BStGer - BB.2020.308 - Actes de procédure de la Cour des affaires pénales (art. 20 al. 1 let. a en lien avec l'art. 393 al. 1 let. b CPP). Obligation de garder le secret (art. 73 al. 2 CPP). - Beschwerdekammer: Strafverfahren
Karar Dilini Çevir:



Décision du 10 février 2021
Cour des plaintes
Composition Les juges pénaux fédéraux
Roy Garré, président,
Cornelia Cova et Patrick Robert-Nicoud,
la greffière Joëlle Fontana

Parties Maître A.,

recourant

contre


TRIBUNAL PÉNAL FÉDÉRAL, Cour des affaires
pénales,

autorité qui a rendu la décision attaquée


Objet Actes de procédure de la Cour des affaires pénales
(art. 20 al. 1 let. a en lien avec l'art. 393 al. 1 let. b
CPP); obligation de garder le secret (art. 73 al. 2 CPP)

B u n d e s s t r a f g e r i c h t
T r i b u n a l p é n a l f é d é r a l
T r i b u n a l e p e n a l e f e d e r a l e
T r i b u n a l p e n a l f e d e r a l

Numéro de dossier: BB.2020.308



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Faits:

A. Le 22 mars 2019, le Ministère public de la Confédération (ci-après: MPC) a
transmis à la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral
(ci-après: CAP-TPF) un acte d’accusation à l’encontre de B. des chefs de
violations des lois de la guerre, selon l’art. 109 al. 1 aCPM, en lien avec
l’art. 108 al. 2 aCPM, ainsi qu’avec l’art. 3 commun aux Conventions de
Genève du 12 août 1949 (RS 0.518.23, 0.518.42 et 0.518.51) et l’art. 4 du
Protocole additionnel du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève relatif à la
protection des victimes des conflits armés non internationaux
(RS.0518.522), suite à des plaintes relayées en Suisse notamment par
l’intermédiaire de l’organisation C. et portant sur des faits ayant eu lieu au
cours des années nonante durant la première guerre civile au Libéria
(décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2019.252 du
12 février 2020, Faits, let. A et B et BB.2019.106 du 7 novembre 2019, Faits,
let. B).


B. En raison de plusieurs reports liés à la situation sanitaire actuelle (Covid-19),
les débats ont finalement été fixés en décembre 2020, puis scindés. Une
première partie a eu lieu du 3 au 9 décembre 2020, avec le traitement des
questions préjudicielles et l’audition du prévenu. La suite devrait se dérouler
à la mi-février 2021, avec l’audition des parties plaignantes et des témoins
(act. 1.10 et communiqués de presse de la CAP-TPF des 11 et 23 novembre
2020; https://www.bstger.ch/fr/media/comunicati-stampa/2020.html).


C. Après avoir constaté, le 10 décembre 2020, sur le site internet de C., la
publication de « très nombreuses retranscriptions, en français et en anglais,
des déclarations faites par B. durant l’audience de jugement », la CAP-TPF,
par le juge président de la composition, a, par lettre du même jour, anticipée
par courrier électronique, imparti au directeur de C. un délai au 10 décembre
2020, à 17 heures, pour supprimer le contenu du résumé d’audience ayant
eu lieu du 4 au 9 décembre 2020 (act. 1.8 et 1.10).


D. Par lettre du 11 décembre 2020, Me A. a informé la CAP-TPF que C. avait,
dans le délai imparti, obtempéré à l’injonction et sollicité de la CAP-TPF le
prononcé d’une décision motivée sur la question, indiquant les dispositions
légales appliquées et les voies de recours (act. 1.9).


