AFFAIRE SIMÕES BALBINO c. PORTUGAL
Karar Dilini Çevir:
AFFAIRE SIMÕES BALBINO c. PORTUGAL

 
 
 
QUATRIÈME SECTION
 
 
 
 
 
 
 
AFFAIRE SIMÕES BALBINO c. PORTUGAL
 
(Requête no 26956/14)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ARRÊT
 
 
STRASBOURG
 
29 janvier 2019
 
 
 
 
 
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
 

En l’affaire Simões Balbino c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Egidijus Kūris, président,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 janvier 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 26956/14) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. José Manuel Simões Balbino (« le requérant »), a saisi la Cour le 2 avril 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me I. Catalão, avocate à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M.F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.
3. Le 9 novembre 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1960 et réside à Almada.
5. Il vivait en concubinage avec S.F., une ressortissante allemande. Le 17 novembre 2003 naquit leur fille, L.
6. À une date non spécifiée de l’année 2006, le couple se sépara tout en maintenant la communauté de vie.
7. En novembre 2006, S.F. informa le requérant qu’elle souhaitait s’installer en Allemagne avec leur fille.
A. La procédure visant à l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale (procédure interne no 795/07.0TMLSB)
8. Le 23 avril 2007, le requérant introduisit, devant le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne (« le tribunal »), une demande urgente visant à l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale (regulação do poder paternal) à l’égard de l’enfant. Il demandait également au tribunal d’ordonner une interdiction de sortie du territoire national relativement à sa fille.
9. Le 26 avril 2007, S.F. présenta elle aussi devant le tribunal une demande visant l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale.
10. Par une décision du 7 mai 2007, le tribunal estima qu’il n’était pas en mesure de statuer au motif qu’il ne disposait pas des éléments nécessaires. Il interdit néanmoins, à titre provisoire, toute sortie du territoire de L. sans son autorisation. Il ordonna de porter cette décision à la connaissance de S.F. et de la police des frontières (Serviço de Estrangeiros e Fronteiras).
11. Le lendemain, le tribunal donna connaissance aux parties de sa décision et fixa au 11 juin 2007 la tenue de l’audience de conciliation (conferência de pais). Le jour venu, le requérant et S.F. ne parvinrent pas à un accord.
12. À une date non spécifiée, le tribunal demanda aux services de la sécurité sociale (Segurança Social) de mener d’urgence une enquête sociale.
13. Le 25 juin 2007, le requérant envoya ses conclusions (alegações) au tribunal. Il y exposait ce qui suit :
– sa relation avec S.F. avait toujours été marquée par l’instabilité en raison de la personnalité dépressive de cette dernière ;
– S.F. avait des problèmes d’alcoolisme ;
– lui-même avait toujours subvenu aux besoins de la famille et il aidait S.F. à s’occuper de L. ;
– il s’opposait au départ de S.F. en Allemagne ;
– il réunissait les conditions personnelles, financières et matérielles lui permettant de prendre en charge les besoins de L.
14. Le 27 juin 2007, S.F. présenta ses conclusions au tribunal, soutenant ce qui suit :
– elle avait vécu en concubinage avec le requérant de novembre 2001 à juillet 2002 ;
– ils avaient essayé de rétablir leur relation après la naissance de L. ;
– elle n’avait pas d’activité professionnelle et, par conséquent, elle dépendait financièrement du requérant ;
– elle avait l’intention de rentrer en Allemagne pour reprendre une activité professionnelle et pouvoir ainsi subvenir seule aux besoins de sa fille ;
– elle réclamait, jusqu’à la reprise d’une activité professionnelle, une pension alimentaire mensuelle de 1 600 euros (EUR) ;
– le requérant était un père absent, sortant tous les soirs et rentrant souvent en état d’ébriété, et cette situation s’était aggravée à partir de l’été 2005 ;
– le requérant bénéficiait de très bonnes conditions matérielles et financières, notamment grâce à son activité professionnelle dans le milieu de l’édition et à des héritages.
Au vu de ces éléments, elle demandait que la garde de l’enfant lui fût attribuée afin qu’elle pût partir vivre en Allemagne. Elle déclarait en outre qu’elle acceptait que son ex-compagnon eût des contacts avec sa fille, notamment pendant les vacances et les week-ends.
Elle demandait enfin l’audition de divers témoins et la réalisation d’une expertise psychiatrique de son ex-compagnon.
15. Le 29 juin 2007, le tribunal relança les services sociaux au sujet de l’enquête sociale qu’il avait sollicitée (paragraphe 12 ci-dessus). Le 31 août 2007, il reçut les informations attendues.
16. Le 3 septembre 2007, le requérant demanda au tribunal de fixer provisoirement, de façon urgente, l’exercice de l’autorité parentale au motif que les conflits avec son ex-compagne s’exacerbaient et que celle-ci l’empêchait constamment de passer des moments avec L. Le 28 septembre 2007, S.F. donna sa réponse quant à cette demande.
17. Le 28 novembre 2007, le tribunal demanda au requérant et à S.F. s’ils acceptaient le recours à la médiation familiale.
18. Le 20 décembre 2007, le requérant informa le tribunal qu’il acceptait le recours à la médiation familiale. Il réitéra toutefois sa demande visant à la fixation provisoire de l’exercice de l’autorité parentale à l’égard de l’enfant en raison de difficultés de dialogue avec son ex-compagne et du temps écoulé depuis l’audience de conciliation du 11 juin 2007 au tribunal (paragraphe 11 ci-dessus).
19. Le 21 décembre 2007, S.F. accepta elle aussi le recours à la médiation familiale.
20. Le 11 avril 2008, le service de la médiation familiale informa le tribunal que les démarches entreprises pour aboutir à un accord entre le requérant et S.F. avaient échoué.
21. Le 15 avril 2008, le requérant réitéra à nouveau sa demande quant à l’exercice de l’autorité parentale auprès du tribunal en invoquant l’urgence de la situation. Il arguait ce qui suit :
– le 11 avril 2008, son ex-compagne avait changé les serrures de la porte de leur appartement et ne l’avait laissé entrer ce jour-là qu’après qu’il eut fait appel à la police ;
– depuis cette date, il ne pouvait plus entrer chez lui ;
– son ex-compagne l’empêchait de voir sa fille depuis l’échec de la médiation familiale ;
– par le biais de l’ambassade d’Allemagne au Portugal, elle avait fait inscrire l’enfant au registre civil allemand uniquement sous le nom de la mère.
22. Le 28 avril 2008, S.F. informa le tribunal qu’elle avait été contrainte de changer les serrures de l’appartement en raison de l’agressivité du requérant à son égard et qu’elle avait porté plainte contre lui. Elle demanda au tribunal d’autoriser sa fille à sortir du territoire portugais et de bien vouloir noter que sa nouvelle adresse serait en Allemagne. Elle ajouta qu’elle acceptait que le requérant rendît visite à sa fille. Elle pria en outre le tribunal d’entendre comme témoins des personnes qu’elle indiquait et qui, selon elle, confirmeraient ses dires.
23. Le 30 avril 2008, le tribunal répondit à la requérante qu’il se prononcerait sur sa demande après avoir entendu les témoins proposés par le requérant et par elle-même, et il fixa une audience au 9 mai 2008. Celle-ci fut reportée au 6 juin 2008 en raison de l’absence de S.F. et de son avocate.
24. Le 12 mai 2008, le requérant reçut par un message de S.F. sur son téléphone portable l’information selon laquelle elle se trouvait en Allemagne avec leur fille.
