E-4264/2006 - Abteilung V - Asile et renvoi - Qualité de réfugie;Asile
Karar Dilini Çevir:
E-4264/2006 - Abteilung V - Asile et renvoi - Qualité de réfugie;Asile
Cour V
E-4264/2006
{T 0/2}
A r r ê t d u 1 5 a o û t 2 0 0 8
Emilia Antonioni (présidente du collège),
Pietro Angeli-Busi et Therese Kojic, juges,
Yves Beck, greffier.
A._______, né le (...), son épouse B._______,
née le (...), et leur enfant C._______, née le (...), Irak,
tous représentés par Thao Pham, ELISA - ASILE,
Assistance juridique aux requérants d'asile, (...),
recourants,
contre
Office fédéral des migrations (ODM),
Quellenweg 6, 3003 Berne,
autorité inférieure.
Asile et renvoi ; décision de l'ODM du 3 novembre 2005 /
N______.
B u n d e s v e r w a l t u n g s g e r i c h t
T r i b u n a l a d m i n i s t r a t i f f é d é r a l
T r i b u n a l e a m m i n i s t r a t i v o f e d e r a l e
T r i b u n a l a d m i n i s t r a t i v f e d e r a l
Composit ion
Parties
Objet
E-4264/2006
Faits :
A.
Le 25 avril 2003, A._______ et son épouse B._______ ont déposé une
demande d'asile en Suisse. Une fille est depuis lors issue de leur
union.
Entendu sommairement, le 30 avril 2003, puis sur ses motifs, le 10
juin suivant, A._______ a exposé qu'il était ressortissant irakien, de
religion musulmane sunnite, d'ethnie kurde et qu'il provenait de
Deralok dans la province de Dohuk, ville où il avait exercé le métier
d'[...]. Sa famille, composée de dix ou quinze foyers, aurait été
propriétaire de plusieurs domaines agricoles. Elle aurait eu un litige,
résolu en 1975 par une décision de justice, avec les habitants du
village de X._______ s'agissant de la délimitation de deux de ses
champs d'une superficie totale de huit hectares. Au début des années
1980, les terres familiales auraient été confisquées par le parti Baas
au pouvoir et redistribuées aux paysans. En avril 1992, l'assemblée
des chefs religieux, avec le soutien de Massoud Barzani, aurait décidé
de restituer les terres confisquée à la famille du requérant. Le 5
décembre 1998, le tribunal de Y._______ aurait accordé la propriété
des deux champs agricoles précités à cinq Scheiks de la région de
Z._______ qui en auraient fait la demande, le 5 avril précédent. La
famille du requérant, qui n'aurait pas signé cette décision, aurait dû
abandonner l'exploitation de ces parcelles.
Le requérant aurait lié plusieurs événements tragiques au litige
opposant sa famille aux Scheiks de Z._______. Ainsi, le 5 août 1998,
son beau-père, au volant d'un véhicule, aurait été blessé par des tirs
d'armes à feu. A cette occasion, un enfant aurait été tué et les autres
passagers blessés. En mars 1999, un cousin paternel du requérant
aurait disparu et n'aurait plus jamais donné signe de vie. Le 24 janvier
2001, le beau-père du requérant aurait été tué par balles alors qu'il
conduisait sa voiture.
Le 28 décembre 2002, le requérant, son père et l'oncle de celui-ci
auraient rencontré le Scheik S._______, à sa demande, qui leur aurait
demandé de se rendre au tribunal pour signer la cession des terres
revendiquées. Le père du requérant aurait répondu qu'il devait
consulter tous les membres de la famille, dès lors qu'il ne pouvait pas
décider et signer à leur place. Le 21 février 2003, accompagné de
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deux familiers, le requérant se serait présenté, en lieu et place de son
père qui aurait été convoqué, auprès du tribunal de Y._______.
