BVGE 2013/40 - Abteilung III - Divers - Klage auf Einziehung gesperrter, unrechtmässig er...
Karar Dilini Çevir:
BVGE 2013/40 - Abteilung III - Divers - Klage auf Einziehung gesperrter, unrechtmässig er...
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


600 BVGE / ATAF / DTAF

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Extrait de l'arrêt de la Cour III
dans la cause Département fédéral des finances contre Fondation
Brouilly, Jean-Claude Duvalier, hoirie de feue Simone Ovide Duvalier,
composée de Jean-Claude Duvalier, Nicole Duvalier, Marie-Denise
Duvalier et Simone Duvalier, et Michèle Benett-Duvalier
C‒2528/2011 du 24 septembre 2013
Action en confiscation de valeurs patrimoniales bloquées d'origine
illicite de personnes politiquement exposées.
Art. 1, art. 2 let. b, art. 5 al. 1, art. 5 al. 2 let. a‒c, art. 6, art. 14
LRAI. Art. 5 al. 3, art. 32 al. 1, art. 184 al. 3, art. 190 Cst. Art. 6
par. 2 et art. 7 par. 1 CEDH.
1. Compétence du Tribunal administratif fédéral pour connaître de
l'action en confiscation (consid. 1). Règles de procédure
applicables (consid. 2). Examen de la recevabilité de l'action
(consid. 3).
2. Conditions requises pour la confiscation des valeurs patri-
moniales (art. 5 al. 2 LRAI). Notion de valeurs bloquées
(consid. 5.2). Notion de pouvoir de disposition appartenant à une
personne politique exposée ou à son entourage (consid. 5.3).
Notion d'origine illicite des valeurs patrimoniales (consid. 5.4).
3. Examen de la conformité au droit supérieur. La présomption
d'illicéité selon l'art. 6 al. 1 LRAI de l'origine des valeurs
patrimoniales est conforme à la présomption d'innocence dans le
sens de l'art. 6 par. 2 CEDH (consid. 6.2‒6.4). L'effet dans le
temps de la loi (art. 14 LRAI) est conforme à l'interdiction de la
rétroactivité (consid. 7).
4. Examen des griefs de violation de la séparation des pouvoirs
(consid. 8) et de violation du principe de la bonne foi de l'art. 5
al. 3 Cst. (consid. 9).
Klage auf Einziehung gesperrter, unrechtmässig erworbener Ver-
mögenswerte politisch exponierter Personen.
Art. 1, Art. 2 Bst. b, Art. 5 Abs. 1, Art. 5 Abs. 2 Bst. a‒c, Art. 6,
Art. 14 RuVG. Art. 5 Abs. 3, Art. 32 Abs. 1, Art. 184 Abs. 3, Art. 190
BV. Art. 6 Ziff. 2 und Art. 7 Ziff. 1 EMRK.
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patrimoniales bloquées
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1. Entscheidbefugnis des Bundesverwaltungsgerichts betreffend die
Einziehungsklage (E. 1). Anwendbare Verfahrensvorschriften
(E. 2). Prüfung der Zulässigkeit der Klage (E. 3).
2. Voraussetzungen für die Einziehung von Vermögenswerten
(Art. 5 Abs. 2 RuVG). Begriff der gesperrten Vermögenswerte
(E. 5.2). Begriff der Verfügungsgewalt einer politisch exponierten
Person oder ihres Umfelds (E. 5.3). Begriff der unrechtmässig
erworbenen Vermögenswerte (E. 5.4).
3. Prüfung der Konformität mit übergeordnetem Recht. Die Ver-
mutung gemäss Art. 6 Abs. 1 RuVG, dass Vermögenswerte un-
rechtmässig erworben wurden, ist mit der Unschuldsvermutung
im Sinne von Art. 6 Ziff. 2 EMRK vereinbar (E. 6.2‒6.4).
Übereinstimmung der zeitlichen Wirkung des Gesetzes (Art. 14
RuVG) mit dem Verbot der Rückwirkung (E. 7).
4. Prüfung der Rügen der Verletzung der Gewaltenteilung (E. 8)
und der Verletzung des Grundsatzes von Treu und Glauben von
Art. 5 Abs. 3 BV (E. 9).
Azione di confisca di averi bloccati di provenienza illecita di persone
politicamente esposte.
Art. 1, art. 2 lett. b, art. 5 cpv. 1, art. 5 cpv. 2 lett. a‒c, art. 6, art. 14
LRAI. Art. 5 cpv. 3, art. 32 cpv. 1, art. 184 cpv. 3, art. 190 Cost.
Art. 6 par. 2 e art. 7 par. 1 CEDU.
1. Competenza del Tribunale amministrativo federale a pro-
nunciarsi sulle azioni di confisca (consid. 1). Norme procedurali
applicabili (consid. 2). Esame dell'ammissibilità dell'azione
(consid. 3).
2. Presupposti per la confisca di valori patrimoniali (art. 5 cpv. 2
LRAI). Definizione di averi bloccati (consid. 5.2). Definizione
della facoltà di disporre di una persona politicamente esposta o
di persone appartenenti alla sua cerchia (consid. 5.3). Definizione
di provenienza illecita di valori patrimoniali (consid. 5.4).
3. Esame della conformità al diritto di rango superiore. La pre-
sunzione d'illiceità giusta l'art. 6 cpv. 1 LRAI della provenienza
dei valori patrimoniali è conforme alla presunzione d'innocenza
ai sensi dell'art. 6 par. 2 CEDU (consid. 6.2‒6.4). L'applicazione
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patrimoniales bloquées


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intertemporale della legge (art. 14 LRAI) è conforme al principio
di non retroattività (consid. 7).
4. Esame delle censure di violazione della separazione dei poteri
(consid. 8) e di violazione del principio della buona fede sancito
dall'art. 5 cpv. 3 Cost. (consid. 9).

Jean-Claude Duvalier fut président de la République d'Haïti, depuis la
mort de son père, le 21 avril 1971, jusqu'au 7 février 1986, date à laquelle
il remet le pouvoir et s'exile en France avec son épouse, Michèle. Le
15 avril 1986, le blocage des avoirs en Suisse de l'ex-couple présidentiel
a été ordonné par l'Office fédéral de la police (fedpol), service compétent
à l'époque. Ces avoirs sont restés bloqués depuis lors.
La Fondation Brouilly (fondation de droit liechtensteinois, ci-après: la
Fondation) a été constituée le 22 décembre 1977 par Simone Ovide
Duvalier, mère de Jean-Claude Duvalier. La Fondation était titulaire d'un
compte auprès d'une succursale genevoise de la banque X.
Par jugement du 12 janvier 2010, le Tribunal fédéral a annulé, sous
l'angle de la prescription, une décision de l'Office fédéral de la justice
(OFJ) du 11 février 2009, par laquelle ledit office avait admis la demande
d'entraide déposée le 12 juin 1986 par la République d'Haïti et avait
ordonné que lui soient remis les avoirs détenus par la Fondation (ATF
136 IV 4).
Suite à ce jugement, le Conseil fédéral a décidé, le 3 février 2010, du
blocage des fonds Duvalier, sur la base de l'art. 184 al. 3 de la
Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst.,
RS 101), jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur la confiscation
et la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes
politiquement exposées, ou jusqu'à son rejet par le parlement. Un recours
au Tribunal administratif fédéral a été déposé le 4 mars 2010 à l'encontre
de cette décision et a fait l'objet d'une procédure séparée (cf. ATAF
2013/39).
Le 16 janvier 2011, Jean-Claude Duvalier est retourné en Haïti.
Le 29 avril 2011, alors que le recours de la Fondation contre la décision
de blocage était encore pendant, le Département fédéral des finances
(DFF) a déposé auprès du Tribunal administratif fédéral une action en
confiscation, fondée sur les art. 5 et 6 de la loi du 1
er
octobre 2010 sur la
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patrimoniales bloquées
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restitution des avoirs illicites (LRAI, RS 196.1), dirigée à l'encontre de la
Fondation (défenderesse 1), de Jean-Claude Duvalier (défendeur 2), de
l'hoirie de Simone Ovide Duvalier (défenderesse 3) et de Michèle
Bennett-Duvalier (ex-épouse de Duvalier, défenderesse 4), concluant
principalement à ce que les avoirs des défendeurs soient confisqués au
profit de la Confédération suisse.
Dans sa réponse à l'action du 16 février 2012, la défenderesse 1 a conclu
principalement à l'irrecevabilité de l'action, au motif que la LRAI ne
s'appliquerait pas en l'espèce, et subsidiairement à son rejet.
Le Tribunal administratif fédéral a admis l'action en confiscation, le
24 septembre 2013, et a ordonné la confiscation des avoirs des
défendeurs.
Cet arrêt n'a pas fait l'objet d'un recours au Tribunal fédéral.
Extrait des considérants:
1.
1.1 Selon l'art. 35 let. d de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal
administratif fédéral (LTAF, RS 173.32), le Tribunal administratif fédéral
connaît par voie d'action en première instance des demandes de
confiscation de valeurs patrimoniales, conformément à la LRAI. Aux
termes de l'art. 5 al. 1 LRAI, le DFF est compétent pour ouvrir, sur
demande du Conseil fédéral, une action en confiscation des valeurs
patrimoniales bloquées selon la LRAI.
1.2 Selon l'art. 14 al. 1 LRAI, les valeurs patrimoniales, bloquées
lors de l'entrée en vigueur de la LRAI sur la base de l'art. 184 al. 3 Cst.
parce que la demande d'entraide pénale internationale n'a pas abouti,
restent bloquées jusqu'à décision entrée en force sur leur confiscation
conformément à la LRAI. Le blocage devient toutefois caduc si une
action en confiscation n'est pas ouverte dans l'année qui suit l'entrée en
vigueur de ladite loi.
1.3 La LRAI est entrée en vigueur le 1er février 2011. Le 2 février
2011, le Conseil fédéral a chargé le DFF de déposer une action en
confiscation des valeurs patrimoniales de Jean-Claude Duvalier et de son
entourage bloquées par la décision du Conseil fédéral du 3 février 2010
sur le fondement de l'art. 184 al. 3 Cst., ce qui fut fait le 29 avril 2011.
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patrimoniales bloquées