25. Le 13 mai 2008, S.F. communiqua au tribunal sa nouvelle adresse en Allemagne. Elle précisait aussi que, ne disposant pas de moyens de subsistance au Portugal, elle avait été contrainte de partir et qu’elle vivait en Allemagne grâce au soutien d’amis et de membres de sa famille. Elle ajoutait que le requérant pouvait venir en Allemagne rendre visite à leur fille.
26. Le même jour, le requérant demanda au tribunal de prendre acte du non-respect par son ex-compagne de la décision interdisant à titre provisoire de faire sortir l’enfant du territoire (paragraphe 10 ci-dessus). Il priait le tribunal d’ordonner le retour de l’enfant au Portugal et d’appliquer à son ex-compagne la sanction qui s’imposait.
27. Le 14 mai 2008, le ministère public près le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne demanda à celui-ci de noter que S.F. n’avait pas respecté l’injonction d’interdiction de sortie du territoire de l’enfant sans autorisation. Il demanda aussi que le requérant fût informé qu’il devait introduire une demande tendant au retour de l’enfant auprès de l’autorité centrale portugaise chargée de l’application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (« la Convention de La Haye »).
28. Par une ordonnance du 15 mai 2008, le tribunal jugea que la requérante n’avait pas respecté l’interdiction de sortie du territoire de sa fille sans autorisation (paragraphe 10 ci-dessus) et la condamna pour désobéissance (desobediência) à une amende de 249,99 EUR.
Par ailleurs, il considéra que l’enfant, qui avait sa résidence habituelle au Portugal, avait été emmenée de façon illicite par sa mère en Allemagne. Il jugea toutefois qu’il revenait au requérant de saisir l’autorité centrale portugaise, à savoir la direction générale de la réinsertion sociale (Direcção-Geral de Reinserção Social (DGRS)), d’une demande tendant au retour de sa fille au titre de la Convention de La Haye, en produisant à l’appui de sa demande tous les documents requis. Le tribunal annula l’audience fixée au 6 juin 2008 (paragraphe 23 ci-dessus).
29. Le 16 juin 2008, à la suite d’une demande du ministère public, le tribunal sollicita par commission rogatoire une enquête sociale aux autorités allemandes concernant la situation de S.F. en Allemagne. Cette demande était signalée comme étant « très urgente ».
30. Le 19 novembre 2008 et le 8 janvier 2009, le tribunal rappela aux autorités allemandes qu’il attendait toujours les rapports concernant la situation de S.F. et de L.
31. Dans un envoi du 21 octobre 2009, le tribunal d’Aachen adressa au tribunal les documents sollicités.
Il lui fit ainsi parvenir un rapport établi le 31 juillet 2009 par le service d’assistance aux mineurs de la ville d’Aachen. S’agissant de la situation de S.F. en Allemagne, ce rapport indiquait que celle-ci était sans emploi et vivait des subventions de l’État, que L. vivait avec sa mère dans de bonnes conditions matérielles, qu’elle était inscrite dans un jardin d’enfants depuis juin 2008, qu’elle suivait des cours de portugais et que les liens avec sa mère étaient très solides.
Il lui transmit aussi un rapport du 9 février 2009 établi par le pédopsychiatre qui suivait L. en Allemagne. Ce rapport indiquait ce qui suit :
– l’enfant avait déjà suivi dix séances de pédagogie thérapeutique, dont il serait ressorti qu’elle ne souhaitait pas parler de son père ;
– elle ne faisait pas montre de tensions au niveau psychologique ;
– S.F. avait fait part de son inquiétude par rapport à la situation de sa fille et avait évoqué au sujet de celle-ci des cauchemars, des peurs et des difficultés d’intégration au jardin d’enfants.
Des lettres de l’avocat de S.F. furent également transmises au tribunal de Lisbonne. Dans l’une d’elles, datant du 8 octobre 2009, l’avocat alléguait que sa cliente avait été contrainte de quitter le Portugal en raison de menaces et d’un comportement violent de son ex-compagnon à son égard.
32. Le 26 février 2010, le tribunal porta ces éléments à la connaissance du requérant. Il décida aussi d’entendre les témoins proposés par ce dernier et son ex-compagne, limitant leur nombre à huit et ordonnant que la possibilité de recourir à des vidéoconférences soit explorée dans le cas des témoins résidant à l’étranger. Par ailleurs, il considéra qu’il n’y avait pas lieu de soumettre les parents de L. à des expertises psychiatriques au motif que les rapports sociaux versés au dossier ne permettaient pas de penser qu’ils souffraient d’une quelconque pathologie au niveau psychiatrique. Il ordonna la désignation d’un interprète de langue allemande devant être présent aux audiences et il requit l’audition de S.F. par vidéoconférence.
33. Le 30 avril 2010, S.F., informant le tribunal du changement d’adresse de plusieurs de ses témoins, demanda un délai supplémentaire susceptible de lui permettre de rassembler leurs nouvelles coordonnées.
34. Le 1er octobre 2010, S.F. n’ayant pas communiqué les adresses en question en dépit de plusieurs rappels du tribunal, celui-ci jugea qu’il n’y avait pas lieu d’entendre les témoins résidant à l’étranger, exception faite de ceux résidant en Allemagne.
35. Le tribunal tint sa première audience le 15 février 2011. Des audiences furent également tenues le 1er mars et les 5, 10 et 18 mai 2011. Elles eurent lieu en l’absence de S.F., qui ne se fit pas non plus représenter par un avocat.
36. Le 16 mars 2012, le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne prononça son jugement. Dans sa décision, il releva ce qui suit :
– la relation entre le requérant et S.F. était devenue particulièrement conflictuelle ;
– tous deux avaient été condamnés pour conduite en état d’ébriété ;
– l’un et l’autre disposaient des conditions requises pour prendre soin de l’enfant ;
– dès lors que, en accord avec le père de l’enfant, la requérante s’était occupée exclusivement de L. jusqu’aux 3 ans de celle-ci, si la demande d’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale avait été introduite pendant cette période, où S.F. résidait au Portugal, la garde de l’enfant aurait probablement été attribuée à S.F. ;
– S.F. s’était installée en Allemagne, en violation de la décision judiciaire qui lui interdisait de faire sortir l’enfant du territoire sans l’autorisation du tribunal (paragraphe 10 ci-dessus) ;
– S.F. vivait en Allemagne dans de bonnes conditions matérielles et bénéficiait de l’aide de l’État tout en effectuant ponctuellement des travaux de traduction ;
– L. était bien intégrée dans son école et n’avait pas soulevé d’inquiétude au cours de son suivi par un pédopsychiatre ;
– le requérant ne voyait plus son enfant depuis le 7 mai 2008.
37. Quant au déplacement de l’enfant, le tribunal considéra qu’il était illicite au regard de l’article 3 de la Convention de La Haye (paragraphe 65 ci-dessus) et de l’article 2 § 11 du Règlement no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 (paragraphe 67 ci-dessus), au motif que l’enfant avait sa résidence habituelle au Portugal et que les deux parents exerçaient conjointement l’autorité parentale. Il estima qu’en s’installant en Allemagne, sans l’autorisation du tribunal et contre la volonté du requérant, S.F. avait créé une situation de fait accompli. Il nota que, même s’il ne lui appartenait pas de statuer à ce sujet, il était important de mentionner cet élément.
Il considéra encore que, même si elle avait toujours dit qu’elle ne s’opposait pas au maintien des liens du requérant avec L., S.F. avait toujours adopté l’attitude inverse, allant jusqu’à empêcher tout contact entre eux.
