AFFAIRE ŞİMŞEK ET AUTRES c. TURQUIE
Karar Dilini Çevir:
AFFAIRE ŞİMŞEK ET AUTRES c. TURQUIE

 
 
 
DEUXIÈME SECTION
 
 
 
 
 
 
AFFAIRE ŞİMŞEK ET AUTRES c. TURQUIE
 
(Requête no 46414/13 et 71 autres –
voir liste en annexe)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ARRÊT
 
 
STRASBOURG
 
18 juin 2019
 
 
 
 
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Şimşek et autres c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Julia Laffranque, présidente,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 mai 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  À l’origine de l’affaire se trouvent soixante-douze requêtes dirigées contre la République de Turquie et dont soixante-douze ressortissants de cet État (« les requérants »), dont la liste figure en annexe, ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants ont été représentés par Mes R. Yalçındağ Baydemir et M. Özdemir, avocats à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3.  Le 3 octobre 2016, les griefs concernant l’article 5 §§ 1, 2, 3 et 4 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et les requêtes ont été déclarées irrecevables pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
4.  Le greffe a été informé du décès des requérants, Mme Sevi Demir et M. Mehmet Abbasoğlu. Les héritiers de ces derniers, Mme Sekine Demir, M. Abdülaziz Demir pour la première et Mme Özlem Başak Şahin pour le deuxième requérant, ont fait part de leur décision de poursuivre la procédure devant la Cour et d’être représentés par la même avocate que leurs auteurs. La Cour a accueilli ces demandes (paragraphe 15 ci-dessous). Pour des raisons d’ordre pratique, le présent arrêt continuera d’appeler Mme Sevi Demir et M Mehmet Abbasoğlu les « requérants » bien qu’il faille aujourd’hui attribuer cette qualité à leurs héritiers (Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 1, CEDH 1999‑VI).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5.  En 2009, plusieurs enquêtes pénales furent diligentées contre les membres présumés d’une organisation dénommée KCK (Koma Civakên Kurdistan – « Union des communautés kurdes »). Par plusieurs actes d’accusation, les procureurs de la République intentèrent des actions pénales devant les cours d’assises compétentes à l’encontre de plusieurs personnes auxquelles il était essentiellement reproché d’appartenir à une organisation terroriste. Selon les procureurs de la République, le KCK était une « branche urbaine » de l’organisation terroriste PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).
6.  Dans le cadre des enquêtes pénales menées à l’encontre des requérants, à des dates inconnues, les juges assesseurs compétents ordonnèrent l’application d’une mesure de restriction d’accès au dossier de l’enquête à l’encontre des personnes soupçonnées et de leurs avocats.
7.  À différentes dates, entre les 14 avril 2009 et 15 février 2010, les requérants, soupçonnés d’appartenance au KCK, furent arrêtés et placés en garde à vue. À la suite de leurs interrogatoires, à différentes dates entre les 18 février 2009 et 15 février 2010, les juges compétents ordonnèrent la mise en détention provisoire des intéressés.
8.  Par la suite, les requérants formèrent des recours par lesquels ils contestaient leur placement en détention provisoire et demandaient leur remise en liberté. À la suite d’un examen sur pièces du dossier, les cours d’assises compétentes rejetèrent ces recours. Ces décisions furent rendues avant le 23 septembre 2012, soit avant l’entrée en vigueur d’amendements constitutionnels relatifs à l’introduction du recours individuel devant la Cour constitutionnelle dans le système juridique national.
9.  Le 9 juin 2010 et le 20 novembre 2010, le parquet de Diyarbakır déposa deux actes d’accusation devant la cour d’assises de Diyarbakır par lesquels il accusa les requérants soit pour diriger l’organisation terroriste présumée KCK, soit pour être membre de ladite organisation. Le procureur de la République fondait ses accusations sur différents éléments de preuve, tels que les documents saisis lors des perquisitions effectuées aux domiciles et lieux de travail des requérants ou de leurs coaccusés, les comptes-rendus d’écoutes téléphoniques, les comptes-rendus des courriers électroniques appartenant aux intéressés ou aux autres suspects dans le cadre des enquêtes pénales menées contre les membres présumés du KCK, les dépositions des témoins, les déclarations de certains coaccusés, ainsi que des rapports d’expertise.
10.  À différentes dates, entre les 13 février 2013 et 11 juin 2014, la cour d’assises de Diyarbakır ordonna la remise en liberté des requérants.
11.  Par un arrêt du 27 mars 2017, la cour d’assises de Diyarbakır rendit son jugement, condamnant certains requérants pour l’infraction qui leur était imputée et acquittant les autres du crime qui leur était reproché. Il ressort des éléments contenus dans le dossier que les procédures pénales engagées à l’encontre des requérants sont toujours en cours devant les juridictions nationales à l’exception des requérants des requêtes nos 46495/13 et 46423/13 pour lesquels la condamnation devint définitive par l’arrêt du 17 mai 2017 rendu par la Cour de cassation.
