E-5623/2006 - Abteilung V - Asile et renvoi - Renvoi;Exécution du renvoi
Karar Dilini Çevir:
E-5623/2006 - Abteilung V - Asile et renvoi - Renvoi;Exécution du renvoi
Cour V
E-5623/2006
{T 0/2}
A r r ê t d u 1 2 j u i l l e t 2 0 1 0
Maurice Brodard (président du collège),
François Badoud, Gabriela Freihofer, juges,
Edouard Iselin, greffier.
A._______,
alias A._______,
Turquie,
représentée par (...),
recourante,
contre
Office fédéral des migrations (ODM),
Quellenweg 6, 3003 Berne,
autorité inférieure.
Asile et renvoi ; décision de l'ODM du 18 octobre 2006 /
N (...).
B u n d e s v e r w a l t u n g s g e r i c h t
T r i b u n a l a d m i n i s t r a t i f f é d é r a l
T r i b u n a l e a m m i n i s t r a t i v o f e d e r a l e
T r i b u n a l a d m i n i s t r a t i v f e d e r a l
Composit ion
Parties
Objet
E-5623/2006
Faits :
A.
Accompagnée par une parente éloignée, A._______ est entrée en
Suisse le 26 juillet 2005, où elle a rejoint ses grands-parents paternels
et leur famille, qui avaient déjà demandé l'asile à ce pays.
B.
Le 28 juillet 2005, la grand-mère de l'intéressée, B._______, a été
interrogée sur les circonstances de la venue de sa petite-fille en
Suisse. La tutrice de l'enfant était également présente lors de cette
audition.
B._______ a expliqué qu'il s'agissait de l'enfant de son fils C._______.
Sa petite-fille, qu'elle n'avait plus revue depuis sa naissance, avait tout
d'abord été élevée par sa mère en Turquie, qui l'avait abandonnée
pour rejoindre les rangs du PKK. Elle avait alors été confiée à sa
famille maternelle. Celle-ci, qui ne voulait plus s'en occuper, avait
demandé que la famille paternelle en prenne désormais soin. Son fils
C._______, qui s'était marié en Hollande où il avait trois autres en-
fants, était en mauvaise santé et ne pouvait pas s'occuper d'elle.
B._______ a encore déclaré qu'elle désirait que sa petite-fille pût
rester avec elle en Suisse comme requérante d'asile.
Vu le jeune âge de l'enfant, il a été renoncé à une audition directe.
C.
Le 2 août 2005, C._______ s'est rendu dans les locaux de l'autorité
cantonale compétente. Il est en particulier ressorti de l'entretien, qui
s'est déroulé, et auquel la tutrice de sa fille a aussi participé,
qu'il vivait en Hollande depuis (...), dont il disposait désormais de la
nationalité. Il avait divorcé, il y a quatre mois, et était actuellement à la
recherche d'un nouvel appartement. Il avait confié sa fille à ses
parents, car il n'avait pas la possibilité de s'en occuper actuellement.
D.
En date du 24 août 2005, l'ODM s'est adressé à la tutrice pour savoir
si elle avait des informations plus précises sur le père de sa pupille,
sur son lieu de séjour actuel et sur son projet de vie familiale.
Cet office lui a aussi demandé si elle estimait opportun d'entreprendre
des démarches afin de réunir cette enfant avec son père.
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E.
En date du 5 septembre 2005, la tutrice a envoyé à l'ODM un rapport
où elle a mentionné que C._______ vivait en Hollande, pays dont il
avait obtenu la nationalité par mariage. Son épouse, avec laquelle il
avait eu trois enfants, n'avait pas accepté d'accueillir chez eux
A._______. Suite à leur séparation il y a quelques mois, il avait
entrepris des démarches officielles auprès des autorités hollandaises
pour faire venir sa fille de Turquie. Compte tenu de sa situation person-
nelle et familiale, les autorités hollandaises avaient toutefois considéré
que l'encadrement dont pouvait bénéficier sa fille n'était pas adéquat
et avaient refusé sa demande. Il se serait alors tourné vers ses pro-
pres parents, afin qu'ils l'accueillent en Suisse, à sa place.
