COSTA MOREIRA c. PORTUGAL
Karar Dilini Çevir:
COSTA MOREIRA c. PORTUGAL

DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 20156/08
présentée par José Augusto COSTA MOREIRA
contre le Portugal
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 22 septembre 2009 en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 15 avril 2008,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. José Augusto Costa Moreira, est un ressortissant portugais né en 1956 et résidant à Porto (Portugal). Il est représenté devant la Cour par Me F. Teixeira da Mota, avocat à Lisbonne.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
1. Les articles litigieux
Le requérant est journaliste au quotidien à gros tirage Público. Dans son édition du 21 juin 2000, le Público publia à la une le gros titre « [La police] judiciaire enquête sur le « sac bleu[1] » du Parti socialiste ». Le titre renvoyait à trois articles, dont deux signés par le requérant. Dans ces articles, le requérant et un autre journaliste du Público affirmaient que la police judiciaire avait en son pouvoir, à la suite d’une dénonciation anonyme, des éléments permettant de penser que des responsables de la mairie de Felgueiras, une ville du nord du Portugal, avaient créé un fonds spécial, non comptabilisé officiellement, qui servait à financer illégalement le Parti socialiste ainsi qu’à alimenter des dépenses personnelles de la maire et d’autres personnes, dont celui qui était à l’époque le conjoint de la maire, S.O.
Le passage pertinent en l’espèce de l’un de ces articles se lisait ainsi :
« Une grande partie de cet argent serait destinée à financer des activités du Parti socialiste – au niveau local et national – mais aussi des dépenses personnelles de la maire, de l’ex-député X et même du mari de [la maire]. »
Dans un autre article, le requérant recueillit les déclarations de certaines des personnes mises en cause, mais non celles de S.O.
Des poursuites concernant ces faits furent ouvertes contre plusieurs personnes, dont la maire de Felgueiras et S.O. Ce dernier fut mis en examen (arguido) mais ne fit finalement l’objet d’aucune accusation, la procédure se poursuivant quant à d’autres personnes, dont la maire de Felgueiras.
2. La procédure pénale
A une date non précisée courant 2001, S.O. déposa contre le requérant, devant le parquet de Felgueiras, une plainte pénale avec constitution d’assistente (auxiliaire du ministère public) pour diffamation.
Par un jugement du 27 octobre 2006, le tribunal de Felgueiras jugea le requérant coupable de diffamation et le condamna à une peine de 300 jours-amende, pour un montant de 1 800 euros (EUR), ainsi qu’au paiement de la somme de 5 000 EUR à l’assistente au titre des dommages et intérêts. Le tribunal considérait qu’il ressortait des faits établis que le requérant avait soulevé des soupçons infondés à l’égard de S.O. alors qu’il ne disposait pas de la moindre base factuelle pour étayer ses allégations. Il concluait que, les soupçons en cause étant de nature à affecter l’honneur et la réputation de S.O., l’infraction de diffamation se trouvait constituée.
Tant le requérant que l’assistente S.O. firent appel de ce jugement devant la cour d’appel de Guimarães. Celle-ci, par un arrêt du 22 octobre 2007, rejeta les recours et confirma le jugement attaqué. La cour d’appel souligna qu’en omettant de recueillir la position de S.O. sur les faits en cause le requérant n’avait pas respecté les règles déontologiques, ce qui faisait obstacle à l’application de la clause de « bonne foi » de l’article 180 § 2 du code pénal.
B. Le droit interne pertinent
La décision Roseiro Bento c. Portugal (déc.), no 29288/02, CEDH 2004‑XII (extraits) contient un descriptif du droit interne applicable en matière de diffamation.
GRIEF
Invoquant l’article 10 de la Convention, le requérant allègue que la condamnation dont il a fait l’objet a porté atteinte à son droit à la liberté d’expression.
EN DROIT
Le requérant se plaint d’une ingérence dans son droit à la liberté d’expression, en violation de l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière (...).
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (...). »
La Cour accepte qu’en l’espèce le requérant a subi une « ingérence » d’une autorité publique dans son droit à la liberté d’expression. Une telle ingérence était prévue par la loi – les dispositions pertinentes du code pénal – et visait l’un des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de l’article 10, à savoir la « protection de la réputation » et des « droits d’autrui ».
Reste à savoir si une telle ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
La Cour rappelle à cet égard que l’article 10 de la Convention ne garantit pas une liberté d’expression sans aucune restriction même quand il s’agit de rendre compte dans la presse de questions sérieuses d’intérêt général. Le paragraphe 2 de cet article précise que l’exercice de cette liberté comporte des « devoirs et responsabilités » qui peuvent revêtir de l’importance lorsque, comme en l’espèce, l’on risque de porter atteinte à la réputation de particuliers et de mettre en péril les « droits d’autrui ». Ainsi, l’information rapportée sur des questions d’intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit (voir, par exemple, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 54, CEDH 1999‑I et Brunet-Lecomte et autres c. France, no 42117/04, § 47, 5 février 2009).
