAsi). Ne sont pas
vraisemblables notamment les allégations qui, sur des points essentiels,
ne sont pas suffisamment fondées, qui sont contradictoires, qui ne
correspondent pas aux faits ou qui reposent de manière déterminante sur
des moyens de preuve faux ou falsifiés (art. 7 al. 3 LAsi).
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3.3 Dans le cas d’une demande d’asile déposée à l’étranger, si le
requérant n’a pas rendu vraisemblables des persécutions (cf. art. 3 et
7 LAsi) ou si l’on peut attendre de sa part qu’il s’efforce d’être admis dans
un autre Etat (cf. art. 52 al. 2 aLAsi), l’ODM est légitimé à rendre une
décision matérielle négative rejetant la demande d’asile (voir à ce propos
Jurisprudence et informations de la Commission suisse de recours en
matière d’asile [JICRA] 2005 n° 19 consid. 3 p. 173 s. ; 2004 n° 21
consid. 2a p. 136 ; 2004 n° 20 consid. 3a p. 130 ; 1997 n° 15 consid. 2b
p. 129 s.).
3.3.1 Les conditions permettant l’octroi d’une autorisation d’entrer doivent
être définies de manière restrictive, raison pour laquelle l’autorité dispose
d’une marge d’appréciation étendue. Outre l’existence d’une mise en
danger au sens de l’art. 3 LAsi, l’autorité prendra en considération
d’autres éléments, notamment l’existence de relations particulières avec
la Suisse ou avec un autre pays, l’assurance d’une protection dans un
Etat tiers, la possibilité pratique et l’exigibilité objective d’une admission
dans un autre pays, en d’autres termes, la possibilité et l’exigibilité de
rechercher une protection ailleurs qu’en Suisse, ainsi que les possibilités
futures d’intégration et d’assimilation. Ce qui est décisif pour l’octroi d’une
autorisation d’entrée, c’est le besoin de protection des personnes
concernées, et donc les réponses aux questions de savoir si l’existence
d’un danger au sens de l’art. 3 LAsi a été rendue vraisemblable et si l’on
peut raisonnablement exiger des intéressés que, durant l’examen de leur
demande, ils poursuivent leur séjour dans leur pays d’origine ou se
rendent dans un pays d’accueil qui leur serait plus proche que la Suisse
(cf. ATAF 2011/10 consid. 3.3 p. 126).
3.3.2 Le fait que le demandeur d’asile séjourne dans un Etat tiers ne
signifie pas pour autant qu’on puisse exiger qu’il se fasse admettre dans
cet Etat. En pareil cas, il s’agit non seulement d’examiner les éléments
qui font apparaître comme exigible son admission dans cet Etat (ou dans
un autre pays), mais encore de les mettre en balance avec les
éventuelles relations qu’il entretient avec la Suisse. S’il existe des indices
d’une mise en danger actuelle du demandeur d’asile dans son pays
d’origine et que la possibilité effective d’une demande de protection dans
un autre pays fait défaut, l’autorisation d’entrée en Suisse doit lui être
accordée (cf. ATAF 2011/10 consid. 5.1 ; JICRA 2005 n° 19 consid. 4.3.
p. 174 s., JICRA 2004 n° 21 consid. 2b p. 137 et consid. 4 p. 138 ss,
JICRA 2004 n° 20 consid. 3b p. 130 s., JICRA 1997 n° 15 consid. 2f
p. 131 s.). Les relations particulières avec la Suisse qu’exige l’ancien
art. 52 al. 2 LAsi ne correspondent pas aux conditions prévues par
E-91/2014, E-94/2014
Page 13
l’art. 51 LAsi pour l’octroi de l’asile familial (cf. JICRA 2004 n° 21
consid. 4b.aa p. 140).
4.
4.1 En l’occurrence, les recourants ont invoqué leur désertion de l’armée
érythréenne et leur départ clandestin d’Erythrée comme motifs de
persécution. En cas de retour dans leur pays, ils seraient considérés
comme des traitres et risqueraient la prison à vie.
4.2 Selon la jurisprudence du Tribunal, dans le cadre d’une procédure
d’asile engagée à l’étranger, l’octroi d’une autorisation d’entrée en Suisse
à une personne qui pourrait tout au plus y être admise provisoirement est
contraire à la logique de la loi (cf. ATAF 2011/10 consid. 7 p. 133 s.).
