E-7008/2006 - Abteilung V - Asile et renvoi - Qualité de réfugie;Asile
Karar Dilini Çevir:
E-7008/2006 - Abteilung V - Asile et renvoi - Qualité de réfugie;Asile
Cour V
E-7008/2006/wan
{T 0/2}
A r r ê t d u 2 2 a o û t 2 0 0 8
Jean-Pierre Monnet (président du collège),
Maurice Brodard, Kurt Gysi, juges,
Isabelle Fournier, greffière.
A._______, né le (...),Irak,
(...),
recourant,
contre
Office fédéral des migrations (ODM),
Quellenweg 6, 3003 Berne,
autorité inférieure.
Asile; décision de l'ODM du 22 janvier 2002 / N _______.
B u n d e s v e r w a l t u n g s g e r i c h t
T r i b u n a l a d m i n i s t r a t i f f é d é r a l
T r i b u n a l e a m m i n i s t r a t i v o f e d e r a l e
T r i b u n a l a d m i n i s t r a t i v f e d e r a l
Composit ion
Parties
Objet
E-7008/2006
Faits :
A.
Le 8 avril 2000, le recourant a déposé une demande d'asile à
l'aéroport de Genève. Le 12 avril 2000, il a été autorisé par l'ODM à
entrer en Suisse. Il a ensuite été entendu sommairement par l'ODM, le
13 avril 2000, au Centre d'enregistrement de Genève. L'audition sur
ses motifs d'asile a eu lieu le 5 mai 2000 auprès de l'autorité
compétente du canton de (...), auquel il a été attribué.
Le recourant, qui s'était présenté démuni de toute pièce d'identité, a
déclaré venir du village de B._______, district de C._______ sis à une
demi-heure de voiture environ de Mossoul, dans la province de Ninive,
appartenir à la communauté chaldéenne catholique et parler l'araméen
(chaldéen), ainsi que l'arabe. Les auditions ont eu lieu en arabe.
Selon ses déclarations, il a toujours vécu avec ses parents à
B._______ village peuplé presque exclusivement de chaldéens
chrétiens, et ne comportant d'ailleurs, à l'époque, aucune mosquée.
Après obtention d'une licence universitaire de programmateur en
informatique, il aurait travaillé comme informaticien à Mossoul. Ses
problèmes auraient commencé durant son service militaire, entre
octobre et décembre 1997, une période d'entraînement de trois mois,
sans véritable incorporation à une unité. Les services secrets irakiens
auraient fait pression sur lui, pour qu'il accepte de travailler avec eux,
mais il aurait refusé de prolonger son service, car il avait justement
versé une certaine une somme d'argent pour être exempté de plus
amples obligations militaires. Après cette période, il aurait repris son
activité professionnelle, mais les services secrets auraient continué à
le harceler, l'accusant de collaborer avec les Kurdes, sous prétexte
que le patron, pour lequel il travaillait, avait des clients kurdes
originaires du nord du pays. En mai 1998, il aurait été emmené par la
sécurité et retenu trois jours, durant lesquels il aurait été, à plusieurs
reprises, frappé et interrogé sur leurs clients kurdes. Avant d'être
libéré, il aurait dû signer un document par lequel il s'engageait de ne
pas collaborer avec les Kurdes. En avril 1999 à nouveau, le
responsable du parti Baath l'aurait convoqué, lui aurait reproché de
travailler avec les Kurdes et aurait proféré des menaces de mort pour
le cas où il collaborerait avec un autre parti. Le (...) 2000, il aurait été
arrêté, puis détenu durant quarante jours par les services de
renseignements de Mossoul, accusé de complicité avec son patron,
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lequel aurait été appréhendé alors qu'il se rendait de Mossoul à
Dohuk, en possession de disquettes contenant des informations
importantes concernant l'Etat, qu'il entendait transmettre aux Kurdes.
Durant sa détention, le recourant aurait été à plusieurs reprises
brutalisé, de sorte que, affaibli psychologiquement et physiquement, il
aurait finalement dû être transféré dans un hôpital militaire, où il aurait
été soigné tout en demeurant prisonnier. Informé par un infirmier, son
père aurait réussi à le faire sortir de l'hôpital, moyennant versement
d'une somme d'argent et contre promesse de le ramener sur
réquisition des services de sécurité. Sur le conseil de ce dernier, il
aurait quitté son village le 20 mars 2000 et aurait, grâce à la complicité
de passeurs, rejoint le Kurdistan irakien, puis la Turquie. Le 8 avril
2000, il aurait pris l'avion à Istanbul à destination de la Suisse,
accompagné d'un passeur qui se serait occupé de toutes les
formalités et documents nécessaires.
