Beghal c. Royaume-Uni
Karar Dilini Çevir:
Beghal c. Royaume-Uni

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 226
Février 2019
Beghal c. Royaume-Uni - 4755/16
Arrêt 28.2.2019 [Section I]
Article 8
Article 8-1
Respect de la vie privée
Agents de contrôle aux frontières habilités à interpeller et à interroger sans avocat des voyageurs ne faisant l’objet d’aucun soupçon : violation
En fait – La requérante, une ressortissante française, avait sa résidence habituelle au Royaume-Uni. Son époux, également un ressortissant français, était détenu en France en relation avec des infractions à caractère terroriste.  De retour d’une visite à son époux, la requérante fut interpellée à l’aéroport d’East Midlands et interrogée en application de l’annexe 7 à la loi de 2000 sur le terrorisme. Elle fut fouillée, ainsi que ses bagages. Elle refusa de répondre à la plupart des questions qui lui furent posées. Elle fut ultérieurement accusée, notamment, de s’être délibérément soustraite à une obligation découlant de l’annexe 7.
L’annexe 7 conférait aux agents des services de police et d’immigration ainsi qu’aux agents des douanes désignés à cet effet le pouvoir d’interpeller, d’interroger et de fouiller les passagers dans les ports, les aéroports et les terminaux ferroviaires internationaux. L’interrogatoire devait avoir pour but de permettre de déterminer s’il apparaissait que la personne concernée était ou avait été impliquée dans la commission, la préparation ou l’instigation d’actes terroristes. Aucune autorisation préalable n’était nécessaire et le pouvoir d’interpeller et d’interroger pouvait être exercé même en l’absence de soupçon de participation à des activités terroristes.
En droit – Article 8 : La principale question qui se pose est celle de savoir si les garanties prévues par le droit interne délimitaient suffisamment les pouvoirs énoncés à l’annexe 7 pour offrir à l’intéressée une protection adéquate contre toute ingérence arbitraire dans l’exercice par elle de son droit au respect de la vie privée.
a)  La portée géographique et temporelle des pouvoirs – Les pouvoirs énoncés à l’annexe 7 étaient étendus et s’appliquaient de manière permanente à tous les contrôles dans les ports et aux frontières, ce qui n’était pas en soi contraire au principe de légalité. Les contrôles dans les ports et aux frontières jouent nécessairement un rôle crucial dans la détection et l’entrave à la circulation des terroristes et/ou dans la mise en échec des attentats terroristes. De fait, tous les États ont doté leurs ports et leurs points de passage des frontières de systèmes de contrôles douaniers et d’immigration, et si la nature de ces contrôles diffère des pouvoirs énoncés à l’annexe 7, il n’en demeure pas moins que toute personne qui franchit une frontière internationale peut s’attendre à faire l’objet d’un certain degré de contrôle.
b)  La latitude consentie aux autorités devant décider si et quand exercer ces pouvoirs – Les agents chargés des contrôles bénéficiaient d’une très grande latitude dans la mesure où la notion de « terrorisme » était définie largement et où les pouvoirs prévus par l’annexe 7 pouvaient être exercés que l’agent eût ou non des motifs objectifs ou subjectifs de soupçonner la personne concernée. La condition de l’existence d’un soupçon légitime constitue un facteur important lorsqu’il s’agit d’apprécier la légalité d’un pouvoir d’interpeller et d’interroger ou de fouiller une personne ; rien toutefois ne laisse penser que l’existence d’un soupçon légitime est en elle-même nécessaire pour éviter l’arbitraire. Cette appréciation devait plutôt se fonder sur le fonctionnement du dispositif dans son ensemble et l’absence d’une condition de soupçon légitime en elle-même n’a pas entaché d’illégalité l’exercice de ces pouvoirs contre la requérante.
Des éléments montrent très clairement que les pouvoirs énoncés à l’annexe 7 jouent un rôle précieux dans la protection de la sécurité nationale. Si l’existence d’un « soupçon légitime » était requise, les terroristes pourraient contourner la menace dissuasive représentée par l’annexe 7 en faisant appel à des personnes qui n’ont pas encore attiré l’attention de la police et une simple interpellation suffirait à indiquer à la personne qu’elle fait l’objet d’une surveillance.
Il importe d’opérer une distinction entre les deux pouvoirs distincts prévus par l’annexe 7 : le pouvoir d’interroger et de fouiller une personne et le pouvoir de détenir une personne. La requérante n’ayant pas été officiellement placée en détention, la Cour limite son examen à la légalité du pouvoir d’interroger et de fouiller. Il convient de relever que les pouvoirs énoncés à l’annexe 7, et en particulier celui d’interroger et de fouiller, relevaient d’un pouvoir préliminaire d’enquête expressément destiné à aider les agents affectés aux contrôles dans les ports et aux frontières à recueillir, aux fins de la lutte antiterroriste, des informations sur toute personne entrant dans le pays ou en sortant. Il n’existait certes pas de condition de « soupçon légitime », mais les agents chargés des contrôles avaient reçu des instructions. La décision d’exercer les pouvoirs énoncés par l’annexe 7 devait reposer sur la menace représentée par les différents groupes terroristes actifs et tenir compte d’un certain nombre d’autres considérations, comme des sources connues ou présumées de terrorisme ainsi que les éventuelles activités terroristes en cours, en formation et à venir.
