E-836/2011 - Abteilung V - Asile (non-entrée en matière / absence de documents) et renvoi
Karar Dilini Çevir:
E-836/2011 - Abteilung V - Asile (non-entrée en matière / absence de documents) et renvoi
Bundesverwaltungsgericht
Tribunal administratif fédéral
Tribunale amministrativo federale
Tribunal administrativ federal
Cour V
E-836/2011
Arrêt du 10 mai 2011
Composition Jean-Pierre Monnet (président du collège),
Claudia Cotting-Schalch, Bruno Huber, juges,
Céline Berberat, greffière.
Parties A._______, née le (…),
de nationalité indéterminée,
représentée par le Service d'Aide Juridique aux Exilé-e-s,
en la personne de (…)
recourante,
contre
Office fédéral des migrations (ODM),
Quellenweg 6, 3003 Berne,
autorité inférieure.
Objet Asile (non-entrée en matière) et renvoi ;
décision de l'ODM du 24 janvier 2011 / N (…).
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Vu
la demande d’asile déposée en Suisse par A._______ en date du 26 juin
2010,
le document qui lui a été remis le même jour et dans lequel l’autorité
compétente attirait son attention, d’une part, sur la nécessité de déposer
dans les 48 heures ses documents de voyage ou ses pièces d’identité, et,
d’autre part, sur l’issue éventuelle de la procédure en l’absence de
réponse concrète à cette injonction,
les procès-verbaux des auditions des 12 juillet et 21 décembre 2010,
la décision du 24 janvier 2011, notifiée le 26 janvier suivant, par laquelle
l’ODM, en se fondant sur l’art. 32 al. 2 let. a de la loi du 26 juin 1998 sur
l’asile (LAsi, RS 142.31), n’est pas entré en matière sur la demande
d’asile de la recourante, motif pris qu’elle n'avait produit aucun document
d’identité ou de voyage et qu’aucune des exceptions visées par l’art. 32
al. 3 LAsi n’était réalisée, a prononcé le renvoi de la recourante et
ordonné l’exécution de cette mesure,
l’acte du 1er février 2011, posté le lendemain, par lequel l'intéressée a
recouru contre cette décision, a conclu à son annulation et
subsidiairement au prononcé du'une admission provisoire,
la demande d'assistance judiciaire partielle dont il est assorti,
la réponse de l'ODM du 22 février 2011,
la réplique du 24 mars 2011 et ses annexes,
et considérant
qu'en vertu de l'art. 31 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal
administratif fédéral (LTAF, RS 173.32), le Tribunal administratif fédéral
(ci-après : le Tribunal) connaît des recours contre les décisions au sens
de l'art.5 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure
administrative (PA, RS 172.021),
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qu'en particulier, les décisions rendues par l'ODM concernant l'asile et le
renvoi – lesquelles n'entrent pas dans le champ d'exclusion de
l'art. 32 LTAF – peuvent être contestées devant le Tribunal conformément
à l'art.33 let. d LTAF et à l'art. 105 LAsi,
que le Tribunal est donc compétent pour connaître du présent litige,
qu'il statue de manière définitive (cf. art. 83 let. d ch. 1 de la loi du
17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral [LTF, RS 173.110), sauf demande
d'extradition déposée par l'Etat dont le requérant cherche à se protéger
(art. 83 let. d ch. 1 loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF, RS
173.110),
que la procédure devant le Tribunal est régie par la PA, pour autant que
la LTAF n'en dispose pas autrement (art. 37 LTAF), ni non plus la LAsi
(art. 6 LAsi),
que la recourante a qualité pour recourir (cf. art. 48 al.1 PA),
que le recours, interjeté dans la forme (cf. art. 52 PA) et le délai
(cf. art. 108 al.2 LAsi) prescrits par la loi, est recevable,
qu'en vertu de l'art. 32 al. 2 let. a LAsi, il n'est pas entré en matière sur
une demande d'asile si le requérant ne remet pas aux autorités, dans un
délai de 48 heures après le dépôt de sa demande, ses documents de
voyage ou ses pièces d'identité,
que cette disposition n’est applicable ni lorsque le recourant rend
vraisemblable que, pour des motifs excusables, il ne peut pas le faire, ni
si sa qualité de réfugié est établie au terme de l’audition, conformément
aux art. 3 et 7 LAsi, ni si l’audition fait apparaître la nécessité d’introduire
d’autres mesures d’instruction pour établir la qualité de réfugié ou pour