Tel est le cas par exemple lorsqu’une personne se trouvant à l’étranger
invoque exclusivement des motifs subjectifs postérieurs au départ de son
pays d’origine, au sens de l’art. 54 LAsi (cf. ATAF 2012/26 consid. 7 s.
p. 218 ss). De tels motifs ne pouvant permettre l’octroi de l’asile, l’autorité
prononce le renvoi de Suisse de la personne qui les soulève, quand bien
même son éventuelle qualité de réfugié empêcherait l’exécution de cette
mesure (cf. ATAF 2009/29 consid. 5.1 p. 376 s.). En cas de dépôt d’une
demande d’asile à l’étranger, il n’y aurait donc aucune logique à accorder
au requérant une autorisation d’entrée, pour prononcer ensuite son
renvoi. Dans un tel cas de figure, l’autorisation d’entrée en Suisse est
d’emblée exclue (cf. ATAF 2012/26 consid. 7 p. 519-520) et l’autorité ne
doit plus examiner s’il peut être attendu de la part du requérant qu’il
poursuive son séjour dans un autre Etat ou si celui-ci entretient des
relations étroites avec la Suisse, au sens de l’art. 52 al. 2 aLAsi (cf. arrêts
du Tribunal D-2113/2014 du 8 mai 2014 consid. 8.2 ; D–5442/2013 du
25 février 2014 consid. 3.3 ; D–3389/2013 du 19 juillet 2013 consid. 8.2 et
8.3).
En l’espèce, et indépendamment de la vraisemblance des faits allégués
par les recourants (cf. consid. 4.3.3 infra), le départ illégal d’Erythrée
constitue un motif subjectif survenu après la fuite au sens de
l’art. 54 LAsi, exclusif de l’asile. Il ne saurait par conséquent justifier
l’octroi d’une autorisation d’entrée en Suisse aux intéressés
(cf. notamment arrêts du Tribunal D-5442/2013 du 25 février 2014
consid. 3.2 ; E-7185/2013 du 19 février 2014 consid. 3.1.1 ; E-3339/2013
du 17 janvier 2014 consid. 5.3.2 ; D-6478/2013 du 24 décembre 2013
consid. 5.1).
E-91/2014, E-94/2014
Page 14
4.3 Le Tribunal doit toutefois encore examiner si les recourants avaient,
au moment de leur départ d’Erythrée, des raisons objectives de craindre
des persécutions au sens de l’art. 3 LAsi, autrement dit s’ils invoquent
également des motifs d’asile antérieurs à leur fuite (cf. ATAF 2012/26
consid. 7.3 ; cf. également arrêts du Tribunal D-2113/2014 du 8 mai 2014
consid. 7.3 in fine ; D–3389/2013 du 19 juillet 2013 consid. 8.1).
A ce titre, les recourants ont principalement allégué qu’ils avaient quitté
leur pays d’origine en raison du risque d’y être détenus à vie, suite à leurs
évasions de prison et à leur refus de servir.
4.3.1 La désertion ne constitue pas un motif subjectif survenu après la
fuite, mais bien un motif antérieur au départ (cf. JICRA 2006 n° 3
consid. 4.12 ; arrêt du Tribunal E-3193/2012 du 5 juillet 2012
consid. 2.2.5). Toutefois, aux termes du nouvel art. 3 al. 3 LAsi, entré en
vigueur le 29 septembre 2012, ne sont pas des réfugiés les personnes
qui, au motif qu’elles ont refusé de servir ou déserté, sont exposées à de
sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être, les dispositions de la
Conv. réfugiés étant réservées. Cette disposition est applicable aux
décisions de l’ODM rendues à partir du 29 septembre 2012
(cf. ATAF 2013/20 consid. 3.2.1-3.2.4 p. 251 s.), comme c’est le cas en
l’espèce (s’agissant de son application également aux procédures
engagées à l’étranger, voir par exemple les arrêts du Tribunal D-
2718/2013 du 3 juin 2014 consid. 4.2 ; D-5442/2013 du 25 février 2014
consid. 2.2).
