E-2355/2007 - Abteilung V - Asile et renvoi - Asile
Karar Dilini Çevir:
E-2355/2007 - Abteilung V - Asile et renvoi - Asile
Cour V
E-2355/2007
{T 0/2}
A r r ê t d u 1 2 f é v r i e r 2 0 1 0
François Badoud (président du collège),
Jenny de Coulon Scuntaro, Kurt Gysi, juges,
Antoine Willa, greffier.
A._______, né le (...), son épouse
B._______, née le (...) et leurs enfants
C._______, né le (...),
D._______, né le (…),
E._______, née le (...),
Turquie,
tous représentés par Me Gabriel Püntener, avocat,
recourants,
contre
Office fédéral des migrations (ODM),
Quellenweg 6, 3003 Berne,
autorité inférieure.
Asile et renvoi ; décision de l'ODM du 20 février 2007 /
N (...).
B u n d e s v e r w a l t u n g s g e r i c h t
T r i b u n a l a d m i n i s t r a t i f f é d é r a l
T r i b u n a l e a m m i n i s t r a t i v o f e d e r a l e
T r i b u n a l a d m i n i s t r a t i v f e d e r a l
Composit ion
Parties
Objet
E-2355/2007
Faits :
A.
Les époux A._______ et leurs enfants ont déposé une demande
d'asile en Suisse, le 11 février 2002. Originaires de F._______ et
membres de la communauté kurde alévite, ils ont alors exposé qu'ils
avaient apporté leur aide à plusieurs cousins du mari, combattants du
PKK. De ce fait, la famille aurait été harcelée par les autorités ; quant à
l'époux, il aurait été interpellé et retenu plusieurs fois et, à une date
indéterminée, sa jambe aurait été brisée par les gendarmes.
Par décision du 9 novembre 2004, l'Office fédéral des réfugiés (ODR,
aujourd'hui ODM) a rejeté la demande et prononcé le renvoi de Suisse
des intéressés. Après dépôt d'un recours, cette décision a été annulée
par la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA) en date
du 8 février 2006, l'autorité de première instance n'ayant pas
suffisamment instruit la question des risques de persécution générés
par une éventuelle coresponsabilité familiale ; en effet, outre trois
cousins impliqués dans les activités du PKK, deux autres cousins ont
obtenu l'asile en Suisse, et un frère s'est vu accorder l'admission
provisoire.
B.
Le 22 mai 2006, l'ODM s'est adressé à la représentation diplomatique
suisse en Turquie, l'interrogeant sur l'éventuelle existence de fiches de
police ou d'interdictions de passeport concernant les intéressés, ainsi
que sur la situation des frères du mari, censés résider à F._______ ou
G._______.
Le 12 septembre suivant, l'ambassade a communiqué à l'ODM qu'une
fiche de police pour meurtre, datée de 1989, existait au sujet de
A._______ ; les époux ne faisaient cependant l'objet ni de recherches,
ni d'interdictions de passeports. Par ailleurs, la famille A._______ avait
antérieurement rencontré des ennuis en raison de l'activité illégale de
certains proches et avait dû quitter son village en raison des combats,
mais les choses étaient maintenant calmées ; A._______ aurait été
arrêté en deux occasions, chaque fois durant un jour. Quatre des
frères du requérant résidaient à F._______, sans connaître de
problèmes avec les autorités et l'intéressé, comme eux, s'y était fait
construire une maison depuis son arrivée en Suisse. Quant à sa
jambe, elle aurait été cassée dans un accident de travail à G._______.
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Invités à réagir aux résultats de ces recherches, les intéressés ont fait
valoir, le 16 octobre 2006, que le frère du mari, H._______, interrogé
par téléphone, n'avait pas osé s'exprimer avec sincérité, ignorant
l'identité de son interlocuteur, et n'avait rien dit que la police turque ne
sache déjà. En réalité, les frères de l'époux auraient été questionnés
par les autorités sur leurs activités et sur le requérant ; pour le surplus,
les sources de l'ambassade ne seraient pas claires. Le requérant a
également précisé que la fiche de police le concernant faisait
référence au meurtre, par le PKK, d'un mouchard travaillant pour les
autorités turques, dans lequel était impliqué son cousin K._______.
