DRANICERU c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
Karar Dilini Çevir:
DRANICERU c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

 
 
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 31975/15
Iurie DRANICERU
contre la République de Moldova
 
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 12 février 2019 en une chambre composée de :
Robert Spano, président,
Paul Lemmens,
Julia Laffranque,
Valeriu Griţco,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 17 juin 2015,
Vu l’arrêt rendu dans l’affaire Shishanov c. République de Moldova, no 11353/06, le 15 septembre 2015,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Le requérant, M. Iurie Draniceru, est un ressortissant moldave né en 1971 et résidant à Ghidighici. Il a été représenté devant la Cour par Me A. Croitor, avocat exerçant à Chișinău.
2. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
A. Les circonstances de l’espèce
3. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
4. Le 30 janvier 2014, les autorités étatiques arrêtèrent le requérant, soupçonné de trouble aggravé à l’ordre public. Le lendemain, un juge décida de le placer en détention provisoire.
5. Le 3 février 2014, le requérant fut conduit dans l’établissement pénitentiaire no 13 de Chișinău. Il y fut détenu jusqu’au 17 décembre 2014, date à laquelle un juge décida son assignation à résidence.
6. Selon le requérant, les cellules dans lesquelles il a été détenu – une quinzaine au total – étaient surpeuplées. En raison d’une insuffisance de lits dans ces cellules, les détenus se seraient parfois relayés pour dormir. Les matelas et les draps n’auraient pas été fournis. Les cellules n’auraient pas bénéficié d’une ventilation efficace. Les codétenus du requérant auraient fumé et il aurait été exposé au tabagisme passif. Les cellules n’auraient pas été toutes alimentées en eau courante. Les toilettes n’auraient pas été séparées du reste de la cellule, auraient été situées à un mètre de la table à manger et auraient dégagé des odeurs nauséabondes. La nourriture servie aurait été de très mauvaise qualité, insuffisante et impropre à la consommation.
7. D’après le requérant, il souffrait d’une maladie cardio-vasculaire, de céphalées permanentes qu’auraient été causées par la fumée de cigarettes présente dans les cellules, et d’une maladie de l’oreille. Il n’aurait reçu aucun traitement médical pour soigner ces maladies.
8. Selon une lettre du service des urgences du 30 juillet 2014, une équipe médicale s’était déplacée le 24 juillet 2014 pour soigner le requérant. Le diagnostic de dystonie neurovégétative de type hypertensif avait été posé et le requérant avait reçu un traitement y relatif.
9. D’après un extrait du 16 décembre 2014 de la fiche médicale tenue par l’établissement pénitentiaire no 13, le requérant souffrait d’un trouble organique de personnalité de type paranoïde. Il y était indiqué qu’aucune donnée n’existait quant à une quelconque maladie cardio-vasculaire de l’intéressé. Toujours selon cet extrait, le requérant avait reçu des soins à chaque fois quand cela était nécessaire ou demandé, et son état de santé était jugé satisfaisant.
B. Le droit et les documents internes pertinents
10. Le 20 juillet 2017, le parlement moldave a adopté la loi no 163 sur la modification de certains actes législatifs (la loi no 163), dont l’article II prévoyait l’introduction de nouvelles dispositions dans le code de procédure pénale, en lien avec l’arrêt adopté par la Cour dans l’affaire Shishanov c. République de Moldova (no 11353/06, 15 septembre 2015). Le 20 octobre 2017, cette loi a été publiée dans le Journal officiel de la République de Moldova. Elle prévoyait, entre autres, la mise en place de nouveaux recours préventif et compensatoire en cas de conditions inadéquates de détention. Les dispositions relatives à ces recours devaient entrer en vigueur le 1er janvier 2019.
11. Le 29 novembre 2018, le parlement moldave a adopté la loi no 272 sur la modification de certains actes législatifs (la loi no 272), qui a entre autres remplacé certaines dispositions de la loi no 163 et du code de procédure pénale. Le 12 décembre 2018, la loi no 272 a été publiée dans le Journal officiel de la République de Moldova. En particulier, elle a modifié une partie des dispositions de la loi no 163 relatives aux recours préventif et compensatoire. Les dispositions légales ayant trait à ces recours sont entrées en vigueur le 1er janvier 2019. Par une lettre du 22 janvier 2019, le Gouvernement a informé la Cour de ces développements.
12. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale, tel que modifié par les lois nos 163 et 272, se lisent comme suit :
« Article 385. Les questions à résoudre par le tribunal lors de l’adoption du jugement
(...)
4) Lorsque, pendant l’enquête pénale ou le jugement de l’affaire, des violations graves des droits du prévenu [/de l’accusé] (...) ont été constatées, le tribunal examine la possibilité de réduire la peine du prévenu [/de l’accusé] au titre de compensation pour lesdites violations.
5) Lorsqu’il est constaté, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la violation des droits relativement aux conditions de détention, garantis par l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la réduction de la peine sera calculée comme suit : deux jours de prison pour un jour de détention provisoire.
6) Lorsque le condamné est resté en détention provisoire, dans les conditions indiquées au § 5, au moins 3 mois avant que son affaire fût déférée au tribunal, et lorsqu’il est question d’établir une peine principale sous forme de travail d’intérêt général, d’amende ou de privation du droit d’occuper certaines fonctions ou d’exercer certaines activités, le tribunal prononce une exemption de peine.
(...)”
