AFFAIRE TANRIVERDİ ET AUTRES c. TURQUIE
Karar Dilini Çevir:
AFFAIRE TANRIVERDİ ET AUTRES c. TURQUIE

 
 
 
DEUXIÈME SECTION
 
 
 
 
 
 
 
AFFAIRE TANRIVERDİ ET AUTRES c. TURQUIE
 
(Requête no 46444/13 et 10 autres –
voir liste en annexe)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ARRÊT
 
 
STRASBOURG
 
18 juin 2019
 
 
 
 
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
 

En l’affaire Tanrıverdi et autres c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Julia Laffranque, présidente,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 mai 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  À l’origine de l’affaire se trouvent onze requêtes dirigées contre la République de Turquie et dont onze ressortissants de cet État, dont la liste figure en annexe, ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants ont été représentés par Mes R. Yalçındağ Baydemir, avocate à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3.  Le 3 octobre 2016, les griefs concernant l’article 5 §§ 1, 2, 3 et 4 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et les requêtes ont été déclarées irrecevables pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  En 2009, plusieurs enquêtes pénales furent diligentées contre les membres présumés d’une organisation dénommée KCK (Koma Civakên Kurdistan – « Union des communautés kurdes »). Par plusieurs actes d’accusation, les procureurs de la République intentèrent des actions pénales devant les cours d’assises compétentes à l’encontre de plusieurs personnes auxquelles il était essentiellement reproché d’appartenir à une organisation terroriste. Selon les procureurs de la République, le KCK était une « branche urbaine » de l’organisation terroriste PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).
5.  Dans le cadre des enquêtes pénales menées à l’encontre des requérants, à des dates inconnues, les juges assesseurs compétents ordonnèrent l’application d’une mesure de restriction d’accès au dossier de l’enquête à l’encontre des personnes soupçonnées et de leurs avocats.
6.  À différentes dates indiquées en annexe, les requérants, soupçonnés d’appartenance au KCK, furent arrêtés et placés en garde à vue. Les procès‑verbaux signés par les requérants lors de leur garde-à-vue démontrent qu’ils furent informés par les policiers qu’ils étaient soupçonnés d’appartenance à une organisation terroriste. À la suite de leurs interrogatoires, les intéressés furent traduits devant les juges compétents qui ordonnèrent la mise en détention provisoire de ceux-ci.
7.  Par la suite, les requérants formèrent maints recours (minimum quatre, maximum dix recours par personne) par lesquels ils contestaient leur placement en détention provisoire et demandaient leur remise en liberté. À la suite d’un examen sur pièces du dossier, les cours d’assises compétentes rejetèrent ces recours.
8.  Le 9 juin 2010, le parquet de Diyarbakır déposa un acte d’accusation devant la cour d’assises de Diyarbakır par lequel il accusa les requérants soit pour appartenance à l’organisation terroriste présumée KCK, soit pour aider ladite organisation, soit pour apporter assistance à cette organisation sans pour autant appartenir à sa structure hiérarchique. Le procureur de la République de Diyarbakır fondait ses accusations sur différents éléments de preuve, tels que les documents saisis lors des perquisitions effectuées aux domiciles et lieux de travail des requérants ou de leurs coaccusés, les comptes-rendus d’écoutes téléphoniques, les comptes-rendus des courriers électroniques appartenant aux intéressés ou aux autres suspects dans le cadre des enquêtes pénales menées contre les membres présumés du KCK, les dépositions des témoins, les déclarations de certains coaccusés, ainsi que les rapports d’expertise.
9.  À différentes dates, entre les 14 mai 2010 et 21 septembre 2012, la cour d’assises de Diyarbakır ordonna la remise en liberté des requérants (voir la liste figurant en annexe). Les requérants subirent donc des durées de détention provisoire allant de quatre mois et vingt jours (minimum) jusqu’à trois ans, un mois et dix-sept jours (maximum).
10.  Par un arrêt du 27 mars 2017, la cour d’assises de Diyarbakır rendit son jugement, condamnant certains requérants pour l’infraction qui leur était imputée et acquittant les autres du crime qui leur était reproché. Il ressort des éléments contenus dans le dossier que les procédures pénales engagées à l’encontre des requérants sont toujours en cours devant les juridictions nationales.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
11.  Le droit et la pratique internes pertinents sont exposés dans l’arrêt de la Cour dans l’affaire Mustafa Avci c. Turquie (no 39322/12, §§ 27-46, 23 mai 2017).
EN DROIT
I.  SUR LA JONCTION DES REQUÊTES
