BStGer - RR.2017.17 - Entraide judiciaire internationale en matière pénale à la Grèce. Remise de moyens de preuve (art. 74 EIMP). - Beschwerdekammer: Rechtshilfe
Karar Dilini Çevir:



Arrêt du 14 mars 2017
Cour des plaintes


Composition Les juges pénaux fédéraux Stephan Blättler,
président, Giorgio Bomio et Cornelia Cova,
le greffier David Bouverat

Parties A., représenté par Me Ilias S. Bissias, avocat,
recourant

contre

MINISTÈRE PUBLIC DE LA CONFÉDÉRATION,
partie adverse


Objet Entraide judiciaire internationale en matière pénale à
la Grèce

Remise de moyens de preuve (art. 74 EIMP)

B u n d e s s t r a f g e r i c h t
T r i b u n a l p é n a l f é d é r a l
T r i b u n a l e p e n a l e f e d e r a l e
T r i b u n a l p e n a l f e d e r a l



Numéro de dossier: RR.2017.17


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Faits:

A. Par demande d’entraide du 17 février 2012, complétée les 13 janvier et
8 juillet 2013, les autorités grecques ont indiqué qu’une procédure pénale
avait été ouverte contre A.. La banque B., dont le prénommé était membre
du comité exécutif, aurait octroyé des prêts dépourvus de garanties
suffisantes à diverses sociétés contrôlées par celui-ci. Ces opérations –
effectuées alors que les actionnaires de la banque auraient ignoré
l’existence de liens entre A. et les entités emprunteuses – auraient causé
audit établissement un dommage de l’ordre de EUR 701'220'000.-- (in: act.
1.2).


B. Le Ministère public de la Confédération (ci-après: MPC), auquel l’Office
fédéral de la justice (ci-après: OFJ) avait délégué l’exécution de la demande,
est entré en matière par décisions des 12 mars 2012 et 4 avril 2013
(in: act. 1.2).


C. Le 27 octobre 2014, le MPC a procédé à la perquisition de safes détenus par
a. auprès de la société C., sise à Zurich. Ceux-ci contenaient une liste des
actionnaires de la banque B., un contrat de prêt passé entre les dénommés
D. et E., ainsi qu'un schéma et des notes manuscrites rédigées par A.,
extraites pour partie de son agenda et de son carnet téléphonique (in: act.
1.2).


D. Par décision de clôture du 27 décembre 2016, le MPC a ordonné la
transmission à l'Etat requérant de la documentation précitée (act. 1.2).


E. Par mémoire du 27 janvier 2017, A. interjette un recours contre cette
décision, dont il demande l'annulation. Il conclut au rejet de la demande
d'entraide, éventuellement au renvoi de la cause au MPC pour nouvelle
décision après avoir procédé à un tri des documents ou à la suspension de
la procédure jusqu'à ce que l'autorité requérante se soit prononcée sur la
question de savoir si la demande d'entraide n'est pas devenue sans objet.


F. Invités à se prononcer sur le recours, le MPC et l'OFJ concluent au rejet de
celui-ci, tout en renonçant à déposer des observations (act. 6 et 8).


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Les arguments et moyens de preuve invoqués par les parties seront repris,
si nécessaire, dans les considérants en droit.



La Cour considère en droit:

