E-5924/2011 - Abteilung V - Renvoi et exécution du renvoi (recours réexamen)
Karar Dilini Çevir:
E-5924/2011 - Abteilung V - Renvoi et exécution du renvoi (recours réexamen)
B u n d e s v e rw a l t u ng s g e r i ch t
T r i b u n a l ad m i n i s t r a t i f f éd é r a l
T r i b u n a l e am m in i s t r a t i vo f e d e r a l e
T r i b u n a l ad m i n i s t r a t i v fe d e r a l





Cour V
E-5924/2011



A r r ê t d u 2 8 f é v r i e r 2 0 1 2
Composition

Jean-Pierre Monnet (président du collège),
Yanick Felley, Daniel Willisegger, juges,
Isabelle Fournier, greffière.



Parties

A._______, né le (…), son épouse
B._______, née le (…), et leur enfant
C._______, né le (…),
Bosnie et Herzégovine,
représentés par le Service d'Aide Juridique aux Exilé-e-s
(SAJE), en la personne de (…),
recourants,



contre


Office fédéral des migrations (ODM),
Quellenweg 6, 3003 Berne,
autorité inférieure.


Objet

Exécution du renvoi (recours contre une décision
en matière de réexamen) ;
décision de l'ODM du 27 septembre 2011 / N (…).


