AFFAIRE FADI FAWZI TAHA c. ROUMANIE
Karar Dilini Çevir:
AFFAIRE FADI FAWZI TAHA c. ROUMANIE

 
 
 
QUATRIÈME SECTION
 
 
 
 
 
 
 
AFFAIRE FADI FAWZI TAHA c. ROUMANIE
 
(Requête no 261/14)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ARRÊT
 
 
STRASBOURG
 
29 janvier 2019
 
 
 
 
 
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
 

En l’affaire Fadi Fawzi Taha c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Paulo Pinto de Albuquerque, président,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 janvier 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 261/14) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant égyptien, M. Ahmed Fadl Allah Fadi Fawzi Taha (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 décembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me C. Boghină, avocate à Bucarest, jusqu’au 25 août 2016. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 9 mars 2015, les griefs concernant les articles 3 et 9 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1977 et réside au Caire.
5. Soupçonné de trafic de drogue, le requérant fut arrêté le 13 octobre 2010. Il fut par la suite condamné pénalement de ce chef.
A. Les conditions matérielles de détention du requérant
6. Du 18 octobre au 16 novembre 2010, le requérant fut incarcéré dans le dépôt de la police de Bucarest. Il fut ensuite transféré à la prison de Rahova. Le 10 février 2012, il fut transféré à la prison de Giurgiu, où il séjourna jusqu’au 3 janvier 2013, date à laquelle il fut transféré à la prison de Jilava. Le 4 juin 2015, il fut transféré à la prison de Găești.
7. Le requérant dénonce le surpeuplement, les conditions d’hygiène très précaires, la présence de différents parasites et l’insalubrité dans les locaux de la police de Bucarest et dans les prisons de Rahova, de Giurgiu et de Jilava. Il décrit les cellules comme étant très humides et très mal chauffées en hiver. Il déclare qu’il n’y avait pas d’eau à la prison de Giurgiu, surtout pendant l’été, et que l’eau n’était pas potable à la prison de Jilava.
8. Les informations fournies par le Gouvernement concernant les conditions de détention du requérant, fondées sur une lettre de la direction de l’administration nationale des pénitenciers (« l’ANP »), sont exposées aux paragraphes 9 à 14 ci-dessous. Pendant sa détention dans le dépôt de la police de Bucarest, le requérant avait partagé une cellule de 17,39 m² avec six autres détenus, bénéficiant ainsi d’un espace personnel de 2,48 m².
9. À la prison de Rahova, le requérant avait partagé une cellule de 19,58 m² avec sept autres détenus et une cellule de 24,59 m² avec neuf autres détenus ; il avait donc bénéficié d’un espace personnel de respectivement 2,44 m² et 2,45 m².
10. À la prison de Giurgiu, où il avait été incarcéré du 10 février au 18 juin 2012 et du 20 juin 2012 au 3 janvier 2013, le requérant avait partagé une cellule de 20,35 m² avec cinq autres détenus, bénéficiant ainsi d’un espace personnel de 3,39 m². Les détenus prenaient leurs repas dans leur cellule. Le requérant avait été détenu sous le régime dit « fermé » jusqu’au 18 décembre 2012, bénéficiant d’une promenade quotidienne d’une heure dans la cour de la prison. À partir du 18 décembre 2012, le requérant avait purgé sa peine sous le régime dit « semi-ouvert » ; outre la promenade quotidienne, il pouvait se déplacer sans être accompagné dans certains locaux communs de la prison. Pendant l’été, en raison d’une consommation d’eau très élevée, il y avait parfois une baisse du débit de l’eau courante. L’accès à l’eau chaude était assuré deux fois par semaine.
11. Pendant sa détention à la prison de Jilava, le requérant fut détenu dans plusieurs cellules qu’il partageait avec un nombre variable de détenus. Ainsi, du 3 janvier 2013 au 5 novembre 2014, il bénéficia d’un espace personnel allant de 1,24 m² à 2,24 m². Durant huit mois et deux semaines environ au cours de cette période – à savoir du 2 août 2013 au 24 avril 2014 – il occupa une cellule de 51,09 m² dotée de 36 lits et occupée par 35 détenus où il bénéficiait d’un espace personnel de 1,45 m².
12. Le 24 avril 2014, étant donné que, par un jugement du 16 avril 2014, le tribunal de première instance de Bucarest (« le tribunal de première instance ») avait constaté que le requérant ne bénéficiait pas d’un espace personnel suffisant (paragraphe 18 ci-dessous), ce dernier fut transféré dans une cellule dans laquelle il avait un espace personnel de 6 m².
13. Du 15 mai 2014 au 5 novembre 2014, le requérant fut transféré dans trois cellules différentes, où il bénéficia d’un espace personnel compris entre 2,2 m² et 2,24 m².