« Article 4732. La plainte contre l’administration de l’établissement pénitentiaire relativement aux conditions de détention qui portent gravement atteinte aux droits du condamné ou du prévenu [/de l’accusé]
1) La plainte contre l’administration de l’établissement pénitentiaire relativement aux conditions de détention qui, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, portent gravement atteinte aux droits du condamné ou du prévenu [/de l’accusé], garantis par l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, peut être déposée par le condamné ou le prévenu [/l’accusé], personnellement ou par l’intermédiaire d’un avocat, auprès du tribunal compétent dont dépend l’établissement pénitentiaire où est détenu le condamné ou le prévenu [/l’accusé] ou, le cas échéant, d’où celui-ci a été libéré.
2) La plainte relative aux conditions de détention mentionnées au § 1 doit contenir les renseignements sur la période et le lieu de détention, la description détaillée des conditions matérielles qui portent gravement atteinte aux droits du condamné ou du prévenu, ainsi que la demande d’obliger l’administration de l’établissement pénitentiaire à faire cesser les conditions matérielles contestées. Les explications des autres condamnés ou prévenus, les copies des plaintes antérieures adressées à l’administration de l’établissement pénitentiaire ou aux autorités de surveillance, et les réponses y relatives, ainsi que d’autres preuves pertinentes peuvent être jointes à la plainte. Parallèlement au dépôt de la plainte, une copie de celle-ci et ses annexes sont expédiées à l’autorité en charge de l’exécution du jugement.
3) Les condamnés qui ont été détenus au moins 10 jours dans des conditions contraires aux dispositions de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, (...), peuvent demander au titre de dédommagement la réduction de la peine.
4) Lorsque la partie non exécutée de la peine ne permet pas la déduction intégrale de la remise de peine ou lorsque la période de détention dans des conditions inadéquates de détention est inférieure à 10 jours, le condamné peut demander un dédommagement pécuniaire pour le restant de la période.
5) La plainte relative aux conditions de détention qui portent gravement atteinte aux droits du condamné ou du prévenu [/de l’accusé] doit être déposée pendant la détention dans des conditions contraires aux dispositions de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou dans un délai de 6 mois à partir de la date où la détention dans de telles conditions a cessé, mais pas plus tard que 4 mois après la remise en liberté.
Article 4733. L’examen de la plainte relative aux conditions de détention qui portent gravement atteinte aux droits du condamné ou du prévenu [/de l’accusé] et la charge de la preuve
1) Le juge d’instruction examine la plainte relative aux conditions de détention qui portent gravement atteinte aux droits du condamné ou du prévenu [/de l’accusé], avec la participation de [celui-ci], de son avocat, le cas échéant, et du représentant de l’administration de l’établissement pénitentiaire.
2) La charge de la preuve de l’absence de violation des conditions de détention invoquées par le condamné ou le prévenu [/l’accusé] ainsi que de l’absence d’un préjudice moral appartient au représentant de l’administration de l’établissement pénitentiaire.
3) En vue de l’examen de la plainte, le représentant de l’administration de l’établissement pénitentiaire présente au tribunal, dans un délai de 10 jours, un rapport écrit dans lequel il répond à toutes les prétentions soulevées par le condamné ou le prévenu [/l’accusé] dans sa plainte, en mentionnant les mesures prises pour faire cesser les conditions de détention contestées, si de telles mesures ont été prises. Le représentant de l’administration de l’établissement pénitentiaire transmet la copie du rapport et des pièces y jointes au condamné ou, selon le cas, au prévenu [/à l’accusé].
4) Le délai maximal pour examiner la plainte relative aux conditions de détention qui portent gravement atteinte aux droits du condamné ou du prévenu [/de l’accusé] est de 3 mois.
Article 4734. La décision du tribunal
1) Afin d’évaluer les conditions de détention, le tribunal doit apprécier tant les preuves présentées par les parties que les rapports en la matière des institutions nationales et internationales.
2) Afin d’évaluer les conditions de détention, le tribunal tient compte des effets cumulatifs des conditions générales rapportées aux caractéristiques individuelles du condamné ou du prévenu [/de l’accusé] ainsi que de la période durant laquelle [celui-ci] a été détenu dans les conditions contestées.
3) S’il constate que le condamné ou le prévenu [/l’accusé] a été détenu dans des conditions contraires aux dispositions de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le tribunal oblige l’administration de l’établissement pénitentiaire de faire cesser les conditions précaires de détention et lui fixe un délai concret, qui n’excédera pas 15 jours, à l’issue duquel l’établissement pénitentiaire doit informer le tribunal de l’exécution du jugement.
4) S’il constate les circonstances prévues à l’article 4732 § 3, le tribunal dispose la réduction de la peine du condamné, octroyant de 1 à 3 jours de réduction pour 10 jours de détention dans des conditions précaires, calculés cumulativement.
5) S’il constate les circonstances prévues à l’article 4732 § 3, le tribunal dispose la réduction de la peine dans les conditions prévues au § 4 du présent article, et, pour ce qui est du restant de la période, il dispose, au titre de dédommagement, le paiement en faveur du condamné d’une somme allant jusqu’à deux unités conventionnelles pour chaque jour où le condamné a subi la violation des conditions de détention, ainsi que [le remboursement des] frais et dépens afférentes.