c)  Restriction à l’ingérence occasionnée par l’exercice des pouvoirs – Au moment où la requérante a été interrogée, l’annexe 7 disposait qu’une personne qui était détenue au titre des pouvoirs conférés par ce texte devait être remise en liberté au plus tard neuf heures après le début de l’interrogatoire. Au début de l’interrogatoire, l’agent devait indiquer à la personne concernée, soit oralement soit par écrit, qu’elle était interrogée en application de l’annexe 7 et que des agents étaient habilités à la placer en détention si elle refusait de coopérer et si elle insistait pour partir. Le procès-verbal de l’interrogatoire devait être conservé au port si l’interrogatoire avait duré moins d’une heure, ou au niveau des autorités centrales s’il avait duré plus longtemps. Néanmoins, bien que les personnes ainsi interrogées fussent contraintes de répondre aux questions qui leur étaient posées, ni la loi sur le terrorisme (Terrorism Act) ni le code de conduite (Code of Practice) qui étaient en vigueur à l’époque considérée ne prévoyaient qu’une personne interrogée (mais qui n’était pas détenue) pût bénéficier de l’assistance d’un avocat. Par conséquent, il était possible d’interroger des personnes pendant une durée pouvant aller jusqu’à neuf heures sans qu’il fût nécessaire d’avoir un soupçon légitime les concernant et sans qu’elles fussent officiellement détenues ou eussent accès à un avocat.
d)  La possibilité d’obtenir un contrôle juridictionnel de l’exercice des pouvoirs – Il était certes possible de solliciter un contrôle juridictionnel de l’exercice des pouvoirs énoncés à l’annexe 7, mais il ressort de certaines affaires britanniques que, l’agent chargé des contrôles n’étant pas tenu de prouver qu’il avait un « soupçon légitime », il était difficile pour les personnes concernées de faire contrôler par la justice la décision d’exercer lesdits pouvoirs.
e)  Un contrôle indépendant de l’exercice des pouvoirs – Le recours à ces pouvoirs était soumis au contrôle de l’évaluateur indépendant de la législation antiterroriste. L’importance de cette fonction résidait dans sa complète indépendance à l’égard du gouvernement, conjuguée à l’accès aux informations à caractère secret et sensible et au personnel de la sécurité nationale qu’une habilitation de sécurité très élevée ouvrait à l’évaluateur. Néanmoins, les contrôles pratiqués par cet évaluateur présentaient invariablement un caractère ad hoc et, pour autant qu’il était en mesure de contrôler un certain nombre de procès-verbaux d’interrogatoire, l’évaluateur n’était pas à même d’apprécier la légalité de l’objectif auquel avait répondu l’interpellation. Qui plus est, même si ses rapports d’évaluation étaient minutieusement étudiés au plus haut niveau, un certain nombre de recommandations importantes n’ont pas été mises en œuvre. En particulier, l’évaluateur indépendant a, à de nombreuses reprises, appelé à subordonner à l’existence d’un soupçon l’exercice de certains pouvoirs prévus par l’annexe 7, notamment celui de placer une personne en détention ou de récupérer le contenu d’un téléphone ou d’un ordinateur portable ; il a également critiqué le fait que des réponses livrées sous la contrainte n’étaient pas expressément réputées irrecevables dans les procédures pénales. Bien que fort utile, le contrôle pratiqué par l’évaluateur indépendant n’était donc pas de nature à compenser l’insuffisance des garanties entourant l’application du régime prévu par l’annexe 7.
f)  Conclusion – Au moment où la requérante a été interpellée, le pouvoir d’interroger des personnes en application de l’annexe 7 n’était ni suffisamment délimité ni entouré de garanties juridiques adéquates contre les abus. Si l’absence de toute condition d’existence d’un « soupçon légitime » n’était pas en elle-même fatale pour la légalité de ce régime, lorsqu’elle est combinée au fait que l’interrogatoire pouvait durer jusqu’à neuf heures pendant lesquelles la personne interrogée était contrainte de répondre aux questions sans avoir le droit d’être assistée d’un avocat, et au fait que les possibilités d’obtenir un contrôle juridictionnel de l’exercice de ces pouvoirs étaient limitées, il en ressort que les pouvoirs énoncés à l’annexe 7 n’étaient pas « prévus par la loi » au sens de la Convention.
La Cour ne prend pas en compte les modifications qui ont été apportées par la loi de 2014 sur les comportements antisociaux, la délinquance et le maintien de l’ordre, ainsi que par la nouvelle version du code de conduite, pas plus qu’elle n’examine le pouvoir de détention inscrit à l’annexe 7, lequel pouvait potentiellement engendrer une ingérence encore plus significative dans l’exercice par une personne de ses droits au regard de la Convention.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 41 : constat de violation suffisant en lui-même pour le préjudice moral.
(Voir aussi Gillan et Quinton c. Royaume-Uni, 4158/05, 12 janvier 2010, Note d’information 126)
 
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Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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