4.3.2 Dans sa jurisprudence, antérieure à l’entrée en vigueur du nouvel
al. 3 de l’art. 3 LAsi, l’ancienne Commission suisse de recours en matière
d’asile (ci-après, la Commission) avait précisé qu’une peine sanctionnant
le refus de servir ou la désertion était, en règle générale, légitime et
étrangère à l’asile (cf. JICRA 2006 n° 3 consid. 4.2 ; JICRA 2004 n° 2
b/aa ; JICRA 2001 n° 15 consid. 8d/da et réf. cit.). Toujours selon la
Commission, une éventuelle sanction pour insoumission ou désertion ne
constituait une persécution déterminante pour la reconnaissance de la
qualité de réfugié que si, pour un des motifs énoncés à l’art. 3 LAsi, la
personne concernée était punie plus sévèrement que ne le serait une
autre dans la même situation (malus), ou que la peine infligée était d’une
sévérité disproportionnée ou encore que l’accomplissement du service
militaire exposait cette personne à des préjudices relevant de la
disposition précitée ou impliquait sa participation à des actions prohibées
par le droit international.
E-91/2014, E-94/2014
Page 15
S’agissant plus précisément de l’Erythrée, l’ancienne Commission avait
en outre considéré que, dans ce pays, la peine sanctionnant le refus de
servir ou la désertion devait être considérée comme étant démesurément
sévère et devait être rangée parmi les sanctions motivées par des raisons
d’ordre politique (« malus absolu ») au sens de l’art. 3 al. 1 LAsi. Les
personnes nourrissant une crainte fondée d’être exposées à une telle
peine devaient donc être reconnues comme réfugiées (cf. JICRA 2006
n° 3 consid. 4.6 ss).
En admettant que ces critères jurisprudentiels soient toujours applicables
après l’entrée en vigueur du nouvel art. 3 al. 3 LAsi (cf. dans ce sens,
l’arrêt du Tribunal E-3339/2013 du 17 janvier 2014 consid. 5.3.1 et 5.3.3),
cela signifierait qu’un requérant érythréen ayant rendu vraisemblable un
refus de servir ou une désertion dans son pays d’origine pourrait en outre
se prévaloir d’un risque de se voir infliger une sanction assimilable à une
persécution pour motifs politiques au sens de l’art. 1 de la Conv. réfugiés
(cf. art. 3 al. 3 in fine : "les dispositions de la [Conv. réfugiés] étant
réservées") et donc d’une persécution au sens de l’art. 3 al. 1 LAsi
(cf. arrêt du Tribunal E-3339/2013 du 17 janvier 2014 consid. 5.3.1).
4.3.3 En l’occurrence, il n’est toutefois pas nécessaire d’examiner la
portée éventuelle du nouvel art. 3 al. 3 LAsi sur la jurisprudence précitée
de l’ancienne Commission (cf. consid. précédent). En effet, à l’instar de
l’ODM, le Tribunal considère que les recourants n’ont pas rendu
vraisemblables les motifs allégués, ni dans leur témoignage écrit intitulé
"Our Testimony", ni dans leurs réponses écrites au questionnaire adressé
par l’ODM.
Force est en effet de constater que les allégations des recourants
relatives à leurs séjours en prison et à leurs évasions sont vagues et
stéréotypées. S’agissant en particulier de leurs conditions de détention,
leurs récits manquent de substance et sont dénués de détails significatifs
d’une expérience vécue, ce d’autant plus qu’ils y auraient séjourné durant
plusieurs mois, voire des années. B._______ n’a donné que les noms
des prisons dans lesquelles il aurait été détenu, alors que A._______
s’est limité à donner des informations générales et éculées, que l’on peut
aisément lire dans la presse ou trouver sur internet. Ce dernier a ainsi
simplement affirmé que les conditions dans la prison de J._______
étaient horribles, qu’il n’y avait bénéficié d’aucun accès à des soins
médicaux, qu’il y manquait d’air et que la prison n’était pas construite
mais composée de containers en zinc. S’agissant des raisons pour
lesquelles les deux frères auraient été mis en prison, force est de
E-91/2014, E-94/2014
Page 16
constater que leurs propos sont également demeurés très peu
consistants, les intéressés ayant seulement affirmé qu’ils avaient
manifesté pour obtenir une augmentation de salaire, respectivement pour
"la liberté et le refus de servir", et que le gouvernement les avait ensuite
considérés comme "dangereux".