12.  Compte tenu de la similitude des requêtes, la Cour estime approprié de les examiner conjointement en un seul arrêt.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 1 ET 3 DE LA CONVENTION
13.  Les requérants se plaignent d’avoir été privés de leur liberté en l’absence de raisons plausibles de les soupçonner d’avoir commis une infraction pénale. En outre, ils dénoncent la durée de leurs détentions provisoires. Ils invoquent à cet égard l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, dont les parties pertinentes se lisent comme suit :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
(...)
3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.
(...) »
A.  Sur l’absence alléguée de raisons plausibles de soupçonner les requérants d’avoir commis une infraction
14.  Le Gouvernement, se référant aux principes tirés de la jurisprudence de la Cour en la matière déclare d’abord que les requérants ont été arrêtés et placés en détention provisoire lors d’une enquête pénale engagée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et plus particulièrement contre le PKK et le KCK. Il soutient que, eu égard aux éléments de preuve recueillis dans le cadre de l’enquête pénale menée en l’espèce et contenus dans le dossier, il était objectivement possible de parvenir à la conviction qu’il existait des raisons plausibles de soupçonner les requérants d’avoir commis les infractions qui leur étaient reprochées. Il ajoute que, compte tenu des éléments de preuve obtenus lors de l’enquête, une procédure pénale a été engagée à l’encontre des requérants, et que celle-ci est actuellement en cours devant les juridictions nationales.
15.  La partie requérante réitère sa thèse.
16.  La Cour rappelle les principes découlant de sa jurisprudence en matière de plausibilité des soupçons sur lesquels doit se fonder une privation de liberté, lesquels sont résumés notamment dans ses arrêts Murray c. Royaume-Uni (28 octobre 1994, § 55, série A no 300‑A) et Yüksel et autres (no 55835/09 et 2 autres, §§ 51-53, 31 mai 2016).
17.  En l’espèce, la Cour constate que les requérants ont été privés de leur liberté car ils étaient soupçonnés d’être impliqués à une organisation terroriste. Elle note aussi que le procureur de la République a fondé ses accusations principalement sur différents éléments de preuve saisis lors des perquisitions effectuées aux domiciles et lieux de travail des requérants ou de leurs coaccusés, les comptes-rendus d’écoutes téléphoniques, les comptes-rendus des courriers électroniques appartenant aux intéressés ou aux autres suspects dans le cadre des enquêtes pénales menées contre les membres présumés du KCK, les dépositions des témoins, les déclarations de certains coaccusés, ainsi que les rapports d’expertise. Ainsi, c’est bien sur la foi de soupçons à leur encontre quant aux infractions pénales reprochées, réprimées sévèrement par le code pénal, que les requérants ont été arrêtés et placés en détention provisoire.
18.  Compte tenu des exigences de l’article 5 § 1 quant au niveau de justification factuelle requis au stade des soupçons, la Cour estime que le dossier pénal contenait des renseignements propres à convaincre un observateur objectif que les requérants pouvaient avoir accompli les infractions pour lesquelles ils étaient poursuivis. Il y a donc lieu de conclure que les requérants peuvent passer pour avoir été arrêtés et détenus sur la base de « raisons plausibles » de les soupçonner d’avoir commis une infraction pénale, au sens de l’alinéa c) de l’article 5 § 1 de la Convention (Murray, précité, § 63, et Süleyman Erdem c. Turquie, no 49574/99, § 37, 19 septembre 2006).
19.  Il s’ensuit que cette partie des requêtes est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
B.  Sur la durée de la détention provisoire
20.  Le Gouvernement indique que les requérants avaient à leur disposition le recours en indemnisation prévu par l’article 141 du code de procédure pénale (CPP). Il estime qu’ils pouvaient, et auraient dû, introduire une action en indemnisation sur le fondement de la disposition susmentionnée.
21.  Les requérants contestent la thèse du Gouvernement.
22.  La Cour note que la détention provisoire des requérants s’est finie avec leur remise en liberté. En l’espèce, elle observe que le système juridique interne offrait aux requérants, s’agissant de la durée de la détention provisoire, une action en indemnisation contre l’État sous l’angle de l’article 141 du CPP (Demir c. Turquie ((déc.), no 51770/07, §§ 17‑35, 16 octobre 2012). Or elle note que les intéressés ne se sont pas prévalus de cette possibilité sans expliquer de manière convaincante les raisons pour lesquelles ils n’ont pas introduit une telle action. Partant, la Cour estime que les requérants étaient tenus de saisir les juridictions internes d’une demande fondée sur cette disposition, ce qu’ils n’ont pas fait.