6) Si les circonstances prévues à l’article 4732 § 3 sont constatées, les prévenus [accusés] sont dédommagés conformément aux dispositions de l’article 385 §§ 5 et 6 ou, selon le cas, ceux-ci peuvent engager une action civile.
7) La remise de peine ou, selon le cas, le paiement des dédommagements pécuniaires, prévus aux §§ 4 et 5, est effectué(e) indépendamment de la confirmation ou non de la culpabilité de l’autorité qui met en application le jugement [de condamnation] ou le jugement [de placement en détention provisoire], ou de celle des personnes publiques activant au sein de cette autorité.
8) S’il ne constate pas la violation des dispositions de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pendant l’exécution de la peine ou la détention provisoire, le tribunal dispose le rejet de la plainte.
9) Le jugement adopté dans les conditions du présent article est immédiatement exécutoire, mais les parties peuvent le contester par un recours devant la cour d’appel, dans un délai de 10 jours à partir de la date du prononcé et par l’intermédiaire de la première instance. Lorsque des sommes ont été allouées, le jugement du tribunal est exécuté dans les conditions prévues par le code d’exécution. »
13. En application de l’article VI § 3 de la loi no 163, les personnes qui, en observant le critère de six mois, ont déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme pour se plaindre des conditions de leur détention peuvent exercer, dans un délai de quatre mois à partir du 1er janvier 2019, le recours prévu par la loi en question.
14. En application de l’article 6 § 45 du code de procédure pénale et de l’article 64 § 2 du code pénal, une unité conventionnelle est égale à 50 lei moldaves (environ 2,55 euros (EUR) selon le taux de change officiel en vigueur au 1er janvier 2019).
15. Le rapport de 2017 (page 159 et suivantes, chapitre « Résumé de la situation dans les lieux de détention ») de l’avocat du peuple (l’ombudsman) sur le respect des droits de l’homme en République de Moldova, dans ses parties pertinentes en l’espèce, se lit comme suit :
« Durant deux décennies, les mêmes problèmes systémiques sont constatés, dont le sous-financement des établissements pénitentiaires, la surpopulation, l’absence d’hygiène, des soins médicaux précaires, (...), des cellules froides, lumière insuffisante, humidité, (...), systèmes de canalisation et de ventilation non fonctionnels, absence ou insuffisance de draps, de couvertures et d’objets d’hygiène essentiels, mesures inefficaces de désinfection et de dératisation, etc.
(...)
Au 31 décembre 2017, 7 635 personnes étaient détenues dans le système pénitentiaire, comparées à 7 762 personnes détenues au 31 décembre 2016.
(...)
Le nombre total de personnes privées de libertés est composé de : 6 294 condamnés (6 377 en 2016), 1 341 prévenus (1 385 en 2016) (...).
(...)
Selon la dernière évaluation de la capacité de logement du système pénitentiaire, il a été établi que, en respectant les normes CPT (...), 6 735 personnes peuvent être détenues dans les établissements pénitentiaires, comparées à 7 635 personnes détenues au moment de l’évaluation (31 décembre 2017). Par conséquent, il y a une surpopulation de 900 personnes.
(...)
Un problème majeur reste la garantie des conditions minimales de détention dans les établissements pénitentiaires. Actuellement, l’État n’est pas en mesure d’observer son obligation consistant à garantir des espaces de détention dignes et sûrs. »
C. Les textes du Conseil de l’Europe
16. Les documents pertinents adoptés par le Conseil de l’Europe quant à l’amélioration des recours internes, aux arrêts qui révèlent un problème structurel sous-jacent, à la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour, ainsi qu’aux conférences de haut niveau sur l’avenir de la Cour sont cités dans l’arrêt Burmych et autres c. Ukraine ((radiation) [GC], nos 46852/13 et autres, §§ 110-123, 12 octobre 2017 (extraits)).
17. La Cour renvoie également aux rapports de 2001, 2004, 2007, 2011 et 2015 relatifs aux visites effectuées en République de Moldova par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), tels que résumés dans les affaires Shishanov (précité, §§ 57-60) et Valentin Baştovoi c. République de Moldova (no 40614/14, § 12, 28 novembre 2017).
18. Les passages pertinents en l’espèce du rapport relatif à la visite effectuée en République de Moldova par le CPT du 5 au 11 juin 2018 se lisent comme suit :
« 10. L’information fournie par les autorités moldaves au début de la visite révèle une légère baisse du nombre de détenus depuis la dernière visite du CPT, à savoir d’environ 7 770 en 2015 à 7 381 en 2018. La délégation a été informée des différentes mesures prises afin de réduire la taille de la population carcérale et afin de traiter le problème de la surpopulation, qui, de l’aveu des autorités, continue de toucher de nombreux établissements.
(...)
29. (...), la visite a révélé que la situation dans les prisons de Chișinău et de Soroca est, généralement parlant, restée inchangée pour un nombre considérable de personnes qui continuaient d’être détenues dans des conditions qui pourraient facilement être qualifiées d’inhumaines et dégradantes.
30. Dans la prison de Chișinău, de nombreuses cellules continuaient d’être en mauvais état et mal aérées, dont l’état d’hygiène était également mauvais, outre le fait d’être sérieusement surpeuplées (l’espace vital dans certains cas étant moins de 2 m2). (...).