Ces considérations jouent un rôle particulièrement important de nos jours, vu le pouvoir qu’exercent les médias dans la société moderne. Dans un monde dans lequel l’individu est confronté à un immense flux d’informations, circulant sur des supports traditionnels ou électroniques et impliquant un nombre d’auteurs toujours croissant, le contrôle du respect des « devoirs et responsabilités » pesant sur les journalistes revêt une importance accrue.
La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce ce contrôle, de se substituer aux juridictions nationales, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Pour cela, elle doit considérer l’« ingérence » litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ».
Aux fins de l’exercice de mise en balance des intérêts concurrents auquel la Cour doit se livrer, il lui faut aussi tenir compte du droit que l’article 6 § 2 de la Convention reconnaît aux individus d’être présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité ait été légalement établie (Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 78, CEDH 2004-XI, et Tourancheau et July c. France, no 53886/00, § 68, 24 novembre 2005).
En l’espèce, les articles publiés par le requérant affirmaient que certaines personnes avaient fait usage de fonds obtenus de manière illégale afin de financer un parti politique ou de pourvoir à des dépenses personnelles. Dans l’un de ces articles, le requérant affirmait que S.O. avait bénéficié également de ces fonds pour ses dépenses personnelles. L’article ne précisait pas la nature de ces dépenses personnelles. Enfin, dans un deuxième article le requérant rapportait des déclarations qu’il avait recueillies auprès des personnes visées, notamment auprès de la maire de Felgueiras, mais non pas de S.O.
Dans ces conditions, la Cour estime que la base factuelle sur laquelle le requérant s’est appuyé pour publier son article était loin d’être précise – aucun fait concret impliquant S.O. n’était avancé – et fiable, les juridictions nationales ayant estimé que le requérant ne pouvait disposer d’aucun élément solide impliquant S.O. dans les agissements en cause. La Cour rappelle à cet égard que plus l’allégation est sérieuse, plus la base factuelle doit être solide (Pedersen et Baadsgaard, précité, ibidem).
Se penchant ensuite sur les « devoirs et responsabilités » du requérant, la Cour constate d’abord que ce dernier a omis de recueillir les déclarations de la personne visée. Cela est d’autant plus grave que des déclarations ont été recueillies auprès des autres personnes visées par la publication litigeuse. La Cour rappelle que S.O. était accusé dans l’article litigieux d’avoir commis une infraction pénale particulièrement grave pour laquelle il n’a finalement fait l’objet d’aucune réquisition ou accusation formelle. Aux yeux de la Cour, les circonstances de l’espèce commandaient une prudence particulière de la part du requérant dans l’exercice de ses fonctions de journaliste. Au vu du manque de précaution dont le requérant a fait preuve en l’espèce, la conclusion des juridictions internes selon laquelle il n’avait pas agi de bonne foi ne saurait passer pour déraisonnable. Les motifs avancés par les tribunaux nationaux pour condamner le requérant étaient ainsi « pertinents » et « suffisants ».
Enfin, la nature et la lourdeur de la peine infligée sont aussi des éléments qui entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier la proportionnalité de l’ingérence au regard de l’article 10 de la Convention. En l’espèce, le requérant a été condamné à une peine de 300 jours-amende, pour un montant de 1 800 EUR, ainsi qu’au paiement d’une indemnité de  5 000 EUR à l’assistente. Même si ces sommes ne sont pas négligeables, la Cour, au vu des circonstances de l’espèce, ne juge pas ces sanctions excessives ni de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de la liberté des médias (Pedersen et Baadsgaard, précité, § 93).
En conclusion, la Cour estime, au vu de ce qui précède, que la condamnation du requérant et la peine qui lui a été infligée n’étaient pas disproportionnées au but légitime poursuivi, et que les motifs invoqués par les juridictions internes pour justifier ces mesures étaient pertinents et suffisants. Les autorités nationales pouvaient donc raisonnablement tenir l’ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression pour nécessaire dans une société démocratique afin de protéger la réputation et les droits d’autrui.
Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Déclare la requête irrecevable.
Françoise Elens-PassosFrançoise Tulkens
              Greffière adjointePrésidente
 
[1] Le « sac bleu » est l’équivalent portugais de l’expression française « caisse noire ».

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