1.
1.1 L'entraide judiciaire entre la Grèce et la Confédération suisse est régie par
la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale et ses
protocoles additionnels (CEEJ; RS 0.351.1 et suivants). Les art. 48 ss de la
Convention d'application de l'Accord Schengen du 14 juin 1985 (CAAS;
n° CELEX 42000A0922(02); Journal officiel de l'Union européenne L 239 du
22 septembre 2000, p. 19 à 62; publication de la Chancellerie fédérale,
"Entraide et extradition") trouvent également application en l'espèce.
S'agissant d'une demande d'entraide présentée notamment pour la
répression du blanchiment d'argent, entre également en considération la
Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la
confiscation des produits du crime (CBI; RS 0.311.53), entrée en vigueur le
1er septembre 1993 pour la Suisse et le 1er octobre 1999 pour la Grèce. Les
dispositions de ces traités l'emportent sur le droit autonome qui régit la
matière, soit la loi sur l'entraide pénale internationale (EIMP; RS 351.1) et
son ordonnance d'exécution (OEIMP; RS 351.11). Le droit interne reste
toutefois applicable aux questions non réglées, explicitement ou
implicitement, par le traité et lorsqu'il est plus favorable à l'entraide (ATF 142
IV 250 consid. 3; 140 IV 123 consid. 2; 137 IV 33 consid. 2.2.2; 136 IV 82
consid. 3.1; 124 II 180 consid. 1.3; 129 II 462 consid. 1.1; arrêt du Tribunal
pénal fédéral RR.2010.9 du 15 avril 2010, consid. 1.3). L'application de la
norme la plus favorable doit avoir lieu dans le respect des droits
fondamentaux (ATF 135 IV 212 consid. 2.3; 123 II 595 consid. 7c).

1.2 La Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral est compétente pour
connaître des recours dirigés contre les décisions de clôture de la procédure
d'entraide rendues par les autorités cantonales ou fédérales d'exécution et,
conjointement, contre les décisions incidentes (art. 25 al. 1 et 80e al. 1 EIMP,
mis en relation avec l'art. 37 al. 2 let. a ch. 1 de la loi fédérale sur
l'organisation des autorités pénales de la Confédération [LOAP; RS 173.71]).

1.3 Aux termes de l'art. 80h let. b EIMP, a qualité pour recourir en matière
d'entraide quiconque est personnellement et directement touché par une
mesure d'entraide et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée
ou modifiée. La qualité pour recourir est reconnue à la personne physique
ou morale directement touchée par l'acte d'entraide. Selon l'art. 9a let. a et b
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OEIMP, est notamment réputé personnellement et directement touché au
sens de l'art. 21 al. 3, et 80h EIMP, en cas d'informations sur un compte, le
titulaire du compte ainsi que le propriétaire ou le locataire en cas de
perquisition (cf. notamment arrêt du Tribunal pénal fédéral RR.2015.135-136
du 7 janvier 2016, consid. 1.3).

Le recourant, en tant que locataire du safe dans lequel se trouvaient les
documents dont la transmission a été ordonnée dans l'acte attaqué, a qualité
pour recourir contre ce dernier.

1.4 Déposé le 28 janvier 2017 (date du timbre postal) contre une décision
notifiée le 29 décembre 2016, le recours a été formé dans le délai de 30 jours
prévu à l'art. 80k EIMP.

1.5 Au vu de ce qui précède, il y a lieu d'entrer en matière.


2.
2.1 Le recourant dénonce une violation du principe de la proportionnalité. Selon
lui, les documents dont le MPC a ordonné la transmission ne présentent
manifestement aucun lien avec l'enquête menée contre lui en Grèce; de plus,
certains d'entre eux ne seraient pas mentionnés dans la demande d'entraide.

