COMANESCU ET AUTRES c. ROUMANIE
Karar Dilini Çevir:
COMANESCU ET AUTRES c. ROUMANIE

TROISIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 1916/05
présentée par Virgil COMĂNESCU et autres
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant le 22 septembre 2009 en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Egbert Myjer,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 10 novembre 2004,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Les requérants, M. Virgil Comănescu et Mmes Emilia Comănescu, Stela Comănescu et Camelia Szakal, sont des ressortissants roumains, qui résidaient à Constanţa. Les trois premiers requérants sont décédés respectivement le 27 avril 2008, le 15 novembre 2005 et le 10 juillet 2006. La troisième requérante a été héritée par le premier et la dernière requérante. Après avoir exprimé le 16 juin 2008 son souhait de poursuivre la présente procédure après le décès de son père, le fils du premier requérant n’a donné aucune suite aux lettres de la Cour du 1er juillet 2008 et 30 juin 2009 lui sollicitant de fournir un certificat d’héritier. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l’espèce
2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
3. Après le rejet comme irrecevable en 1999 d’une première action en revendication au motif qu’elle n’avait pas été dirigée contre l’Etat roumain, les requérants saisirent les tribunaux d’une seconde action en revendication d’un immeuble (terrain et maison) sis à Constanta et nationalisé à leur mère par les autorités communistes dans les années 1950. Par un jugement du 13 novembre 2000, le tribunal de première instance de Constanta fit droit à l’action des requérants dirigée contre l’Etat roumain (Ministère des finances, « le ministère »), les autorités locales et l’entreprise chargée de gérer le domaine public de Constanta (« la société R »), jugeant que l’immeuble avait été nationalisé de manière illégale.
4. Les dernières défenderesses susmentionnées interjetèrent appel contre ce jugement, faisant valoir notamment que l’action en revendication n’avait pas été introduite par tous les copropriétaires indivisaires du bien litigieux, puisqu’il ressortait du dossier que les intéressés avaient une demi-sœur, R.G., qui était née et vivait en Allemagne. Les requérants contestèrent l’application de cette fin de non-recevoir et firent valoir que R.G. était d’accord avec leur action et qu’ils pouvaient fournir un document écrit en ce sens, sans qu’ils soumettent effectivement une telle pièce. Par une décision du 13 novembre 2000, le tribunal départemental de Constanta rejeta l’action comme irrecevable au motif qu’elle n’avait pas été introduite par tous les copropriétaires, à savoir tous les héritiers de la mère des requérants, ancienne propriétaire de l’immeuble. Le tribunal ajoutait qu’aucune pièce ne prouvait que R.G. ait renoncé à la succession de sa mère. Les requérants formèrent recours contre cette décision, notant, entre autres, que R.G. n’avait pas la citoyenneté roumaine pour pouvoir hériter de l’immeuble litigieux et qu’ils ne s’opposaient pas à ce qu’elle participât au partage du bien si les tribunaux en décidaient autrement.
5. A l’audience du 23 mars 2001, la cour d’appel de Constanta prononça le sursis de la procédure dans l’attente de l’issue d’une demande administrative de restitution du bien, faite par les requérants en vertu de la loi no 10/2001. Les intéressés avaient finalement accepté le sursis après que la formation du jugement leur avait indiqué les risques qu’ils encouraient dans le cas de l’examen en priorité de la procédure judiciaire. Le dossier fut remis au rôle de la cour d’appel en 2004 à la demande des requérants, la procédure administrative étant toujours pendante à ce jour.
6. Par un arrêt définitif du 8 juin 2004, la cour d’appel de Bucarest confirma le rejet de l’action en revendication comme irrecevable. Indiquant qu’elle ne contestait pas leur qualité d’héritiers ou leur droit de revendiquer le bien litigieux, la cour d’appel retint que les requérants auraient dû, dès la procédure en première instance, demander que leur demi-sœur soit également partie à la procédure et fournir ses coordonnées. Ils ne pouvaient pas soumettre une telle demande en recours et n’avaient pas prouvé que R.G. avait renoncé à la succession de sa mère ou qu’ils avaient un intérêt légitime et actuelle leur permettant, par voie d’exception, de revendiquer leur quote-part du droit de propriété sur l’immeuble litigieux.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
7. Les dispositions légales et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans les arrêts Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, § 26, CEDH 2005‑VII) et Lupaş et autres c. Roumanie (nos 1434/02, 35370/02 et 1385/03, §§ 45-46, CEDH 2006‑XV (extraits)).