Par ailleurs, le requérant a relevé qu'il avait cessé tous travaux dans
sa maison depuis son départ, et que la famille de son frère I._______
y habitait depuis 2003 ; il a produit à l'appui une attestation signée du
responsable communal de F._______ pour le quartier de J._______,
du 16 octobre 2006, ainsi que plusieurs documents cadastraux et
fiscaux. L'intéressé a également expliqué que sa jambe avait été
brisée deux fois, d'abord par accident en 1989, puis ensuite par la
police. Pour le surplus, il a considéré que le rapport de l'ambassade
confirmait son récit.
Le 12 décembre 2006, A._______ a déposé trois rapports médicaux,
des 7 avril 2004, 19 septembre et 9 novembre 2006. Il en ressortait
que l'intéressé était touché par une dermo-hypodermite à la jambe
gauche, de multiples fois récidivante, traitée par antibiotiques, et qui
avait nécessité plusieurs hospitalisations ; une ostéomyélite était
suspectée. Ces troubles dérivaient d'une double fracture ouverte
survenue en 1997, alors opérée. Selon l'intéressé, la première fracture
était survenue, elle aussi, lors d'un contrôle de police.
C.
Par décision du 20 février 2007, l'ODM a rejeté la demande d'asile
déposée par les intéressés et a prononcé leur renvoi de Suisse, au vu
du manque de crédibilité de leurs motifs. L'autorité de première
instance a retenu le peu de clarté du récit, essentiellement au plan de
la chronologie, les dates des arrestations subies par le requérant et de
la fracture de sa jambe restant vagues et contradictoires ; l'hypothèse
de l'existence de deux fractures successives ne reposait d'ailleurs sur
aucun élément solide.
Il ressort du rapport d'ambassade que l'intéressé et ses frères, quand
bien même ils avaient pu être d'abord harcelés par les autorités en
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raison de l'appartenance de certains proches au PKK, ne
rencontraient plus d'ennuis et n'étaient pas recherchés ; les assertions
contraires faites par le requérant ne seraient pas étayées. Il
apparaissait en outre que la fracture subie par l'intéressé était bien
accidentelle, la thèse contraire ne pouvant s'appuyer sur aucun
élément de preuve solide, y compris les rapports médicaux ; ceux-ci
montraient enfin que l'état de santé des intéressés ne s'opposait pas à
un retour.
D.
Interjetant recours contre cette décision, le 29 mars 2007, les époux
A._______ ont conclu à l'annulation, subsidiairement à l'octroi de
l'asile et au non-renvoi de Suisse.
Ils ont fait valoir que l'ambassade n'avait pu recueillir les informations
nécessaires de manière fiable, le frère du recourant n'ayant
communiqué, par précaution, que des données que les autorités
turques connaissaient ; la question des risques pesant sur le recourant
et des pressions visant ses proches devrait donc faire l'objet de
nouvelles recherches auprès des personnes concernées. Le fait que
A._______ ait entrepris la construction d'une maison pour sa famille
n'indiquait en rien qu'il était à l'abri du danger. La fiche de police le
concernant résultait de sa parenté avec son cousin K._______, lequel
avait été mêlé, en 1989, au meurtre d'un informateur des autorités et
avait depuis lors été tué au combat ; le mandataire a joint copie de la
demande de révision qu'il avait déposée, en 1994, pour L._______,
ami de K._______, dans laquelle cette affaire était évoquée.
Par ailleurs, les recourants ont expliqué l'imprécision de leurs dires par
une appréhension différente du temps en Turquie, d'ailleurs relevée
par le rapport d'ambassade. Quant à la fracture de la jambe gauche du
recourant, si son origine (causée par la police ou non), sa nature
(double fracture survenue en une fois, ou existence de deux
traumatismes distincts) sont difficiles à déterminer, il n'en reste pas
moins qu'elle avait causé à l'intéressé un handicap durable ; elle
n'avait d'ailleurs jamais fait l'objet d'investigations séreuses. Tous les
membres de la famille seraient d'ailleurs touchés dans leur santé
psychique ou physique, en raison des événements vécus en Turquie.