constater l’existence d’un empêchement à l’exécution du renvoi
(cf. art. 32 al. 3 LAsi) au sens de la jurisprudence (cf. ATAF 2009/50
consid. 5-8 p. 725-733),
que les conditions posées par l'art. 32 al. 3 let. a, b et c LAsi, empêchant
l'application de l'art. 32 al. 2 let. a LAsi (motifs justifiant la non-production
de documents, établissement de la qualité de réfugié ou nécessité de
procéder à des mesures d'instruction) sont de nature alternative,
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qu'il suffit ainsi que l'une d'elles soit réalisée pour que l'ODM doive entrer
en matière sur la demande d'asile et procéder à un examen circonstancié
de la cause, hors procédure sommaire,
qu'en l'occurrence, le Tribunal entend porter son examen sur la première
des exceptions prévues par l'art. 32 al. 3 et déterminer si la recourante
pouvait se prévaloir de motifs excusables à la non-production de ses
pièces d'identité,
que selon l'art. 1a de l'ordonnance 1 sur l'asile du 11 août 1999 (OA 1,
RS 142.311), constitue un document de voyage, tout document officiel
autorisant l'entrée dans l'Etat d'origine ou dans d'autres Etats, tel qu'un
passeport ou un document de voyage de remplacement (let. b), tandis
qu'est considéré comme pièce d'identité tout document officiel
comportant une photographie et délivré dans le but de prouver l'identité
du détenteur (let. c),
qu’en l'occurrence, la recourante, d'origine ethnique azéri et de religion
musulmane, a allégué être née à C._______ [Haut-Karabagh], de père
azerbaïdjanais (musulman) et de mère russe (orthodoxe),
qu'elle aurait vécu à D._______, en Azerbaïdjan, où elle aurait été
scolarisée et à C._______, où ses parents possédaient une résidence
secondaire,
qu'en 1988, elle aurait quitté son pays d'origine pour gagner la Russie
avec sa famille à cause de la guerre,
qu'en tant que ressortissante de l'ex-URSS, elle serait sans nationalité
depuis la dissolution de l'Union soviétique et la fin de la guerre entre
l'Azerbaïdjan et l'Arménie,
qu'elle n'aurait pas pu obtenir la nationalité russe, car sa famille n'avait
pas obtenu de "propiska" (estampille figurant dans le passeport interne,
constituant l’unique clé pour exister administrativement et bénéficier de
droits en Russie),
qu'en sus, sa famille n'avait pas pu déposer les documents nécessaires à
l'acquisition de la nationalité russe, car les archives de D._______
auraient été "annulées",
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qu'en 1998, à E._______ [Russie], elle aurait rencontré son compagnon,
B._______, ressortissant arménien,
qu'elle n'aurait toutefois pas été en mesure d'officialiser son union avec
son compagnon, car elle ne possédait pas de documents d'identité,
que le couple aurait vécu à divers endroits en Russie (…),
qu'en 2000, la recourante, alors enceinte de trois mois, aurait subi une
agression à caractère raciste en raison de son origine caucasienne, et
aurait perdu l'enfant qu'elle portait,
que le couple aurait subi une seconde agression à caractère raciste dans
un train de nuit, au cours de laquelle ils auraient été insultés et frappés,
que B._______ aurait quitté la Russie après avoir rencontré des
problèmes, en 2007 ou 2008, avec ses employeurs, membres d'une
organisation criminelle, qui l'auraient trompé en prétendant qu'ils
pouvaient lui remettre un passeport russe contre l'argent,
que peu après, la recourante aurait rejoint son ami en Suède, où elle a
déposé une demande d'asile, sous une identité d'emprunt, le 11 mars
2009, laquelle aurait été rejetée en décembre 2009,
qu'après l'expulsion de B._______ de Suède vers l'Arménie, l'intéressée
aurait été menacée en Suède par des Russes étant à la recherche de
son ami,
qu'enfin, elle aurait retrouvé son compagnon en France et le couple serait
entré clandestinement en Suisse le 26 juin 2010,
que la demande d'asile de A._______ et celle de B._______ étant de la
compétence d'Etats différents, en vertu du règlement (CE) no 343/2003 du
Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de
détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande
d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un
pays tiers – Etats dans lesquels les intéressés n'ont pas été considérés