31. Depuis déjà plusieurs années, il existe des plans pour remplacer l’actuelle prison par un nouvel établissement de détention provisoire dans la banlieue de Chișinău. Selon l’information fournie par les autorités, la construction du nouvel établissement, qui avait été reportée à plusieurs reprises par le passé, est actuellement prévue de démarrer à la fin de 2018 et son ouverture est programmée pour la fin de 2021. (...).
(...)
37. Le CPT a appris avec inquiétude que la situation relative au régime d’activités offertes aux personnes en détention provisoire dans la prison de Chișinău est restée inchangée depuis 2015. Ainsi, presque tous les détenus dans cet établissement restaient confinés dans leurs cellules jusqu’à 23 heures par jour, sans se voir offrir une quelconque activité extérieure, à l’exception d’une ou deux heures d’exercice en plein air par jour, dans de petites cours.
(...) Le Comité (...) conseille vivement aux autorités moldaves d’accorder la plus grande priorité à la mise en œuvre des plans pour la construction du nouvel établissement de détention provisoire à Chișinău. Dès que cela arrivera, l’actuelle prison devra être fermée. »
19. Lors de la réunion tenue les 13-15 mars 2018, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe s’est prononcé sur l’exécution des arrêts de la Cour relatifs aux conditions de détention en République de Moldova (l’affaire de référence est I. D. c. République de Moldova (47203/06)). Les textes correspondants adoptés, en leurs passages pertinents en l’espèce, se lisent comme suit :
« (...)
Mesures générales :
A) Recours interne pour contester les mauvaises conditions de détention
L’adoption de la législation établissant un nouveau recours interne est une évolution positive. Il est rappelé que le Comité a précédemment noté que ladite loi semblait respecter les principales exigences de la jurisprudence de la Cour européenne et les recommandations de l’arrêt Shishanov concernant les mesures préventives et compensatoires. Les autorités ont maintenant confirmé que le nouveau recours serait applicable à tous les détenus, y compris aux personnes placées en rétention administrative ou détenues dans les centres de détention de la police. Étant donné que le nouveau recours commencera à fonctionner à compter du 1er janvier 2019, les autorités sont invitées à rendre compte des mesures envisagées pour offrir dans l’intervalle une réparation aux plaintes relatives aux conditions de détention, y compris pour les affaires pendantes devant la Cour européenne.
B) Mesures contre le surpeuplement dans les établissements pénitentiaires (Ministère de la justice)
Il semble que les mesures adoptées jusqu’à présent aient permis de réduire légèrement le nombre total de détenus condamnés, même si le nombre de détenus en détention provisoire a légèrement augmenté. Il conviendrait donc de demander instamment aux autorités de continuer à prendre des mesures pour lutter contre le surpeuplement et de fournir des informations sur les progrès accomplis.
C) Conditions de détention dans les établissements pénitentiaires (Ministère de la Justice)
Les autorités pourraient être vivement encouragées à poursuivre leurs efforts afin de réaliser des avancées concrètes dans la conception de la nouvelle prison. Dans le même temps, il serait utile que le Comité réitère son appel à se conformer dans l’intervalle aux recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), qui ne nécessitent pas d’investissements majeurs, pour assurer un niveau acceptable de conditions de détention à la Prison no 13.
(...)
Les Délégués
(...)
En ce qui concerne les mesures générales
3. saluent l’adoption de la législation prévoyant de nouveaux recours préventifs et compensatoires pour contester les conditions de détention, notent que la législation entrera en vigueur le 1er janvier 2019 et invitent les autorités à fournir des informations sur les mesures envisagées pour offrir une réparation dans l’intervalle aux détenus qui se plaignent de leurs conditions de détention, y compris dans les affaires pendantes devant la Cour européenne ;
4. invitent instamment les autorités à intensifier leurs efforts pour lutter contre le surpeuplement, en s’inspirant des normes du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et des recommandations pertinentes du Comité des Ministres et à informer le Comité des progrès accomplis ;
5. en outre, encouragent vivement les autorités à poursuivre leurs efforts dans la construction de la nouvelle prison et, jusqu’à ce que ce nouvel établissement soit opérationnel, réitèrent l’importance de se conformer aux recommandations du CPT pour que la prison no 13 offre des conditions de détention acceptables ;
(...) »
GRIEFS
20. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint de ses conditions de détention, qu’il qualifie de contraires à cette disposition, ainsi que d’une absence de soins médicaux en détention.
21. Invoquant l’article 13 de la Convention, il dénonce également une absence de recours interne effectif pour faire valoir ses droits énoncés à l’article 3 de la Convention.