Le recourant a ultérieurement déposé sa carte d'identité irakienne,
que des amis auraient réussi à lui faire parvenir.
B.
Par décision du 22 janvier 2002, l'ODM a rejeté la demande d'asile du
recourant, motif pris que ses déclarations ne satisfaisaient pas aux
exigences de vraisemblance énoncées par la loi, l'autorité inférieure
jugeant notamment non plausible le comportement des autorités
irakiennes à l'encontre de l'intéressé et considérant que l'examen de la
cause ne faisait ressortir aucun élément objectif permettant de
conclure à l'existence d'une crainte objectivement fondée de
préjudices pour des motifs politiques, religieux ou autres, déterminants
au regard de la loi. Sur ce point, l'ODM a retenu que le recourant
n'avait, selon ses propres déclarations, jamais exercé d'activités
politiques ni, en particulier, une quelconque activité d'opposition à
l'égard du gouvernement central. L'ODM a toutefois mis le recourant
au bénéfice d'une admission provisoire, eu égard au fait que celui-ci
venait de la zone contrôlée par le régime étatique central, n'avait
jamais vécu au nord de l'Irak, parlait uniquement le chaldéen et l'arabe
et ne disposait d'aucun réseau social dans la zone kurde.
C.
Le 20 février 2002, le recourant a formé recours contre cette décision,
en concluant à la reconnaissance de la qualité de réfugié et à l'octroi
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de l'asile, en contestant l'appréciation faite par l'ODM quant à
l'absence de vraisemblance de son récit.
D.
Invité à se prononcer sur le recours, l'ODM en a proposé le rejet, dans
une réponse succincte datée du 6 mars 2002.
E.
Par courrier du 18 janvier 2008, le recourant a déposé en cause un
mémoire complémentaire pour appuyer le maintien de ses conclusions
en matière d'asile, nonobstant les changements intervenus dans son
pays d'origine. Il a fait valoir que la situation de la minorité chaldéenne,
déjà victime de discriminations sous le régime de Saddam Hussein,
s'était sensiblement détériorée après la chute de celui-ci, que les
chrétiens étaient devenus la cible directe des groupes islamistes et
des milices armées, que plusieurs hommes d'Eglise avaient été
assassinés ou enlevés, que des familles avaient été menacées de
mort ou victimes d'extorsions de fonds suivant les régions. S'agissant
de sa situation personnelle, il a précisé que son frère aîné avait
également été contraint de quitter l'Irak, accompagné de sa famille et
avait obtenu en 2002 le statut de réfugié en Nouvelle-Zélande, qu'une
de ses soeurs avait fui au Liban en 2003, y avait été reconnue comme
réfugiée par le HCR et était maintenant installée aux Etats-Unis,
qu'une autre soeur avait, en 2004, rejoint leur frère en Nouvelle-
Zélande et qu'enfin ses parents et son frère cadet, les derniers à
demeurer en Irak, avaient été contraints de quitter le pays, en mai
2006, après avoir reçu de sérieuses menaces émanant d'un groupe
islamiste. En effet, son frère cadet, D._______, aurait travaillé un
certain temps pour le (...) ainsi que pour (...) à Mossoul, et aurait été
en contact direct avec des officiers américains et irakiens ; il aurait
également travaillé pour une société qui aurait obtenu des mandats
d'une société américaine active en Irak dans la reconstruction. Pour
cette raison, il aurait été la cible d'une attaque par balles lors d'un de
ses déplacements entre Kirkouk et Mossoul. Il en serait ressorti
indemne et aurait par la suite quitté son travail pour se consacrer à
des mandats privés de construction exigeant moins de déplacements.