La tutrice a encore relevé qu'il ne lui semblait pas opportun de
procéder à des démarches visant à réunir A._______ et son père en
Hollande. Les relations affectives et l'attention dont elle bénéficiait de
la part de ses grands-parents et de leurs enfants étaient très fortes,
elle-même étant très heureuse de vivre avec eux et souhaitant rester
dans la famille. Elle entretenait des rapports beaucoup plus distants
avec son père, qu'elle n'avait que peu vu, ce dernier reconnaissant du
reste qu'il lui serait actuellement très difficile de bien s'occuper de sa
fille.
F.
Par décision du 18 octobre 2006, notifiée à la tutrice le 23 du même
mois, l'ODM a rejeté la demande d'asile de l'intéressée.
Dit office a relevé que l'examen du dossier ne faisait apparaître aucun
motif d'asile personnel au sens de l'art. 3 de la loi sur l'asile du 26 juin
1998 (LAsi, RS 142.31) et que les conditions requises pour un
regroupement familial, au sens de l'art. 51 al. 2 LAsi n'étaient pas
remplies en l'occurrence. S'agissant du renvoi, cet office a relevé que
l'exécution de cette mesure en Hollande, où vivait son père, était licite,
raisonnablement exigible et possible.
G.
Par acte remis à la poste le 22 novembre 2006, la mandataire,
nouvellement désignée par la tutrice de l'intéressée, a interjeté
recours auprès de la Commission suisse de recours en matière d’asile
(Commission) contre la décision précitée. Elle a conclu,
principalement, à son annulation et à l'octroi de l'asile ainsi que,
subsidiairement, au constat du caractère illicite et non
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raisonnablement exigible de l'exécution du renvoi et au prononcé d'une
admission provisoire, le tout sous suite de frais et dépens. Elle a
également demandé l'assistance judiciaire totale.
S'agissant de la question de l'asile, la recourante a fait valoir,
en substance, qu'elle faisait partie d'une famille connue pour son
engagement politique et pouvait de ce fait se prévaloir d'une crainte
fondée de persécution réfléchie. Tant son père - qui avait obtenu l'asile
en Allemagne (...) en raison de son engagement en faveur du PKK
- que son grand-père étaient recherchés par les autorités turques.
Quant à sa mère, elle était également active pour ce parti.
En ce qui concerne le renvoi, il a été allégué, en substance,
que l'exécution de cette mesure, qui arracherait l'intéressée au
nouveau cadre familial et social stable et sécurisant créé en Suisse,
serait contraire au bien de l'enfant. S'agissant d'un éventuel renvoi en
Hollande, il a été mentionné que son père, qui ne l'avait pratiquement
jamais vue, qui se trouvait actuellement dans une situation précaire
suite à son divorce et qui souffrait de troubles physiques et
psychiques, ne pouvait pas lui assurer un encadrement adéquat.
Du reste, au vu de sa situation, un tel renvoi en Hollande n'était pas
non plus exécutable, les conditions légales pour obtenir une
autorisation de séjour dans cet Etat au titre du regroupement familial
n'étant pas réalisées.
Divers moyens de preuve ont été joints au mémoire de recours,
dont en particulier un rapport détaillé de la tutrice, établi le
14 novembre 2006. Celle-ci y a relevé les liens affectifs
particulièrement forts entre A._______ et les membres de la famille de
ses grands-parents ainsi que son intégration réussie en Suisse. Elle a
également invoqué qu'au vu de la situation de son père en Hollande,
un renvoi n'était actuellement pas possible ni souhaitable à moyen ou
à long terme pour aucune des deux parties concernées.
H.
Par décision incidente du 28 novembre 2006, la Commission a rejeté
la demande d'assistance judiciaire totale, mais a par contre accordé
l'assistance judiciaire partielle.
I.
Le 6 février 2007, la recourante a versé au dossier divers documents
concernant C._______, dont une lettre de sa plume où celui-ci déclare
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ne pas être en mesure de s'occuper de sa fille, en particulier en raison
de ses problèmes de santé.
J.
Invité à se prononcer sur le recours, l'ODM en a préconisé le rejet
dans sa réponse du 21 février 2007. Il a relevé que l'intérêt de l'enfant
commandait en premier lieu qu'il puisse vivre auprès de l'un de ses
parents.
K.
Dans sa réplique du 21 mars 2007, la recourante a invoqué que toutes
les personnes qui s'occupaient actuellement d'elle arrivaient unanime-
ment à la conclusion qu'elle devait être laissée dans le cadre familial
existant en Suisse. A l'appui de ses dires, elle a versé au dossier un
rapport du 13 mars 2007 de son nouveau tuteur.