EN DROIT
A. Sur le grief tiré de l’article 3 de la Convention
22. Le requérant allègue que les conditions matérielles de détention ainsi que l’absence de soins médicaux dans l’établissement pénitentiaire no 13 de Chișinău s’analysent en des traitements inhumains et dégradants. L’article 3 de la Convention est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
1. Sur l’absence alléguée de soins en détention
23. La Cour estime que le requérant n’a pas étayé son allégation tirée d’une absence de soins médicaux en détention. Elle observe que, selon la documentation médicale en sa possession (paragraphes 8-9 ci-dessus), l’intéressé a reçu des soins en détention à plusieurs reprises et à chaque fois que cela était nécessaire. Elle note également que le requérant n’a fourni aucun élément de preuve montrant que son état aurait nécessité d’autres soins médicaux spécifiques et qu’il ne les aurait pas reçus. Par conséquent, la Cour juge que cette partie du grief tiré de l’article 3 de la Convention est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée comme irrecevable, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Sur les conditions matérielles de détention
a) Application de l’article 46 de la Convention dans l’arrêt Shishanov
24. La Cour rappelle avoir constaté que les mauvaises conditions de détention constituaient un problème récurrent en République de Moldova (Shishanov, précité, § 126). Eu égard à ce constat et en application de l’article 46 de la Convention, elle a considéré que l’État défendeur devait sans tarder mettre en place un recours ou une combinaison de recours ayant des effets préventifs et compensatoires, garantissant réellement une réparation effective des violations de la Convention résultant des conditions inadéquates de détention en République de Moldova (ibidem, § 139). Par ailleurs, la Cour rappelle qu’elle a adopté des arrêts pilotes ayant trait aux conditions de détention à l’égard d’autres États défendeurs (voir le rappel des arrêts correspondants dans Domján c. Hongrie (déc.), no 5433/17, 14 novembre 2017). Les passages pertinents en l’espèce de l’arrêt Shishanov se lisent comme suit :
« 131. En ce qui concerne la ou les voies de recours internes à adopter pour faire face au problème identifié dans la présente affaire, la Cour rappelle qu’en matière de conditions de détention, les remèdes « préventifs » et ceux de nature « compensatoire » doivent coexister de manière complémentaire. Ainsi, lorsqu’un requérant est détenu dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention, le meilleur redressement possible est la cessation rapide de la violation du droit à ne pas subir des traitements inhumains et dégradants. De plus, toute personne ayant subi une détention portant atteinte à sa dignité doit pouvoir obtenir une réparation pour la violation subie (Iliev et autres c. Bulgarie, nos 4473/02 et 34138/04, § 55, 10 février 2011, Ananyev et autres, précité, §§ 97-98 et 210-240, et Torreggiani et autres, précité, § 96).
a) Recours préventifs
132. La Cour rappelle que la meilleure option serait la mise en place d’une autorité spéciale chargée de superviser les lieux de détention ; en effet, une telle autorité est plus à même de fournir des résultats rapides (Ananyev et autres, précité, § 215). Pour que le recours devant cette autorité soit effectif, l’autorité en question devrait (a) être indépendante des autorités en charge du système pénitentiaire, (b) garantir une participation effective des détenus lors de l’examen de leurs plaintes, (c) examiner les plaintes des détenus d’une manière rapide et diligente, (d) disposer d’un large arsenal d’outils légaux permettant d’éradiquer les problèmes à l’origine de ces plaintes, et (e) être en mesure de rendre des décisions obligatoires et exécutoires (Ananyev et autres, précité, §§ 214-216). Ce recours devrait également autoriser de mettre rapidement fin à l’incarcération dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention (Torreggiani et autres, précité, § 97).
133. La Cour indique qu’un autre choix possible serait l’institution d’un recours préventif auprès d’une autorité judiciaire. L’État défendeur peut soit créer un nouveau dispositif, soit adapter le recours existant devant le juge d’instruction (paragraphes 41, 42 et 52 ci-dessus). (...) la Cour estime que, en tout état de cause, l’éventuelle instance judiciaire compétente devrait avoir le pouvoir d’ordonner aux autorités pénitentiaires des actions de redressement concrètes susceptibles d’améliorer non seulement la situation du plaignant mais également celle des autres détenus. De plus, l’État devrait définir la modalité exacte d’exécution des mesures ordonnées par les juges (Ananyev et autres, précité, §§ 219-220).
b) Recours compensatoires
134. Pour ce qui est des recours compensatoires en matière de mauvaises conditions de détention, la Cour rappelle que la charge de la preuve imposée aux justiciables ne doit pas être excessive. Les détenus peuvent être amenés à montrer qu’il y a au moins une apparence de violation de l’article 3 de la Convention, et à fournir des preuves facilement accessibles, par exemple la description détaillée des faits dont ils se plaignent, les déclarations des codétenus, ou les plaintes adressées aux autorités pénitentiaires ou aux autorités de supervision et leurs réponses respectives. Il incombera dès lors aux autorités internes de combattre ces allégations. En ce qui concerne les garanties procédurales, la Cour rappelle que l’action du détenu doit être tranchée dans un délai raisonnable et que les règles régissant cette action doivent être conformes au principe d’équité tel qu’énoncé à l’article 6 § 1 de la Convention. Les règles en matière de frais de justice ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur le détenu dont l’action est fondée. De plus, l’octroi de la compensation ne doit pas être conditionné par la capacité des demandeurs à prouver que la conduite des responsables ou des autorités spécifiques a été illégale. La Cour rappelle à ce sujet que les mauvaises conditions de détention ne sont pas nécessairement le résultat des omissions de certains responsables en particulier, mais ont le plus souvent à leur origine des facteurs plus complexes. Enfin, le montant des indemnisations allouées pour le préjudice moral ne doit pas être déraisonnable par rapport aux sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires (Ananyev et autres, précité, §§ 228-230).
135. (...) [la Cour] souligne que le constat d’incompatibilité des conditions de détention avec les exigences de l’article 3 de la Convention crée, à lui seul, une forte présomption selon laquelle le détenu concerné a subi un dommage moral (Ananyev et autres, précité, § 229).
136. La Cour relève enfin que, pour les personnes qui sont encore en détention, un autre type de réparation est envisageable, à savoir la réduction de peine au prorata du nombre des jours de détention incompatible avec la Convention. (...).