12.  À des dates inconnues, les requérants introduisirent chacun un recours individuel devant la Cour constitutionnelle. Ils dénonçaient essentiellement une violation de leur droit à la liberté et à la sûreté. Il ressort du dossier que les procédures afférentes à ces recours sont toujours pendantes devant la Cour constitutionnelle.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
13.  Le droit et la pratique internes pertinents sont exposés dans l’arrêt de la Cour dans l’affaire Mustafa Avci c. Turquie (no 39322/12, §§ 27-46, 23 mai 2017).
EN DROIT
I.  SUR LA JONCTION DES REQUÊTES
14.  Compte tenu de la similitude des requêtes, la Cour estime approprié de les examiner conjointement en un seul arrêt.
II.  OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
15.  La Cour prend note du décès des requérants, Mme Sevi Demir et M Mehmet Abbasoğlu. Le Gouvernement soutient que leurs héritiers n’ont pas qualité pour poursuivre la requête.
16.  La Cour rappelle qu’en principe, une requête soumise par un requérant qui décède après l’introduction de celle-ci peut être poursuivie par ses héritiers ou ses proches parents s’ils en expriment le souhait et à condition qu’ils aient un intérêt suffisant. En l’espèce, elle relève que les héritiers des défunts ont exprimé leur souhait de poursuivre l’instance. Eu égard à l’objet des présentes affaires et à l’ensemble des éléments dont elle dispose, la Cour reconnaît à Mme Sekine Demir, M. Abdülaziz Demir et Mme Özlem Başak Şahin qualité pour se substituer aux requérants dans la présente instance (Ergezen c. Turquie, no 73359/10, § 30, 8 avril 2014).
III.  SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES SOULEVÉES PAR LE GOUVERNEMENT
A.  Sur l’exception tirée du non-épuisement du recours individuel devant la Cour constitutionnelle
17.  Le Gouvernement reproche aux requérants de ne pas avoir épuisé le recours individuel devant la Cour constitutionnelle.
18.  Les requérants précisent que, à la date d’introduction de leur requête devant la Cour, ils n’avaient pas la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle d’un recours individuel, cette voie de recours ayant été introduite dans le système juridique turc le 23 septembre 2012. Ils ajoutent, d’une manière générale, que la voie de recours individuel devant la Cour constitutionnelle ne peut pas être considérée comme offrant un recours effectif.
19.  La Cour note que, à la suite des amendements constitutionnels entrés en vigueur le 23 septembre 2012, le recours individuel devant la Cour constitutionnelle turque a été introduit dans le système juridique national. La jurisprudence bien établie de la Cour démontre qu’elle ne dispose d’aucun élément qui lui permettrait de dire que le recours en question n’est pas susceptible d’apporter un redressement approprié aux griefs des requérants tirés de l’article 5 de la Convention et qu’il n’offre pas des perspectives raisonnables de succès (Mustafa Avci c. Turquie (no 39322/12, §§ 70-80, 23 mai 2017). Par conséquent, les recours individuels introduits par les intéressés étant en cours devant la Cour constitutionnelle, la Cour estime que les griefs des requérants tirés de l’article 5 §§ 1, 2 et 3 de la Convention sont prématurés. Elle rejette donc ces parties des requêtes pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
20.  La Cour rappelle qu’en vertu du principe de subsidiarité, c’est d’abord aux juridictions nationales, notamment à la Cour constitutionnelle en l’espèce, qu’il appartient au premier chef de mettre en œuvre les droits découlant de la Convention. En vertu de l’article 1 de la Convention, elles doivent remplir leur rôle de premier garant sous la surveillance de la Cour. Il ressort de ce principe que, lorsqu’elles le font de bonne foi, la Cour peut accepter leurs conclusions dans une affaire donnée.
21.  S’agissant toutefois des griefs tirés de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour observe que, les requérants ont formé des recours pour contester leur mise en détention provisoire et que, par des décisions rendues avant le 23 septembre 2012, les juridictions nationales les ont déboutés (paragraphe 8 ci-dessus). Dans ces conditions, eu égard au fait que le droit de recours individuel a été introduit dans le système juridique turc le 23 septembre 2012, la Cour estime qu’une saisine de la Cour constitutionnelle relativement à l’article 5 § 4 de la Convention aurait été vaine en raison de l’incompétence ratione temporis de cette haute juridiction (Hebat Aslan et Firas Aslan c. Turquie, no 15048/09, §§ 53-54, 28 octobre 2014, et Mustafa Avci, précité, § 86). Par conséquent, la Cour rejette cette exception soulevée par le Gouvernement dans la mesure où elle concerne les griefs relatifs à l’article 5 § 4 de la Convention.