L.
Par courrier du 14 mars 2008, la recourante a produit une copie d'un
courrier adressé au Tribunal administratif fédéral (ci-après, le Tribunal)
dans le cadre de l'instruction de la procédure de recours de ses
grands-parents. Il en ressortait notamment qu'aux dernières nouvelles,
C._______ se trouvait en Irak afin de défendre la cause kurde.
M.
Par arrêt du (...) 2009, le Tribunal a invité l'ODM à reconnaître la
qualité de réfugiés aux grands-parents de la recourante et à leurs
enfants et à leur accorder l'asile.
N.
Invité à se prononcer une deuxième fois sur le recours, l'ODM en a de
nouveau préconisé le rejet dans sa réponse du 27 avril 2009.
Il a relevé que l'argument, selon lequel le père de la recourante
ne résidait plus en Hollande, était une simple affirmation qui n'était
étayée par aucune pièce ayant valeur probante. Une copie de cet écrit
a été transmise à la recourante, pour information.
O.
Divers documents concernant l'intéressée ont été versés au dossier
par courrier du 2 juin 2009. Il en ressortait en particulier qu'elle
souffrait de troubles du sommeil, d'une perte de poids, de difficul tés
d'apprentissage ainsi que d'anxiété possiblement liée à son statut
précaire et qu'elle était suivie par un service médico-psychologique.
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P.
Le 7 juillet 2009, un rapport du tuteur, établi cinq jours plus tôt, a été
versé au dossier. Il en ressortait que sa pupille connaissait
d'importantes difficultés d'apprentissage causées probablement par
une crainte "abandonnique". En outre, elle était suivie dans un service
psychiatrique pour des problèmes d'endormissement et d'agitation et
avait aussi besoin d'un traitement orthophonique. Le tuteur a aussi fait
valoir que la crainte d'être séparée de la famille de ses grands-parents
en cas de rejet de sa demande d'asile fragilisait grandement sa pupille
et que l'état d'incertitude dans lequel elle se trouvait semblait
engendrer une augmentation des symptômes anxiogènes.
Q.
Les autres faits de la cause seront évoqués, si nécessaire, dans les
considérants en droit.
Droit :
1.
1.1 Le Tribunal statue de manière définitive sur les recours contre les
décisions, au sens de l'art. 5 de la loi fédérale du 20 décembre 1968
sur la procédure administrative (PA, RS 172.021), rendues en matière
d'asile et de renvoi (art. 105 LAsi, en relation avec les art. 31 à 33 de
la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral [LTAF, RS
173.32] ; art. 83 let. d ch. 1 de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le
Tribunal fédéral [LTF, RS 173.110]).
1.2 Les recours qui étaient pendants devant l'ancienne Commission
sont traités depuis le 1er janvier 2007 par le Tribunal dans la mesure
où il est compétent (art. 53 al. 2 phr. 1 LTAF).
1.3 Le nouveau droit de procédure s’applique (art. 53 al. 2 phr. 2
LTAF).
1.4 L'intéressée a qualité pour recourir (art. 48 let. a PA, dans sa
version antérieure au 1er janvier 2007). Présenté dans la forme
(art. 52 al. 1 PA) et le délai (art. 50 PA, dans sa version antérieure au
1er janvier 2007) prescrits par la loi par une représentante dont le
mandat a été valablement constitué (cf. procuration de la tutrice du
31 octobre 2006), le recours est recevable.
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2.
2.1 Sont des réfugiés les personnes qui, dans leur Etat d'origine ou
dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux
préjudices ou craignent à juste titre de l'être en raison de leur race, de
leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe
social déterminé ou de leurs opinions politiques. Sont notamment
considérées comme de sérieux préjudices la mise en danger de la vie,
de l'intégrité corporelle ou de la liberté, de même que les mesures qui
entraînent une pression psychique insupportable (art. 3 al. 1 et 2
LAsi).
Quiconque demande l’asile (requérant) doit prouver ou du moins
rendre vraisemblable qu'il est un réfugié. La qualité de réfugié est
vraisemblable lorsque l'autorité estime que celle-ci est hautement
probable. Ne sont pas vraisemblables notamment les allégations qui,
sur des points essentiels, ne sont pas suffisamment fondées, qui sont
contradictoires, qui ne correspondent pas aux faits ou qui reposent de
manière déterminante sur des moyens de preuve faux ou falsifiés
(art. 7 LAsi).