E-5924/2011
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Faits :
A.
Les recourants ont déposé, le 4 septembre 2009, une demande d'asile en
Suisse. Bosniaques musulmans, ils ont déclaré venir de (...), un village de
la municipalité de (...), dans le canton de Tuzla, en Fédération croato-
musulmane. Le recourant a notamment déclaré avoir été témoin
d'atrocités, en 1995, lors d'un bombardement sur Zivinice qui avait touché
le camp où sa famille s'était réfugiée. Ces événements l'auraient
traumatisé au point qu'il en ferait des cauchemars et souffrirait de crises
d'angoisses.
En 1997, il est retourné s'installer dans la maison familiale à (...), vivant
de petits travaux. En 2001, il s'est marié avec la recourante. Les deux ont
déclaré n'avoir jamais eu, durant ce temps, de problèmes avec les
autorités ni avec qui que ce soit d'ailleurs, inquiets seulement de la
proximité de leur domicile avec la frontière serbe. Finalement, démunis,
sans espoir d'emploi et atteints dans leur santé, ils s'étaient résolus à
venir en Suisse.
B.
Par décision du 23 septembre 2009, l'ODM a rejeté la demande d'asile
des recourants au motif qu'essentiellement dus à des difficultés d'ordre
socio-économique, les préjudices qu'ils alléguaient n'entraient pas dans
le champ de l'art. 3 de la loi du 26 juin 1998 sur l’asile (LAsi, RS 142.31).
Il a également prononcé leur renvoi de Suisse, qu'il a estimé licite,
raisonnablement exigible et possible.
C.
Par acte déposé le 20 octobre 2009, les intéressés ont recouru contre la
décision de l'ODM du 23 septembre 2009. Ils ont confirmé avoir fui les
difficultés matérielles auxquelles ils étaient sans cesse confrontés dans
leur pays, et ont ajouté être surtout partis à cause de l'incapacité des
autorités de la Fédération croato-musulmane de Bosnie à les protéger
contre les agressions (verbales et physiques) de leurs voisins serbes. Ils
ont conclu à l'octroi de l'asile.
Au cours de cette procédure, ils ont déposé plusieurs rapports médicaux
concernant l'état de santé du recourant, indiquant qu'il souffrait d'un état
de stress post-traumatique [F43.1 selon CIM-10 (indication de catégories
cliniques selon la "Classification internationale des troubles mentaux et
des troubles du comportement" de l'Organisation mondiale de la santé)]
ayant entrainé une modification durable de la personnalité après une
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expérience de catastrophe (F62.0). Il était également relevé un possible
trouble de la personnalité (F60). Le recourant présentait notamment des
troubles du sommeil avec des cauchemars répétés à raison de deux à six
épisodes hebdomadaires, des épisodes d'angoisse paroxystiques et des
troubles de la concentration, de l'attention et de la mémoire. La
médication incluait un antidépresseur (Cipralex 10mg/jour) et un
neuroleptique sédatif (Risperdal 1mg/jour) dans l'attente d'une
psychothérapie étalée sur plusieurs mois, voire plusieurs années.
D.
Par arrêt E-6620/2009 du 8 avril 2011, le Tribunal a rejeté le recours du
20 octobre 2009, estimant que les motifs de fuite allégués par les
recourants au stade du recours ne répondaient pas aux exigences en
matière de vraisemblance posées par la loi. Il a prononcé le renvoi des
recourants, qu'il a estimé licite, raisonnablement exigible et possible. Il a
en effet retenu que l'état de santé du recourant n'atteignait pas un degré
de gravité tel qu'il constituerait un obstacle à l'exécution de son renvoi au
sens de l'art. 83 al. 4 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les
étrangers (LEtr, RS 142.20). Il a relevé que la médication nécessaire à
ses affections était disponible en Bosnie et Herzégovine, où il pouvait
également bénéficier d'une psychothérapie, à plus ou moins long terme.
E.
Le (…) 2011, la recourante a donné naissance à leur enfant.
F.
Par acte du 12 juillet 2011, les recourants ont sollicité le réexamen de la
décision de l'ODM du 23 septembre 2009, en matière d'exécution du
renvoi, au motif que, depuis l'arrêt du Tribunal du 8 avril 2011, leur état de
santé s'était aggravé de telle sorte qu'il constituait une modification
notable des circonstances rendant désormais inexigible l'exécution de
leur renvoi. Ils ont demandé à être mis au bénéfice de l'admission
provisoire.
Ils ont déposé un certificat médical concernant le recourant, daté du
6 mai 2011, attestant que ce dernier était hospitalisé au département de
psychiatrie de (...) depuis le 22 avril 2011 pour une durée indéterminée et