B.  Sur l’exception tirée du non-exercice du recours en indemnisation
22.  Le Gouvernement indique que les requérants avaient à leur disposition le recours en indemnisation prévu par l’article 141 § 1 a) du CPP. Il estime que les requérants pouvaient, et auraient dû, introduire une action en indemnisation sur le fondement de la disposition susmentionnée.
23.  Les requérants contestent la thèse du Gouvernement.
24.  La Cour rappelle s’être déjà prononcée sur un grief similaire à celui présenté par les requérants et avoir estimé que l’article 141 du CPP tel qu’en vigueur à l’époque des faits ne prévoyait pas la possibilité de demander réparation d’un préjudice subi en raison de défaillances procédurales du recours en opposition (Mustafa Avci, précité, § 109). Elle ne voit aucune raison en l’espèce de s’écarter de cette jurisprudence.
25.  Il y a dès lors lieu de rejeter cette exception formulée par le Gouvernement.
IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
26.  Les requérants allèguent qu’ils n’ont pas eu la possibilité de contester efficacement la légalité de leur détention provisoire. À cet égard, ils reprochent aux juridictions internes d’avoir rejeté leurs demandes de remise en liberté sans tenir une audience. En outre, ils dénoncent la mesure de restriction d’accès au dossier de l’enquête. Ils invoquent l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :
« 4.  Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
27.  Le Gouvernement conteste cette thèse.
A.  Sur la recevabilité
28.  La Cour relève que, dans le système juridique turc, la question du maintien en détention d’un détenu est examinée d’office à intervalles réguliers (tous les mois au stade de l’instruction et lors de chaque audience sur le fond ou plus souvent au stade du procès). Par ailleurs, un détenu peut former une demande de mise en liberté à tout moment de l’instruction ou du procès et réitérer sa demande sans être tenu d’attendre un certain laps de temps. De plus, toutes les décisions relatives à la détention provisoire – qu’elles aient été prises sur demande ou d’office – peuvent faire l’objet d’une opposition. La Cour a déjà admis que, dans un tel système, l’exigence d’une audience lors de l’examen de chaque opposition pourrait entraîner une certaine paralysie de la procédure pénale (voir, en ce sens, Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 85, 28 octobre 2010). À la lumière de ces considérations et compte tenu du caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention, notamment de l’exigence de célérité, la Cour estime que la tenue d’une audience ne s’impose pas à chaque recours en opposition – sauf circonstances particulières. Aussi la Cour considère-t-elle que si le détenu a pu comparaître en première instance devant le juge appelé à se prononcer sur sa détention, le défaut de comparution en appel – comparution personnelle du détenu ou, au besoin, de son représentant – n’enfreint pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention, à moins que cette circonstance ne porte atteinte au respect du principe de l’égalité des armes.
29.  En l’espèce, la Cour relève que les requérants et leurs représentants étaient chaque fois présents lors des audiences sur le fond de l’affaire, au cours desquelles les juridictions compétentes, se sont prononcées sur les demandes de mise en liberté des requérants. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour considère que la tenue d’une audience ne s’imposait pas lors de l’examen ultérieur des oppositions successives. Il convient de préciser que la non-comparution litigieuse n’a pas porté atteinte au respect des principes de l’égalité des armes et du contradictoire dans la mesure où aucune des parties n’a participé oralement à la procédure d’opposition (Altınok c. Turquie, no 31610/08, §§ 50-56, 29 novembre 2011).
30.  En conséquence, la Cour estime que cette partie des requêtes doit être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
31.  Ensuite, la Cour observe que les requérants se plaignent de la mesure de restriction d’accès aux dossiers de l’enquête. Constatant que ce grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B.  Sur le fond
32.  Les requérants soutiennent qu’ils n’ont eu la possibilité d’examiner ni le dossier de l’enquête ni les éléments de preuve recueillis contre eux.
33.  Le Gouvernement allègue que les requérants avaient suffisamment d’éléments pour contester la légalité de leurs mise et maintien en détention provisoire.