2.2 Selon le principe de la proportionnalité, la question de savoir si les
renseignements demandés sont nécessaires ou simplement utiles à la
procédure pénale est en principe laissée à l'appréciation des autorités de
poursuite de l'Etat requérant. L'Etat requis ne disposant généralement pas
des moyens qui lui permettraient de se prononcer sur l'opportunité de
l'administration des preuves acquises au cours de l'instruction étrangère, il
ne saurait substituer sur ce point sa propre appréciation à celle des
magistrats chargés de l'instruction. La coopération ne peut dès lors être
refusée que si les actes requis sont manifestement sans rapport avec
l'infraction poursuivie et impropres à faire progresser l'enquête, de sorte que
la demande apparaît comme le prétexte à une recherche indéterminée de
moyens de preuve (ATF 122 II 367 consid. 2c; arrêt du Tribunal pénal fédéral
RR.2009.33-36 du 25 juin 2009, consid. 3.1). Le principe de la
proportionnalité interdit en outre à l'autorité suisse d'aller au-delà des
requêtes qui lui sont adressées et d'accorder à l'Etat requérant plus qu'il n'a
demandé. Cela n'empêche pas d'interpréter la demande selon le sens que
l'on peut raisonnablement lui donner. Le cas échéant, une interprétation
large est admissible s'il est établi que toutes les conditions à l'octroi de
l'entraide sont remplies; ce mode de procéder permet aussi d'éviter
d'éventuelles demandes complémentaires (ATF 121 II 241 consid. 3a; arrêt
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du Tribunal pénal fédéral RR.2009.286-287 du 10 février 2010, consid. 4.1).
Sur cette base, peuvent aussi être transmis des renseignements et des
documents non mentionnés dans la demande (TPF 2009 161 consid. 5.2;
arrêts du Tribunal pénal fédéral RR.2010.39 du 28 avril 2010, consid. 5.1;
RR.2010.8 du 16 avril 2010, consid. 2.2). Le principe de l'utilité potentielle
joue, en outre, un rôle crucial dans l'application du principe de la
proportionnalité en matière d'entraide pénale internationale. C'est le propre
de l'entraide de favoriser la découverte de faits, d'informations et de moyens
de preuve, y compris ceux dont l'autorité de poursuite étrangère ne
soupçonne pas l'existence. Il ne s'agit pas seulement d'aider I'État requérant
à prouver des faits révélés par l'enquête qu'il conduit, mais d'en dévoiler
d'autres, s'ils existent. Il en découle, pour l'autorité d'exécution, un devoir
d'exhaustivité, qui justifie de communiquer tous les éléments qu'elle a réunis,
propres à servir l'enquête étrangère, afin d'éclairer dans tous ses aspects les
rouages du mécanisme délictueux poursuivi dans l'Etat requérant (arrêts du
Tribunal pénal fédéral RR.2010.173 du 13 octobre 2010, consid. 4.2.4/a et
RR.2009.320 du 2 février 2010, consid. 4.1; ZIMMERMANN, La coopération
judiciaire internationale en matière pénale, 4 e éd., Berne 2014, n° 723, p.
748 s.).

2.3 S'agissant des demandes relatives à des informations bancaires, il convient
en principe de transmettre tous les documents qui peuvent faire référence
au soupçon exposé dans la demande d'entraide; il doit exister un lien de
connexité suffisant entre l'état de fait faisant l'objet de l'enquête pénale
menée par les autorités de l'Etat requérant et les documents visés par la
remise (ATF 129 II 462 consid. 5.3; arrêts du Tribunal fédéral 1A.189/2006
du 7 février 2007, consid. 3.1; 1A.72/2006 du 13 juillet 2006, consid. 3.1).
Les autorités suisses sont tenues, au sens de la procédure d'entraide,
d'assister les autorités étrangères dans la recherche de la vérité en
exécutant toute mesure présentant un rapport suffisant avec l'enquête
pénale à l'étranger, étant rappelé que l'entraide vise non seulement à
recueillir des preuves à charge, mais également à décharge (ATF 118 Ib 547
consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 1A.88/2006 du 22 juin 2006, consid. 5.3;
arrêt du Tribunal pénal fédéral RR.2008.287 du 9 avril 2009, consid. 2.2.4 et
la jurisprudence citée).

2.4 Le recourant est suspecté d'avoir fait transiter tout ou partie des sommes
prêtées par la banque B. à certaines de ses sociétés sur des comptes
détenus en Grèce et à l'étranger par de nombreuses personnes physiques
et morales, selon un montage particulièrement complexe et opaque.