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Ainsi, le Tribunal administratif fédéral est compétent pour connaître de la
présente action déposée dans le délai prescrit par la LRAI.
2. Selon l'art. 44 al. 1 LTAF, lorsque le Tribunal administratif
fédéral statue en première instance, la procédure est régie par les art. 3 à
73 et 79 à 85 de la loi fédérale de procédure civile fédérale du
4 décembre 1947 (PCF, RS 273). Contrairement à ce que prévoit l'art. 3
al. 2 PCF, selon lequel le jugement ne peut se fonder sur d'autres faits
que ceux allégués dans l'instance, le Tribunal administratif fédéral, en
vertu de la règle spéciale de l'art. 44 al. 2 LTAF, établit les faits d'office.
En revanche, il ne peut pas aller au-delà des conclusions de parties (art. 3
al. 2 PCF). Ainsi, devant le Tribunal administratif fédéral, en procédure
d'action, contrairement à la procédure de recours, la maxime de
disposition revêt une grande importance: l'objet du litige est uniquement
défini par les demandes des parties (ANDRÉ MOSER/MICHAEL BEUSCH/
LORENZ KNEUBÜHLER, Prozessieren vor dem Bundesverwaltungsgericht,
Bâle 2008, n. 5.14). Le Tribunal administratif fédéral ne peut accorder à
une partie ni plus ni autre chose que ce qui est demandé (ATAF 2008/16
consid. 2.2 et réf. cit.).
3.
3.1 Le Tribunal administratif fédéral examine la recevabilité de
l'action et de tous les actes de procédure (art. 3 al. 1 PCF).
3.2 L'action ouverte par le DFF (demandeur), dûment habilité par le
Conseil fédéral ainsi que la LRAI l'exige, est dirigée contre la Fondation
(défenderesse 1), titulaire du compte bloqué n
o
(…) auprès de la banque
X.; Jean-Claude Duvalier et/ou l'hoirie de feue Simone Ovide Duvalier
(défendeur 2 et défenderesse 3), titulaires du compte bloqués n
o
(…)
auprès de la banque X.; Michèle Bennett-Duvalier (défenderesse 4),
propriétaire de bijoux (clips d'oreilles) saisis en mains de M
e
Didier
Brosset, avocat à Genève. L'hoirie de feue Simone Ovide Duvalier est
composée de Jean-Claude Duvalier, de Marie-Denise Duvalier, de
Simone Françoise Duvalier et de Nicole Duvalier.
3.3
3.3.1 Dans sa réplique du 28 août 2012 et dans son mémoire conclusif
du 4 septembre 2013, le demandeur conteste la validité du mandat de
l'avocat de la défenderesse 1. Il exige non seulement que celui-ci
produise une certification de l'identité de la personne qui lui a conféré ses
pouvoirs au nom de la Fondation, mais que cette personne justifie elle-
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même de la procuration qu'elle aurait reçue des ayants droit économiques
de la Fondation pour s'opposer à l'action en confiscation. Le demandeur
tire argument de ce que le 15 janvier 2010, Jean-Claude Duvalier, un des
héritiers de la fondatrice de la défenderesse 1, a lancé un appel aux
autorités suisses, directement et par médias interposés, pour transférer
l'ensemble des avoirs de la défenderesse 1 à la population haïtienne. De
plus, le demandeur produit un écrit daté du 12 janvier 2008, dont la
signature n'est pas authentifiée, par lequel Jean-Claude Duvalier affirme
être le président de la Fondation et son bénéficiaire économique unique
et révoque à ce titre « tout mandat et pouvoir donnés précédemment à
Monsieur (…). ».
3.3.2 En l'espèce, le compte bloqué appartient à la Fondation, laquelle
a été constituée le 22 décembre 1977 à (…), sur mandat de Simone
Ovide Duvalier. Les avoirs de la Fondation proviennent d'un transfert, en
date du 19 décembre 1977, d'avoirs du compte X. n
o
(…) et de dépôt de
titres, directement au guichet. Simone Ovide Duvalier, née en 1914 et
décédée en 1997, a épousé en 1939 François Duvalier (Papa Doc), lequel
fut président de la République d'Haïti de 1957 à 1971. Elle est également
la mère de Jean-Claude Duvalier (Baby Doc), né en 1951 et président de
la République d'Haïti de 1971 à 1986, et fut Gardienne de la Révolution
sous le règne de son fils.
Les statuts de la Fondation ont été rédigés en allemand à (…) le
22 décembre 1977. Selon l'art. 3, le but de la Fondation est l'admini-
stration des biens de la Fondation ainsi que les donations (Zuwendungen)
en faveur des personnes désignées dans le règlement. L'établissement de
ce règlement incombe au Conseil de fondation (art. 4), lequel est
composé d'un ou de plusieurs membres qui exercent leur mandat pour
une durée illimitée (art. 6). Selon l'art. 1 du règlement du 29 novembre
1983, Simone Ovide Duvalier (dite Mme Françoise Duvalier) « possède
tous les droits sur la fortune et les revenus de la Fondation ». A sa mort,
la fortune de la Fondation sera partagée en deux parts égales entre ses
filles Marie-Denise et Simone Françoise (art. 2 et 3). Selon le régime de
signature mis en place le 22 novembre 1983 sur le compte litigieux,
Simone Ovide Duvalier possédait la signature individuelle et ses deux
filles, Nicole et Simone Françoise, la signature collective à deux. En
1984, les droits de Nicole Duvalier furent annulés par sa mère qui
conserva la signature individuelle conjointement à Simone Françoise
Duvalier. Selon le formulaire d'identification de l'ayant droit économique
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patrimoniales bloquées


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du compte en cause, la Fondation, en tant que titulaire du compte,
déclarait le 9 octobre 1992 que l'ayant droit économique était Simone
Ovide Duvalier. Selon une nouvelle réglementation intitulée « Status-
Annexes de la Fondation, […] », signée et datée de la main de Mme
Françoise Duvalier le 12 avril 1995 à (…), Simone Ovide Duvalier est la
seule bénéficiaire des biens de la Fondation (art. 1 et 2). A sa mort, les
biens de la Fondation seront attribués aux porteurs des certificats
d'actions – proportionnellement au nombre de leurs actions – de la
société Z., (…), dont le capital actions est composé de 100 actions
(art. 3). A cette date, toutes les actions émises le 6 février 1995 étaient en
main de Simone Ovide Duvalier. Selon le formulaire d'identification de
l'ayant droit économique signé le 24 septembre 2002 par la Fondation,
l'ayant droit économique du compte litigieux est « Z. […] dont la
possession des actions est revendiquée par les quatre héritiers de Mme
Simone Ovide Duvalier, première bénéficiaire, décédée, soit Nicole
Duvalier (20 juin 1942); Simone née D. (31 mars 1946); Marie-Denise,
née D. le 4 avril 1941; Jean-Claude Duvalier (3 juillet 1951) ». La
validité des Statuts-Annexes de 1995 est contestée par les héritiers.
3.3.3 Du temps de son vivant, Simone Ovide Duvalier était la seule
bénéficiaire de la Fondation. Elle avait instauré une procuration en faveur
de deux de ses filles qu'elle avait partiellement révoquée par la suite. Le
règlement du 29 novembre 1983 partageait la fortune de la Fondation, à
la mort de sa fondatrice, à parts égales entre deux de ses filles. En 1995,
une nouvelle règlementation intitulée « Statuts-Annexes de la Fondation,
[…] » précise qu'à la mort de Simone Ovide Duvalier, les biens de la
Fondation seront attribués aux porteurs des certificats d'actions −
proportionnellement au nombre de leurs actions − de la société Z., (…),
dont le capital actions est composé de 100 actions émises le 6 février
1995 et alors toutes en main de Simone Ovide Duvalier. L'ayant droit
économique des valeurs à confisquer est donc une société panaméenne
dont la possession des actions est revendiquée par les quatre héritiers de
Simone Ovide Duvalier, au titre desquels figure Jean-Claude Duvalier.
La validité des Statuts-Annexes de 1995 est contestée mais Jean-Claude
Duvalier n'a jamais apporté la preuve qu'il serait le seul ayant droit
économique de la Fondation.
De surcroît, selon les statuts du 22 décembre 1977 de la Fondation,
l'unique organe de la Fondation est le Conseil de fondation, qui est
composé d'un ou de plusieurs membres, lesquels exercent leur mandat
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pour une durée illimitée. L'élection d'un membre s'effectue au sein du
Conseil de fondation. En cas de décès, d'incapacité ou de démission d'un
membre du Conseil, les membres restant sont habilités à procéder à une
élection complémentaire. Le Conseil de fondation représente la Fonda-
tion de manière obligatoire pour les ayants droit de la Fondation et les
tiers (art. 6 et 7). L'art. 6 du règlement de 1983 préserve le droit de Mme
Simone Ovide Duvalier « de changer le Conseil de fondation et de
modifier le présent règlement. A sa mort, le Conseil de fondation ne peut
y apporter que des modifications ne portant pas préjudice aux
prescriptions essentielles de ce règlement ». L'art. 4 des Statuts-Annexes
de 1995 précise que ceux-ci « […] sont définitifs et ne peuvent plus être
modifiés ni complétés si ce n'est avec l'accord du bénéficiaire effectif, à
l'exclusion des bénéficiaires ultérieurs qui n'ont que des droits
d'expectative ». Il n'est pas prévu que les bénéficiaires ultérieurs puissent
révoquer le Conseil de fondation comme le prétend le demandeur.
3.3.4 Le 17 mai 2011, l'avocat de la défenderesse 1 a présenté devant
le Tribunal administratif fédéral une procuration, datée du 16 mai 2011,
portant une signature en tout point identique à celle figurant sur la
procuration datée du 24 mars 2010 produite dans l'affaire parallèle
C‒1371/2010 (ATAF 2013/39). Cette procuration était assortie d'une
copie de passeport et d'un extrait du 24 mars 2010 certifié conforme de
l'Öffentlichkeitsregister de la Principauté du Liechtenstein attestant que
cette personne, le Dr B., est membre unique du Conseil de fondation,
avec signature individuelle. Le signataire de la procuration, agissant en
qualité d'organe de la Fondation, est donc habilité à représenter la
défenderesse 1 et à mandater un avocat pour la défense de ses intérêts,
sans qu'il soit nécessaire de recueillir à ce sujet les directives des
bénéficiaires, lesquels n'ont pas la qualité pour agir ou pour défendre, par
analogie avec la jurisprudence bien établie en matière d'entraide qui
reconnaît la qualité pour recourir à l'ayant droit économique d'une
personne morale uniquement lorsqu'il est établi que la société a été
dissoute et n'est plus à même d'agir (ATF 123 II 153 consid. 2c; arrêt du
Tribunal fédéral 1A.216/2001 du 21 mars 2002 consid. 1.3; arrêt du
Tribunal administratif fédéral B‒5053/2010 du 29 septembre 2010
consid. 2.3), ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il s'ensuit que les pouvoirs
de M
e
Reber, dûment mandaté par l'organe compétent de la
défenderesse 1, ne souffrent d'aucun vice de représentation et qu'en
conséquence sa réponse est versée en procédure.
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