En résumé, les recourants reprochaient donc à l'ODM de ne pas avoir
correctement instruit la question de la coresponsabilité familiale et de
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l'origine de la blessure du recourant, et de n'avoir donc pas constaté
de manière complète et exacte les faits pertinents.
E.
Les intéressés ont joint à leur recours plusieurs rapports médicaux
relatifs à A._______, datés des 20 et 27 mars 2007, qui confirmaient
le dignostic de dermo-hypodermite récidivante sous traitement
antibiotique, suite à une double fracture opérée en 1997-1998 ; de plus
l'intéressé souffrait de séquelles rénales "discrètes" et d'un état
dépressif sévère, faisant l'objet d'une cure, avec un probable
syndrome de stress post-traumatique (PTSD).
Quant à l'épouse, un rapport du 20 mars 2007 indiquait l'existence
d'un PTSD et d'un état dépressif sévère, dont le traitement
psychiatrique avait repris après trois ans d'interruption ; l'intéressée
faisait l'objet d'un suivi psychothérapeutique et médicamenteux. Quant
à C._______, il souffrait d'une fente labio-maxillo-palatale.
F.
Le 26 avril 2007, les recourants ont requis l'assistance judiciaire
partielle ; le 30 avril suivant, le Tribunal a admis la requête.
G.
Les intéressés ont complété leur argumentation en produisant deux
nouveaux rapports médicaux. Le premier, du 3 juillet 2007, indiquait
que A._______ était atteint par un état dépressif moyen, et une
anxiété généralisée, consécutifs à un PTSD ; une psychothérapie de
longue durée avait été entreprise. L'intéressé risquait une
décompensation grave si sa situation n'était pas stabilisée.
Le second rapport, daté du 31 juillet 2009, posait quant à lui chez
B._______ le diagnostic d'une dorso-lombalgie et d'une oesophagite
peptique. Elle était par ailleurs atteinte d'un état dépressif réactionnel
chronique traité par médicaments et suivi psychiatrique. S'agissant de
l'époux, le médecin relevait la persistance de la dermo-hypodermite
avec insuffisance veineuse, d'où des infections contrôlées par
injections régulières d'antibiotiques ; était apparue une phlébite, qui
devait être opérée. Enfin, l'intéressé était également traité pour une
néphropathie et une hypertension artérielle.
H.
Invité à se prononcer sur le recours, l'ODM en a préconisé le rejet
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dans sa réponse du 3 septembre 2009, arguant que les motifs d'asile
n'étant pas crédibles, l'état de santé des recourants ne pouvait
découler de ceux-ci ; en outre, leur troubles étaient compatibles avec
un retour en Turquie.
Faisant usage de leur droit de réplique, le 28 septembre suivant, les
intéressés ont reproché à l'ODM de se cantonner à des considérations
générales, sans examen de leur situation concrète. Selon eux, leur
état de santé psychique contre-indiquerait un retour en Turquie, vu le
risque de réactivation du traumatisme, la durée du séjour en Suisse et
l'absence de toute chance de réinsertion ; la plupart de leurs proches
auraient d'ailleurs quitté le pays, ou n'auraient plus de contacts avec
les recourants. Les intéressés ont enfin répété leurs griefs relatifs à
l'insuffisance de l'instruction, et relevé que leur retour attirerait sur eux
l'attention des autorités, une fiche de police au nom de A._______
existant toujours.
Selon rapport médical du 1er septembre 2009 joint à la réplique, l'état
dépressif de B._______ est devenu chronique, accompagné d'une
anxiété généralisée ; elle est suivie par entretiens mensuels, devant se
poursuivre à long terme. Un retour en Turquie entraînerait un risque de
décompensation grave.
I.
Le 11 mai 2009, le fils des recourants, C._______, a épousé à Chêne-
Bourg (GE) la ressortissante britannique M._______ ; il a requis la
délivrance d'une autorisation de séjour.
