Ali Gürbüz c. Turquie
Karar Dilini Çevir:
Ali Gürbüz c. Turquie

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 227
Mars 2019
Ali Gürbüz c. Turquie - 52497/08, 6741/12, 7110/12 et al.
Arrêt 12.3.2019 [Section II]
Article 10
Article 10-1
Liberté d'expression
Maintien prolongé de multiples poursuites pénales contre le propriétaire d’un quotidien, acquitté par la suite, pour avoir publié des déclarations d’organisations terroristes : violation
En fait – Sept poursuites pénales ont été engagées contre le requérant entre juin 2004 et avril 2006, en raison de la publication d’articles contenant les déclarations des responsables d’organisations illégales dans le quotidien dont il était le propriétaire. Dans le cadre de ces procédures ayant duré jusqu’à sept ans, le requérant a été condamné à des amendes judiciaires, puis il a été acquitté en raison de l’abolition de la responsabilité pénale des propriétaires des organes de presse dans ces publications.
En droit – Article 10 : L’application automatique de la loi qui réprimait la publication de toute déclaration émanant d’organisations terroristes, indépendamment de son contenu et du contexte dans lequel elle s’inscrivait, avait engendré sur deux ans sept procédures pénales contre le requérant pour des faits similaires. Il se pose en l’espèce la question de savoir si les procédures litigieuses, en l’absence d’autres mesures répressives adoptées contre le requérant dans leur cadre, peuvent constituer en elles-mêmes une ingérence dans le droit du requérant à la liberté d’expression. Ces procédures, de par leur nombre et leur durée – jusqu’à sept ans–, étaient de nature à avoir un effet dissuasif sur la liberté d’expression et le débat public en intimidant le requérant et en le décourageant à publier des articles sur des questions d’intérêt général. Les poursuites pénales étaient donc en elles-mêmes des contraintes réelles et effectives. L’acquittement du requérant a seulement mis fin à l’existence de certains risques, mais n’a rien enlevé au fait que ceux-ci ont constitué une pression sur l’intéressé pendant un certain temps et l’ont conduit, en tant que professionnel de la presse, à une autocensure. Les poursuites constituent donc une « ingérence » dans l’exercice par celui-ci de son droit à la liberté d’expression.
L’ingérence en question était prévue par la loi et poursuivait le but légitime de la protection de la sécurité nationale et de l’intégrité territoriale, la défense de l’ordre et la prévention du crime.
Les autorités judiciaires ont engagé les poursuites en tenant compte exclusivement du fait que le quotidien du requérant avait publié des écrits émanant d’organisations qualifiées en droit turc de terroristes. Elles n’ont procédé à aucune analyse appropriée de la teneur des écrits litigieux ni du contexte dans lequel ils s’inscrivaient au regard des critères énoncés et mis en œuvre par la Cour dans les affaires relatives à la liberté d’expression. Il n’a pas été allégué par les autorités nationales que les écrits litigieux, pris dans leur ensemble, contenaient un appel à l’usage de la violence, à la résistance armée ou au soulèvement, ou qu’ils constituaient un discours de haine, ce qui est l’élément essentiel à prendre en considération.
Aussi, les écrits litigieux participaient à un débat public sur des questions d’intérêt général relatives au conflit entre les organisations en question et les forces de l’ordre.
Les poursuites pénales répétées peuvent également avoir pour effet de censurer partiellement les professionnels des médias et de limiter leur aptitude à exposer publiquement une opinion, sous réserve de ne pas préconiser directement ou indirectement la commission d’infractions terroristes, qui a sa place dans un débat public. La répression des professionnels des médias, exercée de manière mécanique à partir de la loi en question, sans tenir compte de l’objectif des intéressés ou du droit pour le public d’être informé d’un autre point de vue sur une situation conflictuelle, ne saurait se concilier avec la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées.
Le maintien pendant un laps de temps considérable des multiples poursuites pénales contre le requérant sur le fondement d’accusations pénales graves ne répondait pas à un besoin social impérieux. La mesure incriminée n’était pas proportionnée aux buts légitimes visés et, de ce fait, n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 41 : 3 500 EUR pour préjudice moral.
(Voir aussi Gözel et Özer c. Turquie, 43453/04 et 31098/05, 6 juillet 2010, Note d’information 132 ; Altuğ Taner Akçam c. Turquie, 27520/07, 25 octobre 2011, Note d’information 145 ; Nedim Şener c. Turquie, 38270/11, 8 juillet 2014, Note d’information 176 ; Şık c. Turquie, 53413/11, 8 juillet 2014, Note d’information 176 ; Dilipak c. Turquie, 29680/05, 15 septembre 2015, Note d’information 188 ; et Döner et autres c. Turquie, 29994/02, 7 mars 2017, Note d’information 205 ; ainsi que la Recommandation CM/Rec(2016)4 du Comité des Ministres aux États membres sur la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias)
 
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