2.2 En l'occurrence, il est patent que l'intéressée n'a pas été victime
de sérieux préjudices au sens de l'art. 3 LAsi avant son départ de
Turquie. En outre, elle ne saurait valablement invoquer une crainte
fondée de persécutions futures, que ce soit pour des motifs
directement liés à sa personne ou en raison de ses attaches familiales
(« persécution réfléchie »). Certes, son père a soutenu le PKK et s'est
vu reconnaître la qualité de réfugié en Allemagne. Quant à sa mère,
elle aurait, selon les allégations de proches de la recourante, aussi été
active pour ce parti. En outre, son grand-père paternel et les autres
membres de la famille de celui-ci ont été victimes, à des degrés divers,
de mesures de persécution, motivées en particulier par leurs liens
familiaux avec C._______, et ont obtenu l'asile en Suisse. Toutefois, le
Tribunal estime - au vu en particulier du jeune âge de l'intéressée et
de l'amélioration relative de la situation en Turquie ces dernières
années en ce qui concerne les cas de persécution réfléchie - qu'elle
ne saurait craindre d'avoir à subir, selon toute vraisemblance et dans
un avenir prochain, des préjudices déterminants en matière d'asile
pour ce motif.
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2.3 Conformément à l'art. 51 LAsi, le conjoint ou le partenaire
enregistré d’un réfugié et leurs enfants mineurs sont reconnus comme
réfugiés et obtiennent l’asile, pour autant qu’aucune circonstance
particulière ne s’y oppose (al. 1) ; d'autres proches parents d’un
réfugié vivant en Suisse peuvent obtenir l’asile accordé à la famille,
si des raisons particulières plaident en faveur du regroupement familial
(al. 2).
2.4 En l'occurrence, la recourante ne peut se voir accorder l'asile en
raison des liens particulièrement étroits qu'elle entretient avec ses
grands-parents et leurs enfants résidant en Suisse, auxquels l'asile a
été accordé. En effet, pour bénéficier de ce statut, il aurait en
particulier fallu qu'elle eût déjà vécu en ménage commun avec eux en
Turquie, ce qui, au vu du dossier, n'a pas été le cas (cf. en particulier
let. B par. 2 de l'état de fait ; cf. également p. 1 pt. 1 par. 2 et p. 2 pt. 2
par. 3 du rapport de la tutrice du 14 novembre 2006). En effet, le but
recherché par le législateur au moyen de l'art. 51 LAsi est la
reconstitution en Suisse de groupes familiaux préexistants et non la
création de nouvelles communautés familiales (Jurisprudence et
informations de la Commission suisse de recours en matière d’asile
[JICRA] 2000 n° 11 consid. 3b p. 89).
2.5 Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté pour ce qui a
trait tant à la reconnaissance de la qualité de réfugié qu'à l'octroi de
l'asile.
3.
3.1 Lorsqu’il rejette une demande d'asile l'ODM prononce, en règle
générale, le renvoi de Suisse et en ordonne l'exécution (art. 44 al. 1
LAsi). Toutefois, le renvoi ne peut être prononcé si le requérant est
notamment au bénéfice d'une autorisation de police des étrangers lui
permettant de résider en Suisse (art. 32 de l'ordonnance 1 du 11 août
1999 sur l’asile relative à la procédure [OA 1, RS 142.311]).
3.2 Aucune exception à la règle générale du renvoi n'étant réalisée, le
Tribunal est tenu, de par la loi, de confirmer cette mesure. Il appartien-
dra à l'intéressée, si elle devait estimer que les conditions permettant
l'octroi d'une autorisation de séjour sont réalisées (p. ex. au titre du
regroupement familial ou en raison de l'existence d'un cas de rigueur
grave au sens de l'art. 14 al. 2 LAsi), de déposer une requête dans ce
sens auprès de l'autorité compétente de police des étrangers.
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4.
4.1 L’exécution du renvoi est ordonnée si elle est licite, raisonnable-
ment exigible et possible (art. 44 al. 2 LAsi). L'on rappellera à ce
propos que ces trois conditions sont alternatives. En d'autres termes,
il suffit que l'une d'elles ne soit pas remplie pour que le renvoi s'avère
inexécutable et que l’admission provisoire soit prononcée (cf. JICRA
2006 n° 6 consid. 4.2 p. 54 s.). En l'occurrence, c'est sur la problémati-
que du caractère raisonnablement exigible de l'exécution du renvoi
que l'autorité de recours entend porter son examen.
