Drėlingas c. Lituanie
Karar Dilini Çevir:
Drėlingas c. Lituanie


Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 227
Mars 2019
Drėlingas c. Lituanie - 28859/16
Arrêt 12.3.2019 [Section IV]
Article 7
Article 7-1
Nullum crimen sine lege
Condamnation pour crime de génocide commis dans les années 1950 contre des partisans lituaniens, après clarification par la Cour suprême de la jurisprudence interne : non-violation
En fait – Dans l’arrêt qu’elle rendit en octobre 2015 dans l’affaire Vasiliauskas c. Lituanie, la Grande Chambre de la Cour jugea que la condamnation du requérant pour génocide ne pouvait être considérée comme conforme à la substance de cette infraction telle qu’elle était alors définie dans le droit international et qu’elle n’avait donc pas été raisonnablement prévisible pour l’intéressé. Elle conclut donc à une violation de l’article 7 de la Convention. Dans cette affaire, le requérant avait été reconnu coupable, sur le fondement de l’article 99 du nouveau code pénal lituanien, d’actes de génocide commis en 1953 à l’encontre d’un groupe politique ; il avait été condamné à une peine de six ans d’emprisonnement. S’écartant de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, l’article 99 englobait les groupes politiques dans la liste des groupes protégés. La Cour estima qu’il était manifeste que le droit international en vigueur en 1953 n’incluait pas les « groupes politiques » dans la définition du génocide. Elle ajouta que la décision ultérieure de certains États d’incriminer dans leur ordre juridique interne les actes de génocide à l’encontre de groupes politiques ne changeait rien au fait que cette incrimination ne figurait pas dans le texte de la Convention de 1948.
À la même époque, en mars 2015, le requérant en l’espèce fut reconnu coupable de complicité de génocide sur le fondement de l’article 99 pour avoir participé à une opération au cours de laquelle deux partisans lituaniens avaient été capturés et l’un d’eux torturé puis exécuté. Le parquet releva que les deux partisans concernés étaient membres à la fois de la « résistance armée lituanienne contre l’occupation soviétique » et d’un « groupe national, ethnique et politique particulier ». La cour d’appel débouta le requérant du recours dont celui-ci l’avait saisie. La Cour suprême examina ensuite la situation au regard du droit lituanien et à la lumière de l’arrêt Vasiliauskas. Le 12 avril 2016, elle confirma les décisions des juridictions inférieures.
Le requérant estime que sa condamnation pour génocide a emporté violation de l’article 7 de la Convention. Il plaide en particulier que l’interprétation large que les juridictions nationales ont faite de la notion de crime de génocide est dénuée de fondement en droit international.
En droit – Article 7 : Dans ses observations, le Gouvernement se bornait essentiellement à la question de savoir si, au regard de la décision rendue le 12 avril 2016 par la Cour suprême, la situation du requérant relativement à sa condamnation pour génocide était conforme aux exigences découlant de l’article 7 telles qu’énoncées dans l’arrêt Vasiliauskas. À cet égard, la Cour a dû commencer par examiner s’il avait été remédié au manque de clarté du droit interne et, dans l’affirmative, si les exigences applicables avaient été respectées dans le cas du requérant.
Dans sa décision du 12 avril 2016, la Cour suprême analysa le contenu de l’arrêt rendu par la Cour en octobre 2015. Elle en déduisit que la Cour avait conclu à une violation de l’article 7 au motif que les juridictions lituaniennes n’avaient pas correctement étayé leur conclusion selon laquelle les partisans lituaniens constituaient une partie importante d’un groupe national, autrement dit d’un groupe protégé par la Convention sur le génocide. Elle confirma ultérieurement cette interprétation dans l’arrêt qu’elle rendit après la réouverture de l’affaire Vasiliauskas : elle y considéra qu’au cours de la procédure initiale contre l’intéressé, les juridictions internes n’avaient pas suffisamment motivé leur décision d’accorder aux partisans une « place » spécifique au sein du groupe national.
Compte tenu des principes relatifs à l’exécution des arrêts, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu pour elle de se prononcer sur la validité de l’interprétation de la Cour suprême, et qu’elle doit seulement s’assurer que son arrêt n’a été ni déformé ni dénaturé par l’arrêt de la Cour suprême en date du 12 avril 2016.
Dans le cas du requérant, la Cour suprême a fourni une explication détaillée, dans laquelle elle s’est étendue sur ce qui constitue la « nation » et sur les éléments qui l’ont conduite à considérer les partisans lituaniens comme « une partie importante de la nation lituanienne en tant que groupe national et ethnique ». Elle a notamment relevé que la répression soviétique avait ciblé la partie la plus active et la plus visible de la nation lituanienne, définie par les critères de nationalité et d’ethnicité. Elle a ajouté que l’objectif de ces mesures répressives était clairement d’influer sur la situation démographique de la nation lituanienne. Elle a en outre estimé que les membres de la résistance – les partisans lituaniens, leurs agents de liaison et leurs sympathisants – représentaient une partie importante de la population lituanienne en tant que groupe national et ethnique, les partisans ayant joué un rôle essentiel dans la protection de l’identité nationale, de la culture et de la conscience nationale de la nation lituanienne. Elle a donc jugé que ces caractéristiques permettaient de conclure qu’en tant que groupe les partisans avaient constitué une partie importante d’un groupe national et ethnique protégé, et que leur extermination s’analysait donc en un génocide, tant sur le fondement de l’article 99 du code pénal qu’au regard de la Convention sur le génocide. Partant, elle a remédié à la faiblesse que la Cour avait relevée dans l’arrêt Vasiliauskas.
Eu égard au principe de subsidiarité et à la teneur de l’arrêt prononcé par elle en 2015, la Cour estime que la Cour suprême a amplement étayé sa conclusion selon laquelle, les partisans ayant joué un rôle important pour la survie de l’ensemble du groupe national (la nation lituanienne) tel que défini par des caractéristiques ethniques, le requérant s’est rendu coupable d’un acte de génocide. Dans son raisonnement, la Cour suprême n’a pas déformé les conclusions que la Cour avait formulées dans son arrêt de 2015. Au contraire, elle s’est livrée en toute bonne foi à une interprétation fidèle de l’arrêt de la Cour, dans un souci de conformité aux obligations internationales de la Lituanie. Prise globalement, son interprétation de l’arrêt rendu par la Cour en 2015 n’est donc pas le résultat d’une erreur factuelle ou juridique manifeste qui aurait débouché sur une condamnation pour génocide que le requérant n’aurait pu prévoir.
En résumé, la Cour suprême a tiré les conclusions nécessaires de l’arrêt Vasiliauskas et, en clarifiant la jurisprudence interne, a remédié à la cause de la violation de la Convention. L’obligation légale faite aux juridictions internes de tenir compte de la jurisprudence de la Cour suprême constitue une garantie importante pour l’avenir. La condamnation du requérant pour génocide peut être considérée comme ayant été prévisible.
Conclusion : non-violation (cinq voix contre deux).
(Voir Vasiliauskas c. Lituanie [GC], 35343/05, 20 octobre 2015, Note d’information 189 ; voir aussi Hutchinson c. Royaume-Uni [GC], 57592/08, 17 janvier 2017, Note d’information 203)
 
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Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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