DALLEAU c. FRANCE
Karar Dilini Çevir:
DALLEAU c. FRANCE

 
Communiquée le 29 mai 2019
 
CINQUIÈME SECTION
Requête no 57307/18
Valérie DALLEAU
contre la France
introduite le 3 décembre 2018
EXPOSÉ DES FAITS
La requérante, Mme Valérie Dalleau, est une ressortissante française née en 1983 et résidant à Antony. Elle est représentée devant la Cour par Me D. Simhon, avocat exerçant à Paris.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.
Le 10 décembre 2016, il fut diagnostiqué que le compagnon de la requérante, M.C., était atteint d’un cancer. Le 13 décembre 2016, l’avant-veille du début de son traitement par chimiothérapie, M.C. procéda à un dépôt de ses gamètes au centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) de l’Hôpital Cochin à Paris. Le 25 février 2017, il conclut un pacte civil de solidarité avec la requérante.
Le couple entama les démarches pour une procréation médicalement assistée. La requérante indique qu’elles ont été interrompues en raison de la détérioration de l’état de santé de M.C. Le 19 septembre 2017, M.C. écrivit au CECOS pour qu’il rapatrie les gamètes à l’hôpital Antoine-Béclère où devait se dérouler l’insémination artificielle.
Le 25 septembre 2017, M.C. fut admis à l’hôpital où il est décédé le 29 septembre 2017.
Le 26 décembre 2017, la requérante demanda au CECOS un transfert des paillettes vers un établissement de santé implanté en Espagne en vue d’une insémination post mortem. D’après la loi espagnole 14/2006 sur les techniques de reproduction humaines assistée, tout homme peut indiquer, dans un testament, un acte authentique ou des directives anticipées, son souhait de voir ses gamètes utilisés après son décès pour provoquer une grossesse chez son épouse (ou sa compagne). Le lien de filiation est alors reconnu si l’intervention a lieu dans les douze mois qui suivent le décès.
En l’absence de réponse du centre, par une requête enregistrée le 23 mai 2018, la requérante demanda au juge des référés du tribunal administratif (ci-après TA) de Paris d’ordonner à l’Assistance publique – hôpitaux de Paris – de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l’exportation des gamètes de son compagnon défunt vers un établissement de santé situé dans l’Union européenne, autorisé à pratiquer les procréations médicalement assistées.
Par une ordonnance du 25 mai 2018, le juge des référés rejeta sa requête. Il indiqua que les dispositions du code de la santé publique n’étaient pas incompatibles avec l’article 8 de la Convention car l’interdiction qu’elles posent d’utiliser les gamètes du mari après son décès pour réaliser une insémination au profit de sa veuve relève de la marge d’appréciation dont dispose l’État pour l’application de la Convention. Il jugea par ailleurs que l’interdiction de l’exportation des gamètes déposés en France, s’ils sont destinés à être utilisés à l’étranger à des fins qui sont prohibées sur le territoire national, visait à faire obstacle à tout contournement de la loi française. Sur l’appréciation de l’atteinte portée par la décision contestée au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale, le juge des référés considéra ce qui suit :
« Il résulte de l’instruction et n’est pas contesté que [la requérante et M.C.] avaient le projet de devenir parents. Pour permettre ce projet malgré la mise en œuvre d’un traitement par chimiothérapie qui risquait d’altérer sa fertilité, [M.C.] a procédé au dépôt de spermatozoïdes le 13 décembre 2016 auprès du CECOS de l’hôpital Cochin. À cette occasion, il lui a été indiqué que la conservation des spermatozoïdes était strictement personnelle, qu’elle était assurée pour une durée d’un an renouvelable, qu’il serait interrogé tous les ans sur le devenir de ses paillettes, que ses paillettes ne pourront être délivrées qu’à lui-même présent et consentant sur présentation de sa pièce d’identité, et qu’en cas de décès, il serait mis fin à cette conservation. Par la suite, et alors que son état de santé s’est stabilisé au mois d’avril 2017 pour se dégrader de façon fulgurante le 25 septembre 2017, M.C. n’a jamais exprimé la volonté que ses paillettes soient utilisées en vue d’une insémination artificielle postérieurement à son décès éventuel. Par ailleurs, [la requérante], qui est de nationalité française et réside en France, n’a pas de lien particulier avec l’Espagne, pays dans lequel un établissement de santé aurait accepté de procéder à une insémination post mortem, selon les affirmations de son avocat à l’audience, non corroborées par les pièces du dossier. Ainsi, le projet d’insémination à l’étranger poursuivi par [la requérante] est clairement animé par la volonté de contourner les dispositions législatives françaises qui font obstacle à sa réalisation. Dans ces conditions, compte tenu des intérêts légitimes qui fondent la législation française, la décision contestée ne porte pas atteinte au droit de [la requérante] au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l’article 8 de la [Convention], une atteinte excessive. »
La requérante forma un pourvoi en cassation et invoqua une violation de l’article 8 de la Convention. Par une ordonnance du 13 juin 2018, le Conseil d’État rejeta sa requête. Il considéra notamment que :