608 BVGE / ATAF / DTAF

4.
4.1 La défenderesse 1, la seule à avoir répondu à la demande en
confiscation, conclut principalement à l'irrecevabilité de l'action, motif
pris que le cas d'espèce n'est pas couvert par le champ d'application de la
LRAI. A teneur de l'art. 1 LRAI, la loi est subsidiaire et ne s'applique que
« lorsqu'une demande d'entraide judiciaire internationale en matière
pénale ne peut aboutir en raison de la situation de défaillance au sein de
l'Etat requérant ». La défenderesse 1 affirme que l'entraide n'a pas été
refusée par le Tribunal fédéral en raison de la défaillance de la
République d'Haïti, Etat requérant, mais exclusivement au motif de
l'intervention de la prescription (ATF 136 IV 4). Elle remarque également
qu'il ressort du commentaire de l'art. 1 LRAI figurant dans le message du
Conseil fédéral du 28 avril 2010 relatif à la loi fédérale sur la restitution
des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement
exposées (FF 2010 2995 [ci-après: MCF LRAI], spéc. 3013) que les
valeurs patrimoniales à confisquer doivent avoir été bloquées en Suisse
dans le cadre de la procédure d'entraide, ce qui ne serait pas le cas en
l'espèce puisque les avoirs concernés sont gelés sur la base de l'art. 184
al. 3 Cst.
4.2 Ces questions, contrairement à ce que soutient la défenderesse 1,
ne se rattachent pas à la recevabilité de l'action, mais au champ
d'application de la loi. La question de l'application de la LRAI au cas
d'espèce a été tranchée dans l'ATAF 2013/39. Les griefs développés à ce
sujet par la défenderesse, en particulier celui concernant l'admissibilité de
la rétroactivité de la LRAI, ont été examinés à cette occasion. Cet arrêt a
donc confirmé la validité du blocage décidé le 3 février 2010.
5.
5.1 L'art. 5 al. 2 LRAI énonce les conditions auxquelles doit satis-
faire la confiscation des valeurs patrimoniales pour être prononcée par le
Tribunal administratif fédéral:
a. le pouvoir de disposition appartient à une personne politiquement
exposée ou à son entourage;
b. elles sont d'origine illicite;
c. elles ont été bloquées par le Conseil fédéral en vertu de la présente
loi.
Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées
2013/40


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5.2 Comme indiqué ci-dessus dans le consid. 4.2, par renvoi à
l'ATAF 2013/39, la condition de l'art. 5 al. 2 let. c LRAI est remplie.
Restent à examiner les deux autres conditions.
5.3 Le demandeur expose, au sujet de la première condition, que les
trois valeurs patrimoniales dont il requiert la confiscation sont dans le
pouvoir de disposition soit d'une personne politiquement exposée (ci-
après: PPE), soit dans son entourage.
5.3.1 La notion de « pouvoir de disposition », dont il est question à
l'art. 5 al. 2 let. a LRAI mais aussi à l'art. 2 let. b LRAI s'inspire de celle
dont il est question à l'art. 72 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937
(CP, RS 311.0) qui traite de la confiscation de valeurs patrimoniales
d'une organisation criminelle et qui est applicable par analogie à la
restitution prévue à l'art. 74a de la loi sur l'entraide pénale internationale
du 20 mars 1981 (EIMP, RS 351.1) (ATF 136 IV 4 consid. 5, ATF 131 II
169 consid. 9.1). Il s'agit d'une maîtrise de fait sur les valeurs en question
telle que la recouvre la conception d'ayant droit économique dans le
blanchiment d'argent (MADELEINE HIRSIG-VOUILLOZ, in: Roth/Moreillon
[éd.], Commentaire romand Code pénal I, Bâle 2009, art. 72 CP n
o
22
p. 760 s.; MCF LRAI p. 3014). Le pouvoir de disposition dépasse ainsi
l'aspect juridique du terme: ce qui est déterminant c'est le pouvoir effectif
sur les valeurs afin d'atteindre la véritable appartenance économique. En
effet, il s'agit d'éviter que les personnes concernées (PPE et leur
entourage) recourent à des entreprises fictives ou à des hommes de paille
ou encore profitent de structures juridiques pour gérer ces biens dans le
but d'éluder les règles sur le blocage et la confiscation en leur donnant
une apparence d'honnêteté (pour le crime organisé: Message du Conseil
fédéral du 30 juin 1993 sur la modification du code pénal suisse et du
code pénal militaire, FF 1993 III 269, spéc. 309). A titre exemplatif, le
message LRAI cite le détenteur de compte, l'ayant droit économique, le
fondé de pouvoir ou le fondé de procuration (MCF LRAI p. 3014).
5.3.2 Comme indiqué dans les consid. 3.3.2 à 3.3.4, les défendeurs
(ou en tout cas une partie des défendeurs) sont les ayants droit écono-
miques des biens bloqués. Peu importe, à cet égard, qui parmi les dé-
fendeurs est réellement le propriétaire de ces biens.
5.3.3 Il s'ensuit que, quel que soit le ou les ayants droit économiques
actuels du compte sur lequel sont déposées les valeurs bloquées et dont
est titulaire la Fondation, ils entrent dans le champ d'application de
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


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l'art. 2 let. b LRAI. En effet, quand bien même le droit dont ils
bénéficient n'est qu'une expectative, les défendeurs peuvent exiger du
Conseil de fondation qu'il soit respecté et accompli (art. 5 des statuts;
BRUNO B. GÜGGI, Die Familienstiftung in liechtensteinischen Recht,
9
e
éd., Vaduz 1991, p. 27). On peut donc considérer qu'ils jouissent du
« pouvoir de disposition » tel que conçu par la loi. La première
bénéficiaire, décédée en 1997, était la femme de François Duvalier et la
mère de Jean-Claude Duvalier. A ce titre, elle appartient sans nul doute –
ce qui n'est au demeurant pas contesté – à l'entourage d'une PPE (art. 2
let. b ch. 2 LRAI). Par ailleurs, comme Gardienne de la Révolution, elle
peut également être considérée comme PPE. Il en va de même des
bénéficiaires ultérieurs: en vertu des Statuts-Annexes de 1995 ceux-ci
sont les titulaires des actions de la société panaméennes que se disputent
les héritiers, Jean-Claude Duvalier se prévalant notamment d'un
testament qu'il n'a jamais produit. Dans ce cas, le pouvoir de disposition
appartient à l'entourage d'une PPE (les sœurs de Jean-Claude Duvalier)
et/ou à une PPE (Jean-Claude Duvalier). Si ces Statuts-Annexes ne sont
pas valides, soit le règlement de 1983 trouve à s'appliquer et les
bénéficiaires (les deux filles de Simone Ovide qui sont aussi les deux
sœurs de Jean-Claude) sont toujours, pour des raisons familiales, dans
l'entourage d'une PPE, soit la jouissance revient aux héritiers légaux du
fondateur-premier bénéficiaire (GÜGGI, op. cit., p. 27) et la situation est
identique.
5.3.4 Quant aux clips d'oreilles, ils ont été saisis en 1988 par le juge
d'instruction de Genève, alors qu'ils se trouvaient en dépôt pour une
réparation auprès de la société W. Cette société a été dissoute par
décision de l'assemblée générale du 9 janvier 1998 (…) et radiée le
4 mars 1999 (…). Selon Me Didier Brosset, liquidateur de W., ces clips
sont propriété de Michèle Bennett-Duvalier et se trouvent en port-franc à
Genève, sous la garde de la société Y., société transitaire. Michèle
Bennett-Duvalier, née le 15 janvier 1953, a été l'épouse de Jean-Claude
Duvalier de 1980 à 1990 et fait partie, à ce titre, de l'entourage d'une
PPE.
Toutes les valeurs à confisquer se trouvent ainsi dans le pouvoir de
disposition d'une PPE ou de son entourage.
5.4
5.4.1 L'art. 5 al. 2 let. b LRAI exige que les valeurs à confisquer
soient d'origine illicite, ce qui suppose l'existence d'une infraction.
Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées
2013/40


BVGE / ATAF / DTAF 611

Toutefois, la condamnation pénale de la personne (PPE ou entourage)
n'est pas nécessaire à l'application de la LRAI. L'art. 6 LRAI consacre le
renversement du fardeau de la preuve s'agissant de l'origine illicite des
valeurs patrimoniales, qui est présumée à deux conditions cumulatives:
a. le patrimoine de la personne qui a le pouvoir de disposition sur les
valeurs patrimoniales a fait l'objet d'un accroissement exorbitant en
relation avec l'exercice de la fonction publique de la personne
politiquement exposée;
b. le degré de corruption de l'Etat d'origine ou de la personne
politiquement exposée en cause était notoirement élevé durant la
période d'exercice de la fonction publique de celle-ci.
Au sujet de la première condition, le message précise qu'il s'agit d'une
disproportion entre le revenu généré par la fonction et le patrimoine en
cause telle qu'elle ne s'explique pas selon l'expérience normale et le
contexte du pays (MCF LRAI p. 3020). Si ces deux conditions sont
satisfaites, la présomption est établie et il appartiendra à la personne qui a
le pouvoir de disposition sur les valeurs bloquées de la renverser en
démontrant avec une vraisemblance prépondérante l'acquisition licite de
ses avoirs (art. 6 al. 2 LRAI).
5.4.2 Pour étayer sa démonstration de l'accroissement exorbitant du
patrimoine de Jean-Claude Duvalier et de son entourage ainsi que son
degré notoirement élevé de corruption et celui de la République d'Haïti
durant l'exercice de son mandat public, le demandeur se réfère largement
aux considérants de l'arrêt par lequel le Tribunal pénal fédéral a rejeté le
recours formé par la Fondation à l'encontre de la décision de l'OFJ qui
ordonnait dans la procédure d'entraide la remise à la République d'Haïti
des avoirs détenus en Suisse par la famille Duvalier, au nombre desquels
figuraient les fonds déposés sur le compte de la Fondation (arrêt du TPF
RR.2009.94 du 12 août 2009).
5.4.3
5.4.3.1 Aux consid. 3.2.2 et 3.2.3 de son arrêt, le Tribunal pénal fédéral
analyse la manière systématique de détourner les ressources de l'Etat à
leur profit par les membres du clan Duvalier, qui avaient érigé un
véritable système de captation des deniers publics:
« En tout état de cause, les exactions commises en Haïti sous la
‹ présidence à vie › de François, puis de Jean-Claude DUVALIER
sont une réalité évidente; il en va de même du fait que ces régimes
dictatoriaux ont donné lieu au pillage systématique des caisses de la
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


