Cordella et autres c. Italie
Karar Dilini Çevir:
Cordella et autres c. Italie

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 225
Janvier 2019
Cordella et autres c. Italie - 54414/13 et 54264/15
Arrêt 24.1.2019 [Section I]
Article 8
Article 8-1
Respect de la vie privée
Manque de réaction à la pollution de l’air par une aciérie au détriment de la santé de la population voisine : violation
Article 46
Article 46-2
Exécution de l'arrêt
Mesures générales
État défendeur tenu de prendre des mesures générales face à la persistance d’une pollution de l’air par les émissions d’une usine, affectant la santé des personnes dans les communes avoisinantes
En fait – L’affaire concerne la pollution continue de l’air par une usine sidérurgique exploitée depuis 1965 à Tarente (ville d’environ 200 000 habitants) par une ancienne entreprise publique, privatisée en 1995. En 1990, une délibération du Conseil des ministres a classé « à haut risque environnemental » à raison des émissions de cette aciérie la ville de Tarente et quatre communes voisines. En 1998, le président de la République approuva un plan de dépollution. En 2000, un arrêté ministériel a inclus les communes de Tarente et Statte parmi les « sites d’intérêt national pour l’assainissement » (SIN). Les autorités conclurent des accords avec l’entreprise. En 2011, des prescriptions matérielles et informationnelles lui furent imposées dans le cadre d’une autorisation administrative d’exploitation. Plusieurs décrets-lois visant à sauvegarder l’activité sidérurgique de Tarente, adoptés à partir de 2012, prorogèrent les délais impartis. En 2015, au vu de son insolvabilité, l’entreprise fut placée sous administration provisoire, avec exemption de responsabilité administrative ou pénale de l’administrateur dans la mise en place des mesures environnementales planifiées. Entre-temps, les instances de l’Union européenne (Cour de justice et Commission) conclurent que l’Italie avait manqué à son obligation de garantir le respect des directives applicables. Diverses actions civiles ou pénales furent engagées. Cependant les émissions nocives persistent.
Les requérants sont plusieurs dizaines de personnes physiques résidant ou ayant résidé dans un voisinage plus ou moins étendu de l’aciérie. Ils dénoncent un manque d’action de l’État pour prévenir les effets des émissions nocives de celle-ci sur leur santé.
En droit
Article 8 : S’il ne lui appartient pas de déterminer précisément les mesures qu’il aurait fallu prendre en l’espèce pour réduire plus efficacement le niveau de la pollution, il incombe sans conteste à la Cour de rechercher si les autorités nationales ont abordé la question avec la diligence voulue et si elles ont pris en considération l’ensemble des intérêts concurrents. Il revient ici à l’État de justifier, par des éléments précis et circonstanciés, les situations dans lesquelles certains individus se trouvent devoir supporter de lourdes charges au nom de l’intérêt de la société.
Or, depuis les années 1970, des études scientifiques (émanant en grande partie d’organismes étatiques et régionaux) font état des effets polluants des émissions de l’aciérie de Tarente pour l’environnement et pour la santé des personnes. Ces études ont attesté l’existence d’un lien de causalité entre l’exposition environnementale à certaines substances inhalables émises par l’usine et le développement de certaines tumeurs ou pathologies cardiocirculatoires (étude de 2012) ou l’augmentation de la mortalité pour causes naturelles, tumeurs, maladies rénales et cardiovasculaires (étude de 2016) chez les habitants des zones touchées par ces émissions. Une étude de 2017 a constaté la persistance d’une situation sanitaire critique dans les communes identifiées comme zone à haut risque environnemental (la ville de Tarente présentant, pour les pathologies pertinentes, un taux de mortalité et d’hospitalisation supérieur à la moyenne régionale).
Les tentatives des autorités nationales d’aboutir à la dépollution de la région concernée n’ont, à ce jour, pas produit les effets escomptés. Les mesures préconisées à partir de 2012 dans le cadre de l’autorisation administrative de l’activité n’ont finalement pas été mises en œuvre (cette défaillance a d’ailleurs été à l’origine d’une procédure d’infraction devant les instances de l’Union européenne). Par ailleurs, la réalisation du plan environnemental approuvé en 2014 a été reportée au mois d’août 2023. La poursuite des objectifs d’assainissement affichés se révèle donc d’une lenteur extrême.
Entre-temps, le gouvernement est intervenu à maintes reprises en urgence (par des décrets-lois spéciaux) afin de garantir la continuation de l’activité de production de l’aciérie, en dépit du constat par les autorités judiciaires compétentes, fondé sur des expertises chimiques et épidémiologiques, de l’existence de risques graves pour la santé et pour l’environnement. Qui plus est, une immunité administrative et pénale a été reconnue aux personnes chargées de garantir le respect des prescriptions en matière environnementale (l’administrateur provisoire et le futur acquéreur de la société). À cela s’ajoute une situation d’incertitude découlant, d’une part, de la débâcle financière de la société et, d’autre part, de la possibilité, accordée au futur acquéreur, de reporter la réalisation de l’assainissement de l’usine.
Il apparaît donc que, pour la part qui revient aux autorités, la gestion des questions environnementales posées par l’aciérie de Tarente est à ce jour dans l’impasse. Se prolonge ainsi la situation de pollution mettant en danger la santé des requérants et, plus généralement, celle de l’ensemble de la population résidant dans les zones à risque – population qui reste, en l’état actuel des choses, privée d’informations quant au déroulement de l’assainissement du territoire concerné, notamment pour ce qui est des délais de mise en œuvre des travaux y afférents. Bref, les autorités nationales ont omis de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection effective du droit des intéressés au respect de leur vie privée ; le juste équilibre à ménager n’a pas été respecté.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 46 : Compte tenu notamment de la complexité technique des mesures nécessaires à l’assainissement de la zone concernée, qui relève de la compétence des autorités internes, il n’y a pas lieu de recourir à la procédure de l’« arrêt pilote ». En effet, il ne revient pas à la Cour d’adresser au Gouvernement des recommandations détaillées et à contenu prescriptif, telles que celles indiquées par les requérants : c’est au Comité des Ministres qu’il appartiendra d’indiquer au gouvernement défendeur les mesures à adopter pour l’exécution du présent arrêt. Il reste néanmoins que les travaux d’assainissement de l’usine et du territoire touché par la pollution environnementale revêtent un caractère primordial et urgent. Le plan environnemental approuvé par les autorités nationales, et contenant l’indication des mesures et des actions nécessaires à assurer la protection environnementale et sanitaire de la population, devra donc être mis en exécution dans les plus brefs délais.
La Cour conclut également, à l’unanimité, à la violation de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention.
Article 41 : constat de violation suffisant en lui-même pour le préjudice moral.
(Voir ausi Fadeïeva c. Russie, 55723/00, 9 juin 2005, Note d’information 76 ; Di Sarno et autres c. Italie, 30765/08, 10 janvier 2012, Note d’information 148 ; Jugheli et autres c. Géorgie, 38342/05, 13 juilllet 2017, Note d’information 209 ; ainsi que la fiche thématique Environnement)
 
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Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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