E. En date du 17 décembre 2020, la CAP-TPF, se fondant sur l’art. 73 al. 2 du
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Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP; RS 312.0), a
rendu un prononcé interdisant à Me A., en sa qualité de directeur de C. et
de représentant de quatre parties plaignantes, de diffuser le contenu des
déclarations faites par B. lors de l’audience qui s’est déroulée du 3 au 9
décembre 2020 et de transmettre ledit contenu à quiconque serait
susceptible de le porter, directement ou indirectement, à la connaissance
des témoins appelés à être entendus dans la procédure, sous la menace de
la peine prévue à l’art. 292 du Code pénal suisse (CP; RS 311.0), ce jusqu’à
la clôture des débats de première instance. Le principal motif invoqué était
le « risque concret de subornation et de perte d’indépendance des
témoins ». La mention qu’aucune voie de recours ordinaire n’était ouverte
contre ce prononcé, en application de l’art. 393 al. 1 let. b in fine CPP, figurait
au bas de celui-ci (act. 1.10).


F. Par mémoire du 28 décembre 2020, Me A. (ci-après: le recourant) interjette
recours contre le prononcé du 17 décembre 2020, concluant à son
annulation, sous suite de frais et dépens (act. 1).


G. Invitée à se déterminer, la CAP-TPF a renoncé à ce faire, en date du
15 janvier 2021, s’en rapportant à son prononcé et concluant à l’irrecevabilité
du recours (act. 3). Cette réponse a été transmise pour information au
recourant en date du 19 janvier 2021 (act. 4), tout comme la réplique
spontanée du recourant du 27 janvier 2021 l’a été à la CAP-TPF en date du
29 janvier 2021 (act. 6 et 7).


Les arguments et moyens de preuve invoqués par les parties seront repris,
si nécessaire, dans les considérants en droit.



La Cour considère en droit:

1.
1.1 En tant qu’autorité de recours, la Cour des plaintes examine avec plein
pouvoir de cognition en fait et en droit les recours qui lui sont soumis
(v. notamment décision du Tribunal pénal fédéral BB.2019.26 du 26 juin
2019 consid. 1.1; MOREILLON/DUPUIS/MAZOU, La pratique judiciaire du
Tribunal pénal fédéral en 2011, in Journal des Tribunaux 2012, p. 2 ss, p. 52
n° 199 et références citées).