comme un couple en l'absence de documents de mariage – ils ont été
admis en procédure d'asile suisse afin qu'ils ne soient pas séparés,
que la recourante a déposé au dossier une copie de son acte de
naissance,
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que dans la décision attaquée, l'ODM a considéré que la recourante était
de nationalité azerbaïdjanaise – bien que cette nationalité ne soit pas
mentionnée dans l'en-tête de la décision attaquée – dès lors que les
motifs de persécution ont été examinés par rapport à l'Azerbaïdjan, le
pays d'origine de l'intéressée, et que l'exécution de son renvoi a été
ordonné vers ce pays (cf. décision litigieuse, consid. I ch. 2 et consid. II
ch. 3 et 4),
qu'il a ensuite constaté que la recourante n'avait pas déposé de
documents au sens de art. 32 al. 2 let. a LAsi et 1 OA 1,
que cet office a considéré que l'explication fournie par la recourante,
selon laquelle elle ne pouvait pas récupérer sa nationalité
azerbaïdjanaise car les archives de l'administration de D._______
auraient été détruites, "ne correspondait pas à la réalité" et n'était dès lors
pas crédible,
que cependant, il n'a nullement motivé cette assertion, ni dans la décision
attaquée ni dans sa réponse du 22 février 2011, et n'a pas indiqué sur
quelles informations il se basait pour soutenir que les déclarations de
l'intéressée étaient contraires à la réalité,
que l'ODM aurait dû mentionner cette nationalité dans l'identité qu'il
estimait devoir retenir pour la recourante, et surtout exposer, par une
motivation claire et compréhensible, les motifs qui l'ont conduit à décider
que la recourante était citoyenne azerbaidjanaise et pouvait produire des
documents d'identité de son Etat d'origine,
qu'au contraire, selon les informations à disposition du Tribunal
(recueillies par sa section "expertises sur les pays" auprès de
l'Ambassade d'Azerbaïdjan en Suisse), une grande partie des archives
de de C._______ ont été brûlées durant la guerre avec l'Arménie et
celles de l'administration de D._______ ont été en partie effacées,
principalement les plus anciennes,
que l'appréciation de l'ODM selon laquelle la recourante n'avait pas perdu
sa nationalité azerbaïdjanaise, et était en mesure d'obtenir des papiers
nationaux d'identité, apparaît en l'état du dossier comme étant infondée,
qu'ensuite cet office a considéré que la recourante était également de
nationalité russe et n'avait fait valoir aucun motif excusable justifiant
l'absence de documents de voyage ou de pièces d'identité russes,
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que selon lui, il n'est pas vraisemblable que la recourante ait pu vivre plus
de vingt années en Russie sans disposer d'un passeport russe, dès lors
que ce document était indispensable pour effectuer des actes de la vie
quotidienne (postulation, location d'un appartement, obtention de soins
médicaux, etc.) et que des contrôles d'identité étaient régulièrement
effectués par les autorités, notamment envers les personnes d'apparence
caucasienne,
qu'une telle argumentation ne saurait cependant être suivie,
qu'en effet, il est notoire qu'un nombre important de personnes (y compris
des citoyens russes) vivent en Russie sans documents d'identité, ceci au
prix d'importantes difficultés au quotidien, en raison des carences du
système administratif,
que certes et comme évoqué par l'ODM, les citoyens d'ex-URSS, qui
résidaient de manière permanente en Russie au moment du vote de la loi
sur la nationalité en 1992, avaient la possibilité d'acquérir la nationalité
russe dans le cadre d'une procédure simplifiée,
que cependant, avant d'entamer une telle procédure, ces personnes
devaient être enregistrées auprès des autorités russes de leur lieu de
résidence permanente,
que les personnes qui n'étaient pas enregistrées et qui se trouvaient par
conséquent "en dehors du système", n'ont quant à elles pas pu acquérir
la nationalité russe par enregistrement,
qu'en l'état du dossier, il est plausible que la famille de la recourante n'a
pas été en mesure de déposer les documents exigés par les autorités
russes en vue de leur enregistrement, parce que les démarches auprès
de l'Ambassade de la République d'Azerbaïdjan n'ont pas abouti (cf. p.-v.