Cependant, cette attaque aurait été suivie d'autres menaces, visant
également ses parents. Ceux-ci auraient été contactés à plusieurs
reprises par un membre d'un groupe islamiste se réclamant d'Al
Qaïda, parfaitement informé sur les activités de son frère et la
situation de la famille, qui aurait tenté de leur extorquer des fonds et
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les aurait menacés de mort en cas de non-paiement. Devant ces
menaces croissantes, ses parents et son frère auraient dû se résoudre
à quitter définitivement le pays, pour se réfugier en Jordanie. Son frère
aurait déposé plainte auprès du Tribunal de C._______ à la suite de
l'attentat dont il avait été victime, mais l'enquête n'aurait pas permis de
découvrir les responsables. Par ailleurs, le tribunal de C._______
aurait déclaré ne pouvoir donner suite à la demande de protection
déposée par son avocat, la police s'étant déclarée dans l'impossibilité
d'assurer une protection particulière dans son cas et déconseillé un
retour de la famille.
Outre un certain nombre de documents tirés d'internet, relatifs à la
situation de la minorité chaldéenne en Irak, le recourant a déposé
plusieurs moyens de preuve concernant sa situation personnelle et
celle des membres de sa famille. Il a ainsi versé au dossier, en
particulier, une photocopie de son certificat de baptême dans une
paroisse chaldéenne catholique de B._______ les copies de
documents d'identité des membres de sa famille, du passeport délivré
à son frère par la Nouvelle-Zélande, de documents délivrés par les
Etats-Unis aux membres de la famille de sa soeur, de documents
relatifs à l'activité de son frère à Mossoul, ainsi que d'une lettre
envoyée par son père depuis la Jordanie, exposant leur situation et les
raisons de leur départ d'Irak.
F.
Invitée à une seconde détermination, compte tenu des faits nouveaux
allégués par le recourant et des moyens de preuve nouveaux versés
au dossier, l'autorité inférieure a, par courrier du 13 mars 2008,
déclaré maintenir sa décision. Elle a soutenu que la communauté
chaldéenne d'Irak n'était pas l'objet, actuellement, d'une persécution
collective et que par ailleurs, il n'y avait pas lieu de conclure à
l'existence d'une menace concrète et actuelle pour le recourant, en
cas de retour dans son pays d'origine, puisque tous les membres de
sa famille avaient quitté l'Irak et que lui-même n'avait jamais été
impliqué dans les affaires de son frère.
G.
Le recourant s'est déterminé par courrier du 3 avril 2008. Soulignant le
récent assassinat de l'archevêque de Mossoul, un personnage
éminent, à la tête d'un diocèse particulièrement important, il a soutenu
qu'il y avait lieu de reconnaître l'existence d'une persécution collective
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contre les chrétiens d'Irak, quasiment réduits à quitter le pays pour
échapper à la mort, comme en témoignaient divers observateurs de la
situation. Il a également déposé la copie d'un tract de menaces à
l'endroit des chrétiens, distribué en 2004 déjà à Mossoul, émanant de
groupes islamistes. Il a, par ailleurs, fait valoir que la persécution
familiale était une pratique très répandue en Irak, dans de très
nombreux contextes, et qu'il n'y avait aucune raison de penser qu'il ne
serait pas lui-même également visé, comme l'avaient été ses parents,
en raison des activités de son frère. Il a joint à son courrier un nombre
important de documents tirés d'internet relatant des attentats ou
autres actes de violence visant la communauté chaldéenne d'Irak.
H.
Par courrier du 5 mai 2008, le recourant a encore versé au dossier
trois documents reçus de son frère D._______, à savoir une lettre de
ce dernier, accompagnée d'un courrier daté d'avril 2008, reçu de
l'avocat mandaté à la suite de l'agression dont il avait été victime et
d'une lettre du Tribunal de C._______, du 18 mars 2008, adressée
audit avocat au sujet de cette affaire, expliquant les motifs pour
lesquels ce tribunal ne pouvait donner suite à sa demande de
protection.
I.
Les autres faits de la cause seront évoqués si nécessaire dans les
considérants qui suivent.
Droit :
1.
1.1 En vertu de l'art. 31 de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le
Tribunal administratif fédéral (LTAF, RS 173.32), le Tribunal
administratif fédéral connaît des recours contre les décisions au sens
de l'art. 5 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure
administrative (PA, RS 172.021). En particulier, les décisions rendues
par l'ODM concernant l'asile peuvent être contestées devant le
Tribunal administratif fédéral conformément à l'art. 33 let. d LTAF; elles
n'entrent pas dans le champ d'exclusion de l'art. 32 LTAF. Partant, les
recours contre de telles décisions, qui étaient pendants devant
l'ancienne Commission suisse de recours en matière d'asile, sont
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également traités dès le 1er janvier 2007 par le Tribunal administratif
fédéral (art. 53 al. 2 phr. 1 LTAF). Le Tribunal administratif fédéral est
donc compétent pour connaître de la présente cause ; il statue de
manière définitive (cf. art. 83 let. d ch. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral
du 17 juin 2005, LTF, RS 173.10).