Droit :
1.
1.1 Sous réserve des exceptions prévues à l'art. 32 de la loi du 17 juin
2005 sur le Tribunal administratif fédéral (LTAF, RS 173.32), le Tribunal
administratif fédéral, en vertu de l'art. 31 LTAF, connaît des recours
contre les décisions au sens de l'art. 5 de la loi fédérale du
20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA, RS 172.021)
prises par les autorités mentionnées à l'art. 33 LTAF. En particulier, les
décisions rendues par l'ODM concernant l'asile peuvent être
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contestées devant le Tribunal administratif fédéral conformément à
l'art. 105 de la loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi, RS 142.31).
1.2 Les recourants ont qualité pour recourir. Présenté dans la forme et
les délais prescrits par la loi, le recours est recevable (art. 48 et 52 PA
et 108 al. 1 LAsi).
2.
2.1 Sont des réfugiés les personnes qui, dans leur Etat d'origine ou
dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux
préjudices ou craignent à juste titre de l'être en raison de leur race, de
leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe
social déterminé ou de leurs opinions politiques. Sont notamment
considérées comme de sérieux préjudices la mise en danger de la vie,
de l'intégrité corporelle ou de la liberté, de même que les mesures qui
entraînent une pression psychique insupportable. Il y a lieu de tenir
compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes (art. 3 al. 1 et 2
LAsi).
2.2 Quiconque demande l’asile (requérant) doit prouver ou du moins
rendre vraisemblable qu'il est un réfugié. La qualité de réfugié est
vraisemblable lorsque l'autorité estime que celle-ci est hautement
probable. Ne sont pas vraisemblables notamment les allégations qui,
sur des points essentiels, ne sont pas suffisamment fondées, qui sont
contradictoires, qui ne correspondent pas aux faits ou qui reposent de
manière déterminante sur des moyens de preuve faux ou falsifiés
(art. 7 LAsi).
3.
3.1 En l'occurrence, les intéressés n'ont pas été en mesure de faire
apparaître la crédibilité et le sérieux de leurs motifs.
3.2 Le Tribunal constate en premier lieu que l'existence d'un risque de
persécution réflexe, en raison de l'engagement de plusieurs proches
des recourants dans le PKK, n'est pas vraisemblable.
Il faut en effet rappeler qu'en Turquie, la coresponsabilité familiale
(Sippenhaft), en tant que faculté légale d'engager la responsabilité de
toute une famille pour le délit commis par l'un de ses membres,
n'existe pas. En revanche, les autorités de cet Etat peuvent
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effectivement exercer des pressions et représailles à l'encontre des
membres de la famille d'une personne recherchée, lorsqu’elles
soupçonnent que des contacts étroits existent entre eux, ou encore à
l’encontre des membres de la famille d’un opposant politique,
lorsqu’elles veulent les intimider et s’assurer qu’ils n’envisagent pas
d’entreprendre eux-mêmes des activités politiques illégales. Il est
d’autant plus vraisemblable que ces pressions soient mises en œuvre
que la personne recherchée ou l’opposant impliqué est engagé de
façon significative en faveur d’une organisation politique illégale. Ces
violences peuvent constituer une persécution réfléchie déterminante
au sens de l'art. 3 LAsi (voir notamment : Jurisprudence et
informations de la Commission suisse de recours en matière d’asile
[JICRA] 2005 n° 21 consid. 10.2.3. p. 199s. ; JICRA 1994 n° 5 p. 39ss
et n° 17 p. 132ss ; JICRA 1993 n° 6 consid. 3b et 4 p. 37 ; DENISE GRAF,
Turquie : Situation actuelle – juin 2003, Berne, 2003, p. 20 ;
Immigration and Nationality Directorate Home Office, United Kingdom,
Turkey Country Report, avril 2006, paragraphes 6.414ss).