612 BVGE / ATAF / DTAF

République d'Haïti, au bénéfice du Chef de l'Etat, de ses proches et de
ses complices au sein des entités publiques (Amnesty International,
op. cit.; Leslie J-R Péan, Haïti: économie politique de la corruption,
Tome IV, L'ensauvagement macoute et ses conséquences
[1957‒1990], Paris 2007, not. p. 270 ss, 302 ss, 472 ss; Sauveur
Pierre Etienne, L'énigme haïtienne, Echec de l'Etat moderne en Haïti,
Ed. des Presses de l'Université de Montréal, Québec 2007, p. 228 ss;
Etzer Charles, Le pouvoir politique en Haïti de 1957 à nos jours,
Paris 1994, p. 86 ss; Kern Delince, Les forces politiques en Haïti,
Manuel d'histoire contemporaine, Paris 1993, not. p. 244 ss et
282 ss).
Aux termes du rapport de la Banque mondiale de 1997 sur le
développement dans le monde, ‹ en 1957, le gouvernement
démocratiquement élu de François DUVALIER (Papa Doc) a porté
[la] logique [de l'Etat prédateur] à un niveau inégalé, commençant par
une purge sans précédent dans la société civile, dans l'armée héritée
du régime précédent, dans l'opposition politique ainsi que dans
l'administration en général. Au cours des deux mois qui ont suivi son
arrivée au pouvoir, DUVALIER avait fait mettre en prison cent
opposants politiques. L'Eglise catholique était perçue comme une
menace et plusieurs chefs spirituels ont été chassés du pays. Les
médias ont été réduits au silence par l'expulsion des journalistes
étrangers et, en 1958, un texte a autorisé la puissance publique à
abattre les reporters accusés de diffuser de ‹ fausses nouvelles ›. Les
parents d'étudiants en grève étaient obligatoirement emprisonnés.
Après la levée de l'immunité parlementaire en 1959, DUVALIER a
dissous le Sénat et la Chambre des Députés. Du matériel militaire
moderne a été entreposé dans le sous-sol du palais présidentiel et plus
de deux cents officiers ont été limogés au cours des onze premières
années d'exercice par DUVALIER. En 1964, celui-ci se déclarait
Président à vie. Les piliers économiques de l'Etat prédateur étaient
l'expropriation, l'extorsion, le ‹ prélèvement inflationniste › et la
corruption. [...] D'importantes ressources étaient consacrées à la
propre protection de DUVALIER (30% de l'ensemble des dépenses
de l'Etat au cours de la première moitié des années 60). L'agriculture,
notamment la culture du café, était lourdement taxée. Selon certaines
sources, DUVALIER aurait fait sortir du pays plus de 7 millions de
dollars par an à des fins personnelles. Des dessous-de-table consi-
dérables étaient également versés dans le cadre d'opérations avec des
investisseurs étrangers pour des projets qui souvent ne voyaient
jamais le jour. La pratique de l'extorsion ‒ sous l'appellation euphé-
mique de donations ‹ volontaires › ‒ a été institutionnalisée dans le
cadre du Mouvement de rénovation nationale. Un pseudo régime
Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées
2013/40


BVGE / ATAF / DTAF 613

d'assurance-vieillesse, assorti d'une déduction de 3%, a été créé et les
fonctionnaires étaient tenus d'acheter, pour quinze dollars, un livre
contenant les discours de DUVALIER. Une caisse autonome recevait
le produit des impôts et des redevances, qui ne figurait pas au budget
et ne faisait l'objet d'aucune comptabilité. Après avoir régné pendant
près de trente ans sur le pays, la dynastie des DUVALIER est tombée
en 1986, lorsque Jean-Claude DUVALIER (Bébé Doc), qui avait
succédé à son père s'est exilé en France avec un pactole évalué à 1,6
milliards de dollars. L'Etat prédateur qui a marqué l'histoire du pays
est pour beaucoup à l'origine de l'état désastreux de l'économie
haïtienne › (Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le
monde, 1997, l'Etat dans un monde en mutations, Washington, D.C.
1997, p. 168).
S'agissant en particulier du pillage des caisses de la République
d'Haïti opéré par Jean-Claude DUVALIER entre 1971, date de son
accession à la tête de l'Etat, et le 7 février 1986, date de sa fuite en
France, la Commission interaméricaine des Droits de l'homme estime
que l'ancien ‹ Président à vie › de la République d'Haïti a laissé
derrière lui une situation économique catastrophique, largement due
au pillage systématique des ressources de l'Etat haïtien, par lequel il
se serait procuré une fortune personnelle estimée entre USD
400'000'000.‒ et 900'000'000.‒ (Rapport annuel 1985‒1986 de la
Commission interaméricaine des Droits de l'homme, chap. IV,
Haïti). »
5.4.3.2 Le Tribunal pénal fédéral a jugé que ce comportement était
constitutif de l'infraction de participation ou de soutien à une organi-
sation criminelle au sens de l'art. 260
ter
CP.
« Jean-Claude Duvalier disposait de complices placés à la tête des
départements de l'Etat et des entreprises publiques. Ces complices
usaient de leurs pouvoirs de décision pour transférer des fonds
publics propriété des organismes qu'ils dirigeaient sur les comptes
privés du Chef de l'Etat et de ses proches (v. supra consid. 3.2.2),
notamment de Simone DUVALIER et de Michèle BENNETT-
DUVALIER (v. supra consid. 3.2.2/c). La structure mise en place par
le Chef de l'Etat à cette fin disposait en outre de blanchisseurs de
fonds au sein du Ministère des finances, de la Banque de la
République et de la Banque nationale de Crédit […]. La structure
formée par ces personnes pouvait en outre durer indépendamment
d'une modification de la composition de ses effectifs, même les plus
haut placés. Ainsi, à la mort de François DUVALIER, les mécanismes
de pillage systématique des caisses de l'Etat et les exactions on
perduré sous la ‹ présidence à vie › de Jean-Claude DUVALIER, dont
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


614 BVGE / ATAF / DTAF

l'accession au pouvoir avait été garantie par son père (v. supra let. A).
Le but principal de cette structure consistait à user du pouvoir absolu
du Chef de l'Etat afin de faire régner un climat de terreur en Haïti et
de procurer à ses membres des revenus considérables par le
détournement systématique des fonds publics, soit par des moyens
criminels, au sens de l'art. 260
ter
ch. 1 CP. Au nombre des membres
de cette structure figurent le Chef de l'Etat et ses proches, en leur
qualité d'organisateurs ou de bénéficiaires de l'activité criminelle (soit
en premier lieu François, Simone, Jean-Claude et Michelle
DUVALIER), ainsi que les nombreux fonctionnaires qui, moyennant
une commission ou par crainte de sanctions, transféraient les fonds
publics propriété des organismes qu'ils dirigeaient sur les comptes
privés du Chef de l'Etat et de ses proches. Cette structure organisée
constitue dès lors manifestement une organisation criminelle
l'art. 260
ter
ch. 1 CP » (consid. 3.3.2).
5.4.3.3 Appliquant le principe développé par le Tribunal fédéral qui
veut que, dans le cas où la remise est demandée en relation avec des
fonds provenant de l'activité, à l'étranger, d'une organisation criminelle
au sens de l'art. 260
ter
CP, l'art. 74a al. 3 EIMP doit être interprété à la
lumière de l'art. 72 CP (ATF 131 II 169), le Tribunal pénal fédéral a
présumé que les avoirs détenus par les personnes participant ou ayant
apporté leur soutien à l'organisation criminelle étaient soumis au pouvoir
de disposition de cette organisation et pouvaient donc être confisqués à
moins que la preuve du contraire soit rapportée. Dans son consid. 4.2, le
Tribunal pénal fédéral a estimé que la Fondation n'avait pas été en
mesure de faire valoir quelque argument propre à renverser cette
présomption.
5.4.3.4 Certes, l'arrêt du 12 août 2009 du Tribunal pénal fédéral ainsi
que la décision du 11 février 2009 de l'OFJ ont été annulés par le
Tribunal fédéral le 12 janvier 2010 (ATF 136 IV 4), mais pour l'unique
motif que la requête d'entraide était irrecevable en raison de la
prescription. Pour le surplus, le Tribunal fédéral a jugé que l'arrêt du
Tribunal pénal fédéral en ce qui concerne la qualification d'organisation
criminelle et les présomptions opérées ne portait pas le flanc à la critique
(ATF 136 IV 4 consid. 4.2 et 5).
Il s'ensuit que le degré de corruption tant de l'Etat d'origine que des PPE
en cause peut être considéré comme notoirement élevé.

Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées
2013/40


BVGE / ATAF / DTAF 615


5.4.4
5.4.4.1 S'agissant de l'accroissement exorbitant du patrimoine de Jean-
Claude Duvalier et de son entourage durant sa présidence, il faut
considérer la situation suivante.
Le compte de la défenderesse 1 a été ouvert en 1977. Ce qui n'est pas
contesté. Les avoirs de la défenderesse proviennent de titres libellés dans
différentes monnaies (dollars américains, canadiens, francs suisses,
Deutsche Mark), déposés au guichet de la banque X. le 28 juin 1977, et
des avoirs du compte n
o
(…), transféré le 19 décembre 1977. Au
31 décembre 1977, selon un relevé bancaire, la valeur approximative des
titres déposés sur le compte litigieux était de 11 791 872 francs, soit
5 883 051 USD en valeur de l'époque (voir historique des taux de
change: cours historiques). Au 31 décembre 1983, le
récapitulatif des valeurs en dépôt sur ce compte se composait de
placements fiduciaires, d'obligations et de notes pour un montant de
8 511 200 USD, soit 18 541 795 francs en valeur de l'époque. Différents
retraits et virements ont été effectués sur ce compte, parfois pour de gros
montants (2 117 000 USD) notamment au profit de Simone Françoise
Duvalier (et non Nicole comme l'indique le demandeur sans doute par
lapsus calami), sœur de Jean-Claude Duvalier. Selon le courrier
qu'adresse la banque au titulaire du compte le 23 avril 1996 pour
l'informer du blocage signifié par l'ordonnance de perquisition et de
saisie du juge d'instruction genevois, les avoirs se composaient alors dans
les différentes rubriques de 79 360.40 francs, 215.89 USD et de titres
pour une valeur approximative de USD 2 399 000, soit un montant total
en valeur de l'époque de 4 462 188 francs. Le relevé de fortune au
31 décembre 2010 laisse apparaître un solde de fortune de 5 882 562
USD, soit 5 504 831 francs.
Le compte (…), celui-là même qui avait été transféré sur le compte de la
défenderesse 1 à sa fondation, a été ouvert le 10 septembre 1971 et est
enregistré dans les livres de la banque au nom de Jean-Claude Duvalier
et/ou Madame Simone Ovide Duvalier. Au 31 décembre 2010 il était
crédité d'un montant de 1 785.25 francs.
La valeur des bijoux de Michèle Bennett-Duvalier n'est pas connue.
5.4.4.2 Concernant ses propres avoirs, la défenderesse 1 affirme que le
compte qui a servi à alimenter le sien aurait été ouvert le 7 septembre
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


616 BVGE / ATAF / DTAF

1971 par Simone Ovide Duvalier. Or la preuve qu'elle apporte à ce sujet
concerne un autre compte. Elle soutient également qu'à sa fondation, le
capital était inférieur à celui qui existait au moment du blocage de 1986
et que les avoirs en compte ne sont que le résultat des plus-values
réalisées au cours de près de 40 ans de gestion. Or cela semble incorrect,
déjà parce que le capital a diminué de 1977 à 1986, notamment en raison
de retraits importants sur le compte. Pour avoir une idée précise des
fluctuations, il faudrait examiner les différents relevés annuels (que le
Tribunal administratif fédéral ne possède pas) et tenir compte de
l'évolution du taux de change (en 1977 1 USD = 2 CHF; en 1986
1 USD = 1,82 francs; en 2010 1 USD = 0,94 francs). Mais cela ne
présente pas un intérêt déterminant pour l'issue de la présente affaire. En
effet, les variations de fortune sur un compte importent peu, ce que la
LRAI exige c'est l'existence d'une disproportion entre le revenu généré
par la fonction publique et le patrimoine en cause. Il faut encore dire à ce
sujet que l'ordonnance de perquisition et de saisie signifiée par le juge
d'instruction genevois en 1986 avait aussi permis de découvrir d'autres
comptes ouverts par Jean-Claude Duvalier et Michèle Bennett-Duvalier
auprès de la banque X. et de la banque V., mais aucun de ces avoirs
n'avaient pu être saisis car les déposants avaient préalablement retiré les
fonds (arrêt non publié du Tribunal fédéral 1A.58/1989 du 19 septembre
1989 consid. b).
Par attestation du 18 février 2011, Ronald Baudin, le ministre de l'écono-
mie et des finances de la République d'Haïti, a certifié que Jean-Claude
Duvalier a émargé au budget de l'Etat d'avril 1971 à février 1986, à titre
de Président de la République. Son salaire mensuel s'élevait d'avril 1971
à septembre 1984 à 10 000 gourdes (HTG) puis est passé à 17 500
gourdes. 10 000 gourdes équivalaient dans les années 80 à environ 2 000
USD ou 3 200 francs. Le Ministre atteste également que conformément à
la législation en vigueur, Madame Simone Ovide Duvalier, Première
Dame de la République et Mère du Président Jean-Claude Duvalier, n'a
perçu aucun salaire de l'Etat Haïtien entre 1957 (élection de son mari
François Duvalier à la présidence) et 1986. On peut inférer avec le de-
mandeur qu'il en fut de même pour Michèle Bennett-Duvalier lorsqu'elle
fut Première Dame. Ce qui ressort également des budgets de fonction-
nement de l'Etat qui révèlent que la Première Dame (Michèle Bennett-
Duvalier) et la Gardienne de la Révolution (Simone Ovide Duvalier) ne
bénéficiaient que des services de personnel de collaboration (secrétaire
privé) et d'exécution (chauffeur privé).
Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées
2013/40


BVGE / ATAF / DTAF 617

5.4.4.3 Ces traitements n'expliquent pas la présence de 11 791 872
francs sur le compte de la Fondation à sa création en 1977 par Simone
Ovide Duvalier. Ce montant doit plutôt être mis en relation avec le
pillage systématique des caisses de l'Etat mis en place par la famille
Duvalier. L'argent était détourné via la délivrance, par divers organismes
responsables de tâches publiques, de chèques établis à l'ordre des
« œuvres sociales du Président à vie de la République », de celles de la
Gardienne de la Révolution ou de « Madame Jean-Claude Duvalier »
(Michèle Bennett-Duvalier). Or, selon les considérants de l'arrêt du
Tribunal pénal fédéral précité, ces entités étaient fictives; elles n'avaient
aucune activité, ne tenaient aucune comptabilité et ne disposaient d'aucun
compte bancaire.
« Au dos des chèques établis à leur ordre figurait généralement un
endossement par Jean-Claude DUVALIER, son épouse Michèle
BENNETT-DUVALIER ou sa mère Simone DUVALIER. Les fonds
publics ainsi détournés étaient tirés sur les comptes des organismes
publics dans les banques haïtiennes, puis versés sur les comptes
privés du ‹ Président à vie › et de ses proches. Ces fonds étaient
ensuite convertis en dollars, soit par retrait en dollars auprès de la
caisse de la Banque de la République, soit par ordre de conversion
donné par téléphone du palais présidentiel au Gouverneur de la
Banque de la République, soit encore par établissement, par la
Banque Nationale de Crédit, d'un chèque sur une banque américaine
auprès de laquelle la Banque Nationale détenait un compte en dollars
(act. 6.1, annexe 2, p. 10 sv.). L'argent détourné était ensuite déposé
dans des banques étrangères, notamment suisses (act. 6.1, annexe 2,
p. 5 et 12; act. 6.2, p. 19 sv.). Pour la seule période entre 1983 et le
début de l'année 1986, l'autorité requérante a ainsi pu établir, suite à
la saisie de documents bancaires et de liasses de chèques, l'existence
de transferts à l'étranger de fonds publics détournés de cette manière
à hauteur de USD 36'007'730.‒. Au nombre des bénéficiaires de ces
détournements figurent notamment Jean-Claude DUVALIER, son
épouse Michèle BENNETT-DUVALIER, sa mère Simone
DUVALIER, F., G. et H., ces trois derniers étant respectivement à la
tête du Département des finances, de la Banque centrale et du
Ministère de l'intérieur haïtiens » (consid. 3.2.2 c)
S'agissant de la fortune de Michèle Bennett-Duvalier, elle provenait
visiblement des fonds publics de l'Etat haïtien. Le demandeur a produit
des copies de chèques tirés sur la Banque de la République d'Haïti du
compte de la Loterie de l'Etat haïtien en faveur de la Fondation Michèle
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


618 BVGE / ATAF / DTAF

B. Duvalier, qu'elle signait et endossait elle-même en portant la mention
cash.
Alors que les défendeurs 2, 3 et 4 n'ont déposé aucune observation, la
défenderesse 1 se contente d'affirmer que son compte a été constitué par
les propres avoirs de sa fondatrice Simone Ovide Duvalier. Elle n'apporte
aucun indice − la vraisemblance prépondérante suffit selon la LRAI −
que ses avoirs auraient été acquis licitement. Elle allègue que la fortune
de la Fondation a pour unique origine le transfert de tous les avoirs et du
dossier titre du compte n
o
(…) alors même qu'il est démontré que de
nombreux titres ont été déposés pour une somme conséquente
directement au guichet en juin 1977. Quand bien même seul le compte
précité aurait alimenté celui de la Fondation à sa création, la
défenderesse 1 ne démontre que ce compte d'origine échappe à la pré-
somption légale.
En résumé, il peut être constaté que les conditions de l'art. 5 al. 2 let. b
LRAI sont en l'espèce remplies. La défenderesse 1 n'avance pas dans sa
réponse à l'action des arguments permettant de renverser la présomption
de l'illicéité de l'origine des valeurs patrimoniales prévue à l'art. 6 al. 1
LRAI mais se limite à contester la constitutionnalité de la loi et la
confiscation dans le cas concret. La question de savoir si ces griefs
doivent être examinés dans le cadre d'une action en confiscation – qui
concerne en principe le droit à la confiscation des valeurs patrimoniales
bloquées – peut rester ouverte pour ce qui est des procédures à venir
parce que de toute façon ces griefs sont infondés, comme on le verra
dans les considérants suivants.
6.
6.1 La défenderesse 1 soutient que la présomption de l'art. 6 al. 1
LRAI viole la présomption d'innocence garantie par l'art. 6 par. 2 de la
Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales (CEDH, RS 0.101) et par l'art. 32 al. 1 Cst.
6.2 A titre préliminaire, il s'agit de considérer la recevabilité de ce
grief. En effet, le demandeur affirme qu'en contestant la présomption
d'illicéité instaurée par l'art. 6 LRAI, la défenderesse 1 s'en prend en fait
à une disposition légale adoptée par le Parlement, ce qui serait irrece-
vable en vertu tant de l'art. 190 Cst. que de l'art. 189 al. 4 Cst.
L'art. 190 Cst. prescrit que le Tribunal fédéral et les autres autorités sont
tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international. Cette dispo-
Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées
2013/40