Entendu, il aurait demandé, d'une part, la présence à l'audience de
chefs religieux, du représentant de l'office de l'agriculture, de
l'association des paysans et du parti démocratique ainsi que, d'autre
part, à ce que la cause soit jugée dans une autre ville. Eu égard aux
exigences posées, le tribunal n'aurait rendu aucune décision. Par
crainte d'être tué car il n'aurait pas acquiescé à la demande des
Scheiks, le requérant serait resté trois jours à Y._______ avant de
rentrer au domicile familial. Là, son père lui aurait conseillé d'être
vigilant, car il aurait été le seul à prendre la parole au tribunal. Le 20
mars 2003, le requérant et son père auraient été contraints de monter
dans un véhicule, puis conduits au quartier général du Scheik
S._______, qui leur aurait demandé comment ils osaient s'opposer à
lui. Le lendemain, après avoir passé la nuit chacun seul dans une
pièce, ils auraient été libérés grâce à l'intervention des membres du
bureau du président Massoud Barzani, eux-mêmes alertés par la
famille du requérant. Celui-ci ne serait plus retourné au domicile
familial. Il se serait installé durant quatre jours chez un oncle maternel
qui aurait habité à quatre ou cinq minutes à pied de chez lui, puis chez
un parent éloigné, à G._______, jusqu'à son départ du pays. Le 25
mars 2003, trois hommes du Scheik T._______, à la recherche du
requérant, se seraient présentés au domicile familial. Ils auraient
demandé après lui, auraient procédé à une fouille domiciliaire puis
seraient partis. Le lendemain, ils auraient réitéré leur visite et auraient
de nouveau fouillé le domicile ; ils auraient également perquisitionné
celui d'un oncle paternel du requérant sis juste à côté. Le 28 mars
2003, sur les conseils de son père et grâce à l'aide d'un passeur
rémunéré 9'700 dollars américains, A._______ aurait quitté
G._______ avec sa femme pour la Turquie, puis aurait rejoint la Suisse
caché dans un camion.
Entendue séparément sur ses motifs, B._______ a déclaré qu'elle
avait quitté son pays pour suivre son époux et qu'elle n'avait jamais eu
personnellement de problèmes.
Les requérants ont déposé des documents relatifs au différend portant
sur la propriété des terres.
B.
Par décision du 3 novembre 2005, l'ODM a rejeté la demande d'asile
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des intéressés, au motifs que leurs déclarations n'étaient pas
pertinentes pour la reconnaissance de la qualité de réfugié et l'octroi
de l'asile. Il a, en effet, relevé que les actes de vengeance craints par
les requérants ne provenaient pas d'une autorité et qu'ils n'étaient pas
non plus dictés par l'un des motifs mentionnés à l'art. 3 de la loi sur
l'asile du 26 juin 1998 (LAsi, RS 142.31), en particulier par un
engagement politique.
Dans la même décision, l'ODM a mis les requérants au bénéfice d'une
admission provisoire en Suisse, eu égard au caractère inexigible de
l'exécution de leur renvoi.
C.
Dans le recours posté le 2 décembre 2005 auprès de l'ancienne
Commission suisse de recours en matière d'asile (ci-après : la CRA),
les intéressés ont brièvement répété leurs motifs d'asile. Ils ont
soutenu que les persécutions infligées par des tiers étaient pertinentes
en matière d'asile si l'Etat n'accordait pas la protection nécessaire,
comme il en avait l'obligation. En l'espèce, ils ont déclaré que les
autorités de leur pays d'origine ne pourraient pas leur accorder de
protection, dans la mesure où les personnes qui les persécutaient
étaient membres du clan Barzani, que le Scheik S._______ était par
ailleurs l'oncle et le beau-père de Massoud Barzani, président du parti
démocratique kurde (PDK) et, depuis 2005, de la région autonome du
Kurdistan irakien. Ils ont conclu à l'annulation de la décision de l'ODM,
à l'octroi de la qualité de réfugié et de l'asile, subsidiairement au
caractère illicite de l'exécution de leur renvoi. Ils ont demandé
l'assistance judiciaire partielle, respectivement la dispense de toute
avance de frais.
D.
Par décision incidente du 9 décembre 2005, le juge instructeur a
déclaré irrecevable le chef de conclusion tendant à la constatation du
caractère illicite de l'exécution du renvoi, vu la décision d'admission
provisoire prononcée en faveur des recourants. Faute d'indigence
établie et de motifs particuliers, il a également rejeté la demande
d'assistance judiciaire partielle et de dispense de l'avance de frais, et
a impartit aux recourants un délai échéant le 27 décembre 2005 pour
verser une avance de Fr. 600.- en garantie des frais présumés de la
procédure, sous peine d'irrecevabilité du recours.
Les recourants ont payé l'avance requise, le 19 décembre 2005.
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E.