En ce qui concerne les circonstances de leurs évasions respectives, le
Tribunal relève, à l’instar de l’ODM, qu’il est peu plausible que les deux
frères aient réussi à s’évader à seulement quelques jours d’intervalle,
alors qu’ils auraient été détenus depuis de nombreux mois dans deux
prisons différentes, situées dans des lieux distincts. En outre, A._______
s’est manifestement contredit à ce sujet, en affirmant d’abord s’être évadé
par la fenêtre des toilettes d’un hôpital militaire (cf. lettre des recourants
produite à l’appui de leur demande d’asile, intitulée "Our Testimony"),
alors que dans ses réponses au questionnaire de l’ODM, il a ensuite
précisé s’être évadé de voiture (cf. pièce A6, p. 2). Enfin, dans ses
réponses au questionnaire de l’ODM, B._______ a affirmé qu’il avait
combattu jusqu’en 2012, puis qu’il s’était engagé dans le domaine de la
construction. Il a également indiqué avoir manifesté pour sa liberté de
"2011 à 2012" (cf. pièce A6 p. 4). Or ces propos contredisent le
témoignage écrit accompagnant sa demande d’asile, dont il ressort qu’il
aurait été mis en prison déjà en 2010 dans une prison nommée
L._______, avant d’être transféré dans la prison de M._______en 2011
(cf. lettre des recourants "Our Testimony"). Ces divergences importantes,
portant sur des éléments centraux du récit des intéressés, de surcroît
dans une procédure écrite, démontrent qu’ils n’ont pas vécu les
événements invoqués.
4.3.4 Il s’ensuit que les recourants n’ont pas rendu vraisemblables, au
sens de l’art. 7 LAsi, des motifs d’asile antérieurs à leur départ d’Erythrée.
Aussi, même à supposer que leur départ d’Erythrée ait effectivement été
illégal, leurs requêtes reposeraient alors uniquement sur des motifs
subjectifs postérieurs à la fuite au sens de 54 LAsi, qui ne permettent pas
d’autoriser l’entrée en Suisse.
4.4 Comme dit précédemment (cf. consid. 3.3 et 4.2 supra), lorsque le
requérant d’asile n’a pas rendu vraisemblables des persécutions
(cf. art. 3 et 7 LAsi) ou lorsque l’existence de sa qualité de réfugié repose
uniquement sur des motifs subjectifs survenus après la fuite, comme c’est
le cas en l’espèce, l’autorité est légitimée à rendre une décision matérielle
négative et, par voie de conséquence, de refuser l’entrée en Suisse
E-91/2014, E-94/2014
Page 17
(cf. ATAF 2011/10 consid. 3.2 p. 126 et 7 p. 133 ; ATAF 2012/26,
consid. 7 s. p. 218 ss). L’autorité n’a alors plus à examiner s’il peut
raisonnablement être attendu du requérant qu’il s’efforce d’être admis
dans un état tiers – en l’occurrence l’Egypte (cf. arrêts du Tribunal D-
3389/2013 du 19 juillet 2013 consid. 8.2 et 8.3 ; D-2113/2014 du
8 mai 2014 consid. 8.2 ; D-5442/2013 du 25 février 2014 consid. 3.2).
Toutefois, dans la mesure où l’ODM a malgré tout motivé les décisions
attaquées sur ce point, et puisque celui-ci constitue l’un des éléments
centraux de l’argumentation développée par les recourants, le Tribunal
estime utile, à titre supplétif, de préciser que c’est à juste titre que l’ODM
a considéré qu’il pouvait raisonnablement être attendu des recourants
qu’ils poursuivent leur séjour en Egypte, en application de l’art. 52
al. 2 aLAsi.
4.4.1 En premier lieu, le Tribunal constate que les intéressés résident en
Egypte depuis bientôt deux ans et qu’ils ont versé au dossier des copies
de leurs "yellow cards" ("asylum seeker registration cards"), attestant
qu’ils sont tous deux enregistrés auprès de l’office régional du HCR au
Caire depuis (…) 2012. Selon les informations à disposition du Tribunal,
les "yellow cards" ont une durée de validité de dix-huit mois et sont
renouvelables directement auprès du HCR. Elles permettent notamment
d’obtenir auprès des autorités égyptiennes une autorisation de séjour
d’une durée de six mois, également renouvelable. A l’instar de l’ODM, et
en l’absence de tout élément contraire figurant au dossier, le Tribunal est
donc fondé à conclure que les intéressés bénéficient à tout le moins
d’une protection provisoire en Egypte et qu’ils peuvent y séjourner
légalement (cf. décisions attaquées, consid. 3 p. 4).