BVGE / ATAF / DTAF 619

sition fonde une restriction importante du contrôle des normes en Suisse,
en ce sens que les lois formelles de la Confédération et le droit inter-
national doivent en principe être appliquées nonobstant leurs rapports
avec la Constitution et entre eux (ATAF 2009/6 consid. 4.2.4.1; ATF 131
II 562 consid. 3.2, ATF 131 V 256 consid. 5.3, ATF 129 II 249
consid. 5.4; ANDREAS AUER/GIORGIO MALINVERNI/MICHEL HOTTELIER,
Droit constitutionnel suisse, vol. I: L'Etat, 2
e
éd., Berne 2006, p. 653).
Toutefois, la jurisprudence et la doctrine consacrent le principe de la
primauté du droit international sur le droit interne (ATF 131 V 66
consid. 3.2, ATF 125 II 417 consid. 4d, ATF 122 II 234 consid. 4e, ATF
122 II 485 consid. 3a, ATF 119 V 171 consid. 4a et les arrêts cités;
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, op. cit., p. 653 ss; ARTHUR HAEFLIGER/
FRANCK SCHÜRMANN, Die Europäische Menschenrechtskonvention und
die Schweiz, 2
e
éd., Berne 1999, p. 39 et réf. cit.). Ce principe découle de
la nature même de la règle internationale, hiérarchiquement supérieure à
toute règle interne (ATF 122 II 485 consid. 3a). Il en résulte que le juge
ne peut pas appliquer une loi fédérale qui violerait un droit fondamental
consacré par une convention internationale (ATF 125 II 417 consid. 4d,
ATF 119 V 171 consid. 4b et réf. cit.; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER,
op. cit., p. 653; HAEFLIGER/SCHÜRMANN, op. cit., p. 41).
Il s'ensuit que le Tribunal administratif fédéral doit examiner la perti-
nence du grief soulevé par la défenderesse 1 au sujet de la violation de la
présomption d'innocence.
6.3
6.3.1 Le fondement de la présomption d'innocence se trouve à l'art. 6
par. 2 CEDH, qui prévoit que « toute personne accusée d'une infraction
est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement
établie ». Le contenu matériel de cette disposition est identique à celui de
l'art. 32 al. 1 Cst., qui affirme que « toute personne est présumée inno-
cente jusqu'à ce qu'elle fasse l'objet d'une condamnation entrée en force »
(ATF 131 I 272 consid. 3.2.3.1; PIERRE CORNU, Présomption d'innocence
et charge de la preuve, in: Revue jurassienne de jurisprudence [RJJ] 2004
p. 25 ss, spéc. p. 26).
6.3.2 Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme (ci-après: Cour EDH), si le principe de la présomption d'inno-
cence consacré par l'art. 6 par. 2 CEDH figure parmi les éléments du
procès pénal équitable exigé par le par. 1 de la même disposition, il ne se
limite pas à une simple garantie procédurale en matière pénale. Sa portée
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


620 BVGE / ATAF / DTAF

est plus étendue: il commande qu'aucun représentant de l'Etat ou d'une
autorité publique ne déclare une personne coupable d'une infraction avant
que sa culpabilité ait été établie par un « tribunal » (Cour EDH, arrêt
Allenet de Ribemont c. France du 10 février 1995, série A n
o
308, § 35 et
36, arrêt Daktaras c. Lituanie, du 10 octobre 2000, Recueil des arrêts et
décisions [ci-après: Recueil] 2000-X, § 41 et 42). En principe, donc, la
présomption d'innocence n'est invocable que dans les procédures pénales.
Toutefois le champ d'application de l'art. 6 par. 2 CEDH ne se limite pas
aux procédures pénales qui sont pendantes. En effet, il peut s'étendre aux
décisions de justice prises après l'arrêt des poursuites ou après un
acquittement, dans la mesure où les questions soulevées dans l'affaire en
cause constituent un corollaire et un complément des procédures pénales
concernées dans lesquelles le requérant a la qualité d'« accusé » (Cour
EDH, décision Matos Dinis c. Portugal, n
o
61213/08, 2 octobre 2012,
§ 35 et réf. cit.). La Cour EDH a eu l'opportunité de clarifier son
approche sur les modalités d'application du principe de la présomption
d'innocence aux procédures non pénales. Ainsi, pour qu'une question
puisse se poser sous l'angle de la présomption d'innocence, il faut que la
procédure litigieuse présente avec l'accusation pénale « un lien manifeste
justifiant que l'on étende à [cette procédure] le champ d'application de
l'article 6 § 2 » (Cour EDH, arrêt Y. c. Norvège du 11 février 2003,
Recueil 2003-II, § 43, a contrario, arrêt Ringvold c. Norvège, du
11 février 2003, Recueil 2003-II, § 41).
6.3.3 La notion d'« accusation en matière pénale », dont il est question
à l'art. 6 CEDH, revêt une portée autonome, indépendante des caté-
gorisations utilisées par les systèmes juridiques nationaux des Etats
membres (Cour EDH, arrêt Adolf c. Autriche du 26 mars 1982, série A
n
o
49, § 30). Cette notion doit être définie, conformément à la juris-
prudence de la Cour de Strasbourg, d'après trois critères (Cour EDH,
arrêt de principe Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A
n
o
22, § 82; en outre ATF 134 I 140 consid. 4.2). En premier lieu, la
qualification de la règle concernée, en droit interne, est prise en
considération. Ce point de vue ne revêt cependant qu'une importance
relative. Le deuxième critère a une portée plus étendue et est considéré
comme le plus important (Cour EDH, arrêt Jussila c. Finlande, du
23 novembre 2006, Recueil 2006-XIV, § 38), il s'agit de la nature de
l'acte incriminé. En examinant ce critère, divers facteurs peuvent être pris
en considération, comme ceux de savoir si la règle juridique a une
fonction répressive ou dissuasive (Cour EDH, arrêt Öztürk c. Allemagne
Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées
2013/40


BVGE / ATAF / DTAF 621

du 21 février 1984, série A n
o
73, § 49, arrêt Bendenoun c. France du
24 février 1994, série A n
o
284, § 47), si la condamnation à toute peine
dépend du constat de culpabilité (Cour EDH, arrêt Benham c. Royaume-
Uni, du 10 juin 1996, Recueil 1996-III, § 56) ou encore si l'infraction
donne lieu à l'inscription au casier judiciaire, bien que ce soit là le reflet
d'une classification interne (Cour EDH, arrêt Ravnsborg c. Suède du
23 mars 1994, série A n
o
283-B, § 34). Le troisième critère se détermine
par rapport au degré de sévérité de la sanction encourue (par exemple:
Cour EDH, arrêt Campbell et Fell c. Royaume Uni du 28 juin 1984,
série A n
o
80, § 72). Les deux derniers critères sont alternatifs (Cour
EDH arrêt Öztürk c. Allemagne précité, § 54, arrêt Lutz c. Allemagne du
25 août 1987, série A n
o
123, § 55) mais une approche cumulative est
toutefois possible, voire nécessaire, lorsque l'examen séparé de chaque
critère ne permet pas d'aboutir à un résultat clair quant à l'existence d'une
« accusation en matière pénale » (Cour EDH arrêt Bendenoun c. France
précité, § 47).
6.3.4 S'agissant de mesures de confiscation portant atteinte aux droits
de propriété de tiers, en l'absence de toute menace de poursuites pénales
contre ces derniers, la Cour EDH a jugé que ces mesures n'équivalent pas
à la détermination du bien-fondé d'une « accusation en matière pénale »
(Cour EDH, [saisie d'un avion] arrêt Air Canada c. Royaume-Uni du
5 mai 1995, série A n
o
316-A, § 50 à 54, [confiscation de pièces d'or]
arrêt AGOSI c. Royaume-Uni du 24 octobre 1986, série A n
o
108, § 65 et
66).
6.4
6.4.1 Selon la défenderesse 1, la nature pénale ou non d'une mesure
de confiscation dépend largement du fait de savoir si cette mesure
implique ou non l'imputation d'une infraction. En substance, elle estime
que comme l'infraction en amont n'est pas établie puisque ni Jean-Claude
Duvalier ni son entourage n'ont été condamnés, le système du ren-
versement du fardeau de la preuve concernant l'origine illicite des fonds
de la LRAI porte atteinte au principe de la présomption d'innocence.
6.4.2
6.4.2.1 La LRAI n'est pas une loi pénale. Son objectif est d'apporter une
solution aux difficultés d'application de l'EIMP, dont les exigences
apparaissent trop strictes et entrainent une prolongation des procédures
pour la récupération des avoirs des dictateurs déchus (ATF 136 IV 4
consid. 7). Or les garanties de procédure découlant de l'art. 6 CEDH ne
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


622 BVGE / ATAF / DTAF

sont pas applicables aux procédures d'entraide judiciaire, dont la nature
est administrative et dont le but n'est pas d'examiner la culpabilité des
personnes en cause (ATF 136 IV 4 consid. 4.3; arrêt du Tribunal fédéral
2A.484/2004 du 19 janvier 2005 consid. 1.2; ATAF 2010/40
consid. 5.4.2). La décision d'exécuter une demande d'entraide judiciaire
ne statue pas sur le bien-fondé d'une « accusation en matière pénale » ni
sur une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil
(Cour EDH arrêt M. c. Suisse, n
o
11514/85, 1
er
décembre 1986; Jurispru-
dence des autorités administratives de la Confédération [JAAC] 51.73).
La LRAI peut donc être considérée comme une loi administrative
subsidiaire à une autre loi administrative (EIMP).
6.4.2.2 Dans son message, le Conseil fédéral prend le soin de préciser à
plusieurs reprises que les mesures prévues par la LRAI sont de nature
administrative: « Comme la mesure de confiscation prévue par le projet
de loi n'est pas une sanction pénale, il n'importe pas que l'acte illicite
commis lors de l'acquisition soit encore punissable au moment de la
confiscation », « Le troisième alinéa [de l'art 5 LRAI] rappelle le principe
selon lequel la prescription pénale n'empêche pas le prononcé de mesures
administratives. Dans ce sens, il serait donc également possible que la loi
trouve à s'appliquer, en conjonction avec l'art. 14, à un état de faits ayant
débuté avant l'entrée en vigueur de celle-ci » (MCF LRAI p. 3011 et
3019).
6.4.2.3 Dans un paragraphe qu'il consacre à la LRAI, NOBEL affirme:
« Die Strafbarkeit der unrechtmässigen Handlung im Einziehungszeit-
punkt ist unerheblich, da der Massnahme administrativer Charakter
zukommt. » (PETER NOBEL, Schweizerisches Finanzmarktrecht und in-
ternationale Standards, 3
e
éd., Berne 2010, p. 1115).
6.4.2.4 Dans un arrêt du 12 décembre 2012, le Tribunal pénal fédéral
répond à un recourant qui se prévaut de la LRAI pour tirer argument de
sa légitimation: « Zweitens bezieht sich das RuVG nicht auf
Strafverfahren, sondern dient der verwaltungsrechtlichen Vorbereitung
(Art. 2 let a RuVG) eines allenfalls einmal eintreffenden Rechtshilfe-
ersuchens nach dem Bundesgesetz über die internationale Rechtshilfe in
Strafsachen (IRSG, SR 351.1) oder der verwaltungsrechtlichen Ein-
ziehung nach Art. 5 RuVG » (arrêt du TPF BB.2012.174-177 du
12 décembre 2012 consid. 3.4).
Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées
2013/40