En l'état, le Tribunal n'a pas de raison de considérer ce constat comme
obsolète. II souligne toutefois qu'il s'agit d'apprécier, de cas en cas, le
risque de persécution réfléchie en fonction des éléments concrets qui
pourraient fonder objectivement une crainte plus spécifique
d'agissements des autorités à l'encontre des membres de la famille.
Dans le cas d'espèce, toutefois, il apparaît que les frères du recourant
se trouvent toujours à F._______, où ils semblent résider sans
rencontrer de difficultés. Le rapport de l'ambassade a en effet précisé
que la famille A._______ avait rencontré des problèmes avec les
autorités dans le passé, en raison de l'engagement de trois cousins
dans les rangs du PKK, et que le recourant avait été brièvement
interpellé pour cette raison. Toutefois, la suspicion des autorités
turques envers la famille apparaît avoir cessé, et l'intéressé n'a pas
été en mesure de le contester valablement, ses quatre frères établis à
F._______ n'ayant d'ailleurs pas jugé utile de partir. De plus, quand
bien même ceux-ci, aujourd'hui encore, seraient parfois interrogés par
la police – et que lui-même pourrait l'être aussi en cas de retour –
cette situation ne constituerait pas une persécution, faute d'intensité. Il
est d'ailleurs bon de noter qu'un seul des cousins, N._______, pourrait
encore être aujourd'hui politiquement actif, ce qui n'a pu qu'amoindrir
l'intérêt des autorités pour ses proches.
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Par ailleurs, que A._______ ait fait construire sa maison de F._______
avant ou après son départ n'a pas d'incidence particulière, ni le fait
que son frère I._______ y habite aujourd'hui avec sa famille.
Enfin, le Tribunal n'est pas convaincu par l'argument du recourant,
selon qui son frère, interrogé téléphoniquement par la représentation
suisse, n'aurait pas osé s'exprimer sincèrement, mais n'aurait divulgué
que des détails connus des autorités ; en effet, une telle présence
d'esprit, lors d'un appel impromptu, apparaît peu convaincante. Plus
vraisemblablement, le frère du recourant s'est exprimé librement. Il
apparaît donc inutile d'interroger à nouveau les proches de A._______
; le fait qu'ils soient restés à F._______ depuis le départ de l'intéressé,
il y a maintenant huit ans, est d'ailleurs suffisamment significatif du
peu de danger qu'ils pensent y courir.
Dans ces conditions, le Tribunal estime que le rapport de l'ambassade
a suffisamment éclairci la question des risques découlant, pour les
recourants, d'une éventuelle coresponsabilité familiale, et qu'il est
maintenant possible d'en exclure la forte probabilité ; il n'y a donc pas
lieu à cassation pour le motif d'une constatation incomplète ou
inexacte des faits.
3.3 S'agissant des risques encourus personnellement par A._______
et son épouse, il y a lieu de retenir leur peu de crédibilité et de
consistance.
Il ressort en effet des recherches menées par l'ambassade que les
intéressés ne sont pas recherchés, ni interdits de passeport. La fiche
de police concernant le recourant, maintenant vieille de vingt ans et
très antérieure à son départ, n'a apparemment pas motivé l'ouverture
d'une enquête ou d'une procédure contre lui ; il est dès lors probable
qu'il n'était impliqué que très secondairement dans cette affaire, sans
doute en qualité de parent de K._______. L'existence d'un risque de
persécution de ce chef n'est en conséquence pas crédible.
Par ailleurs, il est impossible, à considérer les déclarations de
A._______ et les rapports médicaux, de déterminer les circonstances
et l'origine de sa blessure à la jambe, ni même d'arriver à une
compréhension claire de cet événement. L'intéressé l'admet d'ailleurs
lui-même dans l'acte de recours, ainsi que dans sa lettre du
12 décembre 2006. De plus, l'implication des autorités turques dans
cet incident n'est en rien établie, l'origine accidentelle du traumatisme
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étant retenue par le rapport de l'ambassade, et le recourant lui-même
en ayant fait état ; tentant de concilier les diverses versions des faits
qu'il a articulées, il a affirmé avoir été blessé en deux occasions, mais
cette tentative, qui contredit ses dires antérieurs, n'emporte pas la
conviction.