qu'il était temporairement en incapacité de travail. Ils ont également fourni
un rapport médical de (...), daté du 29 avril 2011, concernant la
recourante, suivie depuis le 4 février 2011. Selon ce rapport, elle
présentait un trouble anxieux généralisé (F41.1), accompagné d'un
probable trouble de l'adaptation, réaction mixte anxieuse et dépressive
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(F43.22), et bénéficiait de séances de psychothérapie avec un traitement
psychiatrique intégré et un traitement pharmacologique, à savoir deux
anxiolytiques (Temesta 1mg/jour et 10 gouttes/jour de Sanalepsi).
G.
Par courrier du 27 juillet 2011, les recourants ont déposé un rapport
médical de (...), daté du 22 juillet 2011, concernant A._______. Selon ce
rapport, il présentait un trouble de l'adaptation avec réaction mixte
anxieuse et dépressive (F43.22), qui s'ajoutait au précédent diagnostic. Il
était indiqué que le patient s'était présenté, le 21 avril 2011, aux services
des urgences psychiatriques de (...), dans un état d'angoisse majeure et
un repli sur lui-même depuis l'annonce d'expulsion du territoire. Une
tentative de prise en charge ambulatoire avait tout d'abord été proposée,
avec introduction d'un traitement anxiolytique par Temesta (2,5mg/jour).
Le patient s'était cependant représenté le lendemain dans un état de
tension extrême et une hospitalisation sur un mode volontaire avait été
décidée, pour mise à l'abri d'un risque auto- et/ou hétéro-agressif, du
22 avril au 16 mai 2011, à l'hôpital psychiatrique de (...). Durant son
séjour, le patient était très vigilant. Il n'établissait pas de contact visuel
avec son thérapeute, était extrêmement tendu, présentait des
mouvements stéréotypés et un tremblement. La thymie était abaissée. Le
traitement médicamenteux a été augmenté lors de son hospitalisation, à
savoir Cipralex 40mg/jour, Risperdal 4mg/jour et Temesta 12,5mg/jour.
H.
Par décision du 27 septembre 2011, l'ODM a rejeté la demande de
réexamen des recourants. Il a estimé que l'aggravation de l'état de santé
du recourant résultait de l'annonce d'expulsion du territoire suisse et ne
constituait pas un obstacle à l'exécution du renvoi. En outre, il a retenu
que les troubles psychiques de la recourante avaient été invoqués
tardivement, dès lors qu'elle était suivie depuis le mois de février 2011 et
qu'elle aurait dû, en faisant preuve de la diligence requise, invoquer ce
motif au cours de la procédure ordinaire. Il a estimé au surplus que ses
troubles n'étaient pas de nature à rendre illicite l'exécution de son renvoi.
I.
Par acte déposé le 27 octobre 2011, les intéressés ont recouru contre la
décision de l'ODM du 27 septembre 2011. Ils ont conclu à la
reconnaissance du caractère inexigible de l'exécution de leur renvoi et au
prononcé d'une admission provisoire. Ils ont également sollicité la
suspension de l'exécution de leur renvoi à titre de mesures
provisionnelles et l'assistance judiciaire partielle.
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Ils ont soutenu que le dépôt du rapport médical concernant la recourante
ne pouvait être tenu pour tardif, dès lors que l'établissement d'un
diagnostic psychiatrique prenait nécessairement du temps et que la
recourante s'était ainsi trouvée dans l'impossibilité objective de verser ce
moyen de preuve au cours de la procédure ordinaire devant le Tribunal.
Ils ont également soutenu que l'ODM avait, à tort, retenu que
l'aggravation de l'état de santé du recourant résultait de la décision de
renvoi. Ils ont souligné la symptomatologie importante présentée par le
recourant, de nature à faire obstacle à son intégration sociale et à
l'empêcher d'assumer sa famille au quotidien, ainsi que le risque de
violences conjugales sérieux si le traitement mis en place en Suisse
devait être interrompu. Enfin, ils ont fait valoir qu'ils n'auraient pas accès
aux soins médicaux psychiatriques en raison du coût et de l'indisponibilité
de ceux-ci dans leur pays d'origine.
Ils ont joint à leur recours une attestation de la commune de (...) indiquant
qu'ils ne disposaient d'aucun bien immobilier.
J.
Par ordonnance du 2 novembre 2011, le Tribunal a suspendu l'exécution
du renvoi à titre de mesures provisionnelles.
K.
Dans sa réponse succincte du 23 novembre 2011, l'ODM a proposé le
rejet du recours.
L.
Les autres faits ressortant du dossier seront évoqués si nécessaire dans
les considérants qui suivent.