de l'audition du 21 décembre 2010 Q 6), en raison de l'incendie ayant
détruit pour partie les archives de l'administration de C._______ et de la
destruction des archives les plus anciennes de l'administration de
D._______,
qu'ainsi, il est fort possible que la recourante ait vécu en Russie sans y
être enregistrée faute d'avoir pu présenter les documents requis,
qu'en l'absence d'une instruction plus approfondie, l'ODM ne saurait
affirmer d'emblée que la recourante est citoyenne russe et par
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conséquent en mesure de présenter des documents d'identité (cf.
réponse du 22 février 2011 p. 2),
qu'il ressort de ce qui précède que l'ODM n'a pas motivé la décision
attaquée sur un point essentiel (la question de la nationalité
azerbaïdjanaise) ni instruit l'affaire sur un autre point essentiel (la
question de la nationalité russe),
que, dans ces conditions, l'exception prévue par l'art. 32 al. 3 let. a LAsi
est en l'état du dossier réalisée,
que l'ODM n'était donc pas autorisé à prononcer dans le présent cas une
décision de non-entrée en matière fondée sur l'art. 32 al. 2 let. a LAsi,
qu'en conséquence, le recours doit être admis, la décision du 24
janvier 2011 annulée et le dossier renvoyé à cet office pour qu'il entre en
matière sur la demande d'asile et rende une nouvelle décision,
que l'attention de l'ODM est attirée sur l'arrêt rendu ce jour dans l'affaire
connexe E-894/2011, et en particulier sur les considérants en matière de
renvoi du compagnon de la recourante,
qu'au vu de l'issue de la cause, il n'y a pas lieu de percevoir de frais de
procédure (cf. art. 63 al. 1 et al. 2 PA),
que partant, la demande d'assistance judiciaire partielle est sans objet,
qu'en l'espèce, la recourante a eu gain de cause en tant qu'elle a conclu
à l'annulation de la décision attaquée,
que conformément à l'art. 64 al. 1 PA, l'autorité de recours peut allouer,
d'office ou sur requête, à la partie qui a entièrement ou partiellement eu
gain de cause une indemnité pour les frais indispensables et relativement
élevés qui lui ont été occasionnés (cf. également l'art. 7 du règlement du
21 février 2008 concernant les frais, dépens et indemnités fixés par le
Tribunal administratif fédéral [FITAF, RS 173.320.2]),
que ceux-ci sont arrêtés à Fr. 600.-. sur la base du dossier, ex aequo et
bono, en l'absence d'un décompte de prestations du mandataire de la
recourante (cf. art. 14 al. 2 du règlement du 21 février 2008 concernant
les frais, dépens et indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral
(FITAF, RS 173.320.2),
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Le Tribunal administratif fédéral prononce:
1.
Le recours est admis.
2.
La décision du 24 janvier 2011 est annulée et la cause est renvoyée à
l'ODM pour nouvelle décision.
3.
Il n'est pas perçu de frais de procédure.
4.
L'ODM versera à la recourante un montant de Fr. 600.- pour ses dépens.
5.
Le présent arrêt est adressé au mandataire de la recourante, à l’ODM et
à l’autorité cantonale compétente.
Le président du collège : La greffière :
Jean-Pierre Monnet Céline Berberat
Expédition :