BONNEMAISON c. FRANCE
Karar Dilini Çevir:
BONNEMAISON c. FRANCE

 
 
CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 32216/15
Nicolas BONNEMAISON
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 19 mars 2019 en un comité composé de :
Mārtiņš Mits, président,
André Potocki,
Lәtif Hüseynov, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 25 juin 2015,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1.  Le requérant, M. Nicolas Bonnemaison, est un ressortissant français né en 1961 et résidant à Bayonne. Il a été représenté devant la Cour par Me N. Fontaine, avocat exerçant à Neuilly-sur-Seine.
A.  Les circonstances de l’espèce
2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
3.  En 2011, le requérant, médecin généraliste, exerçait les fonctions de responsable urgentiste au sein de l’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) du centre hospitalier de la Côte basque à Bayonne.
4.  Le 9 août 2011, un cadre de santé adressa un « rapport de signalement d’évènements graves dans le service UHCD » au directeur du centre hospitalier. Dans ce rapport, établi à partir des constatations faites par les membres de l’équipe soignante du service, l’auteur indiquait suspecter le requérant d’avoir provoqué, à l’insu des familles et de ses collègues, le décès de quatre patients, considérés en fin de vie, les décès étant intervenus de manière brutale peu après qu’il eut quitté leurs chambres. Le directeur du centre hospitalier saisit le procureur de la République.
5.  Dans un article du 13 août 2011 du quotidien Sud-Ouest, le conseil du requérant déclara que son client avait reconnu les faits et précisa ce qui suit :
« [Il] assume son geste ; car il a pris des décisions médicales, en son âme et conscience, face à des patients en souffrance, dans un processus de mort inéluctable et imminente. Il a décidé en fonction de cas cliniques. Il a abrégé les souffrances de patients, conformément au serment qu’il a prêté. »
1.  La procédure pénale
6.  Le 12 août 2011, le requérant fut mis en examen pour crime d’empoisonnement sur personnes vulnérables par un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Bayonne. Il fut également placé sous contrôle judiciaire.
7.  Par une ordonnance du 15 octobre 2013, le juge d’instruction mis le requérant en accusation et le renvoya devant la cour d’assises.
8.  Le 25 juin 2014, la cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques acquitta le requérant. Dans la feuille de motivation, il fut indiqué que le requérant avait procédé lui-même aux injections mortelles, sans en avoir informé l’équipe soignante et les familles et sans avoir renseigné le dossier médical des patients, mais que, toutefois, l’intention homicide n’était pas établie compte tenu des effets possibles, non recherchés, des produits utilisés.
9.  Par un arrêt du 24 octobre 2015, la cour d’assises de Maine-et-Loire, statuant en appel, acquitta le requérant pour six décès dont il était soupçonné, en raison de la subsistance d’un doute sur son intention homicide. En revanche, elle le déclara coupable pour le décès d’une patiente, l’intention de lui donner la mort étant établie. Elle le condamna à deux ans d’emprisonnement avec sursis. Le requérant ne forma pas de pourvoi en cassation.
2.  La procédure disciplinaire
10.  Le 1er septembre 2011, le conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques décida de ne pas saisir la juridiction disciplinaire d’une plainte contre le requérant. Le 14 septembre 2011, le conseil national de l’Ordre des médecins décida quant à lui de saisir les organes disciplinaires d’une plainte.
11.  Le 1er décembre 2011, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins rejeta une requête en suspicion légitime présentée par le conseil national de l’Ordre des médecins, qui sollicitait que l’affaire soit attribuée à une formation autre que celle de la région Aquitaine.
12.  Entendu le 11 mai 2012 par le conseiller rapporteur de la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins d’Aquitaine, le requérant déclara avoir pris pleine conscience de la gravité des actes qui lui étaient reprochés, exclusivement motivés par le souci d’éviter des souffrances extrêmes aux patients et de respecter leur dignité.