Néanmoins, à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant, il estima qu’une nouvelle séparation pouvait constituer un risque pour le développement émotionnel et psychologique de L. Il attribua donc la garde de l’enfant à sa mère. Le requérant se vit, quant à lui, accorder un droit de visite lors de tout déplacement en Allemagne, à condition de ne pas perturber les routines de l’enfant. Par ailleurs, le tribunal décida que l’enfant passerait ses vacances et le jour de son anniversaire à répartition égale avec son père et sa mère. Il fixa finalement la pension alimentaire à 300 EUR par mois, avec effet rétroactif à compter de la date de l’introduction de l’action.
38. À une date non spécifiée, le requérant fit appel du jugement, présentant notamment les arguments suivants :
– le tribunal n’avait pas suffisamment pris en considération que, en partant s’installer en Allemagne, S.F. avait perturbé L. ;
– il avait aussi omis de prendre en compte que, avant son déplacement illicite, L. avait vécu des moments heureux avec ses deux parents ;
– l’attribution de la garde à S.F. se fondait sur des rapports remontant à juillet 2009 ; or ces rapports indiquaient que celle-ci n’exerçait aucune activité professionnelle et qu’elle dépendait de l’aide de l’État ; par conséquent, le jugement du tribunal, dans lequel il aurait été considéré qu’elle disposait de bonnes conditions matérielles, était critiquable ;
– l’exercice de son droit de visite était voué à l’échec en raison du manque de collaboration de S.F. ;
– en fixant l’obligation d’une pension alimentaire avec effet rétroactif à compter de la date d’introduction de l’action, le tribunal a méconnu qu’il avait subvenu aux besoins de S.F. et de sa fille jusqu’au départ de celles-ci vers l’Allemagne.
39. Par un arrêt du 10 octobre 2013, la cour d’appel de Lisbonne confirma le jugement rendu par le tribunal. Tout d’abord, elle considéra que, même si les éléments sur lesquels se fondait le jugement remontaient à 2009, la procédure avait déjà duré trop longtemps et qu’on ne pouvait la laisser se prolonger davantage. Elle indiqua en outre qu’il s’agissait des seuls éléments dont disposait le tribunal, les parties n’en ayant pas fourni d’autres alors même que, selon la cour d’appel, elles auraient pu le faire. Elle nota de plus que S.F. s’était installée en Allemagne aux motifs qu’elle était sans emploi et que le requérant aurait cessé de lui apporter un soutien financier. Elle ajouta qu’il n’avait pas été prouvé que S.F. avait empêché le requérant de voir sa fille depuis son installation en Allemagne. Elle confirma l’attribution de la garde de l’enfant à S.F., les modalités de visite établies par le tribunal de Lisbonne ainsi que le montant de la pension alimentaire, indiquant toutefois que celle-ci n’était due qu’à partir du 8 mai 2008, date à partir de laquelle le requérant aurait cessé de soutenir financièrement S.F.
B. La procédure de retour fondée sur la Convention de La Haye
40. Le 28 mai 2008, le requérant formalisa sa requête auprès de la DGRS (paragraphe 28 ci-dessus) en vue d’obtenir le retour de sa fille au Portugal.
41. Par une lettre du 2 juin 2008, la DGRS demanda au tribunal de lui faire parvenir une copie de la décision concernant l’attribution de la garde de L. et la dévolution de l’exercice de l’autorité parentale. À une date non spécifiée, le tribunal lui transmit sa décision du 7 mai 2007, par laquelle il avait interdit à S.F. de sortir du territoire portugais avec sa fille sans l’autorisation du tribunal (paragraphe 10 ci-dessus).
42. Le 1er juillet 2008, le requérant adressa une lettre à la médiatrice du Parlement européen pour les enfants victimes d’enlèvement parental transfrontalier et, en l’absence de réponse, il réitéra sa demande le 13 février 2009.
43. Le 10 juillet 2008, la DGRS adressa à son homologue allemand une requête demandant le retour de l’enfant sur le fondement de la Convention de La Haye. Elle y annexa la décision du tribunal aux affaires familiales de Lisbonne du 7 mai 2007 interdisant à S.F. de faire sortir L. du territoire portugais sans autorisation judiciaire.
44. Dans une lettre datée du 21 juillet 2008, l’autorité centrale allemande accusa réception de cette requête. Elle indiqua à l’autorité centrale portugaise qu’elle allait entreprendre des démarches en vue de la localisation de l’enfant et qu’elle souhaitait savoir si elle devait écrire à S.F. en lui demandant si elle acceptait de ramener volontairement l’enfant au Portugal. Elle l’informa aussi que, si cette tentative venait à échouer, le requérant devrait saisir les instances judiciaires. Elle indiqua qu’à cette fin il devait se faire représenter par un avocat et que, s’il le souhaitait, l’autorité centrale allemande pouvait l’assister dans ce sens moyennant le paiement de 1 500 EUR. Elle précisa en outre qu’il pouvait solliciter le bénéfice de l’aide juridictionnelle. La DGRS transmit ces informations au requérant le 28 juillet 2008, lui demandant s’il était d’accord avec l’engagement de démarches en vue d’une remise volontaire de sa fille. Par une lettre du 22 août 2008, le requérant donna son accord en ce sens, dénonçant par ailleurs dans la même lettre le retard qui aurait été pris par la DGRS dans le cadre de la procédure relative au retour de sa fille.
45. Le 22 septembre 2008, la DGRS informa le requérant que S.F. s’était opposée à la remise volontaire de L. et qu’il devait à présent s’adresser aux juridictions allemandes, ce à quoi le requérant s’opposa par une lettre du 26 septembre 2008. Il y indiquait qu’il ne reconnaissait aucune compétence aux autorités judiciaires allemandes pour statuer sur la responsabilité parentale à l’égard de sa fille.
46. Le 17 octobre 2008, la DGRS invita le requérant soit à mandater un avocat soit à solliciter l’assistance judiciaire en Allemagne. Elle informa le tribunal le 31 octobre 2008 que la procédure tendant au retour de l’enfant était en attente d’une réponse du requérant à cet égard.
47. Le 20 janvier 2009, en réponse à plusieurs relances de la DGRS, le requérant répliqua qu’était en cause la reconnaissance par les tribunaux allemands de la situation de rétention illicite de L. en Allemagne, telle qu’elle aurait été reconnue le 15 mai 2008 par le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne (paragraphe 28 ci-dessus).
48. Le 17 avril 2009, l’autorité centrale allemande informa la DGRS qu’aucune procédure n’était pendante en Allemagne concernant l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale à l’égard de L. Elle rappela qu’il incombait au requérant de nommer un avocat afin de déclencher la procédure judiciaire tendant au retour de L. Le 8 mai 2009, la DGRS transmit cette information au requérant, et le relança à ce sujet le 24 juin et le 1er septembre 2009.
49. Le 19 octobre 2009, le requérant informa la DGRS qu’il maintenait son intérêt à voir progresser la procédure tendant au retour de sa fille et lui reprocha l’absence de communication au tribunal de toute information à cet égard depuis juin 2008.
50. Le 14 décembre 2009, la DGRS indiqua au requérant que, s’il ne désignait pas un avocat en Allemagne, la procédure visant le retour de sa fille serait clôturée.
51. Le 22 décembre 2009, le requérant répondit qu’il maintenait un intérêt dans la procédure de retour, que seuls les tribunaux portugais étaient compétents pour statuer sur la question de l’exercice de l’autorité parentale et qu’il était donc en attente du jugement du tribunal aux affaires familiales de Lisbonne.
52. Le 18 mars 2010, l’autorité centrale allemande demanda à nouveau à la DGRS si le requérant désirait maintenir ouverte la procédure de retour et s’il existait une décision des tribunaux portugais quant à l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale.