34.  La Cour rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention confère à toute personne arrêtée ou détenue le droit d’introduire un recours au sujet du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité » – au sens de l’article 5 § 1 de la Convention – de sa privation de liberté. Si la procédure au titre de l’article 5 § 4 précité ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles exigées par l’article 6 de la Convention pour les procès civils et pénaux – les deux dispositions poursuivant des buts différents (Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 39, CEDH 2005‑XII) – il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et qu’elle offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question (D.N. c. Suisse [GC], no 27154/95, § 41, CEDH 2001‑III). En particulier, un procès portant sur un recours formé contre une détention doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, à savoir le procureur et la personne détenue (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II). La législation nationale peut remplir cette exigence de diverses manières, mais la méthode adoptée par elle doit garantir que la partie adverse soit informée du dépôt d’observations et qu’elle jouisse d’une possibilité véritable de les commenter (Lietzow c. Allemagne, no 24479/94, § 44, CEDH 2001‑I). Pour déterminer si une procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention offre les garanties nécessaires, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, série A no 237‑A). En particulier, l’égalité des armes n’est pas assurée si l’avocat se voit refuser l’accès aux pièces du dossier qui revêtent une importance essentielle pour une contestation efficace de la légalité de la détention de son client (voir, parmi d’autres, Lamy c. Belgique, 30 mars 1989, § 29, série A no 151, Nikolova, précité, § 58, Schöps c. Allemagne, no 25116/94, § 44, CEDH 2001-I, Lietzow, précité, § 44, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 124, 9 juillet 2009, Ceviz c. Turquie, n  8140/08, § 41, 17 juillet 2012, et Ovsjannikov c. Estonie, no 1346/12, §§ 72-78, 20 février 2014).
35.  En l’espèce, la Cour note qu’il n’est pas contesté par les parties qu’il existait une restriction totale d’accès aux dossiers d’enquête, pour les requérants et leurs représentants, les empêchant d’en examiner les pièces, et ce jusqu’au dépôt de l’acte d’accusation. Elle relève par ailleurs que ni les requérants ni leurs avocats n’avaient une connaissance suffisante du contenu des documents qui revêtaient une importance essentielle pour la contestation de la légalité de la détention des intéressés. Elle estime donc que les requérants n’ont pas eu la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs invoqués pour justifier leur détention provisoire (Şık c. Turquie, no 53413/11, § 75, 8 juillet 2014, et Mustafa Avci, précité, § 92).
36.  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
V.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 34 DE LA CONVENTION
37.  En sus des violations alléguées, les avocats des requérants se plaignent pour la première fois dans leurs observations formulées en réponse à celles du Gouvernement d’une violation de l’article 34 de la Convention. Ils indiquent que, à une date inconnue, l’avocate Me R. Yalçındağ Baydemir a été convoquée au parquet de Diyarbakır où des questions lui auraient été posées dans le cadre d’une enquête pénale différente. Ils soutiennent que cette enquête a eu un effet intimidant sur eux. L’article 34 de la Convention est ainsi libellé :
« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »
38.  Le Gouvernement conteste ces arguments.
39.  La Cour observe que rien n’indique que l’enquête menée en l’espèce à l’encontre de Me R. Yalçındağ Baydemir a été destinée à pousser les requérants à retirer ou à modifier leurs requêtes ou à les gêner de toute autre manière dans l’exercice effectif de leur droit de recours individuel, ni qu’elle a eu un tel effet. Il ressort même de la formulation du grief que cette enquête n’a aucun lien avec la requête des intéressés. Les autorités de l’État défendeur ne peuvent donc passer pour avoir entravé l’exercice par les requérants de leur droit de recours individuel. Dès lors, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas manqué aux obligations qui lui incombaient au titre de l’article 34 de la Convention.
VI.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
40.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
41.  Les requérants n’ont formulé aucune demande au titre des dommages. Partant, il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.
B.  Frais et dépens
42.  Les requérants des requêtes nos 46472/13, 46483/13 et 46497/13 n’ont présenté aucune demande au titre des frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.
43.  Les autres requérants demandent 94 847,94 euros (EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.
44.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ces demandes, qu’il considère comme excessives et infondées.
45.  Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 250 EUR pour chacun des requérants tous frais confondus et l’accorde aux intéressés.
C.  Intérêts moratoires
46.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Décide de joindre les requêtes ;
 