13.  Le 15 décembre 2012, la chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre des médecins, statuant sur la plainte déposée par le Conseil national de l’Ordre des médecins, décida d’infliger au requérant la peine disciplinaire de la radiation du tableau de l’Ordre des médecins, en raison de la gravité et du caractère répété des manquements déontologiques commis. Elle se fonda sur le rapport de signalement adressé au directeur du centre hospitalier le 9 août 2011, sur les déclarations du conseil du requérant dans le journal Sud-Ouest, ainsi que sur les déclarations du requérant et l’absence de contestation quant à l’exactitude matérielle des faits reprochés. Elle fonda sa décision sur l’article R. 4127-38 du code de la santé publique, tout en relevant que le requérant avait pris sa décision sans respecter les procédures prévues aux articles L. 1111-4, L. 1111-13 et R. 4127-37 du code de la santé publique, à savoir le respect de la procédure collégiale et la consultation de la personne de confiance, des familles ou de l’un de leurs proches et, le cas échéant, des directives anticipées des patients eux-mêmes. La chambre disciplinaire souligna que la procédure disciplinaire était indépendante de la procédure pénale.
14.  Le 15 avril 2014, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, saisie par le requérant et le conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, rejeta leurs recours. Elle jugea en particulier que les poursuites disciplinaires étaient régulières, que les poursuites pénales et disciplinaires étaient indépendantes et que la chambre disciplinaire de première instance ne s’était pas fondée sur les mentions de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Pau. La chambre disciplinaire nationale considéra que le requérant avait commis des actes, en violation des articles L. 1111‑4, L. 1111‑13 et R. 4127-37 du code de la santé publique, prohibés par l’article R. 4127‑38 qui interdit au médecin de provoquer délibérément la mort. Elle releva en outre que la procédure avait été contradictoire, que le requérant n’avait contesté, ni en première instance ni en appel, l’exactitude des faits précisément constatés par des membres de l’équipe soignante, qu’il avait en outre oralement reconnu devant elle avoir délibérément provoqué la mort d’une patiente par injection. Elle releva également les déclarations de son conseil dans le journal Sud-Ouest, que le requérant n’avait jamais démenties.
15.  Par un arrêt longuement motivé du 30 décembre 2014, le Conseil d’État rejeta le pourvoi du requérant. Il jugea d’abord que la décision attaquée était régulière, en écartant pour cela les différentes critiques formulées par le requérant sur ce point. Il examina ensuite le bien-fondé de la décision attaquée. A ce titre, il releva que l’arrêt d’acquittement de la cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques n’était pas définitif et, en tout état de cause, qu’il était postérieur à l’arrêt de la chambre disciplinaire nationale. S’agissant de la matérialité des faits retenus par la chambre disciplinaire nationale, le Conseil d’État releva, d’une part, que les membres de cette instance s’étaient fondés sur les écritures du requérant lui-même, qui ne contestait pas avoir provoqué la mort de trois patients par injection d’un médicament, et d’autre part, qu’ils avaient apprécié les faits à partir de l’ensemble des pièces du dossier disciplinaire, en particulier au regard des témoignages précis et concordants du personnel médical qui étaient joints à ce dossier. Puis, examinant la sanction infligée au requérant, il rappela que si le choix de celle-ci relevait de l’appréciation des juges du fond, il lui appartenait, en sa qualité de juge de cassation, de vérifier qu’elle n’était pas hors de proportion avec la faute commise. Dans ce cadre, il jugea que la radiation du requérant du tableau de l’ordre des médecins était justifié.
16.  Le requérant présenta un recours en révision, afin d’obtenir l’annulation de la sanction disciplinaire de radiation du tableau de l’Ordre des médecins. Le 17 juin 2016, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins décida de maintenir la sanction.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
17.  Les dispositions pertinentes du code de la santé publique, telles qu’applicables au moment des faits, se lisaient comme suit :
Article L. 1111-4
« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé.
Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix.
(...)
Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.
Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical.
(...) »
Article L. 1111-13
« Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical.
(...) »
Article R. 4127-37
« I.- En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie.