53. Par une lettre du 22 avril 2010, le requérant demanda à la DGRS si une procédure judiciaire était en cours en Allemagne et, dans l’affirmative, quelle en était la nature.
54. Le 25 mai 2010, l’autorité centrale allemande demanda à la DGRS si le requérant souhaitait uniquement poursuivre la procédure concernant l’autorité parentale au Portugal, précisant que, dans l’affirmative, la procédure de retour serait clôturée.
55. Par une lettre adressée à la DGRS le 30 juin 2010, le requérant déclara qu’il ne souhaitait l’instauration d’aucune procédure en Allemagne afin d’éviter que la compétence du tribunal aux affaires familiales de Lisbonne fût écartée. Il soutenait toutefois que la procédure visant le retour de sa fille devait rester ouverte en Allemagne en attendant la décision du tribunal sur l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale et sur l’attribution de la garde de son enfant.
56. Le 19 juillet 2010, le requérant s’adressa une nouvelle fois à la DGRS. Il se plaignait d’un dépassement du délai de six mois, selon lui prévu à l’article 11 § 3 du Règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (paragraphe 67 ci-dessus), pour obtenir une décision sur une demande de retour. Il priait donc la DGRS de demander d’office à l’autorité centrale allemande d’instaurer une procédure judiciaire visant au retour de sa fille. Il ajoutait à cet égard que le caractère illégal du déplacement de celle-ci avait déjà été reconnu par le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne. Le 26 juillet 2010, la DGRS transmit ces éléments à son homologue allemand.
57. Le 26 juillet 2010, le requérant demanda à la DGRS de l’assister dans le cadre de la requête qu’il avait adressée à la médiatrice du Parlement européen pour les enfants victimes d’enlèvement parental transfrontalier (paragraphe 42 ci-dessus). Il déclara par ailleurs qu’il refusait l’intervention de l’organisation MIKK en vue d’une médiation familiale qu’aurait suggérée l’autorité centrale allemande le 25 juin 2010.
58. Le 9 août 2010, l’autorité centrale allemande informa la DGRS que le retour de l’enfant ne pouvait être ordonné que par un tribunal. Elle lui rappela que, à cette fin, le requérant devait nommer un avocat ou demander l’assistance judiciaire s’il n’avait pas les moyens de payer les honoraires. Cette information fut portée à la connaissance du requérant le 13 août 2010. Ce dernier fut relancé à ce sujet par la DGRS le 13 octobre et le 25 novembre 2010. Faute de réponse du requérant, l’autorité centrale allemande informa celui-ci, le 24 novembre 2010, qu’elle allait clôturer la procédure de retour. Le 2 décembre 2010, le requérant répondit qu’il incombait à l’autorité centrale allemande de déclencher la procédure de retour devant les tribunaux allemands.
59. Le 12 janvier 2011, le requérant informa la DGRS qu’il venait d’entreprendre des démarches pour nommer un avocat en Allemagne.
60. Le 24 mai 2011, l’autorité centrale allemande informa la DGRS que, en l’absence de nouvelles du requérant, elle allait clôturer la procédure de retour.
61. Le 1er juin 2011, la DGRS demanda au requérant s’il avait ou non introduit sa demande devant les tribunaux allemands. En réponse, le 26 juin 2011, celui-ci pria la DGRS d’attendre la décision du tribunal aux affaires familiales de Lisbonne.
62. Le 18 juillet 2011, l’autorité centrale allemande informa son homologue portugais qu’elle maintiendrait ouverte la procédure de retour pendant encore six mois.
63. Le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne donna connaissance de son jugement du 16 mars 2012 (paragraphe 36 ci-dessus) à la DGRS. Celle-ci clôtura ensuite la procédure de retour et en informa l’autorité centrale allemande.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
64. Au moment des faits, l’article 147-D de la loi sur les mineurs (Organização tutelar de menores), adoptée par le décret-loi no 314/78 du 27 octobre 1978, dans sa rédaction issue de la loi no 133/99 du 28 août 1999, se lisait comme suit :
« 1. À tout stade de la procédure, lorsque cela est jugé approprié, notamment dans une procédure visant l’aménagement de l’exercice l’autorité parentale, le juge peut d’office, avec l’accord des intéressés ou à la demande de ces derniers, ordonner l’intervention de services publics ou privés de médiation.
2. Le juge homologue l’accord obtenu par voie de médiation si celui-ci répond à l’intérêt du mineur. »
III. LE DROIT ET LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants
65. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, ratifiée par le Portugal le 29 septembre 1983, sont exposées dans X c. Lettonie ([GC], no 27853/09, §§ 34-35, CEDH 2013).
À celles-ci, il convient d’ajouter les dispositions suivantes :
Article 7
« Les Autorités centrales doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs États respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants et réaliser les autres objectifs de la présente Convention.
En particulier, soit directement, soit avec le concours de tout intermédiaire, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées :
a) pour localiser un enfant déplacé ou retenu illicitement ;
b) pour prévenir de nouveaux dangers pour l’enfant ou des préjudices pour les parties concernées, en prenant ou faisant prendre des mesures provisoires ;
c) pour assurer la remise volontaire de l’enfant ou faciliter une solution amiable ;
d) pour échanger, si cela s’avère utile, des informations relatives à la situation sociale de l’enfant ;
e) pour fournir des informations générales concernant le droit de leur État relatives à l’application de la Convention ;
f) pour introduire ou favoriser l’ouverture d’une procédure judiciaire ou administrative, afin d’obtenir le retour de l’enfant et, le cas échéant, de permettre l’organisation ou l’exercice effectif du droit de visite ;
g) pour accorder ou faciliter, le cas échéant, l’obtention de l’assistance judiciaire et juridique, y compris la participation d’un avocat ;
h) pour assurer, sur le plan administratif, si nécessaire et opportun, le retour sans danger de l’enfant ;
i) pour se tenir mutuellement informées sur le fonctionnement de la Convention et, autant que possible, lever les obstacles éventuellement rencontrés lors de son application. »
Article 9
« Quand l’Autorité centrale qui est saisie d’une demande en vertu de l’article 8 a des raisons de penser que l’enfant se trouve dans un autre État contractant, elle transmet la demande directement et sans délai à l’Autorité centrale de cet État contractant et en informe l’Autorité centrale requérante ou, le cas échéant, le demandeur. »
Article 15
« Les autorités judiciaires ou administratives d’un État contractant peuvent, avant d’ordonner le retour de l’enfant, demander la production par le demandeur d’une décision ou d’une attestation émanant des autorités de l’État de la résidence habituelle de l’enfant constatant que le déplacement ou le non-retour était illicite au sens de l’article 3 de la Convention, dans la mesure où cette décision ou cette attestation peut être obtenue dans cet État. Les Autorités centrales des États contractants assistent dans la mesure du possible le demandeur pour obtenir une telle décision ou attestation. »
66. Le Rapport explicatif sur la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, rédigé par Madame Elisa Pérez-Vera et publié en 1982, expose ce qui suit dans ses parties pertinentes en l’espèce :
« (...)
Article 3 – Le caractère illicite d’un déplacement ou d’un non-retour
 