23.  La Cour accueille donc l’exception du Gouvernement et rejette le grief des requérants tiré de l’article 5 § 3 de la Convention pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 2 DE LA CONVENTION
24.  Les requérants dénoncent une absence d’information sur les raisons de leurs privation de liberté sous l’angle de l’article 5 § 2 de la Convention.
25.  Le Gouvernement indique d’abord que les requérants des requêtes nos 46444/13, 46496/13, 46502/13, 46503/13, 46508/13 et 46512/13 n’ont pas respecté le délai de six mois imparti par l’article 35 de la Convention et que leur grief tiré de l’article 5 § 2 de la Convention est tardif. Ensuite, il note que les requérant ont été informé des raisons de leur privation de liberté par les agents des forces de l’ordre qui les ont arrêtés. À cet égard, il souligne que les procès-verbaux signés par les requérants lors de leur garde-à-vue démontrent ce fait.
26.  La Cour rappelle que, en l’absence de recours internes quant à un grief tenant à un acte, le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 commence en principe à courir le jour où l’acte incriminé a été accompli (Dalay c. Turquie (déc.), no 51143/11, § 34, 3 mars 2015). En l’espèce, s’agissant de l’absence d’information des requérants sur les raisons de leur arrestation, la Cour note que leurs gardes à vue ont pris fin le jour de leur mise en détention provisoire et le délai de six mois partait donc de cette date. S’agissant des requêtes nos 46444/13, 46496/13, 46502/13, 46503/13, 46508/13 et 46512/13, ce délai est fini plus de six mois avant la date d’introduction de leurs requêtes devant la Cour. Il convient donc de déclarer le grief des intéressés pour tardiveté et en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
27.  Ensuite, s’agissant du grief des autres requérants, la Cour constate que les procès-verbaux établis à la suite de leurs placements en garde à vue et signés par les requérants prouvent qu’ils avaient été informés par les membres des forces de sécurité qu’ils étaient soupçonnés d’appartenance à une organisation terroriste. La Cour estime donc qu’au moment de leur arrestation, les requérants ont été dûment informés « des raisons juridiques et factuelles de leur privation de liberté, afin qu’[ils] [pussent] en discuter la légalité devant un tribunal (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 40, série A no 182). Il s’ensuit que cette partie des requêtes est manifestement mal fondé et qu’elle doit aussi être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
28.  Les requérants allèguent qu’ils n’ont pas eu la possibilité de contester efficacement la légalité de leur détention provisoire. À cet égard, ils reprochent aux juridictions internes d’avoir rejeté leurs demandes de remise en liberté sans tenir une audience. En outre, ils dénoncent la mesure de restriction d’accès au dossier de l’enquête. Ils invoquent l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :
« 4.  Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
29.  Le Gouvernement conteste cette thèse.
A.  Sur la recevabilité
30.  La Cour relève que, dans le système juridique turc, la question du maintien en détention d’un détenu est examinée d’office à intervalles réguliers (tous les mois au stade de l’instruction et lors de chaque audience sur le fond ou plus souvent au stade du procès). Par ailleurs, un détenu peut former une demande de mise en liberté à tout moment de l’instruction ou du procès et réitérer sa demande sans être tenu d’attendre un certain laps de temps. De plus, toutes les décisions relatives à la détention provisoire –qu’elles aient été prises sur demande ou d’office – peuvent faire l’objet d’une opposition. La Cour a déjà admis que, dans un tel système, l’exigence d’une audience lors de l’examen de chaque opposition pourrait entraîner une certaine paralysie de la procédure pénale (voir, en ce sens, Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 85, 28 octobre 2010). À la lumière de ces considérations et compte tenu du caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention, notamment de l’exigence de célérité, la Cour estime que la tenue d’une audience ne s’impose pas à chaque recours en opposition – sauf circonstances particulières. Aussi la Cour considère-t-elle que si le détenu a pu comparaître en première instance devant le juge appelé à se prononcer sur sa détention, le défaut de comparution en appel – comparution personnelle du détenu ou, au besoin, de son représentant – n’enfreint pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention, à moins que cette circonstance ne porte atteinte au respect du principe de l’égalité des armes.