Par missive postée le 20 décembre 2005, les recourants, se référant à
un rapport d'Human Rights Watch ainsi qu'à un article de Kemal
Burkay, ont précisé que le clan Barzani était composé de deux
fractions, l'une officielle, engagée politiquement, prônant les intérêts
du Kurdistan et reconnue par la communauté internationale, l'autre
"plus officieuse", constituée de notables (les Scheiks) corrompus et
dangereux, laquelle privilégiait davantage ses intérêts financiers et
tentait de s'approprier les richesses naturelles du pays, en particulier
les terres, par la menace et la corruption judiciaire aux fins
d'exploitation agricole et touristique et, par là-même, d'exploiter la
main-d'oeuvre des habitants qui s'étaient vu confisquer leur titre de
propriété et dont le seul moyen de subsistance était de travailler pour
les nouveaux propriétaires.
Ils ont déposé cinq photos de leur familiers, deux attestations de
formation et une attestation d'indigence.
F.
Dans sa détermination du 30 décembre 2005, l'ODM a proposé le rejet
du recours. Il a estimé que les recourants, qui craignaient une
vengeance de la part de membres du clan Barzani suite à un différend
relatif à la propriété de terres, n'avaient pas invoqué une persécution
pour l'un des motifs mentionnés à l'art. 3 LAsi, à savoir la race, la
religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social déterminé ou
l'opinion politique. En outre, il a précisé que les autorités judiciaires
n'avaient pas refusé de dire le droit dans la mesure où une procédure
judiciaire était en cours sans que la décision ne soit rendue au
moment du départ des recourants de leur pays. Il a souligné que ceux-
ci avaient pu bénéficier de l'intervention, en leur faveur, de Massoud
Barzani en 1992 déjà, de sorte qu'ils n'étaient pas dépourvus de tout
soutien ou alliance, contrairement à ce qu'ils prétendaient.
G.
Le 25 janvier 2006, les recourants ont soutenu que leurs problèmes
étaient directement liés à leur appartenance à un groupe social
déterminé (les agriculteurs) et ont nié pouvoir bénéficier d'une
protection adéquate. Ils ont insisté sur la nature des persécutions
subies, qui ne relevaient pas d'un simple litige économique mais de
réelles pressions exercées par une branche officieuse du pouvoir,
proche du président Massoud, qui "confisque" arbitrairement les biens
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des civils par la contrainte physique et morale. Ils ont déclaré qu'ils
n'avaient pas attendu la décision du tribunal pour fuir en raison de la
corruption des fonctionnaires. Enfin et dans la mesure où la procédure
les impliquant dans leur pays était en cours de traitement, ils ont
soutenu qu'ils seraient exposés à des traitements contraires à l'art.
3 de la convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, RS 0.101).
Ils ont déposé un rapport médical du 20 décembre 2005 concernant
B._______.
H.
Les autres faits et arguments de la cause seront examinés, si besoin
est, dans les considérants en droit qui suivent.
Droit :
1.
1.1 Le Tribunal administratif fédéral statue de manière définitive sur
les recours contre les décisions, au sens de l'art. 5 de la loi fédérale
du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA,
RS 172.021), rendues par l'ODM en matière d'asile et de renvoi (art.
105 LAsi en relation avec les art. 31 à 34 de la loi du 17 juin 2005 sur
le Tribunal administratif fédéral [LTAF, RS 173.32] ; art. 83 let. d ch. 1
de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral [LTF, RS
173.110]).
1.2 Les recours qui étaient pendants devant la CRA au 31 décembre
2006 sont traités par le Tribunal administratif fédéral, entré en fonction
le 1er janvier 2007, dans la mesure où il est compétent (art. 53 al. 2
phr. 1 LTAF). Tel est le cas en l'espèce.
1.3 Le nouveau droit de procédure s’applique (art. 53 al. 2 phr. 2
LTAF).
1.4 Les recourants ont qualité pour recourir. Présenté dans la forme et
les délais prescrits par la loi, le recours est recevable (48 et 50 ss PA).
2.
En premier lieu, force est de constater que les recourants sont au
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bénéfice d'une admission provisoire en Suisse (cf. décision dont est
recours, consid. II ch. 2, et son dispositif, ch. 4 et 5). Dans ces
conditions, la conclusion des recourants (cf. recours p. 1 et 3 ; cf.
courrier du 25 janvier 2006, cité sous let. G ci-dessus) tendant au
caractère illicite de l'exécution du renvoi, pour violation de l'art. 5 LAsi
et de l'art. 3 CEDH, est irrecevable.
3.