1.2 Le recourant a qualité pour recourir (art. 48 PA). Présenté dans la
forme (art. 52 PA) et le délai (art. 50 PA) prescrits par la loi, le recours
est recevable.
1.3 Le nouveau droit de procédure s’applique (art. 53 al. 2 phr. 2
LTAF); la procédure devant le Tribunal administratif fédéral est régie
par la PA, pour autant que la LTAF n'en dispose pas autrement (art. 37
LTAF).
2.
Le Tribunal administratif fédéral applique le droit d'office, sans être lié
par les motifs invoqués (cf. art. 62 al. 4 PA) ni par l'argumentation
juridique développée dans la décision entreprise (cf. PIERRE MOOR, Droit
administratif, vol. II, 2e éd., Berne 2002, p. 265). La procédure est
régie par la maxime inquisitoire, ce qui signifie que le Tribunal
administratif fédéral définit les faits et apprécie les preuves d'office et
librement (cf. art. 12 PA). Les parties doivent toutefois collaborer à
l'établissement des faits (art. 13 PA; voir aussi art. 8 LAsi) et motiver
leur recours (art. 52 PA). En conséquence, l'autorité judiciaire saisie se
limite en principe aux griefs soulevés et n'examine les questions de
droit non invoquées que dans la mesure où les arguments des parties
ou le dossier l'y incitent (ATF 122 V 157 consid. 1a, ATF 121 V 204
consid. 6c; Jurisprudence des autorités administratives de la
Confédération [JAAC] 61.31 consid. 3.2.2; ALFRED KÖLZ / ISABELLE HÄNER,
Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 2e
éd., Zurich 1998 n. 677).
3.
3.1 Sont des réfugiés les personnes qui, dans leur Etat d'origine ou
dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux
préjudices ou craignent à juste titre de l'être en raison de leur race, de
leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe
social déterminé ou de leurs opinions politiques. Sont notamment
considérées comme de sérieux préjudices la mise en danger de la vie,
de l'intégrité corporelle ou de la liberté, de même que les mesures qui
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entraînent une pression psychique insupportable. Il y a lieu de tenir
compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes (art. 3 al. 1 et 2
LAsi).
3.2 Quiconque demande l’asile (requérant) doit prouver ou du moins
rendre vraisemblable qu'il est un réfugié. La qualité de réfugié est
vraisemblable lorsque l'autorité estime que celle-ci est hautement
probable. Ne sont pas vraisemblables notamment les allégations qui,
sur des points essentiels, ne sont pas suffisamment fondées, qui sont
contradictoires, qui ne correspondent pas aux faits ou qui reposent de
manière déterminante sur des moyens de preuve faux ou falsifiés
(art. 7 LAsi).
3.3 La crainte face à des persécutions à venir, telle que comprise à
l'art. 3 LAsi, contient un élément objectif, au regard d'une situation
ancrée dans les faits, et intègre également dans sa définition un
élément subjectif. Sera reconnu comme réfugié, celui qui a de bonnes
raisons, c'est-à-dire des raisons objectivement reconnaissables pour
un tiers (élément objectif), de craindre (élément subjectif) d'avoir à
subir selon toute vraisemblance et dans un avenir prochain une
persécution (cf. Jurisprudence et informations de la Commission
suisse de recours en matière d'asile [JICRA] 2000 n° 9 consid. 5a p.
78 et JICRA 1997 n ° 10 consid. 6 p. 73 ainsi que les références de
jurisprudence et de doctrine citées). Sur le plan subjectif, il doit être
tenu compte des antécédents de l'intéressé, notamment de l'existence
de persécutions antérieures, et de son appartenance à un groupe
ethnique, religieux, social ou politique l'exposant plus particulièrement
à de telles mesures; en particulier, celui qui a déjà été victime de
mesures de persécution a des raisons objectives d'avoir une crainte
(subjective) plus prononcée que celui qui en est l'objet pour la
première fois (cf. JICRA 1994 n° 24 p. 171ss et JICRA 1993 n° 11 p.