8. Dans sa rédaction en vigueur à l’époque de faits, l’article 41 (2) de la Constitution prévoyait que la propriété privée était protégé indifféremment du titulaire et que les citoyens étrangers n’avaient pas le droit d’acquérir le droit de propriété sur des terrains. Depuis sa modification en 2003, la Constitution prévoit dans son article 44 (2) que les citoyens étrangers peuvent bénéficier d’un droit de propriété sur des terrains selon les conditions fixées dans des traités internationaux et d’adhésion à l’Union européenne, sur la base du principe de la réciprocité, et par héritage légal. Dans un arrêt définitif du 28 mai 2004, la Haute Cour de cassation et de justice a jugé que l’absence du droit d’acquérir des terrains en propriété n’excluait pas, pour un citoyen étranger, sa qualité d’héritier.
9. L’essentiel des dispositions et de la pratique internes concernant les « nouvelles demandes » formulées dans une procédure au stade de l’appel est résumé dans l’affaire Apahideanu c. Roumanie (no 19895/02, § 17, 2 décembre 2008).
GRIEFS
10. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la violation de leur droit d’accès à un tribunal en raison du rejet comme irrecevable de leur action en revendication, en application de la règle de l’unanimité. Ils se plaignent aussi du défaut d’équité de la procédure en question, vu la manière dont la cour d’appel a suspendu la procédure le 23 mars 2001.
11. Sur la base de l’article 1 du Protocole no 1, les requérants allèguent avoir été privés de leur bien par l’arrêt du 8 juin 2004 de la cour d’appel de Bucarest qui a confirmé le rejet de l’action en revendication comme irrecevable.
EN DROIT
A. Question préliminaire
12. La Cour est d’abord appelée à statuer sur les conséquences du décès des trois premiers requérants. Elle constate que seul le fils du premier requérant a exprimé, dans un premier temps, son souhait de continuer la présente procédure, mais qu’il n’a pas donné aucune suite aux lettres que la Cour lui a envoyées le 1er juillet 2008 et le 30 juin 2009, en soumettant un certificat d’héritier à l’appui de sa demande ou en justifiant le défaut d’envoi d’un tel document. Dans ces conditions, et en l’absence de tout autre motif pouvant justifier la poursuite de l’examen de la requête en ce qui concerne les trois premiers requérants, la Cour décide de rayer celle-ci du rôle à leur égard (voir, mutatis mutandis, Mora do Vale et autres c. Portugal (déc.), no 53468/99, 6 mars 2003, et Derscariu et autres c. Roumanie (déc.), no 35788/03, 26 août 2008).
B. Griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention
13. La dernière requérante se plaint de la violation de son droit d’accès à un tribunal en raison du rejet de son action en revendication comme irrecevable et allègue aussi l’iniquité de la procédure en cause. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. »
14. S’agissant de l’ingérence dans le droit à l’accès à un tribunal, le Gouvernement réitère les arguments présentés précédemment dans l’affaire Lupaş et autres. En outre, il souligne qu’à la différence de cette affaire, en l’espèce les requérants connaissaient les coordonnées de leur sœur R.G. et avaient même soutenu devant les tribunaux internes que celle-ci aurait été d’accord de participer à la procédure en revendication.
15. La dernière requérante considère que les tribunaux auraient dû tenir compte, lors du rejet de son action en application de la règle de l’unanimité, que R.G. avait la nationalité allemande et qu’elle ne souhaitait pas demander la nationalité roumaine pour obtenir sa part de l’héritage litigieux.