b L’élément juridique
(...)
71. Tout en ajournant l’étude de la personne qui peut être titulaire d’un droit de garde au commentaire de l’article 4 sur le domaine d’application ratione personae de la Convention, il convient d’insister ici sur le fait qu’on s’est proposé de protéger toutes les modalités d’exercice de la garde d’enfants. En effet, aux termes de l’article 3, le droit de garde peut avoir été attribué, seul ou conjointement, à la personne qui demande qu’on en respecte l’exercice. Il ne pouvait en être autrement à une époque où les législations internes introduisent progressivement la modalité de la garde conjointe, considérée comme la mieux adaptée au principe général de la non-discrimination à raison du sexe. D’ailleurs, la garde conjointe n’est pas toujours une garde ex lege, dans la mesure où les tribunaux se montrent de plus en plus favorables, si les circonstances le permettent, à partager entre les deux parents les responsabilités inhérentes au droit de garde. Or, dans l’optique adoptée par la Convention, le déplacement d’un enfant par l’un des titulaires de la garde conjointe, sans le consentement de l’autre titulaire, est également illicite ; ce caractère illicite proviendrait, dans ce cas précis, non pas d’une action contraire à la loi, mais du fait qu’une telle action aurait ignoré les droits de l’autre parent, également protégé par la loi, et interrompu leur exercice normal. La véritable nature de la Convention apparaît plus clairement dans ces situations: elle ne cherche pas à établir à qui appartiendra dans l’avenir la garde de l’enfant, ni s’il s’avérera nécessaire de modifier une décision de garde conjointe rendue sur la base de données qui ont été altérées par la suite ; elle essaie plus simplement d’éviter qu’une décision ultérieure à cet égard puisse être influencée par un changement des circonstances introduit unilatéralement par l’une des parties.
(...)
Article 7 – Obligations des Autorités centrales
96. Dans les cas où l’Autorité centrale ne peut pas saisir directement les autorités compétentes dans son propre État, elle doit accorder ou faciliter au demandeur l’obtention de l’assistance judiciaire, aux termes de l’article 25 (lettre g). Il convient de préciser très brièvement que l’expression « le cas échéant » dans ce sous-alinéa fait référence à la carence de ressources économiques du demandeur, sur la base des critères établis par la loi de l’État où cette assistance est sollicitée ; elle ne fait donc pas allusion à des considérations abstraites sur la convenance ou non de l’octroyer.
(...) »
B. Règlement no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003
67. Les dispositions pertinentes en l’espèce du Règlement no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale sont indiquées dans Karoussiotis c. Portugal (no 23205/08, § 47, CEDH 2011).
C. Autres dispositions pertinentes
68. La Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe no Rec (98)1 sur la médiation familiale, adoptée le 21 janvier 1998, se réfère au nombre croissant de litiges familiaux, particulièrement ceux qui résultent d’une séparation ou d’un divorce. Notant les conséquences préjudiciables des conflits pour les familles, le texte recommande aux États membres d’instituer ou de promouvoir la médiation familiale ou, le cas échéant, de renforcer la médiation existante. Selon l’alinéa 7 de la Recommandation, le recours à la médiation familiale peut « améliorer la communication entre les membres de la famille, réduire le conflit entre les parties en présence, produire des accords à l’amiable, assurer la continuité des liens personnels entre les parents et les enfants, réduire les coûts financiers et sociaux de la séparation et du divorce pour les parties elles-mêmes et pour les États ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
69. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant reproche aux autorités portugaises de ne pas avoir fait preuve de diligence pour statuer au sujet de sa demande d’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale à l’égard de sa fille et celle fondée sur la Convention de la Haye. Sous l’angle de cette même disposition, il dénonce aussi la décision du tribunal aux affaires familiales de Lisbonne d’attribuer la garde de sa fille à son ex-compagne, voyant dans cette décision une atteinte à son droit de développer des liens avec son enfant.
70. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les Gouvernements. En vertu du principe jura novit curia, elle a, par exemple, examiné d’office des griefs sous l’angle d’un article ou d’un paragraphe que les parties n’avaient pas invoqué. Un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (Radomilja et autres v. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 114 et 126, CEDH 2018). À la lumière de ces principes, la Cour estime que la requête se prête à être analysée sous l’angle de l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Fourkiotis c. Grèce, no 74758/11, § 44, 16 juin 2016, et les références qui y sont citées), qui est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Quant à la procédure fondée sur la Convention de la Haye
1. Thèses des parties
71. Le requérant allègue que l’inertie des autorités portugaises a contribué à l’impossibilité pour lui d’obtenir le retour de sa fille au Portugal. Il expose ensuite avoir toujours dénié aux tribunaux allemands la compétence nécessaire pour statuer sur la question de l’exercice de l’autorité parentale à l’égard de L., après l’échec de la tentative de retour volontaire qui aurait été faite par l’autorité centrale allemande. D’après lui, accepter l’intervention des tribunaux allemands aurait pu être interprété comme une renonciation à la reconnaissance de la compétence des tribunaux portugais. Il dit n’avoir jamais reçu d’assurances de la DGRS sur ce point. C’est pour cette raison qu’il aurait choisi d’attendre l’adoption de la décision par le tribunal de Lisbonne et qu’il aurait demandé à plusieurs reprises à la DGRS de ne pas clôturer la procédure de retour.
72. Le Gouvernement soutient que la stagnation de la procédure engagée par le requérant en vue du retour de sa fille au Portugal est imputable à l’intéressé lui-même. Selon le Gouvernement, en effet, après l’échec des tentatives de retour volontaire, la procédure judiciaire menée devant les tribunaux allemands sur le fondement de la Convention de La Haye lui imposait de se faire représenter par un avocat ou de demander le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Or, le requérant aurait toujours refusé de prendre des mesures en ce sens, estimant que la procédure aurait dû être déclenchée d’office. De plus, le Gouvernement indique que le requérant a finalement choisi d’attendre l’issue de la procédure devant le tribunal de Lisbonne. Il en déduit que l’échec de la procédure tendant au retour de L. ne peut être imputé aux autorités portugaises.
2. L’appréciation de la Cour
a) Rappel des principes
73. Les principes portant sur la question du rapport entre la Convention, la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, sur la question de l’intérêt supérieur de l’enfant et sur la question des obligations procédurales des États découlant de l’article 8 de la Convention sont exposés dans X. c. Lettonie ([GC], no 27853/09, §§ 93-102, CEDH 2013), et Neulinger et Shuruk c. Suisse ([GC], no 41615/07, §§ 131-140, CEDH 2010), ainsi que dans de nombreuses affaires portant sur les procédures de retour fondées sur la Convention de La Haye (voir, notamment, Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 68, 6 décembre 2007, Karoussiotis c. Portugal, no 23205/08, §§ 80-85, CEDH 2011, et Phostira Efthymiou et Ribeiro Fernandes c. Portugal, no 66775/11, §§ 42-44, 5 février 2015).
74. En tenant compte de ces principes et des griefs du requérant, il s’agit de savoir si les autorités portugaises ont agi avec la diligence voulue dans le cadre de la procédure fondée sur la Convention de La Haye (paragraphes 40-63 ci-dessus).
b) Application à la présente espèce
