BEKTAŞ c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
Karar Dilini Çevir:
BEKTAŞ c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

 
 
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 1015/13
Yılmaz BEKTAŞ
contre la République de Moldova
 
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 22 janvier 2019 en un comité composé de :
Julia Laffranque, présidente,
Valeriu Griţco,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 12 novembre 2012,
Vu la déclaration déposée par le gouvernement défendeur le 8 juin 2018 et invitant la Cour à rayer la requête du rôle, ainsi que la réponse de la partie requérante à cette déclaration,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
FAITS ET PROCÉDURE
1. Le requérant, M. Yılmaz Bektaş, est un ressortissant turc né en 1973 et résidant à Antalya.
2. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le gouvernement turc, qui s’était prévalu de son droit d’intervenir en vertu de l’article 36 de la Convention, a été représenté par son agent.
4. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaignait d’une inaction des autorités moldaves invitées à se prononcer sur sa demande de retour de sa fille en Turquie.
5. La requête avait été communiquée au Gouvernement.
EN DROIT
6. Le requérant indiquait avoir en 2009 formulée une demande tendant à obtenir le retour en Turquie de sa fille, alors âgée de trois ans. Il se plaignait que les autorités moldaves saisies de cette demande n’avaient pas statué rapidement sur la question et qu’elles n’avaient pas ordonné le retour de l’enfant, ce qui serait contraire aux dispositions de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Il considérait dès lors que l’État défendeur ne s’était pas acquitté des obligations positives lui incombant en vertu de l’article 8 de la Convention. Il évoquait également des difficultés à communiquer avec sa fille, dues notamment au fait que celle-ci ne parlait pas turc.
7. Après l’échec des tentatives de règlement amiable, par une lettre du 8 juin 2018 le gouvernement moldave a informé la Cour qu’il envisageait de formuler une déclaration unilatérale afin de résoudre la question soulevée par la requête. Il a en outre invité la Cour à rayer celle-ci du rôle en application de l’article 37 de la Convention.
La déclaration était ainsi libellée :
« Le Gouvernement reconnaît que le requérant a subi une atteinte à son droit au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention, [relativement à des faits] tel[s] que communiqué[s] par la Cour le 15 décembre 2017 dans la présente affaire.
(...)
En même temps, (...), le Gouvernement propose 8 000 (huit mille) euros au titre de la satisfaction équitable, couvrant tout préjudice matériel et moral subi ainsi que les frais et dépens.
Le Gouvernement déclare que cette somme sera convertie en lei moldaves au taux applicable à la date du règlement et qu’elle sera exempte de toute taxe pouvant être due. Elle sera payée dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision adoptée par la Cour, en application de l’article 37 § 1 de la Convention. À défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s’engage à verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au règlement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage. Ce versement vaudra règlement définitif de l’affaire et des autres griefs pouvant être soulevés relativement aux circonstances de la présente affaire.
(...)
En conclusion, le Gouvernement invite la Cour de rayer du rôle la présente requête, en application de l’article 37 § 1 c) de la Convention. »
8. Par une lettre du 9 juillet 2018, le requérant a indiqué qu’il n’était pas satisfait des termes de la déclaration unilatérale au motif que la somme proposée était trop basse. Il mentionnait, entre autres, s’être remarié et avoir trois autres enfants issus de ce nouveau mariage.
9. Dans ses observations du 2 octobre 2018, le gouvernement turc a quant à lui accepté la position des parties selon laquelle il y a eu en l’espèce violation de l’article 8 de la Convention dans le chef du requérant. Il a en outre salué la reconnaissance de violation formulée par le gouvernement défendeur ainsi que l’engagement pris par ce dernier d’offrir au requérant une réparation.
10. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 37 de la Convention, à tout moment de la procédure, elle peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances l’amènent à l’une des conclusions énoncées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 de cet article. L’article 37 § 1 c) lui permet en particulier de rayer une affaire du rôle si :
« pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête ».
11. La Cour rappelle aussi que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) sur la base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive.
12. À cette fin, la Cour a examiné la déclaration à la lumière des principes que consacre sa jurisprudence, en particulier l’arrêt Tahsin Acar (Tahsin Acar c. Turquie (question préliminaire) [GC], no 26307/95, §§ 75‑77, CEDH 2003‑VI, WAZA Sp. z o.o. c. Pologne (déc.), no 11602/02, 26 juin 2007, et Sulwińska c. Pologne (déc.), no 28953/03, 18 septembre 2007).
13. La Cour a établi dans un certain nombre d’affaires relatives à des enlèvements internationaux d’enfants sa pratique en ce qui concerne les griefs tirés de la violation du droit au respect de la vie familiale (voir, par exemple, Iosub Caras c. Roumanie, no 7198/04, §§ 32-40, 27 juillet 2006, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, §§ 131-140, CEDH 2010, X c. Lettonie [GC], no 27853/09, §§ 92-108, CEDH 2013, Blaga c. Roumanie, no 54443/10, §§ 64-91, 1er juillet 2014, G.S. c. Géorgie, no 2361/13, §§ 41-67, 21 juillet 2015, R.S. c. Pologne, no 63777/09, §§ 53‑73, 21 juillet 2015, et K.J. c. Pologne, no 30813/14, §§ 51-75, 1er mars 2016).
14. En l’espèce, la Cour remarque que l’enfant est arrivée en République de Moldova en 2009, à l’âge de trois ans, qu’elle y vit depuis lors sans interruption et qu’il semblerait qu’elle ne parle pas turc. Dans ces conditions, elle n’est pas convaincue que le retour de l’enfant en Turquie soit dans son intérêt supérieur (comparer avec Neulinger et Shuruk, précité, § 147-151, R.S., précité, § 74, et K.J., précité, § 76).
15. Au vu de cela et eu égard à la nature des concessions que renferme la déclaration du Gouvernement, ainsi qu’au montant de l’indemnisation proposée – qui est conforme aux montants alloués dans des affaires similaires (comparer avec Tocarenco c. République de Moldova, no 769/13, § 78, 4 novembre 2014, et N.P. c. République de Moldova, no 58455/13, § 90, 6 octobre 2015) –, la Cour estime qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c)).
16. En outre, à la lumière des considérations qui précèdent, et eu égard en particulier à sa jurisprudence claire et abondante à ce sujet, la Cour estime que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine).
17. Enfin, la Cour souligne que, dans le cas où le Gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale, la requête pourrait être réinscrite au rôle en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention (Josipović c. Serbie (déc.), nº 18369/07, 4 mars 2008).
En conséquence, il convient de rayer l’affaire du rôle.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Prend acte des termes de la déclaration du gouvernement défendeur concernant l’article 8 de la Convention et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements ainsi pris ;
Décide de rayer la requête du rôle en application de l’article 37 § 1 c) de la Convention.
Fait en français puis communiqué par écrit le 14 février 2019.
Hasan BakırcıJulia Laffranque
Greffier adjointPrésidente

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