S’il est indéniable que la situation des réfugiés et des demandeurs d’asile
en Egypte est actuellement affectée par des conditions sociales et
économiques difficiles, notamment une forte inflation, des possibilités
d’emploi très limitées, des préjugés envers certaines nationalités et une
détérioration générale de l’environnement sécuritaire (cf. HCR, Profil
d’opérations 2014 – Egypte, disponible sur ,
consulté le 18 juin 2014 ; ALEXANDRA GEISER, Ägypten : Situation der
Flüchtlinge – OSAR Themenpapier, 14 mars 2014, disponible sur

eritrea-situation-der-fluechtlinge>, consulté le 18 juin 2014), les
recourants n’ont toutefois pas démontré que leur situation personnelle
serait plus grave que celle des dizaines de milliers d’autres réfugiés et
demandeurs d’asile au Caire. Ils ont notamment indiqué qu’ils étaient
E-91/2014, E-94/2014
Page 18
hébergés par des compatriotes et qu’ils bénéficiaient de l’aide financière
de leur famille en Suisse, et rien n’indique qu’ils ne pourront plus à
l’avenir compter sur leur soutien en cas de nécessité. Pour le reste, ils
sont demeurés très vagues, si ce n’est muets, au sujet de leur quotidien
en Egypte. Sans sous-estimer les difficultés socio-économiques
auxquelles les requérants d’asile et réfugiés doivent faire face dans un
pays où les ressources disponibles sont limitées, même pour la
population locale, les recourants n’ont donc pas démontré à satisfaction
qu’ils étaient personnellement contraints de vivre en Egypte dans des
conditions de dénuement complet susceptibles de les mettre
concrètement en danger.
4.4.2 En ce qui concerne le risque invoqué par les recourants d’être la
cible des Frères musulmans en raison de leur religion chrétienne, le
Tribunal relève que ladite confrérie n’est plus au pouvoir depuis
juillet 2013. La transition engagée à la suite de la destitution du président
Morsi, le 3 juillet 2013, se poursuit et la situation sécuritaire en Egypte
s’est progressivement stabilisée, malgré le fait que la confrérie des Frères
musulmans, désormais qualifiée d’organisation terroriste en Egypte,
continue de rejeter le processus de transition. Une nouvelle constitution a
été adoptée par référendum, les 14 et 15 janvier 2014. Celle-ci confère
davantage de droits aux citoyens égyptiens et renforce globalement la
protection des droits fondamentaux dans ce pays. Elle donne également
plus de pouvoir aux militaires et interdit tout parti politique fondé sur une
religion ou une secte (sur la situation actuelle en Egypte, cf. également
arrêts du Tribunal E-7144/2013 du 20 mars 2014 consid. 6.1 ; E-225/2014
du 13 février 2014 consid. 6.1 ; E-224/2014 du 22 janvier 2014
consid. 5.1). De nouvelles élections présidentielles se sont déroulées du
26 au 28 mai 2014 et ont abouti à la victoire de l’ancien ministre de la
défense, Abdel Fatah al-Sissi, l’un des principaux acteurs de la
répression contre M. Morsi et la confrérie des Frères musulmans. Au vu
du contexte politique actuel, les craintes exprimées par les recourants
d’être victimes de préjudices en raison de leur religion chrétienne
n’apparaissent donc pas fondées. Le Tribunal relève en outre qu’elles ne
sont étayées par aucun élément concret et doivent en conséquence être
considérées comme purement hypothétiques.
4.4.3 Enfin, s’agissant des allégations des recourants selon lesquelles ils
risqueraient de tomber à nouveau dans les mains des trafiquants et d’être
victimes de traite d’êtres humains dans le Sinaï, le Tribunal relève que,
indépendamment de la vraisemblance des faits allégués, l’enlèvement
dont ils auraient été victimes au Soudan ne permet pas de présager, en
E-91/2014, E-94/2014
Page 19
l’absence d’indices précis, concrets et concordants dans ce sens, un
véritable risque qu’ils soient à l’avenir soumis à un nouvel enlèvement au
Caire. Certes, plusieurs rapports récents font état, au Soudan et en
Egypte, de prises d’otages, de traites d’être humains et de tortures de
migrants, pour la plupart érythréens (cf. HRW, "I Wanted to Lie Down and
Die" – Trafficking and Torture of Eritreans in Sudan and Egypt,
11 février 2014, disponible sur , consulté le 18 juin
2014 ; ALEXANDRA GEISER, Ägypten : Situation der Flüchtlinge – OSAR
Themenpapier, op. cit., spécialement p. 4 ss. et p. 14 ss.). Ces mêmes
rapports dénoncent également le manque de réaction des autorités
égyptiennes pour identifier et poursuivre les trafiquants et décrivent des
cas de collusion entre des agents étatiques égyptiens et les auteurs de
ces crimes. Toutefois, selon les informations à disposition du Tribunal, la
ville du Caire se trouve en dehors du rayon d’action des groupes
effectuant ces trafics, ceux-ci étant principalement actifs dans la zone
frontière soudano-érythréenne, dans l’Est du Soudan et, s’agissant de
l’Egypte, dans la région du Sinaï. Certes, quelques rares cas
d’enlèvements et de harcèlement de réfugiés ou de demandeurs d’asile
auraient été relevés dans la capitale égyptienne, mais il n’existe pour
l’heure pas de risque sérieux et généralisé d’être victime d’un tel acte
dans cette ville (cf. notamment ALEXANDRA GEISER, Ägypten : Situation
der Flüchtlinge – OSAR Themenpapier, op. cit., p. 17). Les intéressés
n’ont par ailleurs fait état d’aucun problème concret rencontré
personnellement depuis qu’ils séjournent au Caire.