BVGE / ATAF / DTAF 623

6.4.2.5 Ainsi, selon le premier critère de la jurisprudence Engel, la règle
peut être qualifiée, en droit interne, de nature administrative. Cette thèse
est renforcée, sans que cela soit déterminant, par les voies de droit qui
donnent compétence au Tribunal administratif fédéral de statuer, tant
comme autorité de recours à l'encontre du blocage qu'en qualité de
première instance pour le prononcé de la confiscation.
6.4.3
6.4.3.1 S'agissant du deuxième critère de la jurisprudence Engel qui se
rapporte à la nature même de l'acte incriminé, les mesures de confis-
cation requises par le demandeur ne nécessitent pas la condamnation
préalable de la PPE et/ou de son entourage. Les personnes impliquées ne
font pas l'objet d'une « accusation pénale » dans la mesure où aucun
reproche de cet ordre n'est formulé à leur égard. Contrairement à ce que
soutient la défenderesse 1, le mécanisme de présomption ne concerne pas
la commission d'une infraction à proprement parler, qui serait imputée
par ce biais à la personne concernée, mais vise la provenance illicite des
fonds (dans le même sens: ALIZÉE LECOUTURIER, La « Lex Duvalier »,
in: Jusletter du 12 novembre 2012, n
o
100). Le Tribunal administratif
fédéral doit uniquement rechercher si les biens à confisquer sont
d'origine illicite – laquelle peut-être présumée – mais il ne s'interroge pas
sur la culpabilité de l'auteur. Cela est d'autant plus vrai pour les fonds
appartenant à la défenderesse 1, laquelle, même s'il était reconnu un
caractère pénal à la mesure confiscatoire, n'est menacée d'aucune
poursuite pénale, si bien que la présomption d'innocence n'entre pas en
jeu. En effet, la procédure de confiscation – dans le sens de la juris-
prudence CEDH AGOSI précitée – est alors menée contre un tiers. Or le
droit à être présumé innocent ne vaut qu'en rapport avec l'infraction
précise dont le prévenu est accusé (Cour EDH, arrêt Phillips c. Royaume-
Uni, du 5 juillet 2001, Recueil 2001-VII, § 35). On peut donc se
demander si la défenderesse 1 est habilitée à se prévaloir de l'art. 6 par. 2
CEDH. De plus, selon le Tribunal fédéral, lorsque la mesure de confis-
cation est menée indépendamment de la procédure pénale proprement
dite, ou lorsqu'elle frappe une personne qui n'est pas accusée, la pré-
somption d'innocence n'est pas opposable (ATF 132 II 178 consid. 4.1).
6.4.3.2 Les mesures de confiscation constituent sans aucun doute un
instrument de lutte contre la criminalité. Contrairement au Code pénal
suisse qui distingue la confiscation de sécurité (art. 69 CP) de la confis-
cation de compensation (art. 70 CP), la LRAI ne prévoit qu'une seule
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


624 BVGE / ATAF / DTAF

mesure dont l'objectif est multiple. Son caractère répressif n'est certes pas
totalement absent. En effet, la mainmise sur des valeurs d'origine illicite
vise à concrétiser l'adage selon lequel le crime ne doit pas payer.
Toutefois, la confiscation ne constitue pas une sanction personnelle mais
une mesure réelle (in rem) prononcée dans le cadre d'une procédure qui
‒ ainsi qu'il a déjà été dit – n'examine pas la culpabilité de l'auteur de
l'infraction en amont. La confiscation supprime l'avantage procuré par un
enrichissement illégitime et s'inscrit dans un processus qui a pour objectif
le rétablissement d'une situation de droit par la restitution de ces avoirs à
la population qui en a été spoliée. Ainsi, la LRAI est moins destinée à
punir qu'à réparer.
6.4.3.3 Le type et la gravité de la sanction constituent le troisième
critère de la jurisprudence Engel à analyser. En l'occurrence, il ne s'agit
pas de sanction proprement dite puisque la règle n'impute pas d'infrac-
tion. Il s'agit plutôt d'examiner les conséquences de la mesure incriminée.
Celle-ci prive les défenderesses de la propriété des avoirs jusque-là
simplement saisis. La sévérité des conséquences ne suffit toutefois pas à
lui conférer les caractéristiques de sanction pénale auxquelles elle ne
peut donc être comparée.
6.5 Vu ce qui précède, le Tribunal administratif fédéral constate que
la confiscation ne constitue pas une mesure dont le caractère pénal est
prépondérant et ne saurait ainsi être assimilée à une « accusation en
matière pénale » si bien que les garanties spécifiques en matière pénale
(art. 6 par. 2 CEDH et art. 32 Cst.) ne peuvent pas être invoquées.
6.6
6.6.1 Il sied encore de préciser pour être complet que si la confisca-
tion prévue dans la LRAI devait tout de même être qualifiée d'« accusa-
tion en matière pénale », les garanties procédurales mises en place par
l'art. 6 al. 2 LRAI pour renverser la présomption sont suffisantes au
regard de l'art. 6 CEDH.
6.6.2 En effet, la Cour EDH considère que le droit pour une personne
poursuivie au pénal d'être présumée innocente se déduit non seulement
de l'art. 6 par. 2 CEDH mais également de la notion générale de procès
équitable de l'art. 6 par. 1 CEDH. Ce droit oblige l'accusation à supporter
la charge de la preuve (Cour EDH, arrêt Phillips c. Royaume-Uni précité,
§ 40). Il n'est toutefois pas absolu, car « tout système juridique connaît
des présomptions de fait ou de droit; la Convention n'y met évidemment
Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées
2013/40


BVGE / ATAF / DTAF 625

pas obstacle en principe, mais en matière pénale, elle oblige les Etats
contractants à ne pas dépasser à cet égard un certain seuil. […] L'art. 6
par. 2 ne se désintéresse donc pas des présomptions de fait ou de droit qui
se rencontrent dans les lois répressives. Il commande aux Etats de les
enserrer dans les limites raisonnables prenant en compte la gravité de
l'enjeu et préservant les droits de la défense » (Cour EDH, arrêt
Salabiaku c. France du 7 octobre 1988, série A n
o
141-A, § 28, égale-
ment arrêt Pham Hoang c. France du 25 septembre 1992, série A n
o
243,
§ 32‒33, arrêt Phillips c. Royaume-Uni précité, § 40).
6.7 Or, en l'espèce, la présomption légale n'a pas été utilisée pour
déclarer les défendeurs coupables d'une infraction mais pour établir
l'origine illicite des avoirs à confisquer. En outre, la présomption est
appréciée par un tribunal dans le cadre d'une procédure qui offre la
possibilité aux parties de produire des preuves. Mais surtout, les défen-
deurs à l'action en confiscation ont la faculté de renverser la présomption
légale en démontrant, sur le simple critère de la vraisemblance prépondé-
rante, que les avoirs en question ont été acquis de manière licite. Ainsi,
quand bien même la confiscation tomberait dans le domaine pénal de la
CEDH, la manière dont la présomption a été appliquée n'enfreint pas les
règles de base régissant l'équité des procédures au sens de l'art. 6 CEDH.
7. Dans un autre grief, la défenderesse 1 soutient que l'application
de l'art. 14 LRAI à ses avoirs viole l'interdiction de la rétroactivité que
consacre l'art. 7 par. 1 CEDH, motif pris, en substance, que la confisca-
tion constituerait une nouvelle peine alors que l'état de fait était com-
plètement révolu une année avant l'entrée en vigueur de la LRAI.
7.1 L'art. 7 par. 1 CEDH stipule que:
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au
moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction
d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé
aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où
l'infraction a été commise ».
Cette disposition consacre des principes qui ont caractère de droits abso-
lus, à savoir qui ne peuvent faire l'objet de dérogation: il ne peut y avoir
d'infraction pénale sans que le comportement délictueux ait été prévu
comme tel par une disposition de loi; il ne peut y avoir infliction d'une
peine sans que celle-ci ait été prévue par la loi pénale; il ne peut y avoir
sanction et assujettissement à une peine se rapportant à une action qui, au
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