16. La Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la règle de l’unanimité requise de manière constante par la jurisprudence des tribunaux roumains pour l’introduction d’une action en revendication des biens indivis. Pour apprécier s’il y a eu ou pas atteinte disproportionnée au droit d’accès à un tribunal, la Cour a examiné, dans les circonstances de chaque espèce, la difficulté pour les requérants d’identifier tous les copropriétaires du bien en cause et l’éventuel refus opposé par l’un de ces derniers à l’action en revendication (Lupaş et autres, précité, §§ 73 et 76 ; Derscariu et autres (déc.), précitée, et Costea et autres c. Roumanie (déc.), no 4113/04, §§ 20-27, 31 mars 2009). Dans les deux dernières affaires précitées, la Cour a constaté que les requérants n’avaient pas épuisé les voies de recours internes avant de saisir la Cour, puisqu’il n’y avait pas de difficultés ou de refus tels que susmentionnés empêchant les requérants de saisir à nouveau les tribunaux internes d’une action en revendication, action imprescriptible, en respectant la règle de l’unanimité.
17. Reste donc à vérifier si, selon ces critères, une nouvelle action en revendication aurait été ineffective en l’espèce à un point tel que les requérants eussent été exemptés d’utiliser cette voie avant de saisir la Cour de leur grief.
18. La Cour note que, comme le Gouvernement l’a souligné et à la différence de l’affaire Lupaş et autres, dans les circonstances de l’espèce l’identification de l’héritière R.G. et l’obtention de son accord pour participer à la procédure en revendication ne posaient aucun problème. Au contraire, devant les juridictions ayant examiné l’affaire en appel et en dernier ressort, la dernière requérante a fourni les coordonnées de R.G. et a soutenu que celle-ci approuvait son action. Or, tel que l’a retenu la cour d’appel de Constanta dans son arrêt du 8 juin 2004, la requérante n’a ni fait des démarches en première instance, comme prévu par le droit interne (paragraphe 9 ci-dessus), pour que R.G. participe à la procédure, ni prouvé que celle-ci ait renoncé à la succession de leur mère. En outre, la dernière requérante n’avait même pas justifié, à titre d’exception, un intérêt légitime à ce que la règle de l’unanimité ne s’applique pas dans son cas. Quant à son argument selon lequel l’obstacle tenait au fait que R.G. n’avait pas la nationalité roumaine, la Cour observe qu’il découle des motifs de l’arrêt précité que la cour d’appel n’a pas retenu un tel argument en tant qu’ « intérêt légitime » susceptible de justifier une exception à la règle de l’unanimité. Rappelant qu’il incombe d’abord aux tribunaux internes d’interpréter les faits et le droit interne pertinents, la Cour relève que la position de la cour d’appel apparaît comme dépourvue d’arbitraire, étant appuyée par le droit et la jurisprudence internes, surtout qu’il s’agissait en l’espèce d’un immeuble composé d’un terrain et d’une maison (paragraphe 8 ci-dessus). Rien ne permet dès lors de soutenir qu’il y avait une difficulté insurmontable ou une impossibilité absolue pour que la requérante respecte la règle de l’unanimité dans la procédure en question en revendication du bien litigieux ou dans une nouvelle action similaire postérieure, pour donner aux tribunaux internes l’opportunité d’examiner l’affaire au fond (voir, mutatis mutandis, Derscariu et autres (déc.), précitée, et Costea et autres, précitée, § 26).
19. Il s’ensuit que ce grief doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
20. Quant à l’iniquité alléguée de la procédure en cause en raison de la manière dont la cour d’appel a procédé à l’audience du 23 mars 2001 pour prononcer le sursis de la procédure, il suffit à la Cour de constater que les juges ont soumis au débat des parties cette question et que la dernière requérante, mise en garde quant aux conséquences de son choix, a finalement opté en faveur du sursis.
21. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
C. Grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1
22. Sur la base de l’article 1 du Protocole no 1, la dernière requérante se plaint aussi du fait que, par le rejet comme irrecevable de son action en revendication du bien nationalisé, les autorités l’ont privée une seconde fois de ce bien.
23. Or la Cour a déjà constaté que, sans aucune justification valable, l’intéressée n’a pas donné aux tribunaux internes l’opportunité d’examiner au fond ses prétentions quant au droit de propriété sur le bien litigieux.
Il s’ensuit que ce grief doit lui-aussi être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Décide de rayer la requête du rôle pour autant qu’elle concerne les
trois premiers requérants ;
Déclare le restant de la requête irrecevable.
Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident

Full & Egal Universal Law Academy