4.2 Selon l'art. 83 al. 4 LEtr, l'exécution de la décision peut ne pas
être raisonnablement exigée si le renvoi ou l'expulsion de l'étranger
dans son pays d'origine ou de provenance le met concrètement en
danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence
généralisée ou de nécessité médicale. Cette disposition s'applique en
premier lieu aux « réfugiés de la violence », soit aux étrangers qui ne
remplissent pas les conditions de la qualité de réfugié parce qu'ils ne
sont pas personnellement persécutés, mais qui fuient des situations
de guerre, de guerre civile ou de violence généralisée, et ensuite aux
personnes pour qui un retour reviendrait à les mettre concrètement en
danger, notamment parce qu'objectivement, au regard des circonstan-
ces de l'espèce, elles seraient, selon toute probabilité, conduites irré-
médiablement à un dénuement complet, exposées à la famine, et ainsi
à une dégradation grave de leur état de santé, à l'invalidité, voire à la
mort. En revanche, les difficultés socio-économiques qui sont le lot
habituel de la population locale, en particulier en matière de pénurie
de logements et d'emplois, ne suffisent pas en soi à réaliser une telle
mise en danger. L'autorité à qui incombe la décision doit donc dans
chaque cas confronter les aspects humanitaires liés à la situation dans
laquelle se trouverait l'étranger concerné dans son pays après l'exécu-
tion du renvoi à l'intérêt public militant en faveur de son éloignement
de Suisse (cf. ATAF 2009/52, consid. 10.1 p. 756 s., et jurisp. cit.).
4.3
4.3.1 Il s'agit donc d'examiner, au regard des critères explicités
ci-dessus, si l'intéressée est en droit de conclure au caractère non
raisonnablement exigible de l'exécution de son renvoi, compte tenu de
la situation générale prévalant actuellement en Turquie, d'une part,
et de sa situation personnelle, d'autre part.
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4.3.2 En l'occurrence, la Turquie ne connaît pas une situation de
guerre, de guerre civile ou de violence généralisée qui permettrait
d'emblée - et indépendamment des circonstances du cas
d'espèce - de présumer, à propos de tous les ressortissants de cet
Etat, l'existence d'une mise en danger concrète au sens de l'art. 83
al. 4 LEtr. Aussi, convient-il de déterminer si les éléments relatifs à la
situation personnelle de la recourante font obstacle à l'exécution de
son renvoi.
4.3.3 Lors de l'examen de l'exigibilité du renvoi, l'autorité doit prêter
une attention particulière à la situation des enfants. En l'occurrence,
la recourante qui est actuellement âgée de 11 ans, a passé déjà près
de cinq ans en Suisse, où elle vit avec ses grands-parents - qui repré-
sentent pour elle un « un substitut parental vital » (cf. p. 1 par. 4 du
rapport du tuteur du 2 juillet 2009) - et leurs enfants. Elle entretient
avec ses proches des liens affectifs étroits et les considère comme sa
véritable famille, ceux-ci lui assurant une structure stable et
sécurisante (cf. let. E par. 2 de l'état de fait et p. 3 pt. 3 du rapport de
la tutrice du 14 novembre 2006). A cela s'ajoute que l'essentiel
(ou même peut-être la totalité) de sa formation s'est déroulée en
Suisse, où elle a été scolarisée depuis son arrivée. En outre, elle a
déjà vécu plusieurs déracinements durant sa prime enfance et est
fragilisée par son statut précaire et par sa crainte importante d'être
séparée de ses proches en Suisse (cf. let. O et P de l'état de fait).