3.1 Sont des réfugiés les personnes qui, dans leur Etat d'origine ou
dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux
préjudices ou craignent à juste titre de l'être en raison de leur race, de
leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe
social déterminé ou de leurs opinions politiques. Sont notamment
considérées comme de sérieux préjudices la mise en danger de la vie,
de l'intégrité corporelle ou de la liberté, de même que les mesures qui
entraînent une pression psychique insupportable. Il y a lieu de tenir
compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes (art. 3 al. 1 et 2
LAsi).
3.2 Quiconque demande l’asile (requérant) doit prouver ou du moins
rendre vraisemblable qu'il est un réfugié. La qualité de réfugié est
vraisemblable lorsque l'autorité estime que celle-ci est hautement
probable. Ne sont pas vraisemblables notamment les allégations qui,
sur des points essentiels, ne sont pas suffisamment fondées, qui sont
contradictoires, qui ne correspondent pas aux faits ou qui reposent de
manière déterminante sur des moyens de preuve faux ou falsifiés
(art. 7 LAsi).
4.
4.1 En l'occurrence, c'est à juste titre que l'ODM a relevé que les
motifs invoqués par les recourants, au-delà de leur vraisemblance,
n'étaient pas pertinents pour la reconnaissance de la qualité de
réfugié et l'octroi de l'asile. En effet, les actes de vengeance
prétendument craints n'ont manifestement pas pour origine l'un des
motifs exhaustivement énumérés à l'art 3 LAsi, à savoir la race, la
religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social déterminé ou
les opinions politiques. En effet, en cherchant à s'approprier des
terres, les notables kurdes (les Cheiks), selon l'expression des
recourants, ont manifestement pour seul et unique objectif de
s'enrichir, indépendamment du groupe social auquel appartiennent
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leurs victimes (agriculteurs ou simples propriétaires terriens). Cette
appréciation est corroborée par les recourants qui, eux-mêmes, ont
déclaré que dits notables privilégiaient leurs intérêts financiers en
cherchant à s'approprier les richesses naturelles du pays (cf. leur
courrier du 20 décembre 2005, p. 2 par. 5, cité sous let. E ci-dessus).
Peu importe que ces notables appartiennent à une branche
"officieuse" proche de Massoud Barzani, au pouvoir lui-même ou
encore à un mouvement d'opposition (cf. le courrier des recourants du
25 janvier 2006 cité sous let. G ci-dessus).
A titre complémentaire, l'autorité de céans relève encore qu'aucun
rapport récent ne fait état de persécutions systématiques, en Irak et
spécialement dans les provinces du nord de ce pays, à l'encontre des
paysans ou des propriétaires terriens. Au contraire, une Commission
de résolution des litiges portant sur les bien-fonds (Commission for
Resolution of Real Property Disputes, CRRPD) a été créée en 2003,
(à l'époque sous la dénomination de "Commission iraquienne en
charge des demandes de dédommagement pour pertes de biens" ;
Irak Property Claims Commission, IPCC) afin de recueillir les
demandes et de résoudre les litiges portant sur ceux-ci (Organisation
internationale pour les migrations [OIM], programme et budget pour
2008, MC/2227, 5 octobre 2007, p. 179 ; Haut Commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés [UNHCR], Governorate Assessment
Report Dahuk Governorate, septembre 2007, p. 14). Enfin, les
recourants n'ont pas non plus allégué appartenir à d'autres catégories
de personnes en danger en cas de renvoi dans les provinces kurdes
du nord de l'Irak (cf. ATAF 2008/4 consid. 6 et 7 p. 40 ss).
4.2 Il s'ensuit que le recours, en tant qu'il conteste le refus de la
qualité de réfugié et de l'asile, doit être rejeté.
5.
Au vu de l'issue de la cause, il y a lieu de mettre les frais de procédure
à la charge des recourants (art. 63 al. 1 PA ; art. 2 et art. 3 let. b du
règlement du 21 février 2008 concernant les frais, dépens et
indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral [FITAF, RS
173.320.2]) et de les compenser avec l'avance du même montant
versée le 19 décembre 2005.
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Par ces motifs, le Tribunal administratif fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais de procédure, d'un montant de Fr. 600.-, sont mis à la charge
des recourants. Ce montant est intégralement compensé avec l'avance
de frais de Fr. 600.- versée le 19 décembre 2005.
3.
Le présent arrêt est adressé :
- à la mandataire des recourants (par courrier recommandé)
- à l'ODM, Division séjour et aide au retour, avec le dossier
N_______ (en copie)
- au canton (...) (en copie)
Le juge: Le greffier :
Therese Kojic Yves Beck
Expédition :
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