137. La Cour rappelle que la remise de peine peut constituer un redressement adéquat en cas de mauvaises conditions matérielles de détention à condition que, d’une part, elle soit explicitement octroyée pour réparer la violation de l’article 3 de la Convention et que, d’autre part, son impact sur le quantum de la peine de la personne intéressée soit mesurable (Stella et autres c. Italie (déc.), nos 49169/09 et autres, §§ 59-60, 16 septembre 2014).
c) Conclusion
138. La Cour n’a pas à préciser quelle serait la meilleure manière d’instaurer les voies de recours internes nécessaires. L’État peut soit modifier les recours existants soit en créer de nouveaux de sorte que les violations des droits tirés de la Convention puissent être redressées de manière réellement effective (voir, pour comparaison, Łatak c. Pologne (déc.), no 52070/08, §§ 80-81 et 87, 12 octobre 2010, Łomiński c. Pologne (déc.), no 33502/09, § 71-72 et 78, 13 octobre 2010, et Stella et autres, précité, §§ 46-63). Il lui incombe également, sous le contrôle du Comité des Ministres, de garantir que le recours ou les recours nouvellement mis en place respectent, tant en théorie qu’en pratique, les exigences de la Convention (Torreggiani et autres, précité, § 98).
139. La Cour en conclut que les autorités nationales doivent sans retard mettre en place un recours ou une combinaison de recours ayant des effets préventifs et compensatoires et garantissant réellement une réparation effective des violations de la Convention résultant des conditions de détention inappropriées en République de Moldova. Ce ou ces recours devront être conformes aux principes de la Convention (...). »
25. Dans la présente affaire, la Cour examinera le nouveau recours instauré dans l’ordre juridique interne moldave à la lumière, entre autres, des principes énoncés dans l’arrêt Shishanov, précité. Compte tenu du fait que le recours n’est disponible aux justiciables que depuis peu, l’analyse de la Cour sera nécessairement axée sur les dispositions légales le régissant plutôt que sur la pratique judiciaire y relative.
b) Création d’une nouvelle voie de recours interne à la suite de l’arrêt Shishanov
26. La Cour constate que, dans le prolongement de l’arrêt Shishanov, précité, le parlement moldave a adopté les lois no 163 et no 272 ayant comme objet, entre autres, la modification du code de procédure pénale et l’introduction dans le droit interne d’une nouvelle voie de recours en matière de conditions de détention (paragraphes 10-13 ci-dessus). Ces deux lois ont été publiées le 20 octobre 2017 et le 12 décembre 2018 respectivement et les dispositions relatives au nouveau recours sont entrées en vigueur le 1er janvier 2019.
27. Elle observe que, en application de ces nouvelles dispositions internes, toute personne détenue, qu’elle soit condamnée ou placée en détention provisoire, peut saisir un juge d’instruction pour dénoncer les conditions de sa détention. La plainte peut être déposée personnellement ou par l’intermédiaire d’un avocat. Le plaignant doit, d’une part, décrire en détail les conditions matérielles de sa détention, ainsi que préciser les périodes et les lieux de détention, et, d’autre part, demander au juge d’obliger l’administration pénitentiaire de faire cesser la détention dans les conditions contestées.
28. Quant à la procédure applicable, la Cour note que le juge doit examiner la plainte en présence du plaignant et, le cas échéant, de son avocat. La participation du représentant de l’établissement pénitentiaire est également requise. Il incombe à ce dernier de prouver que les conditions de détention du plaignant n’étaient pas inadéquates et que celui-ci n’a pas subi de préjudice moral. Le juge d’instruction saisi doit rendre sa décision dans un délai de trois mois.
29. De plus, la Cour relève que, lorsqu’il évalue les conditions de détention, le juge saisi doit tenir compte tant des preuves fournies par les parties, que des rapports en la matière des institutions nationales et internationales. Celui-ci doit également prendre en compte l’effet cumulatif des conditions de détention.
30. Pour résumer, la Cour constate que la procédure relative au nouveau recours se déroule devant un juge qui présente les garanties d’indépendance et d’impartialité, ainsi que toutes les autres garanties associées à une procédure judiciaire contradictoire, et dont les décisions sont contraignantes pour les autorités administratives compétentes et d’exécution immédiate. De plus, elle relève avec intérêt que la charge de la preuve pesant sur le détenu n’apparait nullement comme excessive. La Cour remarque également avec satisfaction que le juge, lorsqu’il est amené à évaluer les conditions de détention, doit tenir compte des principes qu’elle a élaborés en la matière. Quant à la durée de trois mois accordée au juge pour rendre sa décision, elle ne la juge pas déraisonnable. Cependant, les juges devront veiller au respect strict de ce délai et, lorsque les circonstances appellent une célérité particulière, ils devront même traiter l’affaire dans un délai plus court (comparer avec Atanasov et Apostolov c. Bulgarie (déc.), no 65540/16 et 22368/17, § 52, 27 juin 2017).
31. À présent, il appartient à la Cour de se prononcer sur les mesures que le juge saisi peut ordonner, lesquelles peuvent être à caractère préventif et/ou compensatoire.
i. Volet préventif du recours
32. La Cour relève que, lorsqu’il constate que la plainte du détenu est bien fondée, le juge d’instruction peut ordonner à l’établissement pénitentiaire de redresser la situation dans un délai maximal de quinze jours et que, à l’issue de ce délai, l’administration pénitentiaire doit informer le juge des mesures concrètes prises.