31.  En l’espèce, la Cour relève que les requérants et leurs représentants étaient chaque fois présents lors des audiences sur le fond de l’affaire, au cours desquelles les juridictions compétentes, se sont prononcées sur les demandes de mise en liberté des requérants. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour considère que la tenue d’une audience ne s’imposait pas lors de l’examen ultérieur des oppositions successives. Il convient de préciser que la non-comparution litigieuse n’a pas porté atteinte au respect des principes de l’égalité des armes et du contradictoire dans la mesure où aucune des parties n’a participé oralement à la procédure d’opposition (Altınok c. Turquie, no 31610/08, §§ 50-56, 29 novembre 2011).
32.  En conséquence, la Cour estime que cette partie des requêtes doit être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
33.  Ensuite, la Cour observe que les requérants se plaignent de la mesure de restriction d’accès aux dossiers de l’enquête. Constatant que ce grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B.  Sur le fond
34.  Les requérants soutiennent qu’ils n’ont eu la possibilité d’examiner ni le dossier de l’enquête ni les éléments de preuve recueillis contre eux.
35.  Le Gouvernement allègue que les requérants avaient suffisamment d’éléments pour contester la légalité de leurs mise et maintien en détention provisoire.
36.  La Cour rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention confère à toute personne arrêtée ou détenue le droit d’introduire un recours au sujet du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité » – au sens de l’article 5 § 1 de la Convention – de sa privation de liberté. Si la procédure au titre de l’article 5 § 4 précité ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles exigées par l’article 6 de la Convention pour les procès civils et pénaux – les deux dispositions poursuivant des buts différents (Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 39, CEDH 2005‑XII) – il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et qu’elle offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question (D.N. c. Suisse [GC], no 27154/95, § 41, CEDH 2001‑III). En particulier, un procès portant sur un recours formé contre une détention doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, à savoir le procureur et la personne détenue (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II). La législation nationale peut remplir cette exigence de diverses manières, mais la méthode adoptée par elle doit garantir que la partie adverse soit informée du dépôt d’observations et qu’elle jouisse d’une possibilité véritable de les commenter (Lietzow c. Allemagne, no 24479/94, § 44, CEDH 2001‑I). Pour déterminer si une procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention offre les garanties nécessaires, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, série A no 237‑A). En particulier, l’égalité des armes n’est pas assurée si l’avocat se voit refuser l’accès aux pièces du dossier qui revêtent une importance essentielle pour une contestation efficace de la légalité de la détention de son client (voir, parmi d’autres, Lamy c. Belgique, 30 mars 1989, § 29, série A no 151, Nikolova, précité, § 58, Schöps c. Allemagne, no 25116/94, § 44, CEDH 2001-I, Lietzow, précité, § 44, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 124, 9 juillet 2009, Ceviz c. Turquie, n  8140/08, § 41, 17 juillet 2012, et Ovsjannikov c. Estonie, no 1346/12, §§ 72-78, 20 février 2014).
37.  En l’espèce, la Cour note qu’il n’est pas contesté par les parties qu’il existait une restriction totale d’accès aux dossiers d’enquête, pour les requérants et leurs représentants, les empêchant d’en examiner les pièces, et ce jusqu’au dépôt de l’acte d’accusation. Elle relève par ailleurs que ni les requérants ni leurs avocats n’avaient une connaissance suffisante du contenu des documents qui revêtaient une importance essentielle pour la contestation de la légalité de la détention des intéressés. Elle estime donc que les requérants n’ont pas eu la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs invoqués pour justifier leur détention provisoire (Şık c. Turquie, no 53413/11, § 75, 8 juillet 2014, et Mustafa Avci c. Turquie, no 39322/12, § 92, 23 mai 2017).
38.  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
39.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
40.  Les requérants n’ont formulé aucune demande au titre des dommages. Partant, il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.
B.  Frais et dépens
41.  Les requérants demandent 94 847,94 euros (EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.
42.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ces demandes, qu’il considère comme excessives et infondées.
43.  Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 250 EUR pour chacun des requérants tous frais confondus et l’accorde aux intéressés.
C.  Intérêts moratoires
44.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Décide de joindre les requêtes ;
 