« Pour estimer que le refus opposé à [la requérante] n’entraîne pas, en l’espèce, de conséquences manifestement contraires aux exigences nées de l’article 8 de [la Convention], le juge des référés du tribunal administratif de Paris s’est fondé sur la double circonstance que, d’une part, alors qu’il a été indiqué à [M.C.] que la conservation des spermatozoïdes était strictement personnelle et qu’en cas de décès, il serait mis fin à cette conservation, celui-ci n’a jamais exprimé la volonté que ses paillettes soient utilisées en vue d’une éventuelle insémination artificielle post mortem et que, d’autre part, [la requérante], qui est de nationalité française, réside en France et n’a pas de lien particulier avec l’Espagne, pays où se trouve un établissement avec lequel elle a pris contact en vue d’une assistance médicale à la procréation après le décès de M.C., ne démontre pas l’existence d’une circonstance particulière constituant une ingérence disproportionnée dans ses droits garantis par [la Convention]. La requérante n’apporte en appel aucun élément nouveau susceptible d’infirmer l’appréciation ainsi portée par le juge des référés de première instance tant en ce qui concerne la volonté manifestée par M.C. qu’en ce qui concerne l’existence de circonstances tenant à des liens particuliers entretenus avec un autre État membre de l’Union européenne dans lequel une insémination artificielle post mortem peut être légalement pratiquée. »
À la suite d’une demande du greffe, l’avocat de la requérante indiqua à la Cour que, parallèlement à la procédure de référé, la requérante avait introduit un recours au fond. Par un jugement du 21 décembre 2018, le TA de Paris rejeta sa requête pour les mêmes motifs que ceux invoqués par le juge des référés. Le 22 février 2019, la requérante interjeta appel du jugement.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
1.  Le code de la santé publique
Les articles pertinents du code de la santé publique se lisent ainsi :
Article L. 2141-2
« L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple.
Elle a pour objet de remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité.
L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation. »
Article L. 2141-11
« Toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d’altérer la fertilité, ou dont la fertilité risque d’être prématurément altérée, peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d’une assistance médicale à la procréation, ou en vue de la préservation et de la restauration de sa fertilité. Ce recueil et cette conservation sont subordonnés au consentement de l’intéressé et, le cas échéant, de celui de l’un des titulaires de l’autorité parentale, ou du tuteur, lorsque l’intéressé, mineur ou majeur, fait l’objet d’une mesure de tutelle. »
Article L. 2141-11-1
« L’importation et l’exportation de gamètes ou de tissus germinaux issus du corps humain sont soumises à une autorisation délivrée par l’Agence de la biomédecine.
Seul un établissement, un organisme ou un laboratoire titulaire de l’autorisation prévue à l’article L. 2142-1 pour exercer une activité biologique d’assistance médicale à la procréation peut obtenir l’autorisation prévue au présent article.
Seuls les gamètes et les tissus germinaux recueillis et destinés à être utilisés conformément aux normes de qualité et de sécurité en vigueur, ainsi qu’aux principes mentionnés aux articles L. 1244-3, L. 1244-4, L. 2141-2, L. 2141-3 et L. 2141-11 du présent code et aux articles 16 à 16-8 du code civil, peuvent faire l’objet d’une autorisation d’importation ou d’exportation.
Toute violation des prescriptions fixées par l’autorisation d’importation ou d’exportation de gamètes ou de tissus germinaux entraîne la suspension ou le retrait de cette autorisation par l’Agence de la biomédecine. »
Article L. 2141-18
«  Il est mis fin à la conservation des gamètes ou des tissus germinaux en cas de décès de la personne. Il en est de même si, n’ayant pas répondu à la consultation selon les modalités fixées par l’arrêté prévu aux articles R. 2142-24 et R. 2142-27, elle n’est plus en âge de procréer.
Les modèles de consultation annuelle de la personne et de confirmation du consentement sont fixés par décision du directeur général de l’Agence de la biomédecine. »
Article R. 2141-17
« I.- La personne, dont les gamètes ont été recueillis ou prélevés et conservés dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation pour un projet parental en application de l’article L. 2141-1, est consultée chaque année par écrit sur le point de savoir si elle maintient cette modalité de conservation.
Si elle ne souhaite plus la maintenir, elle peut consentir en application de l’article L. 1211-2:
1o À ce que ses gamètes fassent l’objet d’un don en application du chapitre IV du titre IV du livre II de la première partie du présent code après vérification des conditions précisées à la présente section ; si elle fait partie d’un couple, le consentement de l’autre membre du couple est également recueilli en application de l’article L. 1244-2 ;
2o À ce que ses gamètes fassent l’objet d’une recherche dans les conditions des articles L. 1243-3 et L. 1243-4 ;
3o À ce qu’il soit mis fin à la conservation de ses gamètes.