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1.2 Selon les art. 20 al. 1 let. a, 393 al. 1 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale
du 19 mars 2010 sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération
(LOAP; RS 173.71), le recours est recevable contre les ordonnances, les
décisions et les actes de procédure des tribunaux de première instance, sauf
contre ceux de la direction de la procédure. Ces derniers ne peuvent être
attaqués qu’avec la décision finale (art. 65 al. 1 CPP), en tant qu’il s’agit de
prononcés relatifs à la conduite de la procédure (soit en particulier toutes les
décisions qu'exige l'avancement et le déroulement de la procédure avant ou
pendant les débats; ATF 138 IV 193 consid. 4.3.1).
1.2.1 Le prononcé entrepris, qui tend à une interdiction de diffusion et de
transmission de faits révélés en audience, ne peut être qualifié de prononcé
relatif à l’avancement de la procédure. Vu son objet, une interdiction de
communiquer s’agissant d’un procès en cours, il se rapproche plutôt d’une
mesure relative à la police de l’audience (art. 63 et 64 CPP), ressortissant
également à la direction de la procédure et dont les sanctions prononcées
selon l’art. 64 al. 1 CP sont susceptibles d’être attaquées devant l’autorité de
recours (art. 64 al. 2 CPP; v. arrêt du Tribunal fédéral 1P.153/2001 du
24 septembre 2001 consid. 2).
1.2.2 L’art. 73 al. 2 CPP prévoit la possibilité pour la direction de la procédure
d’imposer une obligation de garder le secret à la partie plaignante, d’autres
participants à la procédure ainsi que leurs conseils juridiques. L’application
de cette disposition implique donc un secret. Il apparaît d’emblée douteux
que la CAP-TPF, soit un tribunal de première instance, puisse faire usage
de cette disposition, s’agissant de faits révélés en audience des débats, dans
la mesure où l’art. 69 al. 1 CPP consacre – sauf exceptions prévues à
l’art. 70 CP non réalisées en l’espèce (v. infra consid. 2.3) – le principe de la
publicité de l’audience des débats devant le tribunal de première instance.
L’absence de jurisprudence sur la question tend à confirmer ce doute.
1.2.3 Quiconque s’estime lésé par une décision prise en application d’une
disposition qui, lorsqu’elle est utilisée selon son sens et son but, ouvre la voie
du recours, doit pouvoir disposer d’une telle voie de recours lorsqu’une
autorité fait un usage détourné ou abusif de la disposition en question.
Lorsqu’un prononcé fondé sur l’art. 73 al. 2 CPP émane du Ministère public,
autorité en charge de la procédure préliminaire, couverte par le secret, en
application de l’art. 69 al. 3 let. a CPP, la voie du recours au sens de l’art. 393
al. 1 let. a CPP est ouverte. Il doit, par conséquent, en aller de même in casu,
en application de l’art. 393 al. 1 let. b CPP.
1.3 Dispose de la qualité pour recourir toute partie qui a un intérêt juridiquement
protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision (art. 382 al. 1 CPP).
Le recourant doit avoir subi une lésion, soit un préjudice causé par l'acte qu'il
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attaque et doit avoir un intérêt actuel et pratique à l'élimination de ce
préjudice (v. MOREILLON/DUPUIS/MAZOU, La pratique judiciaire du Tribunal
pénal fédéral en 2016, in: JdT 2017 IV 199, p. 210 n. 29 et les références
citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_669/2012 du 12 mars 2013
consid. 2.3.1; 1B_657/2012 du 8 mars 2013 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal
pénal fédéral BB.2015.23 du 21 septembre 2015 consid. 1.2). En l’espèce,
le prononcé attaqué fait interdiction au recourant, en sa qualité de directeur
de C. et de représentant de quatre parties plaignantes à la procédure
SK.2019.17, de diffuser et de transmettre le contenu des déclarations du
prévenu faites à l’audience s’étant déroulée du 3 au 9 décembre 2020,
jusqu’à la clôture des débats de première instance. Ce faisant, il limite sa
liberté d'expression (art. 19 Cst.). Le recourant dispose ainsi d’un intérêt
juridiquement protégé actuel – les débats n’étant pas clos (v. supra Faits, let.
B) – à l’annulation dudit prononcé. Il a qualité pour recourir contre celui-ci.
1.4 Déposé le 28 décembre 2020 contre un prononcé rendu le 17 décembre
2020, notifié au plus tôt le lendemain, le recours l’a été en temps utile et est
formellement recevable (art. 396 al. 1 et 384 CPP).
1.5 Il y a donc lieu d’entrer en matière sur le recours.