67ss). Sur le plan objectif, cette crainte doit être fondée sur des
indices concrets qui peuvent laisser présager l'avènement, dans un
avenir peu éloigné et selon une haute probabilité, de mesures
étatiques déterminantes selon l'art. 3 LAsi. Il ne suffit pas, dans cette
optique, de se référer à des menaces hypothétiques, qui pourraient se
produire dans un avenir plus ou moins lointain (cf. JICRA 2004 no 1
consid. 6a p. 9, JICRA 1993 n° 21 p. 134ss et JICRA 1993 n° 11
p. 67ss ; ALBERTO ACHERMANN / CHRISTINA HAUSAMMANN, Les notions d'asile
et de réfugié en droit suisse, in : Walter Kälin (éd.), Droit des réfugiés,
enseignement de 3e cycle de droit 1990, Fribourg 1991, p. 44 ;
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ACHERMANN / HAUSAMMANN, Handbuch des Asylrechts, 2e éd.,
Berne/Stuttgart 1991, p. 108ss ; WALTER KÄLIN, Grundriss des
Asylverfahrens, Bâle/Francfort-sur-le-Main 1990, p. 126 et 143ss ;
SAMUEL WERENFELS, Der Begriff des Flüchtlings im schweizerischen
Asylrecht, Berne 1987, p. 287ss).
4.
4.1 En l'occurrence, le recourant a allégué, lors du dépôt de sa
demande d'asile en 2002, avoir subi de sérieux préjudices de la part
des autorités irakiennes, en particulier des services secrets du régime
de Saddam Hussein, en raison de son refus de travailler avec eux et
surtout des soupçons de collaboration avec les Kurdes nourris à son
encontre. Il n'est pas nécessaire de trancher ici la question de la
vraisemblance, niée par l'ODM, des allégués du recourant sur ce point.
Quoi qu'il en soit, les motifs d'asile invoqués à l'époque sont en tout
état de cause devenus obsolètes, en raison de la chute du régime de
Saddam Hussein, en mars 2003 (cf. JICRA 2000 no 2 consid. 8
p. 20ss).
4.2 Le recourant fait cependant valoir qu'en tant que chrétien, il serait
en cas de retour dans son pays d'origine, victime de sérieux
préjudices au sens de la loi sur l'asile, compte tenu également de sa
situation familiale, des reproches faits à son frère d'avoir collaboré
avec les Américains et des menaces proférées contre sa famille par un
groupe islamiste.
4.2.1 Le recourant soutient que les chaldéens font l'objet, en Irak, et
en particulier dans la région de Mossoul, d'une persécution collective.
Il a déposé à l'appui de ses conclusions un nombre important de
documents tirés en grande partie d'internet, relatifs à des
enlèvements, des meurtres ou d'autres incidents violents ayant eu
pour cible des membres de cette communauté. Il est, en effet, de
notoriété que de très nombreuses personnalités chaldéennes de cette
région ont fait l'objet d'enlèvements, voire ont été assassinées. Le
Tribunal ne nie pas non plus que de nombreux membres de cette
minorité ont été victimes de menaces ou d'extorsions de fonds et
qu'on assiste par ailleurs à une certaine péjoration de la situation à cet
égard. Toutefois, le concept même de persécution collective exige que
les mesures de persécution soient ciblées, fréquentes et durables, et
soient, en principe, dirigées contre tous les membres de la
communauté visée, de telle sorte que chacun d'entre eux éprouve une
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crainte fondée d'être lui-même persécuté avec une grande probabilité.
En d'autres termes, ces mesures doivent avoir le caractère ciblé et le
degré d'intensité exigés par l'art. 3 LAsi, ce qui suppose la
connaissance (ou du moins la perception) des intentions des auteurs
de la persécution, ainsi que la présence d'autres circonstances
particulières. En outre, il appartient au requérant d'apporter la preuve
des faits déterminants, à moins que ceux-ci soient notoirement
connus ; le fardeau de la preuve de la persécution collective lui échoit,
conformément à l'art. 7 LAsi, de sorte qu'il supporte les conséquences
de l'échec de la preuve (cf. JICRA 2006 n° p. 1ss et no 17 p. 174ss,
JICRA 1995 no 1 consid. 6 p. 10ss; SAMUEL WERENFELS, Der Begriff des
Flüchtlings im Schweizerischen Asylrecht, Berne 1987, p. 210). En
l'occurrence, le Tribunal constate que la situation de la communauté
chaldéenne d'Irak n'est pas la même dans l'ensemble du pays ; en tout
état de cause, cette communauté ne paraît pas être victime de
persécutions ciblées, fréquentes et dirigées contre l'ensemble de ses
membres dans les trois provinces kurdes du nord de l'Irak ni même à
Bagdad. Le Tribunal n'entend toutefois pas trancher ici définitivement
la question de savoir si on doit, au vu de l'évolution de la situation,
reconnaître l'existence en Irak d'une persécution collective contre les
chaldéens. En l'occurrence, il apparaît, de toute façon, qu'il faut
reconnaître un risque de persécution ciblée contre le recourant en
raison de sa situation personnelle.