4.4.4 Par conséquent, le Tribunal conclut, à l'instar de l'ODM, qu'il peut
raisonnablement être attendu des recourants qu'ils s’efforcent de
poursuivre leur séjour en Egypte. L’espoir d’obtenir en Suisse des
meilleurs conditions d’accueil ainsi que les raisons humanitaires
invoquées par les intéressés, aussi compréhensibles soient-ils, ne sont
pas décisifs à ce titre.
La question d’un éventuel rattachement particulier des recourants avec la
Suisse n’est pas non plus déterminante en l’espèce. En effet, le Tribunal
rappelle que les intéressés n’ont pas rendu vraisemblables leurs motifs
d’asile antérieurs à leur départ d’Erythrée. Une autorisation d’entrée en
Suisse au titre de l’art. 20 al. 2 aLAsi étant d’emblée exclue dans un tel
cas, il n’incombe dès lors plus au Tribunal d’examiner la question
d’éventuels liens étroits avec la Suisse sous l’angle de l’art. 52 al. 2 aLAsi
(cf. consid. 4.2 et 4.3.5 supra).
E-91/2014, E-94/2014
Page 20
4.5 En définitive, c’est donc à bon droit que l’ODM a rejeté la demande
d’asile présentée à l’étranger et la demande d’autorisation d’entrer en
Suisse à ce titre, en application des art. 20 al. 2 et 52 al. 2 aLAsi.
5.
5.1 L’ODM n’ayant pas été saisi d’une demande d’entrée en Suisse au
titre de l’asile familial, le Tribunal n’a pas à examiner si les intéressés
peuvent bénéficier, par le biais des membres de leur famille résidant en
Suisse, d’un regroupement familial au sens de l’art. 51 LAsi (cf. arrêt du
Tribunal E-7185/2013 consid. 1.5). Au demeurant, le Tribunal relève que
l’application de cette disposition serait de toute manière exclue dans le
cas d’espèce, dans la mesure où aucun des membres de la famille des
recourants résidant en Suisse n’est au bénéfice du statut de réfugié dans
ce pays.
5.2 Les recourants ne remplissent en outre pas les conditions d’un
regroupement familial au sens de l’art. 85 al. 7 de la loi fédérale du
16 décembre 2005 sur les étrangers (LEtr, RS 142.20), celui-ci n’étant
possible que pour les conjoints et les enfants mineurs des personnes
admises provisoirement en Suisse.
6.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté, dans la mesure où il
est recevable, et la décision attaquée confirmée.
7.
Il est renoncé à un échange d’écritures (cf. art. 111a al. 1 LAsi).
8.
Au vu de l’issue de la cause, il y aurait lieu de mettre les frais de
procédure à la charge des recourants, conformément aux art. 63 al. 1 PA
et 2 et 3 let. b du règlement du 21 février 2008 concernant les frais,
dépens et indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral (FITAF,
RS 173.320.2). Compte tenu des particularités du cas d’espèce, il est
cependant renoncé exceptionnellement à la perception de frais (cf. art. 63
al. 1 dernière phr. PA et art. 6 let. b FITAF).

(dispositif page suivante)

E-91/2014, E-94/2014
Page 21
Par ces motifs, le Tribunal administratif fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2.
Il est statué sans frais.
3.
Le présent arrêt est adressé à la mandataire des recourants et à l’ODM.

La présidente du collège : Le greffier :

Emilia Antonioni Luftensteiner Thierry Leibzig