75. À titre liminaire, la Cour rappelle qu’en dépit de leurs liens intrinsèques, la procédure de retour et la procédure relative à l’exercice de l’autorité parentale étaient de nature distincte. En effet, à la différence de ce que le requérant semble avoir compris, un tribunal saisi d’une demande de retour ne tranche pas des questions relevant de l’exercice des droits parentaux ou du statut personnel de l’enfant : il examine simplement, au regard de tous les éléments du dossier, si le déplacement de l’enfant ou son non-retour peut être qualifié d’« illicite », au sens de la Convention de La Haye (Eskinazi et Chelouche c. Turquie (déc.), no 14600/05, CEDH 2005‑XIII (extraits)). Le paragraphe 71 du rapport explicatif de la Convention de La Haye souligne que l’objectif de cette Convention n’est pas d’établir à qui appartiendra dans l’avenir la garde de l’enfant, mais simplement d’éviter qu’une situation de garde puisse être influencée par un changement des circonstances introduit unilatéralement par l’une des parties (paragraphe 66 ci-dessus).
76. Ensuite, la Cour observe que les griefs du requérant sont portés uniquement à l’encontre du Portugal qui, par rapport à la procédure de retour, avait qualité d’État requérant au sens de la Convention de La Haye. Partant de ce constat, elle est d’avis qu’aucun élément du dossier ne laisse penser que les autorités administratives et judiciaires portugaises, plus précisément la DGRS, en qualité d’autorité centrale, et le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne, n’ont pas rempli les obligations qui leur incombaient en vertu des articles 7, 9 et 15 de cette convention. Il s’agit notamment des obligations tendant à localiser la fille du requérant, à fournir à celui-ci des informations au sujet des démarches à entreprendre pour qu’il puisse obtenir son retour au Portugal et à faire la médiation avec son homologue allemand (paragraphes 65 et 66 ci-dessus).
77. Ainsi, pour autant qu’il s’agit du tribunal aux affaires familiales de Lisbonne, la Cour relève que, ayant pris connaissance, le 12 mai 2008, du déplacement de l’enfant en Allemagne, le tribunal a appliqué une sanction contre S.F. pour désobéissance et il a immédiatement informé le requérant qu’il devait engager une procédure tendant au retour de L. au Portugal auprès de l’autorité centrale portugaise, à savoir la DGRS (paragraphe 28 ci-dessus). Il a également transmis à cette dernière, afin d’appuyer la demande de retour, la décision qui interdisait à S.F. de sortir du territoire avec sa fille sans l’autorisation du tribunal (paragraphe 41 ci-dessus).
78. La DGRS, quant à elle :
– a transmis, le 10 juillet 2008, la demande de retour à l’autorité centrale allemande après avoir reçu la décision du 7 mai 2007 du tribunal aux affaires familiales de Lisbonne concernant l’interdiction de sortie du territoire de l’enfant faite à S.F. (paragraphe 43 ci-dessus) ;
– a immédiatement informé le requérant que, si la remise volontaire de l’enfant par la mère venait à échouer, l’autorité centrale allemande serait contrainte de déclencher une procédure devant les juridictions allemandes et que, à cette fin, il lui incombait de désigner un avocat ou de solliciter le bénéfice de l’aide juridictionnelle (paragraphe 44 ci-dessus),
– a réitéré cette information au requérant après l’échec de la tentative de remise volontaire de l’enfant le 22 septembre 2008, le 17 octobre 2008, le 17 avril 2009, le 8 mai 2009, le 14 décembre 2009 et le 9 août 2010 (paragraphes 45, 46, 48, 50 et 58 ci-dessus).
Par conséquent, pour déclencher la procédure de retour devant les instances judiciaires, le demandeur aurait dû soit désigner lui-même un avocat soit demander la commission d’office d’un avocat au titre de l’aide juridictionnelle (paragraphes 65 et 66 ci-dessus).
79. Or, en dépit des rappels successifs qui lui ont été adressés, le requérant n’a rien fait à cet égard et a finalement choisi d’attendre l’issue de la procédure relative à l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale devant le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne. La Cour ne peut qu’en déduire qu’il est le seul responsable du non-avancement de cette procédure, les autorités administratives et judiciaires portugaises ayant fait tout ce qui était en leur pouvoir pour remplir les obligations qui leur incombaient au titre de la Convention de La Haye afin de favoriser le retour de la fille du requérant.
80. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que les allégations du requérant en ce qui concerne la procédure fondée sur la Convention de la Haye sont manifestement mal fondées et qu’elles doivent être rejetées, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
B. Quant à la procédure relative à l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale
1. Sur la recevabilité
81. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
2. Sur le fond
a) Thèse des parties
i. Le requérant
82. Le requérant allègue que l’inertie des autorités a contribué au déplacement illicite de sa fille par S.F. Il expose qu’il a introduit sa demande devant le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne le 23 avril 2007 en sollicitant un traitement urgent (paragraphe 8 ci-dessus). Or, selon le requérant, le tribunal a rendu son jugement au bout de plus de quatre ans et, de plus, en dépit des alertes qu’il aurait adressées au tribunal, celui-ci n’a pas adopté une mesure provisoire concernant l’exercice de l’autorité parentale. Aux yeux du requérant, la médiation familiale ou les démarches entreprises par le tribunal pour obtenir des informations sur la famille ne sauraient justifier les retards du tribunal.
83. Le requérant ajoute que, même après le déplacement de sa fille hors du Portugal, le tribunal n’a pas traité son dossier avec l’urgence que la situation aurait requise, et que cela a contribué à l’éloignement de sa fille et à la destruction de ses liens affectifs avec celle-ci. Il reproche en particulier au tribunal d’avoir eu recours à une commission rogatoire pour obtenir des autorités allemandes des informations au sujet de son ex-compagne et de sa fille. Selon lui, une telle démarche non seulement a retardé la procédure, mais en plus elle a rendu irréversible le déplacement de son enfant. Toujours d’après lui, en traitant sa cause avec un tel retard, y compris après le déplacement de sa fille, le tribunal a favorisé la prolongation de son séjour en Allemagne, à tel point que son intégration serait devenue un fait accompli qu’il ne pouvait plus que constater dans son jugement du 16 mars 2012 (paragraphe 36 ci-dessus), à son détriment. Le requérant se plaint aussi que la prise en considération de l’intégration de sa fille dans son nouvel environnement ait été faite en dépit de signalements – à ses yeux inquiétants – qui auraient été émis par les services sociaux allemands dans leur rapport du 31 juillet 2009 (paragraphe 31 ci-dessus), à savoir notamment que la famille vivait de subventions sociales et que sa fille était suivie par un pédopsychiatre.
84. Pour terminer, le requérant se plaint de l’impossibilité pour lui d’exercer son droit de visite à l’égard de sa fille au Portugal et en Allemagne.
ii. Le Gouvernement
85. Le Gouvernement estime que les autorités portugaises ont agi en l’espèce dans les limites de leurs compétences et qu’elles ont rempli avec diligence leurs obligations positives au regard de l’article 8 de la Convention pour garantir le droit au respect de la vie familiale du requérant. Il reconnaît que la procédure devant le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne a connu certains retards et qu’elle n’a pas répondu à la célérité attendue. Néanmoins, d’après le Gouvernement, il n’y a eu aucune interruption dès lors que les parties, le ministère public et le juge en charge de l’affaire seraient intervenus de manière constante. Le Gouvernement argue que le départ en Allemagne de S.F. avec sa fille, en infraction de l’ordre judiciaire lui interdisant de faire sortir l’enfant du territoire sans l’autorisation du tribunal, a perturbé l’avancement de la procédure, et qu’il a rendu difficile l’établissement des faits et la tenue des audiences. Le tribunal aurait été ainsi contraint d’ordonner des démarches plus complexes pour établir les faits, de demander la traduction de documents et de faire rechercher pour audition des témoins résidant à l’étranger. Le Gouvernement ajoute que, selon les dispositions de la loi portugaise, l’engagement du requérant et de son ex-compagne dans une procédure de médiation familiale a entraîné la suspension de la procédure d’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale.