2. Dans un premier grief, le recourant se prévaut d’une violation de
l’art. 73 CPP (act. 1, ch. II.B.1).
2.1 À teneur de l’art. 73 al. 2 CPP, la direction de la procédure peut obliger la
partie plaignante, d’autres participants à la procédure ainsi que leurs
conseils juridiques, sous commination de la peine prévue à l’art. 292 CP, à
garder le silence sur la procédure et sur les personnes impliquées, lorsque
le but de la procédure ou un intérêt privé l’exige.
2.2 Ainsi que cela a été précisé plus haut (v. supra consid. 1.2.2), l’application
de cette disposition implique un secret. La définition du secret telle qu’elle
figure à l’art. 320 CP est déterminante; a contrario, on en infère que
l’obligation de garder le secret ne s’applique pas aux faits de notoriété
publique (Message du Conseil fédéral relatif à l’unification du droit de la
procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1057, p. 1131). Des faits
discutés en séance publique d'une autorité judiciaire ne constituent pas des
secrets. Ce qui fait l'objet d'une séance publique n'est plus secret, qu'il y ait
du public ou non (ATF 127 IV 122 consid. 3a, JdT 2002 IV 118).
2.3 L’art. 69 al. 1 CPP consacre le principe de la publicité de l’audience des
débats devant le tribunal de première instance, sauf exceptions, prévues à
l’art. 70 CPP. En l’espèce, la partie des débats qui s’est déroulée devant la
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CAP-TPF du 3 au 9 décembre 2020 et qui a fait l’objet du compte-rendu
publié par C. sur son site internet était publique et n’était soumise à aucune
restriction de publicité de l’audience, selon l’art. 70 CPP. Le volet pour lequel
le huis-clos partiel a été prononcé ne faisait pas l’objet dudit compte-rendu
(act. 1, ch. I., n. 26 et act. 1.6). La CAP-TPF ne le conteste pas. Dans ces
conditions, la CAP-TPF ne pouvait faire usage de l’art. 73 al. 2 CPP
s’agissant de faits révélés en audience publique des débats. Qui plus est,
prise a posteriori, une telle mesure était inapte à atteindre le résultat
recherché (v. arrêt du Tribunal fédéral 6B_601/2020 du 6 janvier 2021
consid. 2.4.4.2).
2.4 En décidant de scinder les débats comme elle l’a fait (v. supra Faits, let. B),
sans faire – plus largement – usage de l’art. 70 CP, la CAP-TPF a choisi de
ne pas accorder la priorité à la prévention de la survenance des risques
qu’elle invoque à l’appui de son prononcé querellé (v. supra Faits, let. E), ce
d’autant qu’elle avait été informée, par le recourant lui-même, des intentions
de publication de comptes-rendus d’audience sur le site internet de C., en
mars 2020 déjà (act. 1.2).
2.5 Au vu de ce qui précède, le grief tiré de la violation de l’art. 73 CPP est bien
fondé et doit être admis.

3. L’admission de ce grief emporte celle du recours, sans qu’il soit besoin
d’examiner les autres griefs soulevés. Partant, le recours est admis et le
prononcé de la CAP-TPF du 17 décembre 2020 annulé.


4.
4.1 Compte tenu de l’issue du recours, les frais de la présente cause sont pris
en charge par la caisse de l’Etat (art. 428 al. 4 et 423 al. 1 CPP).
4.2 La partie qui obtient gain de cause a droit à une indemnité pour les dépenses
occasionnées par l’exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 436
al. 1 en lien avec l’art. 429 al. 1 let. a CPP). Selon l’art. 12 du règlement sur
les frais, émoluments, dépens et indemnités de la procédure pénale fédérale
(RFPPF; RS 173.713.162), les honoraires sont fixés en fonction du temps
effectivement consacré à la cause et nécessaire à la défense. Lorsque
l’avocat ne fait pas parvenir le décompte de ses prestations avec son unique
ou sa dernière écriture, le montant des honoraires est fixé selon
l’appréciation de la cour (art. 12 al. 2 RFPPF). Le recourant, en sa qualité
d’avocat, a agi en son nom et au nom de C. Il n’a pas chiffré ses prétentions;
une indemnité d’un montant de CHF 1’000.-- paraît en l'espèce équitable.
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Par ces motifs, la Cour des plaintes prononce:

1. Le recours est admis.

2. Le prononcé de la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral du
17 décembre 2020 dans la cause SK.2019.17 est annulé.

3. Les frais sont laissés à la charge de l’Etat.

4. Une indemnité de CHF 1'000.-- est allouée au recourant et mise à la charge
de la caisse du Tribunal pénal fédéral.



Bellinzone, le 10 février 2021

Au nom de la Cour des plaintes
du Tribunal pénal fédéral

Le président: La greffière:










Distribution

- Maître A.
- Tribunal pénal fédéral, Cour des affaires pénales


Indication des voies de recours
Il n’existe aucune voie de recours ordinaire contre la présente décision.


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