Le Tribunal doit également relever la confusion du récit, principalement
au plan chronologique, dans une mesure que l'instruction rudimentaire
de l'intéressé ne peut justifier. La décision de la CRA du 8 février 2006
avait déjà constaté que le recourant s'exprimait de façon décousue,
situant ses arrestations entre 1985 et 1995, ou de 1999 à 2001, ou
uniquement en 2001 ; il en va de même de la blessure à la jambe,
située en 1989 (réplique du 16 octobre 2006), en 1998, 1999 ou 2001,
alors que les rapports médicaux retiennent la date de 1997.
Dès lors, le récit du recourant, vague et obscur, n'est pas crédible.
Aucune mesure d'instruction supplémentaire n'apparaît nécessaire :
en effet, un nouveau rapport médical ne pourrait préciser s'il y a eu
une ou deux fractures, ni a fortiori, qui en est à l'origine ; de plus, vu
l'ancienneté des faits et l'absence de toute donnée précise de temps
et de lieu, aucune recherche menée sur place ne pourrait obtenir de
résultats.
3.4 Quant à B._______, non seulement ses déclarations sont con-
tradictoires, mais ne dénotent pas l'existence d'atteintes assez graves
pour être qualifiées de persécutions ; l'acte de recours n'apporte à ce
sujet aucun complément utile.
3.5 Il s'ensuit que le recours, en tant qu'il conteste le refus de l'asile,
doit être rejeté.
4.
4.1 Lorsqu’il rejette la demande d'asile ou qu'il refuse d'entrer en
matière à ce sujet, l'ODM prononce, en règle générale, le renvoi de
Suisse et en ordonne l'exécution ; il tient compte du principe de l'unité
de la famille (art. 44 al. 1 LAsi). Le renvoi ne peut être prononcé, selon
l'art. 32 de l'ordonnance 1 du 11 août 1999 sur l’asile relative à la
procédure (OA 1, RS 142.311), lorsque le requérant d’asile dispose
d’une autorisation de séjour ou d’établissement valable, ou qu’il fait
l’objet d’une décision d’extradition ou d’une décision de renvoi
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conformément à l’art. 121 al. 2 de la Constitution fédérale du 18 avril
1999 (Cst., RS 101).
4.2 Aucune exception à la règle générale du renvoi n'étant en
l'occurrence réalisée, le Tribunal est tenu, de par la loi, de confirmer
cette mesure.
5.
5.1 L’exécution du renvoi est ordonnée si elle est licite,
raisonnablement exigible et possible (art. 44 al. 2 LAsi). Si ces
conditions ne sont pas réunies, l'admission provisoire doit être
prononcée. Celle-ci est réglée par l'art. 83 de la loi fédérale sur les
étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr, RS 142.20), entrée en vigueur
le 1er janvier 2008. Cette disposition a remplacé l'art. 14a de
l'ancienne loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l’établissement
des étrangers (LSEE).
5.2 L'exécution n'est pas licite lorsque le renvoi de l'étranger dans son
Etat d'origine ou de provenance ou dans un Etat tiers est contraire aux
engagements de la Suisse relevant du droit international (art. 83 al. 3
LEtr). Aucune personne ne peut être contrainte, de quelque manière
que ce soit, à se rendre dans un pays où sa vie, son intégrité cor-
porelle ou sa liberté serait menacée pour l'un des motifs mentionnés à
l'art. 3 al. 1 LAsi, ou encore d'où elle risquerait d'être astreinte à se
rendre dans un tel pays (art. 5 al. 1 LAsi). Nul ne peut être soumis à la
torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants (art. 3
de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, RS 0.101).
5.3 L'exécution de la décision peut ne pas être raisonnablement
exigée si le renvoi ou l'expulsion de l'étranger dans son pays d'origine
ou de provenance le met concrètement en danger, par exemple en cas
de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité
médicale (art. 83 al. 4 LEtr).