33. Elle juge que rien n’indique que le nouveau recours n’offrira pas des chances réelles d’améliorer les conditions inadéquates de détention ou qu’il ne sera pas susceptible de fournir aux détenus une possibilité effective de rendre ces conditions conformes aux exigences de l’article 3 de la Convention.
34. Elle note également que, dans sa décision de mars 2018, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a salué l’adoption de la législation prévoyant de nouveaux recours préventifs et compensatoires pour contester les conditions de détention, qu’il a noté que les mesures adoptées jusqu’à présent par les autorités moldaves semblaient avoir permis de réduire légèrement le nombre total de détenus condamnés et qu’il encourage vivement les autorités à poursuivre leurs efforts dans la construction d’une nouvelle prison (paragraphe 19 ci-dessus). À son tour, la Cour ne saurait qu’inciter l’État défendeur à intensifier ses efforts dans le but d’améliorer les conditions matérielles, de régler le problème lié au surpeuplement, ainsi que de garantir à chaque détenu des conditions de vie compatibles avec les principes de la Convention. Parallèlement, elle invite instamment les autorités moldaves, et plus particulièrement les juridictions internes, à réduire le recours à la détention provisoire et à élargir l’utilisation des mesures alternatives à la détention (comparer avec Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, §§ 197-203, 10 janvier 2012). Cela étant, la Cour estime que les légères améliorations déjà observées ainsi que celles qui pourront être accomplies dans le futur sont en mesure d’aider les autorités moldaves à adopter, y compris au cas par cas, des actions concrètes et effectives pour résoudre définitivement le problème des mauvaises conditions de détention.
ii. Volet compensatoire du recours
35. La Cour remarque ensuite que le juge d’instruction est tenu d’offrir une compensation aux détenus dont les plaintes relatives aux mauvaises conditions de détention sont bien fondées. Ainsi, le juge peut : a) disposer la réduction de la peine du condamné, à raison de un à trois jours de remise de peine pour dix jours de détention dans des conditions inadéquates, et b) lorsque la remise de peine n’est pas suffisante pour dédommager le condamné ou lorsque la détention dans des conditions inadéquates est inférieure à dix jours, octroyer au condamné un dédommagement pécuniaire d’un montant maximal de deux unités conventionnelles, soit 100 lei moldaves (environ 5,10 EUR selon le taux de change officiel en vigueur au 1er janvier 2019), pour chaque jour de détention dans des conditions inadéquates.
36. Pour ce qui est des prévenus/accusés, la Cour observe que ceux-ci doivent être dédommagés par le tribunal qui fixe l’éventuelle peine privative de liberté, selon la formule suivante : deux jours de remise de peine pour un jour de détention provisoire dans de mauvaises conditions. Dans le cas de figure où la remise de peine ne peut pas être appliquée, le prévenu/l’accusé peut engager une action civile pour être dédommagé.
37. La Cour relève également que l’octroi d’une compensation pour les mauvaises conditions de détention n’est pas assujetti à l’existence d’une conduite illicite de la part des responsables ou des autorités spécifiques.
38. S’agissant du premier type de réparation, à savoir la réduction de peine, la Cour a déjà eu l’occasion de juger qu’une remise de peine égale à un jour pour chaque période de dix jours de détention incompatible avec la Convention constituait un redressement adéquat en cas de mauvaises conditions matérielles de détention et que, en plus, cette forme de redressement présentait l’avantage indéniable de contribuer à résoudre le problème du surpeuplement en accélérant la sortie de prison des personnes détenues (Stella et autres c. Italie (déc.), nos 49169/09 et autres, § 60, 16 septembre 2014). Dans la mesure où la réduction de peine prévue par les nouvelles dispositions moldaves est plus favorable aux détenus que celle prévue par la législation italienne, la Cour ne saurait arriver en l’espèce à une conclusion différente de celle opérée dans Stella et autres.
39. Quant à la compensation pécuniaire, réservée par le droit interne aux personnes qui, pour différentes raisons, ne peuvent pas bénéficier d’une remise de peine, la Cour rappelle que lorsqu’un État a fait un pas significatif en introduisant un recours indemnitaire pour réparer une violation de la Convention, elle se doit de lui laisser une plus grande marge d’appréciation pour qu’il puisse organiser ce recours interne de façon cohérente avec son propre système juridique et ses traditions, en conformité avec le niveau de vie du pays. Ainsi, la Cour peut parfaitement accepter qu’un État qui s’est doté de différents recours et dont les décisions conformes à la tradition juridique et au niveau de vie du pays sont rapides, motivées et exécutées avec célérité, accorde des sommes qui, tout en étant inférieures à celles fixées par la Cour, ne sont pas déraisonnables (Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, §§ 80 et 97, CEDH 2006‑V, Stella et autres, décision précitée, § 61, et Domján, décision précitée, § 27).