4.2.2 Les moyens de preuve versés au dossier prouvent à la fois
l'appartenance du recourant à la minorité chaldéenne et le fait que les
membres de sa famille ont quitté l'Irak, tous éléments dont l'autorité
inférieure n'a d'ailleurs pas mis en doute la véracité lorsqu'elle s'est
déterminée sur les nouveaux allégués du recourant (cf. let. F ci-
dessus). S'agissant des activités de son frère D._______, le recourant
a déposé à l'appui de ses dires divers documents, en particulier la
copie d'une attestation relative à un mandat confié par une société
américaine active en Irak à une société dont son frère était
représentant, ainsi qu'une photographie montrant ce dernier aux côtés
de deux membres de l'armée américaine. Il a en outre versé au
dossier une lettre adressée par son frère D._______ depuis la
Jordanie, accompagnée d'une lettre de l'avocat que ce dernier avait
mandaté ainsi que d'une communication du Tribunal de C._______
relative à la plainte déposée à la suite de l'attaque par balles
perpétrée contre son véhicule, attribuée à un groupe islamiste et à sa
demande de protection. Le recourant a également déposé une lettre
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manuscrite de son père. Ce dernier explique avoir reçu, au mois d'avril
2006, un appel téléphonique de la part d'une personne prétendant
appeler depuis l'Arabie Saoudite et faire partie du groupe d'Al Qaïda
en Mésopotamie ; cette personne lui aurait ordonné d'être présent le
lendemain à la même heure pour recevoir un appel d'un des leurs
basé en Irak et de n'avertir personne, sous peine de mort. Le
lendemain, il aurait effectivement reçu cet appel d'une personne se
réclamant du même groupe, visiblement très informée sur leur
situation financière, la coopération de D._______ avec les Américains
et la garde nationale, et encore sur le fait que les autres membres de
la famille étaient partis à l'étranger. Elle aurait exigé le paiement de
50 000 dollars pour les moudjahidines. Ces appels, émanant du même
interlocuteur ou d'autres se disant camarades de ce dernier, se
seraient répétés, associés à des menaces de plus en plus sérieuses,
de sorte qu'il aurait pris la décision de fuir en Jordanie au début mai
2006, avec son épouse et son fils D._______, abandonnant maison et
biens en Irak.
Il ne peut être exclu que certains de ces documents soient des
documents de complaisance. Cependant, les moyens de preuve
produits constituent, pour le moins, un faisceau d'indices rendant
plausible que son frère a été perçu, en raison à la fois de ses
fréquentations et de son appartenance à la minorité chaldéenne,
comme une personne proche des Américains et qu'il était, en
conséquence, devenu la cible d'extrémistes. En outre, les événements
décrits sont compatibles avec le contexte socio-politique régnant à
l'époque dans la région, spécialement à Mossoul où des groupes
criminels et des clans islamistes, militants d'Al Qaïda, s'en prenaient
quasiment impunément aux chrétiens (cf. en partic. MICHELLE ZUMHOFEN,
Situation des minorités religieuses dans les provinces de
Souleymanieh, Erbil et Dohouk, administrées par le gouvernement
régional du Kurdistan, rapport OSAR, Berne, 10 janvier 2008). Partant,
le Tribunal considère, à ce stade du raisonnement, que le recourant a
rendu vraisemblables les faits nouveaux allégués pour justifier le
maintien de ses conclusions. Il reste à apprécier si ces faits sont
pertinents pour la reconnaissance de sa qualité de réfugié et l'octroi
de l'asile.
4.2.3 L'autorité inférieure a considéré que le recourant lui-même
n'avait pas à craindre de subir de sérieux préjudices dès lors qu'il
n'avait pas été mêlé aux activités de son frère D._______. De l'avis du
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Tribunal en revanche, la crainte du recourant est objectivement fondée.