II.- Dans tous les cas, le consentement est exprimé par écrit au moyen du document de consultation mentionné au premier alinéa et fait l’objet d’une confirmation par écrit après un délai de réflexion de trois mois à compter de la date de signature du consentement initial. Le consentement est révocable jusqu’à l’utilisation des gamètes ou jusqu’à ce qu’il soit mis fin à leur conservation.
III.- Il est mis fin à la conservation des gamètes en cas de décès de la personne. Il en est de même si, n’ayant pas répondu à la consultation selon les modalités fixées par l’arrêté prévu aux articles R. 2142-24 et R. 2142-27, elle n’est plus en âge de procréer. »
2.  La jurisprudence du Conseil d’État
Dans un arrêt du 31 mai 2016 (no 396848), le Conseil d’État s’est prononcé sur la question de l’insémination post mortem à la suite du décès du mari d’une ressortissante espagnole dont les gamètes étaient conservés dans un hôpital français. Le Conseil d’État a décidé d’enjoindre aux autorités compétentes de prendre toutes mesures afin de permettre l’exportation des gamètes litigieux vers un établissement de santé espagnol autorisé à pratiquer les procréations médicalement assistées. Sur l’appréciation de l’atteinte portée à la vie privée et familiale de la requérante, le Conseil d’État considéra ce qui suit :
« Il résulte de l’instruction que Mme C. A. et M. B. avaient formé, ensemble, le projet de donner naissance à un enfant. En raison de la grave maladie qui l’a touché, et dont le traitement risquait de le rendre stérile, M. B. a procédé, à titre préventif, à un dépôt de gamètes dans le centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme de l’hôpital Tenon, afin que Mme C. A. et lui-même puissent, ultérieurement, bénéficier d’une assistance médicale à la procréation. Mais ce projet, tel qu’il avait été initialement conçu, n’a pu aboutir en raison de la détérioration brutale de l’état de santé de M. B., qui a entraîné son décès le 9 juillet 2015. Il est, par ailleurs, établi que M. B. avait explicitement consenti à ce que son épouse puisse bénéficier d’une insémination artificielle avec ses gamètes, y compris à titre posthume en Espagne, pays d’origine de Mme C. A., si les tentatives réalisées en France de son vivant s’avéraient infructueuses. Dans les mois qui ont précédé son décès, il n’était, toutefois, plus en mesure, en raison de l’évolution de sa pathologie, de procéder, à cette fin, à un autre dépôt de gamètes en Espagne. Ainsi, seuls les gamètes stockés en France dans le centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme de l’hôpital Tenon sont susceptibles de permettre à Mme C. A., qui réside désormais en Espagne, d’exercer la faculté, que lui ouvre la loi espagnole de poursuivre le projet parental commun qu’elle avait formé, dans la durée et de manière réfléchie, avec son mari. Dans ces conditions et en l’absence de toute intention frauduleuse de la part de la requérante, dont l’installation en Espagne ne résulte pas de la recherche, par elle, de dispositions plus favorables à la réalisation de son projet que la loi française, mais de l’accomplissement de ce projet dans le pays où demeure sa famille qu’elle a rejointe, le refus qui lui a été opposé sur le fondement des dispositions précitées du code de la santé publique - lesquelles interdisent toute exportation de gamètes en vue d’une utilisation contraire aux règles du droit français - porte, eu égard à l’ensemble des circonstances de la présente affaire, une atteinte manifestement excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale protégé par les stipulations de l’article 8 de [la Convention]. Il porte, ce faisant, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. »
GRIEF
Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante se plaint du refus des autorités françaises d’autoriser l’exportation de gamètes en vue d’une insémination post mortem en Espagne. Elle considère qu’un tel refus porte atteinte à sa vie privée et familiale.
QUESTION AUX PARTIES
Le refus d’exporter les gamètes du partenaire décédé de la requérante, vers un établissement de santé espagnol autorisé à pratiquer les procréations médicalement assistées, emporte-t-il violation du droit de celle-ci au respect de sa vie privée ou de son droit au respect de sa vie familiale, au sens de l’article 8 de la Convention ?
 
Le Gouvernement est invité à apporter des précisions sur les réflexions en cours concernant la question de la procréation post mortem dans le cadre de la réforme de la loi bioéthique de 2011.
Hormis l’arrêt du Conseil d’État rendu en Assemblée plénière le 31 mai 2016, les parties sont invitées à apporter des précisions sur la jurisprudence des juridictions administratives et à produire copie des jugements et arrêts relatifs à la procréation post mortem.

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