40. La Cour rappelle ensuite avoir estimé, dans Stella et autres (décision précitée, §§ 19 et 62), que le montant de l’indemnisation prévue par le droit italien, à savoir 8 EUR par jour de détention dans des conditions incompatibles avec l’article 3 de la Convention, n’apparaissait pas comme déraisonnable ou disproportionné. Compte tenu des réalités économiques en Hongrie, elle est arrivée à la même conclusion dans Domján (décision précitée, § 28) relativement à des montants d’indemnisation compris entre 4 EUR et 5,3 EUR par jour de détention dans des conditions inappropriées. Eu égard à la jurisprudence précitée et aux réalités économiques de la République de Moldova, la Cour estime que le montant maximal de 5,10 EUR par jour de détention dans de mauvaises conditions, prévu par les nouvelles dispositions moldaves au titre d’indemnisation, ne saurait non plus être considéré comme déraisonnable. Elle remarque cependant que, contrairement à la législation hongroise, le droit moldave ne prévoit pas de limite inférieure quant au montant de l’indemnisation à allouer. À ce sujet, elle rappelle que le niveau d’indemnisation accordé au niveau interne est un facteur important pour apprécier l’effectivité d’un recours (Atanasov et Apostolov, décision précitée, § 64). Cela étant, la Cour ne saurait en déduire que les tribunaux moldaves ne donneront pas pleinement effet aux nouvelles dispositions internes ou qu’ils manqueront d’établir une jurisprudence cohérente et uniforme y relative. Ils devront toutefois veiller à ce que l’application des nouvelles dispositions soit compatible avec les exigences de la Convention et de la jurisprudence de la Cour.
c) Conclusion
41. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la nouvelle voie de recours instaurée en République de Moldova présente, en principe, des perspectives de redressement approprié des violations de la Convention résultant des mauvaises conditions de détention. La Cour souligne toutefois que cette conclusion ne préjuge en rien, le cas échéant, d’un éventuel réexamen de la question de l’effectivité du recours en question à la lumière des décisions rendues par les juridictions nationales et de leur exécution effective. Elle conserve sa compétence de contrôle ultime pour tout grief présenté par des requérants qui, comme le veut le principe de subsidiarité, ont épuisé les voies de recours internes disponibles (Stella et autres, décision précitée, § 63, et Domján, décision précitée, § 38).
3. Épuisement de la nouvelle voie de recours interne
42. La Cour rappelle que les principes pertinents applicables en matière d’épuisement des voies de recours internes instaurées à la suite d’un arrêt pilote sont désormais bien établis (voir, parmi beaucoup d’autres, Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99 et 7 autres, §§ 69-70 et 87-88, CEDH 2010, Stella et autres, décision précitée, §§ 38‑41, et Domján, décision précitée, §§ 31-34). Il résulte notamment de cette jurisprudence que, même si l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant la Cour, cette règle souffre des exceptions qui peuvent se justifier par les circonstances d’une affaire donnée, en particulier lorsqu’une voie de recours a été instaurée à la suite d’un arrêt pilote de la Cour.
43. La Cour a jugé ci-dessus que le nouveau recours introduit dans l’ordre juridique interne par les lois nos 163 et 272 était en principe conforme aux critères énoncés dans l’arrêt Shishanov, précité, et qu’il pouvait a priori être considéré comme effectif pour contester les mauvaises conditions de détention en République de Moldova (paragraphes 26-41 ci‑dessus). Elle observe que ce recours est ouvert aux personnes condamnées ou placées en détention provisoire, ainsi que, sous réserve du respect des délais établis par les nouvelles dispositions internes et pour ce qui est du volet compensatoire du recours, aux personnes remises en liberté. De plus, les personnes qui ont une requête pendante devant la Cour relative aux conditions de leur détention peuvent exercer, dans un délai de quatre mois à partir du 1er janvier 2019, le recours prévu par la loi en question.
44. Par conséquent, la Cour considère qu’il est justifié d’appliquer l’exception au principe de l’épuisement des voies de recours internes (paragraphe 42 ci-dessus), et que le requérant et les autres justiciables se trouvant dans la même situation doivent exercer le recours instauré par les lois nos 163 et 272.
45. Pour ce qui est du cas d’espèce, la Cour observe que le requérant, pour autant qu’il allègue avoir été incarcéré dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention, doit se prévaloir du nouveau recours en question afin d’obtenir au niveau national la reconnaissance de la violation et, le cas échéant, une compensation adéquate. En même temps, elle précise que, s’il n’obtient pas gain de cause au niveau national, il lui sera loisible d’introduire une nouvelle requête devant la Cour dans un délai de six mois après l’épuisement de la nouvelle voie de recours.
46. La Cour précise encore une fois qu’elle se réserve la possibilité d’examiner la cohérence de la jurisprudence des juridictions internes avec sa propre jurisprudence ainsi que l’effectivité des recours tant en théorie qu’en pratique. En tout état de cause, la charge de la preuve concernant l’effectivité des recours pèsera alors sur l’État défendeur (Stella et autres, décision précitée, § 68).
47. Il s’ensuit que le grief du requérant tiré des conditions inadéquates de détention doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
B. Sur le grief tiré de l’article 13 de la Convention
48. Le requérant se plaint également de ne pas avoir eu un recours effectif à sa disposition pour faire valoir ses droits garantis par l’article 3 de la Convention, ce qui aurait été contraire à l’article 13 de la Convention qui se lit comme suit :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
49. La Cour a déjà jugé que le nouveau recours est en principe effectif au sens de l’article 35 § 1 de la Convention (paragraphe 41 ci-dessus). Compte tenu du lien entre cette disposition et l’article 13 de la Convention, elle estime que ce constat est également valable à l’égard du présent grief (Atanasov et Apostolov, décision précitée, § 72, et Domján, décision précitée, § 41).
50. Partant, la Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 28 février 2019.
              Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident

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