Il a, en effet, rendu vraisemblable que sa famille avait été la cible d'un
groupe islamiste très bien informé. Il ne s'agissait pas d'une attaque
aveugle contre des chrétiens, mais bien d'une tentative d'extorsion de
fonds et de menaces concrètes et ciblées visant les membres de sa
famille - non seulement en raison des liens de D._______ avec les
Américains, mais aussi en raison de son appartenance religieuse - à
qui il a été fait reproche de ne pas apporter de support financier aux
moudjahidines. Cela étant, il est sérieusement à craindre que le
recourant fasse l'objet de menaces analogues. Cela est d'autant plus à
redouter qu'il serait le seul membre de la famille à retourner au pays et
pourrait être, pour cette raison, victime de représailles des personnes
qui avaient proféré de sérieuses menaces contre ses proches.
4.2.4 Il reste à déterminer si le recourant pourrait obtenir dans sa
région de provenance une protection adéquate de la part des autorités
en place, voire s'il bénéficierait d'une possibilité de refuge interne dans
son pays d'origine, excluant le besoin de protection internationale.
4.2.4.1 En l'espèce, le Tribunal arrive à la conclusion que les autorités
présentes dans la région d'origine du recourant n'ont pas la capacité
d'accorder à ce dernier une protection appropriée, au sens de la
jurisprudence (cf. JICRA 2006 no 18 consid. 10.3. p. 203ss). A cet
égard, il importe peu de savoir quelles autorités exercent de facto,
dans la région de C._______, dont provient le recourant, la puissance
publique en tant qu'organes étatiques parties intégrantes et éléments
constitutifs de l'Etat avec lequel ils ne forment qu'une personne unique
(cf. RAYMOND CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la Théorie générale de
l'Etat, Paris, rééd 1962 tome II p. 390) ou d'organes quasi-étatiques
(cf. JICRA 2006 no 18 consid. 10.2, p. 202s, no 15 consid. 12
p. 127ss). Autrement dit, il n'est pas nécessaire de trancher la
question de savoir si la situation dans la région de C._______ doit être
assimilée à celle de l'Etat central (qui a été analysée par le Tribunal
dans le cadre de l'arrêt D-4404/2006 du 2 mai 2008 en la cause A c./
ODM, destiné à publication sous ATAF 2008/12 p. 149ss), ou si une
autre appréciation plus nuancée s'impose en raison de l'influence des
groupes islamistes dans la ville de Mossoul ou encore si la région doit
être considérée comme assimilable à celle des provinces kurdes, du
fait que les autorités kurdes exercent de facto leur pouvoir au-delà des
limites des provinces du nord, en particulier dans certaines parties de
la plaine de Ninive. Quoi qu'il en soit, vu le contexte politique, vu
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l'assiduité avec laquelle le groupe terroriste paraît avoir pris pour cible
son frère, puis les autres membres de sa famille encore au pays, on
ne saurait affirmer que le recourant peut recourir, dans sa région
d'origine, à une infrastructure étatique ou quasi-étatique revêtant une
certaine stabilité et durabilité, et apte à lui apporter une protection
efficiente et à laquelle il serait légitime qu'il fasse appel.
Le recourant a déposé comme moyen de preuve un courrier reçu par
l'avocat de son frère du Tribunal de C.________, selon lequel "après
avoir consulté la Direction de police de C.________ (département de
la lutte contre le terrorisme)", dit tribunal confirme qu'il n'est pas
possible d'assurer une protection particulière à son frère "parce qu'il
reste menacé par les groupes terroristes, étant donné qu'il est connu
tant par les autorités que par la société civile pour avoir travaillé avec
les forces multinationales et le gouvernement irakien". Des mesures
d'instruction d'une certaine ampleur seraient nécessaires pour vérifier
si ce document est authentique ou non et s'il a ou non été établi par
complaisance, voire obtenu par corruption. Le Tribunal estime qu'il
n'est pas nécessaire d'y procéder. Dès lors que les faits nouveaux
allégués par le recourant ont été considérés comme vraisemblables,
qu'il est donc admis que sa famille, chrétienne, financièrement aisée, a
été menacée de manière tout à fait ciblée et avec assiduité - la lettre
de son père fait état de plusieurs appels téléphoniques à leur domicile
- par un groupe terroriste apparemment très au courant des activités
de son frère et de la situation des différents membres de la famille, il
faut admettre qu'il serait illusoire pour le recourant, d'espérer obtenir
une protection adéquate de la part des autorités présentes à
C._______, quelles qu'elles soient. Dans un tel contexte, il doit être
considéré que lesdites autorités, à supposer qu'elles en aient la
volonté, n'ont, en tous les cas, pas la possibilité d'apporter au
recourant - lequel appartient à un groupe de population minoritaire et
non musulman - la protection appropriée.