2.  Déclare les requêtes recevables quant au grief tiré de l’absence d’un recours effectif pour contester le maintien en détention provisoire en raison de la restriction d’accès aux dossiers de l’enquête et irrecevable pour le surplus ;
 
3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
 
4.  Dit
a)  que l’État défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois, 250 EUR (deux cents cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
 
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 juin 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Hasan BakırcıJulia Laffranque
Greffier adjointPrésidente

Appendix
No
Requête No
Introduite le
Requérant
Date de naissance
Lieu de résidence
Date de placement en garde à vue
Date de mise en détention
Date de remise en liberté
1
46444/13
5 juin 2010
Abdurahim TANRIVERDİ
30 janvier 1967
Diyarbakır
17 juin 2009
 
19 juin 2009
27 janvier 2012
2
46451/13
5 juin 2010
Abdullah DEMİRBAŞ
6 mai 1966
Diyarbakır
24 décembre 2009
25 décembre 2009
14 mai 2010
3
46496/13
19 mars 2010
Rahmi ÖZMEN
1er février 1980
Diyarbakır
14 avril 2009
18 avril 2009
1er juin 2012
4
46502/13
19 mars 2010
Heval ERDEMLİ
24 août 1976
Diyarbakır
14 avril 2009
18 avril 2009
1er juin 2012
5
46503/13
19 mars 2010
Roza ERDEDE
2 mars 1981
Diyarbakır
14 avril 2009
18 avril 2009
1er juin 2012
6
46505/13
5 juin 2010
Adnan BAYRAM
10 mars 1955
Diyarbakır
17 décembre 2009
21 décembre 2009
27 janvier 2012
7
46508/13
5  juin 2010
Nizamettin ONAR
2 février 1972
Diyarbakır
30 décembre 2009
2 janvier 2009
1er juin 2012
8
46509/13
5 juin 2010
Veysi AKAR
22 août 1980
Diyarbakır
17 décembre 2009
21 décembre 2009
27 janvier 2012
9
46510/13
5 juin 2010
İhsan SEVİKTEK
9 mars 1974
Diyarbakır
5 janvier 2010
6 janvier 2010
27 janvier 2012
10
46511/13
5 juin 2010
Seyithan ŞEN
1er mai 1971
Diyarbakır
14 janvier 2010
16 janvier 2010
27 janvier 2012
11
46512/13
5 juin 2010
Garip KANDEMİR
6 avril 1976
Diyarbakır
11 septembre 2009
14 septembre 2009
21 septembre 2012
 

Full & Egal Universal Law Academy