Droit :
1.
1.1. En vertu de l’art. 31 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal
administratif fédéral (LTAF, RS 173.32), le Tribunal connaît des recours
contre les décisions au sens de l’art. 5 de la loi fédérale du 20 décembre
1968 sur la procédure administrative (PA, RS 172.021). En particulier, les
décisions rendues par l’ODM en matière d'asile et de renvoi - lesquelles
n'entrent pas dans le champ d'exclusion de l'art. 32 LTAF - peuvent être
contestées devant le Tribunal conformément à l'art. 33 let. d LTAF
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(disposition applicable en vertu du renvoi prévu à l’art. 105 LAsi). Le
Tribunal est donc compétent pour connaître du présent litige. Il statue de
manière définitive, en l'absence d'une demande d’extradition déposée par
l’Etat dont les recourants cherchent à se protéger (cf. art. 83 let. d ch. 1
de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral [LTF, RS 173.110]),
exception non réalisée en l'espèce.
1.2. Les recourants ont qualité pour recourir (cf. art. 48 al. 1 PA).
Présenté dans la forme (cf. art. 52 PA) et le délai (cf. art. 108 al. 1 LAsi)
prescrits par la loi, leur recours est recevable.
2.
2.1. La demande de réexamen (aussi appelée demande de nouvel
examen ou de reconsidération), définie comme une requête non soumise
à des exigences de délai ou de forme, adressée à une autorité
administrative en vue de la reconsidération de la décision qu'elle a prise
et qui est entrée en force, n'est pas expressément prévue par la PA. La
jurisprudence et la doctrine l'ont cependant déduite de l'art. 4 de la
Constitution fédérale du 29 mai 1874, qui correspond, sur ce point, à
l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst., RS 101) et
de l'art. 66 PA, qui prévoit le droit de demander la révision des décisions
sur recours (cf. ATAF 2010/27 consid. 2.1 p. 367 et réf. cit.).
2.2. En principe, une demande de réexamen ne constitue pas une voie
de droit (ordinaire ou extraordinaire). Partant, l'ODM n'est tenu de s'en
saisir que dans deux situations : lorsqu'elle constitue une "demande de
reconsidération qualifiée", à savoir lorsqu'une décision n'a pas fait l'objet
d'un recours (ou que le recours interjeté contre celle-ci avait été déclaré
irrecevable) et que le requérant invoque un des motifs de révision prévus
à l'art. 66 PA, applicable par analogie, ou lorsqu'elle constitue une
"demande d'adaptation", à savoir lorsque le requérant se prévaut d'un
changement notable de circonstances depuis le prononcé de la décision
concernée ou, en cas de recours, depuis le prononcé de l'arrêt sur
recours (cf. ATAF 2010/27 consid. 2.1 p. 367 s. et jurisp. cit.).
2.3. La demande d'adaptation tend à faire adapter par l'autorité de
première instance sa décision parce que, depuis son prononcé, s'est
créée une situation nouvelle dans les faits qui constitue une modification
notable des circonstances. Conformément au principe de la bonne foi, le
requérant ne peut pas, par le biais d'une telle demande, invoquer des
faits qu'il aurait pu invoquer précédemment en faisant preuve de la
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diligence requise (cf. ATAF 2010/27 consid. 2.1.1 p. 368 ; JICRA 2000
n° 5 p. 44 ss).
2.4. Selon la jurisprudence, le caractère subsidiaire de la procédure de
nouvel examen signifie que s'il y a eu décision sur recours, seule la
procédure de révision est ouverte pour invoquer des faits nouveaux
antérieurs à la dernière décision au fond ou des nouveaux moyens de
preuve tendant à établir de tels faits (Jurisprudence et informations de la
Commission suisse de recours en matière d'asile [JICRA] 1995 n° 21
consid. 1c p.204).
3.
3.1. En l'espèce, les recourants invoquent leurs problèmes médicaux
d'ordre psychiatrique, plus précisément l'aggravation de ceux-ci depuis
l'arrêt E-6620/2009 du Tribunal du 8 avril 2011, de telle sorte que
l'exécution de leur renvoi serait désormais inexigible au sens de l'art. 83
al. 4 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers (LEtr,
RS 142.20).
3.2. Concernant tout d'abord la situation du recourant, celui-ci, après
s'être présenté aux urgences psychiatriques de (...) le 22 avril 2011 dans
un état de stress extrême, a été volontairement hospitalisé en milieu
fermé pour une durée de trois semaines. Durant son séjour à l'hôpital, sa
médication – un antidépresseur et un neuroleptique sédatif – a été
fortement augmentée (doses multipliées par quatre) et un anxiolytique a
été introduit. Au diagnostic précédemment posé, le médecin a ajouté un
trouble de l'adaptation avec réaction mixte anxieuse et dépressive. Le
pronostic reste le même et les symptômes ne présentent aucune
amélioration. L'état de santé du recourant s'est donc, dans une certaine
mesure, effectivement péjoré, depuis le prononcé de l'arrêt du Tribunal du
8 avril 2011. Il reste à examiner si cette péjoration constitue une
modification notable des circonstances justifiant l'annulation de la