4.2.5 Enfin, le Tribunal ne saurait en l'espèce conclure à une
possibilité, pour le recourant, de fuir le risque de persécution en
s'installant dans les provinces kurdes du nord de l'Irak. Dans un arrêt
de principe relativement récent, il a considéré que, pour les Arabes et
autres Irakiens non kurdes qui ne sont pas originaires des provinces
kurdes du nord de l'Irak (Dohuk, Erbil et Suleimaniya), l'éventuelle
possibilité d'un refuge interne dans ces régions doit être examinée de
manière individualisée, sans présumer automatiquement que ceux-ci y
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disposent de la liberté d'établissement (cf. ATAF 2008/5 p. 57ss en
partic. consid. 7.5.8p. 72s). En l'occurrence, force est de constater que
le recourant, qui a quitté son pays depuis plus de huit ans, n'a jamais
vécu dans ces régions et n'y dispose pas de réseau social ou familial
apte à le soutenir, ni de personne pouvant servir de garantie pour son
installation. A cela s'ajoute que, si de nombreux chrétiens demeurés
en Irak ont trouvé refuge dans les provinces administrées par le
gouvernement général du Kurdistan (KRG), les observateurs notent
qu'ils y sont de plus en plus exposés à des discriminations, tant sur le
plan de l'emploi ou du logement, traités comme des "étrangers" par la
population et victimes de menaces ou des violences de la part
notamment de Union islamique du Kurdistan (cf. en partic. ZUMHOFEN,
op. cit. p. 14-15; PAUL TIEDEMANN, Nichtmuslimische Minderheiten im Irak
- Ein Reisebericht, octobre 2007, Informationsverbund Asyl, Asyl-
magazin 11/2007; voir aussi ATAF 2008/5 précité, consid. 5.1 p. 61s).
Enfin, il est clair qu'au vu de la situation régnant dans le reste du pays,
le recourant ne dispose pas non plus d'une alternative de fuite interne
dans les provinces de l'Etat central (cf. arrêt précité D-4404/2006 du 2
mai 2008, à paraître sous ATAF 2008/12 p. 149ss).
5.
Au vu de ce qui précède, la qualité de réfugié doit être reconnue au
recourant en application des art. 3 et 7 LAsi. Le dossier ne fait
apparaître aucun élément susceptible de constituer un motif
d'exclusion de la qualité de réfugié au sens de l'art. 1 F de la
Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (Conv.
réfugiés, RS 0.142.30). Par ailleurs, le dossier ne fait pas non plus
apparaître d'éléments constitutifs d'un motif d'indignité, au sens de
l'art. 53 LAsi. Partant, le recours doit être admis, la décision du
22 janvier 2002 annulée et le dossier renvoyé à l'ODM afin qu'il
reconnaisse la qualité de réfugié du recourant et, partant, lui octroie
l'asile conformément à l'art. 2 LAsi.
6.
Vu l'issue de la procédure, il n'est pas perçu de frais (art. 63 al. 1 PA).
7.
Il n'y a pas lieu non plus d'allouer des dépens au recourant, lequel
n'est pas représenté et n'est pas réputé avoir eu à assumer des frais
élevés pour la défense de sa cause (art. 64 al. 1. PA).
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Par ces motifs, le Tribunal administratif fédéral prononce :
1.
Le recours est admis.
2.
La décision de l'ODM du 22 janvier 2002 est annulée.
3.
L'ODM est invité à reconnaître la qualité de réfugié au recourant et à
lui accorder l'asile.
4.
Il n'est pas perçu de frais.
5.
Il n'est pas alloué de dépens.
6.
Le présent arrêt est adressé :
- au recourant (par courrier recommandé)
- à l'ODM, division séjour et aide au retour (en copie), avec dossier
N _______
- au canton de (...) (en copie).
Le président du collège : La greffière :
Jean-Pierre Monnet Isabelle Fournier
Expédition :
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