2.  Déclare les requêtes recevables quant au grief tiré de l’absence d’un recours effectif pour contester le maintien en détention provisoire en raison de la restriction d’accès aux dossiers de l’enquête et irrecevable pour le surplus ;
 
3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
 
4.  Dit que l’État n’a pas failli à ses obligations découlant de l’article 34 de la Convention ;
 
5.  Dit
a)  que l’État défendeur doit verser à chacun des requérants, à l’exception de ceux des requêtes nos 46472/13, 46483/13 et 46497/13, dans les trois mois, 250 EUR (deux cents cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
 
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 juin 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Hasan BakırcıJulia Laffranque
Greffier adjointPrésidente


Appendix
No
Requête No
Introduite le
Requérant
Date de naissance
Lieu de résidence
Représenté par 
46414/13
19 mars 2010
Gülcihan ŞİMŞEK
1er janvier 1971
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46415/13
19 mars 2010
Herdem KIZILKAYA
11 août 1977
Midyat
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46416/13
19 mars 2010
Sara AKTAŞ
1er janvier 1976
Midyat
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46417/13
19 mars 2010
Zöhre BOZACI
4 août 1971
Midyat
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46418/13
19 mars 2010
Çimen IŞIK
10 décembre 1979
Midyat
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46419/13
19 mars 2010
Esma GÜLER
3 octobre 1973
Midyat
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46420/13
19 mars 2010
Hacire ÖZDEMİR
5 mai 1978
Midyat
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46421/13
19 mars 2010
Sevi DEMİR
1er janvier 1974
Midyat
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46422/13
19 mars 2010
Pınar IŞIK
24 avril 1977
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46423/13
19 mars 2010
Leyla DENİZ
12 juin 1978
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46425/13
5 juin 2010
Tuncay KORKMAZ
31 août 1983
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46426/13
5 juin 2010
Ramazan DEBE
1er janvier 1981
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46427/13
5 juin 2010
Osman OCAKLIK
18 août 1970
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46430/13
5 juin 2010
Mustafa OCAKLIK
1er janvier 1968
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46432/13
5 juin 2010
Mehmet Hatip DİCLE
4 février 1955
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46433/13
5 juin 2010
Mahmut OKKAN
1er janvier 1970
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46435/13
5 juin 2010
Fethi SÜVARİ
2 juin 1961
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46437/13
5 juin 2010
Etem ŞAHİN
10 avril 1970
Mardin
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46438/13
5 juin 2010
Emrullah CİN
20 juin 1963
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46440/13
5 juin 2010
Aydın BUDAK
8 avril 1968
Cizre
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46442/13
5 juin 2010
Ali ŞİMŞEK
1er janvier 1962
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46443/13
5 juin 2010
Ahmet MAKAS
1er janvier 1956
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46446/13
5 juin 2010
Abbas ÇELİK
23 février 1971
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46447/13
5 juin 2010
Leyla GÜVEN
6 mai 1964
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46448/13
5 juin 2010
Alaattin AKTAŞ
2 janvier 1956
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46449/13
5 juin 2010
Hacı ERDEMİR
3 avril 1966
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46450/13
5 juin 2010
Hüseyin BAYRAK
21 mars 1969
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46452/13
5 juin 2010
Turan GENÇ
20 octobre 1976
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46453/13
5 juin 2010
Mehmet TARI
1er janvier 1967
İzmir
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46454/13
5 juin 2010
Sebahattin DİNÇ
1er janvier 1958
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46455/13
5 juin 2010
Kutbettin KURT
1er janvier 1968
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46456/13
5 juin 2010
Kerem DURUK
1er juin 1969