décision de l'ODM en matière d'exécution du renvoi.
3.3. Aux termes de l’art. 83 al. 4 LEtr, l’exécution de la décision peut ne
pas être raisonnablement exigée si le renvoi ou l’expulsion de l’étranger
dans son pays d’origine ou de provenance le met concrètement en
danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence
généralisée ou de nécessité médicale. L’autorité à qui incombe la
décision doit dans chaque cas confronter les aspects humanitaires liés à
la situation dans laquelle se trouverait l’étranger concerné dans son pays
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après l’exécution du renvoi à l’intérêt public militant en faveur de son
éloignement de Suisse (ATAF 2009/52 consid. 10.1 et ATAF 2007/10
consid. 5.1).
S'agissant plus spécifiquement des personnes en traitement médical en
Suisse, l'exécution du renvoi ne devient inexigible, en cas de retour dans
leur pays d'origine ou de provenance, que dans la mesure où elles ne
pourraient plus recevoir les soins essentiels garantissant des conditions
minimales d'existence ; par soins essentiels, il faut entendre les soins de
médecine générale et d'urgence absolument nécessaires à la garantie de
la dignité humaine (cf. GABRIELLE STEFFEN, Droit aux soins et
rationnement, Berne 2002, p. 81 s. et 87). L'art. 83 al. 4 LEtr, disposition
exceptionnelle tenant en échec une décision d'exécution du renvoi, ne
saurait en revanche être interprété comme une norme qui comprendrait
un droit de séjour lui-même induit par un droit général d'accès en Suisse
à des mesures médicales visant à recouvrer la santé ou à la maintenir, au
simple motif que l'infrastructure hospitalière et le savoir-faire médical
dans le pays d'origine ou de destination de l'intéressé n'atteint pas le
standard élevé qu'on trouve en Suisse (cf. JICRA 1993
n° 38 p. 274 s.).
Il ne suffit pas en soi de constater, pour admettre l'inexigibilité de
l'exécution du renvoi, qu'un traitement prescrit sur la base de normes
suisses ne pourrait être poursuivi dans le pays de l'étranger. En effet, ce
qui compte, c'est l'accès à des soins, cas échéant alternatifs, qui, tout en
correspondant aux standards du pays d'origine, sont adéquats à l'état de
santé de l'intéressé, fussent-ils d'un niveau de qualité, d'une efficacité de
terrain (ou clinique) et d'une utilité (pour la qualité de vie) moindres que
ceux disponibles en Suisse ; en particulier, des traitements médi-
camenteux (par exemple constitués de génériques) d'une génération plus
ancienne et moins efficaces peuvent, selon les circonstances, être
considérés comme adéquats.
Si les soins essentiels nécessaires peuvent être assurés dans le pays
d'origine ou de provenance de l'étranger concerné, cas échéant avec
d'autres médications que celles prescrites en Suisse, l'exécution du
renvoi sera raisonnablement exigible. Elle ne le sera plus au sens de
l'art. 83 al. 4 LEtr si, en raison de l'absence de possibilités de traitement
adéquat, l'état de santé de l'intéressé se dégraderait très rapidement au
point de conduire d'une manière certaine à la mise en danger concrète de
sa vie ou à une atteinte sérieuse, durable, et notablement plus grave de
son intégrité physique (cf. GOTTFRIED ZÜRCHER, Wegweisung und
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Fremdenpolizeirecht : die verfahrensmässige Behandlung von
medizinischen Härtefällen, in : Schweizerisches Institut für Verwaltungs-
kurse, Ausgewählte Fragen des Asylrechts, Lucerne 1992).
3.4. En l'occurrence, le médecin a ajouté au précédent diagnostic du
recourant le trouble de l'adaptation avec réaction mixte anxieuse et
dépressive (F43.22). Ce trouble se définit, selon CIM-10, comme un état
de détresse et de perturbation émotionnelle, avec une prédominance
simultanée de symptômes anxieux et dépressifs, entravant le
fonctionnement et les performances sociales, survenant au cours d'une
période d'adaptation à un changement existentiel important ou à un
événement stressant. La prédisposition et la vulnérabilité individuelles
jouent un rôle important dans la survenue de ce trouble et de sa
symptomatologie. Il débute habituellement dans le mois qui suit la
survenue d'un événement stressant ou d'un changement particulièrement
marquant dans la vie du sujet, et ne persiste guère au delà de six mois.
Ainsi, le diagnostic posé par le médecin du recourant confirme que l'état
de tension extrême dans lequel ce dernier s'est présenté aux urgences
psychiatriques et l'augmentation conséquente de sa médication résultent
d'un événement stressant, en l'occurrence l'annonce du renvoi du
territoire helvétique. La fragilité psychologique du recourant a sans aucun
doute favorisé une telle réaction, ajoutée à l'incertitude quant à son avenir
et celui de sa famille en Suisse et au contexte socio-administratif précaire
dans lequel il se trouve. Le Tribunal n'entend pas minimiser les
appréhensions que peut ressentir le recourant face à la perspective d'un