5.4 L'exécution n'est pas possible lorsque l'étranger ne peut pas
quitter la Suisse pour son Etat d'origine, son Etat de provenance ou un
Etat tiers, ni être renvoyé dans un de ces Etats (art. 83 al. 2 LEtr).
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6.
6.1 Il convient de noter à titre préliminaire que les trois conditions
posées par l'art. 83 al. 2 à 4 LEtr, empêchant l'exécution du renvoi
(illicéité, inexigibilité et impossibilité), sont de nature alternative : il
suffit que l'une d'elles soit réalisée pour que le renvoi soit
inexécutable.
En l'occurrence, c'est sur la question de l'exigibilité que l'autorité de
céans doit porter son examen.
6.2 S'agissant des personnes en traitement médical en Suisse, il
convient de rappeler que l'exécution du renvoi ne devient inexigible, en
cas de retour dans leur pays d'origine ou de provenance, que dans la
mesure où elles pourraient ne plus recevoir les soins essentiels
garantissant des conditions minimales d'existence ; par soins
essentiels, il faut entendre les soins absolument nécessaires à la
garantie de la dignité humaine, faute desquels l'état de santé de
l'intéressé se dégraderait très rapidement au point de conduire d'une
manière certaine à la mise en danger concrète de sa vie ou à une
atteinte sérieuse, durable, et notablement plus grave de son intégrité
physique. L'art. 83 al. 4 LEtr ne saurait être interprété comme
conférant un droit général d'accès en Suisse à des mesures médicales
visant à recouvrer la santé ou à la maintenir, au simple motif que
l'infrastructure hospitalière et le savoir-faire médical dans le pays
d'origine ou de destination de l'intéressé n'atteint pas le standard
élevé qu'on trouve en Suisse (JICRA 1993 n° 38 p. 274s.).
Ainsi, si les soins essentiels nécessaires peuvent être assurés dans le
pays d'origine ou de provenance, même de moindre qualité qu'en
Suisse, l'exécution du renvoi sera raisonnablement exigible. Cela dit, si
dans un cas d'espèce le mauvais état de santé ne constitue pas en soi
un motif d'inexigibilité sur la base des critères qui précèdent, il peut
demeurer un élément d'appréciation dont il convient alors de tenir
compte dans le cadre de la pondération de l'ensemble des éléments
ayant trait à l'examen de l'exécution du renvoi (cf. not. JICRA 2003
n° 24 consid. 5b p. 157s.).
6.3 En l'espèce, il ressort des rapports médicaux figurant au dossier
que l'état physique des recourants n'est pas sérieux au point d'exclure
l'exécution du renvoi. En conséquence de son ancienne fracture,
A._______ est traité, par injections d'antibiotiques, pour une dermo-
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hypodermite de la jambe gauche, atteinte de peu de gravité et traitable
en Turquie ; quant à ses affections rénales, que les thérapeutes
considèrent comme discrètes, et à son hypertension artérielle, elles
n'apparaissent pas, elles non plus, contre-indiquer un retour. Ils en va
de même des affections touchant l'épouse, d'ordre articulaire et
digestif.
En revanche, il en va autrement de l'état de santé psychique des
époux A._______ qui apparaît, selon les médecins en charge de leur
cas, gravement altéré. Ils sont tous deux touchés par un état dépressif
moyen à sévère chronifié, dérivant, en ce qui concerne B._______,
d'un syndrome de stress post-traumatique (PTSD) ; suite à ces
troubles, ils font l'objet d'un suivi psychiatrique et médicamenteux
d'une durée indéterminée. En outre, les thérapeutes ont insisté,
s'agissant des deux époux, sur le risque d'une décompensation grave
en cas de retour. Leur état est donc de nature à exclure l'exécution du
renvoi.
Un risque grave et sérieux de dégradation de l'état psychique des
intéressés existe, tous deux étant touchés par une anxiété
généralisée. Ce risque est en relation avec la perspective d'un retour
des intéressés en Turquie et, de manière plus générale, avec le
caractère précaire de leur séjour en Suisse ; par conséquent, le fait
qu'un traitement puisse ou non être administré aux recourants dans
leur pays d'origine n'est pas en soi décisif.