86. Pour ce qui est de la rupture des contacts avec l’enfant, le Gouvernement indique que le requérant a décliné la possibilité de faire intervenir l’organisation MIKK (paragraphe 57 ci-dessus), spécialisée dans les affaires de médiation familiale en Allemagne. Or, d’après le Gouvernement, la médiation familiale était la solution appropriée eu égard à la situation de conflit récurrent existant entre le requérant et son ex-compagne. Dès lors, pour le Gouvernement, les autorités portugaises ne peuvent pas être tenues pour responsables de l’impossibilité pour le requérant de rendre visite à sa fille en Allemagne.
b) L’appréciation de la Cour
87. La Cour note que le requérant reproche principalement aux autorités portugaises de ne pas avoir agi avec diligence et célérité dans le cadre de la procédure engagée par lui en vue de l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale à l’égard de sa fille. Il tient les autorités portugaises pour responsables de l’éloignement de sa fille et leur reproche d’avoir statué sur sa cause en prenant en compte l’intégration de celle-ci en Allemagne.
88. Eu égard à la jurisprudence de la Cour (paragraphe 73 ci-dessus) et aux griefs soulevés par le requérant, la Cour estime que la question qui se pose en l’espèce est de savoir si les autorités portugaises ont pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles dans le cadre de la procédure visant à l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale (paragraphes 8-39 ci-dessus). Plus particulièrement, il s’agit de savoir si les autorités portugaises ont agi efficacement et promptement pour assurer le droit au respect de la vie familiale du requérant, le caractère adéquat des mesures prises par les autorités se jugeant en particulier à la rapidité de leur mise en œuvre (Maire c. Portugal, no 48206/99, § 74, CEDH 2003‑VII). Pour ce faire, la Cour distinguera dans son analyse la période antérieure au déplacement de l’enfant et celle qui lui est postérieure.
i. Période antérieure au déplacement de l’enfant
89. Avant tout, la Cour note que L. a vécu au Portugal sous le même toit que ses parents jusqu’au 11 avril 2008, autrement dit jusqu’à l’âge de 4 ans et 4 mois (paragraphes 5 et 21 ci-dessus).
90. Elle relève que, le 23 et le 26 avril 2007, le requérant et S.F. ont demandé au tribunal aux affaires familiales de Lisbonne d’aménager l’exercice de l’autorité parentale par rapport à leur fille compte tenu du conflit croissant qui les opposait, et ce alors qu’ils vivaient toujours sous le même toit (paragraphes 8 et 9 ci-dessus). Par une décision du 7 mai 2007, le tribunal a décidé qu’il n’était pas en mesure de le faire au motif qu’il ne disposait pas des éléments nécessaires. Il a toutefois interdit à S.F. de quitter le territoire avec sa fille sans autorisation judiciaire (paragraphe 10 ci-dessus). Le tribunal a ensuite demandé une enquête sociale et, le 11 juin 2007, il a tenu une audience de conciliation avec le requérant et S.F. (paragraphes 11 et 12 ci-dessus), qui n’a pas abouti à un accord entre les parents de l’enfant. Le tribunal a alors invité ceux-ci à présenter leurs réquisitions, ce qu’ils ont fait le 25 et le 27 juin 2007 (paragraphes 13 et 14 ci-dessus).
91. Même s’il a reçu, le 31 août 2007, le rapport des services sociaux (paragraphe 15 ci-dessus), le tribunal n’a pris aucune décision provisoire malgré une nouvelle demande que le requérant a présentée en ce sens le 3 septembre 2007. Il a néanmoins tenté de concilier les parties en leur proposant une médiation familiale, qu’ils ont tous deux acceptée (paragraphes 16, 17, 18 et 19 ci-dessus). Une telle approche répond à la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe no Rec (98)1 sur la médiation familiale, aux termes de laquelle le recours à la médiation familiale peut « améliorer la communication entre les membres de la famille, réduire le conflit entre les parties en présence, produire des accords à l’amiable, assurer la continuité des liens personnels entre les parents et les enfants, réduire les coûts financiers et sociaux de la séparation et du divorce pour les parties elles-mêmes et pour les États » (paragraphe 68 ci-dessus).
92. La Cour observe que le 12 mai 2008, un mois après l’échec de la médiation familiale, S.F. a décidé unilatéralement de s’installer en Allemagne avec L. (paragraphes 20 et 24 ci-dessus).
93. Certes, le tribunal savait que S.F. souhaitait s’établir en Allemagne. En effet, d’une part, il avait reçu des alertes du requérant. D’autre part, S.F. lui avait demandé d’autoriser sa fille à sortir du territoire et l’avait averti qu’elle résiderait désormais en Allemagne (paragraphe 22 ci-dessus). La Cour est néanmoins d’avis que le tribunal ne pouvait s’attendre à ce que cette dernière prît la décision d’enfreindre l’interdiction qu’il lui avait faite. En outre, elle estime que la fixation provisoire des responsabilités parentales n’aurait probablement pas pu empêcher ce déplacement.
94. Au vu de ces constatations, pour autant qu’il s’agit du déroulement de la procédure avant le départ de l’enfant, la Cour estime que le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne a pris toutes les mesures pratiques que l’on pouvait raisonnablement exiger de lui eu égard aux circonstances de l’espèce. L’ingérence dans le droit au respect de la vie familiale du requérant causée par le départ de sa fille en Allemagne ne peut donc être considérée comme le résultat d’une action ou d’une omission des autorités portugaises, mais uniquement comme celui du comportement de la mère de l’enfant (voir, mutatis mutandis, López Guió c. Slovaquie, no 10280/12, § 85, 3 juin 2014).
95. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 8 de la Convention pour la période antérieure au 12 mai 2008, date du départ de l’enfant.
96. Il reste maintenant à savoir si les autorités portugaises ont également rempli les obligations positives qui leur incombaient après ce déplacement, autrement dit si elles ont pris toutes les mesures nécessaires en vue d’assurer la réunion du requérant à sa fille (Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 1679/96, §§ 94-95, CEDH 2000‑I).
ii. Période postérieure au déplacement de l’enfant
97. En l’espèce, la Cour notre que L. a été emmenée par sa mère en Allemagne alors que la procédure qui visait à l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale à son égard était pendante devant le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne. Cette procédure s’est donc complexifiée en raison de la tournure transfrontalière qu’a prise l’affaire.
98. La Cour observe que le requérant conteste l’attribution du droit de garde de sa fille à S.F., reprochant aux juridictions portugaises d’avoir omis de prendre en considération des éléments en défaveur de son ex-compagne et d’avoir statué sur le fond de la cause en prenant en compte l’intégration de sa fille en Allemagne alors que cette intégration était, à ses dires, la conséquence de leur inertie.
99. De l’analyse de la présente espèce, il ne ressort aucun élément laissant penser que le processus décisionnel n’a pas été équitable et que le tribunal n’a pas examiné la situation familiale de manière approfondie en mettant en balance les intérêts concurrents présents et en faisant primer l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour note que le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne a apprécié les divers moyens de preuve et dûment motivé sa décision. De plus, la décision litigieuse a été prise à l’issue d’une procédure contradictoire, au cours de laquelle le requérant, représenté par son avocate, a pu présenter les observations et moyens qu’il a estimé nécessaires ainsi que des arguments à l’appui de sa thèse. Il n’apparaît pas que cette juridiction ait tiré des conclusions arbitraires des faits qui lui étaient soumis ou qu’elle aurait dépassé les limites d’une interprétation raisonnable des dispositions légales applicables au cas d’espèce.