II.- Dans les cas prévus au cinquième alinéa de l’article L. 1111-4 et au premier alinéa de l’article L. 1111-13, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés ne peut être prise sans qu’ait été préalablement mise en œuvre une procédure collégiale. Le médecin peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire au vu des directives anticipées du patient présentées par l’un des détenteurs de celles-ci mentionnés à l’article R. 1111-19 ou à la demande de la personne de confiance, de la famille ou, à défaut, de l’un des proches. Les détenteurs des directives anticipées du patient, la personne de confiance, la famille ou, le cas échéant, l’un des proches sont informés, dès qu’elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale.
La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est demandé par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile.
La décision de limitation ou d’arrêt de traitement prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s’il en a rédigé, l’avis de la personne de confiance qu’il aurait désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de ses proches.
(...)
La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est motivée. Les avis recueillis, la nature et le sens des concertations qui ont eu lieu au sein de l’équipe de soins ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. La personne de confiance, si elle a été désignée, la famille ou, à défaut, l’un des proches du patient sont informés de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement.
(...) »
Article R. 4127-38
« Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage.
Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. »
GRIEFS
18.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du manque d’indépendance des chambres disciplinaires de première instance et d’appel, les estimant sous influence extérieure des organes de l’Ordre des médecins, notamment du président de son conseil national. Il estime en outre que le Conseil d’État s’est borné à reprendre à son compte les accusations des chambres disciplinaires et qu’il a ainsi fait preuve de partialité.
19.  Par ailleurs, sur le fondement de l’article 6 § 2 de la Convention, le requérant allègue, d’une part, que le Conseil d’État ne pouvait rejeter ses demandes et, d’autre part et surtout, que l’acquittement prononcé par la cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques en première instance, même s’il n’était pas définitif, justifiait qu’il ne soit pas sanctionné disciplinairement, dès lors que les infractions pénales n’était pas légalement établies.
20.  Enfin, il estime, compte tenu des conséquences patrimoniales de l’interdiction d’exercer son activité de médecin, que la sanction de radiation viole l’article 1 du Protocole no 1.
EN DROIT
A.  Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention
21.  Le requérant se plaint du manque d’indépendance des chambres disciplinaires, ainsi que du défaut d’impartialité du Conseil d’État. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, lequel est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
22.  La Cour rappelle d’emblée qu’il ressort de sa jurisprudence constante qu’un contentieux disciplinaire dont l’enjeu, comme en l’espèce, est le droit de continuer à pratiquer la médecine à titre libéral, donne lieu à des « contestations sur des droits (...) de caractère civil » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, notamment, Albert et Le Compte c. Belgique, 10 février 1983, §§ 25-29, série A no 58, Diennet c. France, 26 septembre 1995, § 27, série A no 325-A, et Gubler c. France, no 69742/01, § 24, 27 juillet 2006).
23.  La Cour constate ensuite que le requérant n’a pas soulevé le grief tiré du manque d’indépendance des chambres disciplinaires de première instance et d’appel devant le Conseil d’État.
24.  Il s’ensuit qu’il n’a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Cette partie de la requête doit donc être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
25.  Par ailleurs, la Cour ne relève aucun élément de nature à démontrer un quelconque défaut d’impartialité du Conseil d’État. Au soutien de cette allégation, le requérant fait valoir que cette juridiction se serait bornée à reprendre à son compte les accusations des chambres disciplinaires. La Cour ne partage pas cette analyse. Elle note tout d’abord que les décisions des chambres disciplinaires contiennent non pas des « accusations », comme le prétend le requérant, mais des motifs retenus pour conclure à des manquements déontologiques et prononcer une sanction disciplinaire, à l’issue d’un débat contradictoire au cours duquel le requérant, assisté de son avocat, a pu faire valoir tous ses arguments. Elle constate ensuite, d’une part, qu’il entre précisément dans les attributions du Conseil d’État de reprendre les constats des juridictions du fond pour en apprécier la légalité et, d’autre part, que l’arrêt du Conseil d’État ne se borne pas, comme le prétend le requérant, à réitérer les motifs des juges disciplinaires, mais qu’il est au contraire longuement motivé, répondant précisément à chacun des moyens soulevés.