626 BVGE / ATAF / DTAF

moment où elle a été commise, n'avait pas été considérée comme punis-
sable par la loi pénale (MICHELE DE SALVIA, Compendium de la CEDH:
les principes directeurs de la jurisprudence relative à la Convention
européenne des droits de l'homme, vol. 1 Jurisprudence 1960 à 2002,
Strasbourg 2002, p. 387).
7.2 L'art. 7 CEDH impose la légalité des incriminations et des
peines, ainsi que la non-rétroactivité des dispositions d'incrimination.
Après avoir longtemps limité l'application de cette disposition aux
infractions pénales, la Cour EDH a, en 1995, dans l'arrêt Welch, étendu le
champ de cette disposition à toutes les peines: « la notion de ‹ peine ›
contenue dans cette disposition possède, comme celles de ‹ droits et
obligations de caractère civil › et d'‹ accusation en matière pénale ›
figurant à l'article 6 par. 1, une portée autonome. Pour rendre efficace la
protection offerte par l'article 7, la Cour doit demeurer libre d'aller au-
delà des apparences et d'apprécier elle-même si une mesure particulière
s'analyse au fond en une ‹ peine › au sens de cette clause » (Cour EDH,
arrêt Welch c. Royaume-Uni du 9 février 1995, série A n
o
307-A, § 27).
Dans le même arrêt, la Cour EDH précise que le libellé de l'art. 7 par. 1
CEDH, seconde phrase, indique que le point de départ de toute
appréciation de l'existence d'une peine consiste à déterminer si la mesure
en question est imposée à la suite d'une condamnation pour une
« infraction » (Cour EDH, arrêt Welch c. Royaume-Uni précité, § 28).
Pour ce faire, elle applique les trois critères dégagés dans sa jurispru-
dence Engel.
7.3 Dans le cas d'espèce, l'examen de l'application de l'art. 6 par. 2
CEDH à l'aune de la jurisprudence Engel a déjà démontré que l'impo-
sition de la mesure de confiscation n'était pas tributaire du prononcé
préalable d'une condamnation pénale. Ainsi on ne se trouve pas dans le
cadre d'une « accusation en matière pénale », la confiscation n'ayant pas
un caractère punitif prépondérant quand bien même elle cause un
préjudice important aux titulaires des fonds concernés. L'art. 7 CEDH ne
s'applique donc pas. Dans la jurisprudence de la Cour EDH citée par la
défenderesse 1, les constellations étaient différentes puisque le juge
prenait en compte le degré de culpabilité de l'accusé pour fixer le
montant de l'ordonnance de confiscation, ce qui n'est pas prévu dans le
cas particulier.
7.4 Quand bien même on devrait retenir que la confiscation fondée
sur la LRAI représentait malgré tout une peine car prononcée dans un
Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées
2013/40


BVGE / ATAF / DTAF 627

contexte d'« accusation en matière pénale », la rétroactivité de celle-là ne
serait pas établie. En effet, le but de l'art. 7 CEDH est que nul ne soit
soumis à des poursuites, condamnations ou sanctions arbitraires (Cour
EDH, arrêt Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne, n
os
34044/96,
35532/97 et 44801/98 du 22 mars 2001, § 88). Il s'agit donc de s'assurer
que, au moment où un accusé a commis l'acte qui a donné lieu aux
poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant
l'acte punissable et que la peine imposée n'a pas excédé les limites fixées
par cette disposition (Cour EDH, arrêt Coëme et autres c. Belgique,
22 juin 2000, Recueil 2000-VII, § 145). Or la LRAI a pour effet de faire
renaître la possibilité de confisquer des avoirs qui ne l'étaient plus par
l'effet d'une prescription acquise au regard de l'EIMP. En aucun cas elle
réprime par une mesure inconnue de la législation une action qui n'était
pas répréhensible auparavant. Si les défenderesses pouvaient effective-
ment s'attendre à pouvoir continuer à jouir de leurs biens, ce n'est que par
l'écoulement du temps qui leur a été favorable, et non parce que leurs
actes n'encouraient aucune sanction au moment de leur commission.
8. La défenderesse 1 se plaint également d'une violation de la sé-
paration des pouvoirs au motif que le Conseil fédéral a délibérément
empêché que soit mise en œuvre une décision du Tribunal fédéral
8.1 Avant d'être un principe, la séparation des pouvoirs est un
modèle d'organisation étatique qui règle le partage des compétences entre
les organes législatif et exécutif et garantit notamment l'indépendance des
juges. Le modèle devient principe une fois concrétisé dans l'ordre consti-
tutionnel (PIERRE MOOR/ALEXANDRE FLÜCKIGER/VINCENT MARTENET,
Droit administratif, vol. I: Les fondements, 3
e
éd., Berne 2012, p. 436).
Le Tribunal fédéral le considère comme un principe du droit consti-
tutionnel fédéral non écrit qui résulte de la répartition des tâches
étatiques entre divers organes (JAAC 53.54; aussi ATF 134 I 269
consid. 3.3.2). Ce principe ne confère pas au citoyen un droit de portée
générale à ce qu'aucun acte de l'Etat ne soit pris en violation des règles de
compétence; il le protège seulement contre une atteinte étatique à ses
droits personnels qui résulterait d'une procédure où les règles de
compétence n'ont pas été respectées (ATF 123 I 41 consid. 5a, ATF 122 I
90 consid. 2b, ATF 113 Ia 390 consid. 2b/dd).
8.2 En l'espèce, le blocage basé initialement sur l'art. 184 al. 3 Cst.
empêche en effet l'exécution d'un jugement qui lève une saisie prononcée
au titre de l'entraide judiciaire. Le Tribunal fédéral a statué sur cette
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


628 BVGE / ATAF / DTAF

question en toute indépendance, sans intervention d'une autorité exécu-
tive. Ensuite, le Conseil fédéral a fondé sa décision sur un article consti-
tutionnel qui lui donne cette compétence en matière d'affaires étrangères,
ceci en attendant que le pouvoir législatif approuve une loi ad hoc, ce qui
fut fait le 1
er
octobre 2010. Cette manière de faire, si elle peut être
discutable d'un point de vue politique, ne saurait être constitutive d'une
violation de la séparation des pouvoirs. Chaque organe a usé de ses pré-
rogatives, dans la limite de ce que la loi autorise.
9. La défenderesse 1 reproche également aux autorités un
comportement contradictoire en violation du principe de la bonne foi.
Elle fait valoir en substance que les autorités fédérales ont de manière
répétée adopté des attitudes contradictoires en introduisant des mesures
temporaires de blocage sans cesse prorogées puis en refusant de se
soumettre à une décision du Tribunal fédéral.
9.1 Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'Etat et les
particuliers doivent agir conformément aux règles de la bonne foi. Cela
implique notamment qu'ils s'abstiennent d'adopter un comportement
contradictoire ou abusif. De ce principe découle notamment, en vertu de
l'art. 9 Cst., le droit de toute personne à la protection de sa bonne foi dans
ses relations avec l'Etat (ATF 137 I 69 consid. 5.2, ATF 136 I 254
consid. 5.2). Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la
confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités,
lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un
comportement déterminé de l'administration (ATF 131 II 627
consid. 6.1).
9.2 Outre le fait que ce reproche concerne plus le blocage que la
confiscation, l'argumentation de la défenderesse 1 tombe à faux. Pour
qu'il y ait contradiction, il faudrait tout d'abord qu'il s'agisse de la même
autorité (MOOR/FLÜCKIGER/MARTENET, op. cit., p. 930 et réf. cit.), ce qui
n'est pas le cas en l'espèce, les mesures de blocage ayant été prononcées
par différentes autorités, sur des bases légales différentes. De surcroît, le
recourant n'a pas établi avoir pris des dispositions auxquelles il ne saurait
renoncer sans subir un préjudice, ce qui est également une des conditions
pour admettre une violation de l'interdiction de comportement
contradictoire (ATF 137 I 69 consid. 2.5; MOOR/FLÜCKIGER/MARTENET,
op. cit., p. 930). Par conséquent, ce grief est également rejeté.
Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées
2013/40


BVGE / ATAF / DTAF 629

10. S'agissant du grief de la violation de la garantie de la propriété
et de la proportionnalité, du moment que la LRAI s'applique au cas
d'espèce et que les conditions de la confiscation sont données, il n'y a pas
lieu de l'examiner. En effet, toute confiscation porte atteinte au droit de la
propriété. C'est même le but poursuivi. A l'appui de ses allégations, la
défenderesse 1 soutient notamment que la mesure ne serait pas propor-
tionnelle au but poursuivi parce que ses avoirs avaient pour origine la
fortune personnelle de Simone Ovide Duvalier. On ne peut que lui
rétorquer que l'art. 6 al. 2 LRAI lui offre la possibilité de démontrer avec
une vraisemblance prépondérante que cette fortune était d'origine licite,
ce qu'elle n'a pas fait. Là encore, force est de constater que ses reproches
ne sont pas fondés.
11. Au vu de ce qui précède, compte tenu que les conditions posées
par la loi sont satisfaites, le Tribunal administratif admet l'action en
confiscation et ordonne la confiscation des valeurs patrimoniales
suivantes:
- le compte no (…) auprès de la banque X., dont la Fondation est
titulaire, à charge de la banque X. de les transférer à la
Confédération suisse dans les 30 jours après l'entrée en force du
présent arrêt, sous commination de la peine prévue à l'art. 292 CP;
- le compte no (…) auprès de la banque X., dont Jean-Claude
Duvalier et/ou l'hoirie de feue Simone Ovide Duvalier sont
titulaires, à charge de la banque X. de les transférer à la
Confédération suisse, sous commination de la peine prévue à
l'art. 292 CP;
- les bijoux (clips d'oreilles) appartenant à Michèle Bennett-Duvalier,
en dépôt auprès de Y., à charge de Me Brosset de les transférer à la
Confédération suisse, sous commination de la peine prévue à
l'art. 292 CP.
12.
12.1 A teneur de l'art. 44 LTAF, lorsque le Tribunal administratif
fédéral statue en première instance dans une procédure régie par la PCF,
l'attribution des frais et des dépens est réglée par les art. 63 à 65 de la loi
fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA, RS
172.021).
12.2 Selon l'art. 63 al. 1 PA, en règle générale, les frais de procédure
sont mis à la charge de la partie qui succombe. Les défendeurs, qui
succombent, supporteront solidairement les frais de justice, arrêtés à
2013/40 Action en confiscation de valeurs
patrimoniales bloquées


630 BVGE / ATAF / DTAF

12 000 francs, qu'ils verseront sur le compte du Tribunal administratif
fédéral une fois le présent arrêt entré en force.
12.3 Compte tenu de l'issue du litige, il n'est pas alloué de dépens
(art. 7 al. 1 du règlement du 21 février 2008 concernant les frais, dépens
et indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral [FITAF, RS
173.320.2] a contrario).
13. Le présent arrêt peut être attaqué devant le Tribunal fédéral
(art. 83 let. a de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral
[LTF, RS 173.110] a contrario, voir aussi MCF LRAI, p. 3008 et 3026).
Pour être complet, il convient de mentionner qu'aux termes de l'art. 71
PCF le jugement acquiert force de chose jugée dès qu'il est prononcé.
Toutefois, cette disposition ne concerne visiblement que le Tribunal
fédéral et pas le Tribunal administratif fédéral (art. 1 PCF).