renvoi dans son pays d'origine, mais il relève toutefois que l'on ne saurait,
de manière générale, prolonger indéfiniment son séjour en Suisse au seul
motif que la perspective d'un retour exacerbe un état psychologique
perturbé. Le Tribunal est en effet conscient des risques de rechutes que
peut entraîner une décision négative, mais estime néanmoins qu'il
appartient à l'intéressé, avec l'aide de ses thérapeutes, de poursuivre les
traitements instaurés dans le but de l'aider à appréhender au mieux son
retour dans son pays d'origine.
S'agissant des médicaments prescrits, les médecins ont certes augmenté
les doses et introduit un anxiolytique en réaction à l'état de stress
extrême dans lequel le recourant se trouvait lors de son hospitalisation,
mais la médication est, pour le reste, restée inchangée. Or, le Tribunal a
déjà jugé, dans son arrêt du 8 avril 2011 (qui bénéficie de la force et de
l'autorité de chose jugée), que ces médicaments étaient disponibles en
Bosnie et Herzégovine et a rappelé que le recourant pouvait solliciter
l'octroi d'une aide médicale au retour, laquelle peut se présenter
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notamment sous la forme de médicaments, pour empêcher une
éventuelle rupture du traitement médicamenteux à son retour dans son
pays d'origine qui serait liée au délai d'attente pour une prise en charge
auprès d'un spécialiste (cf. art. 93 al. 1 let. d LAsi, art. 75 al. 3 et art. 77
de l’ordonnance 2 du 11 août 1999 sur l’asile relative au financement
[OA 2, RS 142.312]).
Par conséquent, la dégradation de l'état de santé du recourant ne peut
être retenue comme suffisamment importante au point d'admettre une
modification notable des circonstances depuis le prononcé de l'arrêt
E-6620/2009 du Tribunal du 8 avril 2011.
3.5. Concernant la situation de la recourante, l'ODM lui a reproché de ne
pas avoir fait preuve de la diligence requise, de sorte qu'il a tenu pour
tardive l'invocation des troubles psychiques de l'intéressée et s'est ainsi
limité à analyser la question de l'exécution de son renvoi sous l'angle de
la licéité. Les recourants ont soutenu que l'établissement d'un diagnostic
psychiatrique prenait du temps et qu'ils avaient été par conséquent dans
l'impossibilité objective de verser ce moyen de preuve au cours de la
procédure ordinaire devant le Tribunal.
3.5.1. Le Tribunal constate que les troubles invoqués sont antérieurs à
l'arrêt sur recours rendu le 8 avril 2011, puisqu'il s'agit d'affections
psychiatriques pour lesquelles la recourante suit un traitement
psychothérapeutique depuis le 4 février 2011. Par conséquent, la
question se pose de savoir si l'ODM était légitimé à entrer en matière ou
si, au contraire, il aurait dû transmettre la demande sur ce point au
Tribunal, en tant que demande de révision. Cependant, la question de la
qualification (demande de réexamen, de la compétence de l'ODM ou
demande de révision de la compétence du Tribunal), comme celle de
savoir si l'allégation des faits et la production du moyen de preuve sont
tardives – et par conséquent reprochables aux recourants –, peuvent
rester indécises en l'espèce. En effet, les troubles de la recourante, tels
que décrits dans le rapport médical du 29 avril 2011, n'apparaissent de
toute façon pas déterminants, que l'on examine les troubles invoqués
sous l'angle restreint de l'art. 83 al. 3 LEtr (licéité), à l'instar de l'ODM, ou
en tant qu'obstacle à l'exigibilité de l'exécution du renvoi.
3.5.2. Le trouble anxieux généralisé de la recourante, accompagné d'un
probable trouble de l'adaptation, résulte, selon le rapport médical, de
deux principaux facteurs, à savoir, d'une part, la précarité de la situation
sociale de sa famille en Suisse avec le risque imminent d'un renvoi dans
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leur pays d'origine et, d'autre part, la crainte de ne pas mener sa
grossesse à terme ou d'avoir un enfant handicapé ou mort-né. A cela
s'ajoutent les violences verbales au sein du couple en raison des troubles
psychiques du recourant qui se répercutent sur son épouse. Sa
doctoresse la décrit comme une personne très anxieuse avec une
symptomatologie fluctuante. Son état est jugé stationnaire.
Le Tribunal relève que les circonstances se sont modifiées depuis la
rédaction du rapport médical, puisque la recourante a donné naissance à
son enfant le (...) 2011. Ses craintes quant au bon déroulement de sa
grossesse n'ont donc plus lieu d'être, de sorte qu'un des facteurs de son
état d'angoisse a disparu. Ensuite, sa réaction quant à l'incertitude de la
situation de sa famille en Suisse et la précarité de cette situation n'est pas
inhabituelle chez les personnes ayant reçu une réponse négative à leur
demande de protection. Il appartient à la recourante, avec l'aide son
thérapeute, de se préparer au mieux en vue de son retour dans son pays
d'origine. En outre, il n'est pas exclu qu'un retour dans son
environnement culturel et linguistique d'origine, ainsi que dans son