Or, le Tribunal rappelle (ainsi que l'avait fait la Commission dans sa
jurisprudence [JICRA 2005 n° 6 consid. 6.1 p. 57 ss]) qu'en matière
d'exécution du renvoi, le bien de l'enfant, en vertu des engagements
internationaux souscrits par la Suisse, doit jouer un rôle primordial
dans l'appréciation du caractère raisonnablement exigible de pareille
exécution. En l'occurrence, même à supposer qu'un renvoi en
Hollande soit (encore) exécutable dans les circonstances présentes
(cf. let. E par. 1 in fine, G par. 3 in fine, L et N de l'état de fait), le fait
d'y transférer cette enfant, en la séparant de sa « famille de remplace-
ment », pour la confier à un père biologique qu'elle connaît à peine,
qui s'est peu soucié d'elle jusque là et qui ne paraît pas disposer des
ressources personnelles nécessaires pour lui apporter un soutien
affectif et une éducation un tant soit peu efficaces, représenterait pour
elle un déracinement brutal et douloureux dont les conséquences
sérieuses pourraient porter gravement atteinte à son équilibre et à son
développement futurs. La même analyse doit être faite, a fortiori, en ce
qui concerne l'éventualité de l'exécution de son renvoi en Turquie,
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où elle n'a de surcroît aucun proche pouvant lui assurer un soutien et
un encadrement affectif adéquat (cf. à ce propos en particulier p. 3
pt. 3 par. 4 du rapport de la tutrice du 14 novembre 2006).
4.3.4 Enfin, il ne ressort du dossier aucun élément dont on pourrait
déduire que les conditions d'application de l'art. 83 al. 7 let. a et b LEtr
sont remplies.
4.4 En conclusion, après pondération des éléments ayant trait à l'exa-
men de l'exécution du renvoi, le Tribunal estime que la recourante se-
rait exposée à une mise en danger concrète au sens de l'art. 83 al. 4
LEtr, si bien que cette mesure n'est pas raisonnablement exigible en
l'occurrence. Partant, le recours doit donc être admis en tant qu'il porte
sur l'exécution du renvoi et la décision de l'ODM du 18 octobre 2006
annulée pour ce qui a trait à cette question.
5.
La recourante bénéficiant de l'assistance judiciaire partielle (art. 65
al. 1 PA), il est statué sans frais, bien qu'elle ait été partiellement
déboutée (art. 63 al. 1 PA).
6.
6.1 Conformément à l'art. 64 al. 1 PA, l'autorité de recours peut al-
louer, d'office ou sur requête, à la partie ayant entièrement ou partiel -
lement gain de cause, une indemnité pour les frais indispensables et
relativement élevés qui lui ont été occasionnés (cf. aussi art. 7 du rè-
glement du 21 février 2008 concernant les frais, dépens et indemnités
fixés par le Tribunal administratif fédéral [FITAF, RS 173.320.2]).
Selon l'art. 8 FITAF, les dépens comprennent les frais de représenta-
tion et les éventuels autres frais nécessaires à la partie. Les parties
qui ont droit aux dépens et les avocats commis d'office doivent faire
parvenir avant le prononcé un décompte de leurs prestations au Tribu-
nal (art. 14 al. 1 FITAF). Celui-ci fixe les dépens et l'indemnité des avo-
cats commis d'office sur la base du décompte.
6.2 En l'espèce, l'avocate de la recourante a produit deux décomptes,
l'un du 22 novembre 2006 portant sur un montant de Fr. 1'375.-, et
l'autre du 15 avril 2009 d'un montant additionnel de Fr. 675.-, auxquels
il convient encore ajouter la somme de Fr. 150.- pour le travail effectué
depuis lors (cf. let. O et P de l'état de fait) pour arriver au total des
frais occasionnés par ses activités déployées dans le cadre de la pré-
Page 11
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sente procédure, soit Fr. 2'200.-. La recourante n'ayant obtenu gain de
cause que sur la question de l'exécution du renvoi, la somme al louée
est réduite de moitié (cf. JICRA Informations 2002/1), soit Fr. 1'100.-.
(dispositif : page suivante)
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Par ces motifs, le Tribunal administratif fédéral prononce :
1.
Le recours, en tant qu'il porte sur la reconnaissance de la qualité de
réfugié, l'octroi de l'asile et le principe du renvoi, est rejeté.
2.
Il est admis au sens des considérants, en tant qu'il porte sur l'exécu-
tion du renvoi.
3.
Les chiffres 4 et 5 du dispositif de la décision 18 octobre 2006 sont an-
nulés et l'ODM invité à régler les conditions de séjour de la recourante
conformément aux dispositions sur l'admission provisoire des étran-
gers.
4.
Il n'est pas perçu de frais de procédure.
5.
L'ODM est invité à allouer à la recourante la somme de Fr. 1100.- à
titre de dépens.
6.
Le présent arrêt est adressé à la mandataire de la recourante, à l'ODM
et à l'autorité cantonale compétente.
Le président du collège : Le greffier :
Maurice Brodard Edouard Iselin
Expédition :
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