100. Il est vrai que l’écoulement du temps a incontestablement pesé sur la décision du tribunal d’attribuer la garde de L. à sa mère. Cependant, sur ce point, la Cour rappelle avoir, dans l’arrêt Neulinger et Shuruk (précité, §§ 145-147), souligné l’importance du facteur « temps » pour juger du respect de l’article 8 de la Convention en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Aux yeux de la Cour, le nouvel enracinement de L. en Allemagne, découlant de son non-retour au Portugal, était un élément clé que le tribunal devait prendre en considération, d’autant plus que le déplacement de L. par sa mère remontait à plusieurs années. Ensuite, le bilan de l’enquête sociale envoyé le 21 octobre 2009 au tribunal de Lisbonne par les autorités allemandes, comprenant le rapport d’un pédopsychiatre, indiquait que L. était bien intégrée dans son nouvel environnement (paragraphe 31 ci-dessus). Pour finir, la Cour note que le tribunal n’a pas omis de prendre en considération la situation de la famille avant le déplacement, qu’il a notamment relevé que S.F. s’était occupée à temps plein de sa fille jusqu’aux 3 ans de celle-ci (paragraphe 36 ci-dessus). Dès lors, eu égard aux circonstances particulières de la cause et à la marge d’appréciation dont jouissent les autorités internes en la matière, la Cour ne voit aucune raison de remettre en cause la décision des juridictions portugaises en ce qui concerne l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale du requérant par rapport à sa fille.
101. S’agissant de la durée de la procédure, comme la Cour l’a déjà relevé au paragraphe 90 ci-dessus, la demande visant à l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale a été introduite devant le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne le 23 avril 2007 par le requérant et le 26 avril 2007 par S.F. Cette procédure a été conclue par un jugement du tribunal du 16 mars 2012, confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 10 octobre 2013 (paragraphes 36 et 39 ci-dessus). Elle a ainsi duré six ans, cinq mois et vingt jours, pour deux niveaux de juridiction, ce qui est incontestablement long, de surcroît pour ce type de procédure qui requiert une certaine célérité, le passage du temps pouvant avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit plus avec lui (Ignaccolo-Zenide, précité, § 102). La Cour rappelle également que la durée des procédures concernant les enfants acquiert une signification particulière, car elles se situent dans un domaine où un retard risque de trancher en fait le problème en litige (voir, notamment, H. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, §§ 89-90, série A no 120, et P.F. c. Pologne, no 2210/12, § 56, 16 septembre 2014).
102. Certes, comme la Cour l’a déjà dit ci-dessus, les autorités portugaises ne peuvent être tenues pour responsables du déplacement de l’enfant (paragraphe 94 ci-dessus), pas plus que pour son non-retour (paragraphe 79 ci-dessus). Un traitement plus rapide de la cause par les juridictions après le déplacement de l’enfant aurait néanmoins permis au requérant de voir sa situation définie et ses droits reconnus par rapport à sa fille, voire de lui permettre d’employer des moyens pour les rendre effectifs en l’absence d’une coopération de son ex-compagne. Si le retard de la procédure causé par l’attente de la réponse à la commission rogatoire envoyée aux autorités allemandes ne saurait être imputé au tribunal, la Cour relève des lenteurs dont les juridictions portugaises sont entièrement responsables et par rapport auxquelles aucune justification n’a été apportée par le Gouvernement. La Cour note, par exemple, que le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne n’a rendu son jugement que le 16 mars 2012 alors que les audiences étaient terminées depuis le 18 mai 2011 (paragraphes 35 et 36 ci-dessus). Après avoir été saisie de l’appel du requérant, la cour d’appel de Lisbonne a rendu son arrêt le 18 octobre 2013, au bout d’un laps de temps de plus d’un an (paragraphe 39 ci-dessus).
103. Aux yeux de la Cour, les autorités portugaises sont donc responsables d’un retard de près de deux ans, et ce alors même que l’urgence du litige – le requérant n’avait plus vu sa fille depuis mai 2008 – réclamait la prise par les autorités de mesures visant à l’accélération de la procédure. D’après elle, à défaut de pouvoir statuer de façon plus rapide, le tribunal de Lisbonne aurait pu rendre une décision provisoire sur la base des éléments du dossier qui, du moins à partir de la réception du rapport des autorités allemandes, rendaient compte de la situation globale de la famille.
c) Conclusion
104. Au vu de ces constatations, la Cour estime que les autorités portugaises n’ont pas agi avec la diligence requise s’agissant de l’action portant sur l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale. Elles n’ont donc pas satisfait aux exigences procédurales inhérentes à l’article 8 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cet article de ce chef.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
105. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
106. Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi en raison du retard accusé par la procédure devant le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne et de la rupture de ses liens familiaux avec sa fille.
107. Le Gouvernement conteste la prétention du requérant, la jugeant surévaluée.
108. Eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue au paragraphe 104 ci-dessus, la Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral certain du fait de l’allongement de la durée de la procédure et l’incertitude dans laquelle il est resté en attendant une décision – y compris provisoire – des juridictions portugaises sur l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale par rapport à sa fille. Partant, elle décide d’octroyer au requérant la somme de 3 250 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
109. Le requérant demande également le remboursement de 14 062,50 EUR d’honoraires de son avocate, de 3 062,56 EUR de frais de traduction de divers documents et de 5 982,40 EUR de frais de justice, ces sommes se rapportant toutes aux procédures engagées au niveau interne.
110. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
111. La Cour rappelle que lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder au requérant le remboursement des frais et dépens qu’il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 159, CEDH 2010). Il faut aussi que se trouvent établis la réalité de ces frais, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI). Eu égard à la violation constatée en l’espèce (paragraphe 104 ci-dessus) et compte tenu des documents dont elle dispose, la Cour estime raisonnable la somme totale de 3 000 EUR pour tous les frais et dépens engagés en raison du manque de diligence des autorités portugaises dans le cadre de la procédure portant sur l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale, et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
112. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable pour autant qu’il s’agit des griefs portant sur la procédure visant l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale et irrecevable pour le surplus ;
 
2. Dit que, dans le cadre de la procédure visant l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention pour la période antérieure au 12 mai 2008 ;
 
3. Dit que, dans le cadre de la procédure visant l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention pour la période postérieure au 12 mai 2008 ;
 
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i. 3 250 EUR (trois mille deux cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
 
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 janvier 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Andrea TamiettiEgidijus Kūris
Greffier adjointPrésident
 
 

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