entourage familial, puisse avoir des effets bénéfiques sur son trouble
anxieux.
Par ailleurs, si les affections de la recourante devaient persister au-delà
de son retour dans son pays d'origine, le Tribunal rappelle qu'il existe, en
Bosnie et Herzégovine, des institutions et du personnel spécialisés, ainsi
que des médicaments, voire des possibilités de suivre des thérapies. Des
cliniques psychiatriques sont présentes dans les grandes villes ainsi
qu'un réseau d'une cinquantaine de "Community Mental Health Center".
Force est de reconnaître que les délais d'attente, dus à la surcharge de
travail des membres du personnel de ces institutions, sont longs.
Toutefois, de nombreuses ONG existent également et ont développé des
programmes pour offrir essentiellement un soutien psychosocial aux
personnes traumatisées. Bien que leurs capacités soient également
limitées, des traitements ambulatoires sont possibles. Ainsi, la recourante
dispose notamment, à Tuzla, du Centre pour thérapie et réhabilitation
Vive Žene ("Long Live Women") dont la mission est notamment de fournir
un soutien psycho-social, ainsi qu'une protection contre tout type de
violences (voir à ce sujet le site de l'organisation : ,
consulté le 10 février 2011). Dès lors, la recourante aurait la possibilité de
recourir aux services dispensés par cette ONG, située dans son canton
de résidence, si le besoin devait se présenter. Par ailleurs, son traitement
médicamenteux - deux anxiolytiques faiblement dosés - est disponible en
Bosnie et Herzégovine. Par conséquent, le Tribunal ne peut retenir que
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les troubles de la recourante constituent un empêchement à l'exécution
de son renvoi.
3.6. Enfin, les recourants ont également allégué le risque sérieux de
violences auto- et/ou hétéro-agressives en cas d'interruption du
traitement du recourant, dont tant son épouse que son enfant pourraient
devenir victimes. Comme le Tribunal l'a relevé dans son arrêt du 8 avril
2011 et comme rappelé ci-avant, les institutions spécialisées en Bosnie et
Herzégovine sont surchargées, de telle sorte que le recourant ne pourra
vraisemblablement pas bénéficier, dans l'immédiat, d'un suivi psycholo-
gique de retour dans son pays d'origine, voire d'une même prise en
charge en cas d'urgence. Cependant, la médication mise en place en
Suisse vise à la fois le traitement symptomatique de la dépression et celui
des états anxieux, tensionnels et d'excitation. Elle pourra être poursuivie
sans interruption dans le pays d'origine, ce qui assurera tout de même
une certaine stabilité au recourant et une réduction des risques pour
l'épouse et l'enfant. En outre, la recourante est censée pouvoir compter
sur le soutien de leur réseau familial au pays. Notamment, la mère du
recourant, ainsi que les deux frères de ce dernier habitent à (...), le village
des intéressés, et la recourante entretient de bons rapports avec ses
parents et son frère. De retour dans son pays d'origine, celle-ci ne se
retrouvera donc pas totalement démunie. Elle bénéficiera également, si
nécessaire, du centre d'accueil spécialisé Vive Žene à Tuzla. Ainsi, le
risque d'actes auto- et/ou hétéro-agressifs ne constituent pas un obstacle
suffisant à l'exécution du renvoi des recourants.
4.
4.1. Au vu de ce qui précède, le Tribunal arrive à la conclusion que
l'évolution de l'état de santé des recourants ne constitue pas une
modification notable des circonstances qui justifierait de reconsidérer la
décision de l'ODM du 23 septembre 2009 en tant qu'elle prononce
l'exécution de leur renvoi.
4.2. Il s'ensuit que le recours doit être rejeté et la décision de l'ODM du
27 septembre 2011 confirmée.
5.
Vu l'issue de la cause, il y aurait lieu de mettre les frais de procédure à la
charge des recourants, conformément aux art. 63 al. 1 PA et 2 et 3 let. b
du règlement du 21 février 2008 concernant les frais, dépens et
indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral (FITAF,
E-5924/2011
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RS 173.320.2). Toutefois, les conclusions du recours n'étant pas
apparues, d'emblée, vouées à l'échec et les recourants ayant établi leur
indigence, la demande d'assistance judiciaire partielle est admise
(cf. art. 65 al. 1 PA). Il est donc renoncé à la perception des frais de
procédure.
6.
Avec le présent prononcé, les mesures provisionnelles prononcées par
ordonnance du 2 novembre 2011 prennent fin.


(dispositif page suivante)
E-5924/2011
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Par ces motifs, le Tribunal administratif fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
La demande d'assistance judiciaire partielle est admise.
3.
Il n'est pas perçu de frais de procédure.
4.
Le présent arrêt est adressé aux recourants, à l'ODM et à l'autorité
cantonale compétente.

Le président du collège : La greffière :

Jean-Pierre Monnet Isabelle Fournier


Expédition :