26.  Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
B.  Sur la violation alléguée de l’article 6 § 2 de la Convention
27.  Le requérant se plaint également d’une violation de la présomption d’innocence. Il invoque l’article 6 § 2 de la Convention qui se lit comme suit :
« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
28.  La Cour rappelle qu’en l’espèce la procédure a donné lieu à des « contestations sur des droits (...) de caractère civil » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 22 ci-dessus). Elle souligne que le fait qu’une mesure constitue la sanction la plus grave dans l’échelle des sanctions disciplinaires ne fait pas, en soi, disparaître les caractéristiques d’une infraction disciplinaire ne pouvant se confondre avec une peine (Moullet c. France (déc.), no 27521/04, 13 septembre 2007, et Vagenas c. Grèce (déc.), no 53372/07, 23 août 2011).
29.  Dès lors, les procédures relatives aux sanctions disciplinaires ne portent pas, en principe, sur le « bien-fondé » d’une « accusation en matière pénale », de sorte que l’article 6 § 2 ne trouve pas à s’appliquer en général à ce type de litige (Moullet, précitée). Il reste que si une décision administrative interne devait renfermer une déclaration imputant une responsabilité pénale au requérant pour les faits reprochés dans le cadre de la procédure administrative, cela poserait une question sur le terrain de l’article 6 § 2 (voir, mutatis mutandis, Y. c. Norvège, no 56568/00, §§ 41‑43, CEDH 2003‑II, et Ringvold c. Norvège, no 34964/97, § 38, CEDH 2003‑II). La Cour doit donc étudier la question de savoir si, par les termes employés dans la motivation de leurs décisions, les juridictions internes ont créé entre la procédure pénale et la procédure administrative un lien manifeste justifiant que l’on étende à la seconde le champ d’application de l’article 6 § 2 (Y c. Norvège, précité, § 43, et Moullet, précitée).
30.  Or, en l’espèce, il ressort de la procédure disciplinaire, en particulier de l’arrêt du Conseil d’État, que les juges se sont tenus à la constatation des faits matériels – dont certains reconnus par le requérant – résultant des pièces du dossier disciplinaire, librement et contradictoirement débattues, et qu’ils se sont abstenus d’en tirer quelque qualification pénale que ce soit. Ainsi, les chambres disciplinaires et le Conseil d’État, en se fondant sur les dispositions pertinentes du code de la santé publique, ont su maintenir leurs décisions dans un domaine purement disciplinaire en lien avec des manquements déontologiques et étranger à la présomption d’innocence que le requérant invoque.
31.  De plus, comme l’ont relevé tant les chambres disciplinaires que le Conseil d’État, l’issue de la procédure pénale n’était pas décisive pour la procédure administrative puisque, indépendamment de la décision rendue à l’issue de la procédure pénale, la procédure administrative en cause, parfaitement autonome dans ses conditions de mise en œuvre et son régime procédural, n’était pas le corollaire direct de cette dernière procédure.
32.  En conclusion, la Cour estime que l’article 6 § 2 n’est pas applicable en l’espèce.
33.  Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
C.  Sur la violation alléguée de l’article 1 du Protocole no 1
34.  Le requérant se plaint enfin d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
35.  La Cour constate qu’en l’espèce la violation alléguée de l’article 1 du Protocole no 1 n’a pas été expressément soulevée devant le Conseil d’État. Même en admettant que le requérant ait fait valoir ce grief en substance, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle un revenu professionnel futur ne peut être considéré comme un « bien » que s’il a déjà été gagné ou s’il a fait l’objet d’une créance certaine ; elle a ainsi jugé que l’arrêt d’une activité professionnelle, notamment à la suite d’une sanction disciplinaire de révocation, et la perte de gains futurs qu’elle entraîne, ne portent pas atteinte aux « biens » du requérant (De Diego Nafria c. Espagne (déc.), no 46833/99, 14 mars 2000, Yavuz c. Turquie (déc.), no 69912/01, 27 mai 2004, Marschner c. France (déc.), no 51360/99, 13 mai 2003, et Bessis c. France (déc.), no 207/05, 13 septembre 2011).
36.  Il s’ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 11 avril 2019.
Milan BlaškoMārtiņš Mits
Greffier adjointPrésident

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