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46459/13
5 juin 2010
Ercan AKYOL
27 avril 1971
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46461/13
5 juin 2010
Zülküf KARATEKİN
1er janvier 1965
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46462/13
5 juin 2010
Zeynel MAT
29 août 1976
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46463/13
19 mars 2010
Temer TANRIKULU
1er avril 1977
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46464/13
19 mars 2010
Senanik ÖNER
3 janvier 1952
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46465/13
19 mars 2010
Ramazan MORKOÇ
1er février 1967
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46466/13
19 mars 2010
Salih AKDOĞAN
1er janvier 1981
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46467/13
19 mars 2010
Musa FARISOĞULLARI
1er février 1956
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46468/13
19 mars 2010
Mehmet AKIN
8 avril 1971
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46469/13
19 mars 2010
Mehmet ABBASOĞLU
10 juin 1955
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46470/13
19 mars 2010
Lütfi DAĞ
1er janvier 1977
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46472/13
19 mars 2010
Hüseyin YILMAZ
20 octobre 1956
Diyarbakır
Mehdi Özdemir 
46473/13
19 mars 2010
Hasan İNATÇI
22 août 1977
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46474/13
19 mars 2010
Ercan SEZGİN
1er janvier 1975
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46475/13
19 mars 2010
Engin KOTAY
20 avril 1981
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46476/13
19 mars 2010
Celal YOLDAŞ
1er janvier 1956
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46477/13
19 mars 2010
Bayram ALTUN
1er mars 1974
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46478/13
19 mars 2010
Şinasi TUR
30 janvier 1971
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46479/13
19 mars 2010
Alican ÖNLÜ
27 décembre 1967
Tunceli
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46480/13
19 mars 2010
Ahmet ZIREK
1er janvier 1961
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46481/13
19 mars 2010
Ünal Ahmet ÇELEN
30 août 1961
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46482/13
19 mars 2010
Ahmet BİRSİN
1er janvier 1968
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46483/13
19 mars 2010
Nadir YILDIRIM
1er avril 1981
Ankara
Mehdi Özdemir 
46484/13
19 mars 2010
Kamuran YÜKSEK
1er janvier 1980
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46485/13
19 mars 2010
Siracettin IRMAK
1er juillet 1980
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46486/13
19 mars 2010
Pelgüzar KAYĞISIZ
20 août 1970
Şanlıurfa
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46487/13
19 mars 2010
Zeynep BOĞA
3 février 1966
Şanlıurfa
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46488/13
19 mars 2010
Zahide BESİ
9 janvier 1974
Şanlıurfa
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46489/13
19 mars 2010
Ebrü GÜNAY
29 janvier 1982
Şanlıurfa
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46490/13
19 mars 2010
Besime KONCA
20 février 1970
Kocaeli
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46491/13
19 mars 2010
Elif KAYA
2 octobre 1969
Siirt
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46492/13
19 mars 2010
Dirayet TAŞDEMİR
18 avril 1982
Siirt
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46493/13
19 mars 2010
Nihayet TAŞDEMİR
18 avril 1979
Siirt
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46494/13
19 mars 2010
Olcay KANLIBAŞ
9 août 1971
Siirt
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46495/13
19 mars 2010
Musa ÇİFTÇİ
18 janvier 1976
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46497/13
19 mars 2010
Mehmet Nimet SEVİM
1er janvier 1968
Diyarbakır
Mehdi Özdemir 
46498/13
19 mars 2010
Mazlum TEKDAĞ
1er janvier 1984
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46500/13
19 mars 2010
Hasan IRAZ
12 décembre 1978
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46504/13
19 mars 2010
Pero DÜNDAR
20 janvier 1971
Midyat
Reyhan Yalçındağ Baydemir 
46513/13
5 juin 2010
Şeyhmus BAYHAN
1er janvier 1975
Diyarbakır
Reyhan Yalçındağ Baydemir
 

Full & Egal Universal Law Academy