Enfin, les perspectives de réintégration peuvent être considérées
comme mauvaises : agriculteur et jamais scolarisé, comme sa femme,
le recourant éprouvera de grandes difficultés à trouver les ressources
nécessaires à la survie du couple, ce d'autant plus que sa santé est
mauvaise et qu'il apparaît exclu, après huit ans de séjour en Suisse,
qu'il puisse récupérer son exploitation, vendue avant son départ (cf.
audition cantonale du 29 avril 2002, p. 5) ; de plus, la probabilité d'une
aide de ses proches demeurant encore dans le région de F._______
n'est pas attestée, rien ne permettant d'admettre qu'ils seraient en
mesure de soutenir les recourants de manière efficace et suffisante.
On relèvera enfin que la longue présence en Suisse des époux
A._______, et spécialement de leurs enfants, serait de nature à rendre
plus difficile un éventuel retour en Turquie, vus les importants efforts
de réadaptation à laquelle ils devraient se livrer.
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6.4 Le Tribunal considère donc que la situation des intéressés, ainsi
que le tableau précis dressé par les médecins, sont suffisamment
clairs, et ne nécessitent pas d'autres investigations. De plus, il ne peut
se distancer sans motifs solides des conclusions des spécialistes qui
ont mis en garde contre le grave danger que pourrait entraîner un
départ de Suisse pour les recourants.
6.5 Dans ces circonstances, l'exécution du renvoi doit être considérée
comme inexigible. Dès lors, au vu de la conjugaison de facteurs
défavorables affectant les intéressés, il y a lieu de prononcer leur
admission provisoire ; celle-ci, en principe d’une durée d’un an (art. 85
al. 1 LEtr), renouvelable si nécessaire, apparaît mieux à même
d’écarter les risques sérieux qu'ils courent actuellement en cas de
retour. En application du principe de l'unité de la famille (art. 44 al. 1 in
fine LAsi), l'admission provisoire s'étend à leurs enfants (JICRA 1995
n° 24 consid. 10-11 p. 230-233).
7.
En conséquence, le recours doit être admis, en tant qu'il conclut au
prononcé de l'admission provisoire, et la décision attaquée annulée
sur ce point. L'autorité de première instance est donc invitée à
prononcer l'admission provisoire des recourants et de leurs enfants.
8.
8.1 L'assistance judiciaire partielle ayant été accordée, il n'est pas
perçu de frais (art. 65 al. 1 PA).
8.2 Conformément à l'art. 64 al. 1 PA, l'autorité de recours peut
allouer, d'office ou sur requête, à la partie ayant entièrement ou
partiellement gain de cause, une indemnité pour les frais
indispensables et relativement élevés qui lui ont été occasionnés.
8.3 Le Tribunal fixe le montant de l'indemnité, sur la base de la note
de frais du 26 janvier 2010 (art. 14 al. 2 du règlement du 11 décembre
2006 concernant les frais, dépens et indemnités fixés par le Tribunal
administratif fédéral [FITAF, RS 173.320.2]). Dite note fait état de 24,83
heures de travail à raison de Fr. 230.- par heure, soit au total
Fr. 5710,90. L'admission du recours étant partielle, les dépens sont
fixés à la moitié de cette somme, soit Fr. 2855,45, plus la TVA par
7,6%, plus les débours par Fr. 70,90.
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Par ces motifs, le Tribunal administratif fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté, en tant qu'il porte sur l'asile et le renvoi.
2.
Le recours est admis, en tant qu'il porte sur l'exécution du renvoi.
3.
L'ODM est invité à régler les conditions de séjour des intéressés et de
leurs enfants conformément aux dispositions sur l'admission provisoire
des étrangers.
4.
Il n'est pas perçu de frais.
5.
L'ODM versera aux recourants la somme de Fr. 3143,35 à titre de
dépens.
6.
Le présent arrêt est adressé au mandataire des recourants, à l'ODM et
à l'autorité cantonale compétente.
Le président du collège : Le greffier :
François Badoud Antoine Willa
Expédition :
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