La documentation dont la remise à l'Etat requérant a été ordonnée est
constituée en premier lieu de notes manuscrites rédigées par celui-ci,
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principalement extraites de son agenda. Celles-ci comportent des noms de
personnes physiques et de sociétés, respectivement d'établissements
bancaires ainsi que des montants, exprimés le plus souvent en millions
d'Euro, et un schéma. Ces éléments se rapportent de toute évidence à des
transactions financières et il est donc tout à fait possible qu'ils concernent
les flux financiers investigués en Grèce. Quant au contrat de prêt de
EUR 150'000.-- accordé à E. par D., il est susceptible de s'inscrire dans le
mécanisme litigieux suspecté, dès lors que le second prénommé est un
proche du recourant selon les indications figurant dans la demande
d'entraide. Enfin, de l'aveu même de ce dernier, la liste dactylographiée des
actionnaires de la banque B. présente un lien objectif avec les faits décrits
par les autorités grecques; elle est d'autant plus susceptible d'intéresser
celles-ci qu'elle a été annotée par le recourant.

Aussi, ces écrits ne sont-ils, quoi qu'en dise l'intéressé, pas manifestement
sans rapport avec l'infraction poursuivie dans l'Etat requérant. Partant, ils
présentent pour ce dernier à tout le moins une utilité potentielle, de sorte que
leur transmission aux autorités grecques est justifiée, quand bien même ils
ne sont pas expressément mentionnés dans la demande d'entraide. Le grief
est donc mal fondé.


3. Au vu de ce qui précède, la conclusion principale du recourant, ainsi que
celle relative au tri des pièces, sont mal fondées. Enfin, il n'appartient quoi
qu'en pense le recourant pas aux autorités suisses de se demander si les
documents précités présentent encore un intérêt pour l'Etat requérant en
dépit du stade, prétendument très avancé, de la procédure pénale grecque,
étant précisé que le recourant ne soutient à raison pas que l'autorité
requérante aurait retiré la demande d'entraide.


4. Il s'ensuit que le recours entièrement est mal fondé.


5. Les frais de procédure comprenant l'émolument d'arrêté, les émoluments de
chancellerie et les débours, sont mis à la charge des parties qui succombent
(art. 63 al. 1 PA, applicable par renvoi de l'art. 39 al. 2 let. b LOAP). Le
montant de l'émolument est calculé en fonction de l'ampleur et de la difficulté
de la cause, de la façon de procéder des parties, de leur situation financière
et des frais de chancellerie (art. 73 al. 2 LOAP). Le recourant, qui succombe,
supportera ainsi les frais du présent arrêt, fixés à CHF 4'000.-- (art. 73 al. 2
LOAP et art. 8 al. 3 du règlement du Tribunal pénal fédéral sur les frais,
émoluments, dépens, et indemnités de la procédure pénale fédérale du
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31 août 2010 [RFPPF; RS 173.713.162] et art. 63 al. 5 PA), entièrement
couverts par l'avance de frais effectuée.

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Par ces motifs, la Cour des plaintes prononce:

1. Le recours est rejeté.

2. Un émolument de CHF 4'000.--, entièrement couvert par l'avance versée, est
mis à la charge du recourant.


Bellinzone, le 15 mars 2017

Au nom de la Cour des plaintes
du Tribunal pénal fédéral

Le président: Le greffier:









Distribution

- Me Ilias S. Bissias
- Ministère public de la Confédération
- Office fédéral de la justice, Unité Entraide judiciaire


Indication des voies de recours
Le recours contre une décision en matière d’entraide pénale internationale doit être déposé devant
le Tribunal fédéral dans les 10 jours qui suivent la notification de l’expédition complète (art. 100 al. 1
et 2 let. b LTF).

Le recours n’est recevable contre une décision rendue en matière d’entraide pénale internationale
que s’il a pour objet une extradition, une saisie, le transfert d’objets ou de valeurs ou la transmission
de renseignements concernant le domaine secret et s’il concerne un cas particulièrement important
(art. 84 al. 1 LTF). Un cas est particulièrement important notamment lorsqu’il y a des raisons de
supposer que la procédure à l’étranger viole des principes fondamentaux ou comporte d’autres vices
graves (art. 84 al. 2 LTF).





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