14. Le 5 novembre 2014, le requérant fut transféré successivement dans trois cellules différentes dans lesquelles son espace personnel était de 4,88 m², 6,22 m² et 4,56 m² respectivement. Selon les informations fournies par le Gouvernement, ces cellules avaient fait l’objet de travaux de rénovation en 2013 et en 2014 : les fenêtres avaient été remplacées par des fenêtres en PVC, le carrelage de la salle de bain avait été changé, les installations thermique et sanitaire avaient été réparées, et chaque cellule bénéficiait de sa propre salle d’eau récemment rénovée.
15. Le 24 mars 2016, le requérant fut remis en liberté et expulsé vers l’Égypte.
B. La plainte du requérant pour dénoncer ses conditions de détention à la prison de Jilava
16. Le requérant saisit le juge d’exécution des peines privatives de liberté délégué auprès de la prison de Jilava (« le juge délégué ») d’une plainte pour dénoncer ses conditions de détention dans cette prison du 2 août 2013 au 24 avril 2014, qu’il qualifiait de mauvaises (paragraphe 11 ci-dessus in fine).
17. Par un jugement du 28 janvier 2014, le juge délégué rejeta la plainte du requérant au motif que le surpeuplement dénoncé par celui-ci était un problème général du système pénitentiaire roumain qui devait être réglé par le pouvoir législatif et non par les tribunaux.
18. Par un jugement du 16 avril 2014, sur contestation du requérant, le tribunal de première instance cassa le jugement rendu par le juge délégué et estima que le requérant ne bénéficiait pas d’un espace vital suffisant.
19. Se fondant sur ce dernier jugement, le 23 juin 2014, le requérant saisit le tribunal départemental de Bucarest (« le tribunal départemental ») d’une action en responsabilité civile délictuelle contre le ministère des Finances et la prison de Jilava. Il indiquait avoir été détenu à la prison de Jilava dans une cellule de 51,09 m² occupée par 35 détenus (paragraphe 11 ci-dessus) et demandait 10 001 euros (EUR) pour préjudice moral.
20. Par un jugement du 12 novembre 2015, le tribunal départemental fit partiellement droit à l’action du requérant et lui octroya 1 000 EUR au titre du préjudice moral en raison des mauvaises conditions de détention qu’il avait subies à la prison de Jilava. Se fondant sur les conclusions du tribunal de première instance (paragraphe 18 ci-dessus), le tribunal départemental constata que le requérant avait été détenu dans des conditions qui n’étaient pas conformes aux standards nationaux et internationaux en la matière. À cet égard, il nota que l’espace personnel du requérant à la prison de Jilava avait été inférieur à 2 m², que le dépôt des objets personnels et la prise des repas avaient eu lieu dans des conditions inadéquates, que le bloc sanitaire n’était pas suffisamment équipé et que l’accès à l’eau chaude était insatisfaisant.
21. Sur appel des parties, par un arrêt définitif du 6 juin 2016, la cour d’appel de Bucarest confirma le jugement du 12 novembre 2015.
II. LES DOCUMENTS PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE
22. Les documents pertinents du Conseil de l’Europe en matière de conditions de détention sont présentés dans l’arrêt Rezmiveș et autres c. Roumanie, (nos 61467/12 et 3 autres, §§ 42-57, 25 avril 2017).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
23. Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans le dépôt de la police de Bucarest et dans les prisons de Rahova, de Giurgiu et de Jilava. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
1. Sur l’exception du Gouvernement visant les conditions de détention à la prison de Jilava du 2 août 2013 au 24 avril 2014
a) Arguments des parties
24. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes pour ce qui est de la période de détention du requérant à la prison de Jilava du 2 août 2013 au 24 avril 2014. À cet égard, il expose que, par le jugement du 16 avril 2014, le tribunal de première instance a constaté que le requérant n’avait pas bénéficié d’un espace personnel conforme aux normes légales en vigueur (paragraphe 18 ci-dessus) et que l’action en responsabilité civile délictuelle était pendante devant les juridictions internes. Par une lettre du 16 décembre 2015, le Gouvernement a informé la Cour du jugement du tribunal départemental du 12 novembre 2015, favorable au requérant (paragraphe 20 ci-dessus).
25. Le requérant indique que la procédure en responsabilité civile délictuelle était trop longue et que la somme accordée à titre de réparation était très faible.
b) Appréciation de la Cour
26. La Cour constate que, à ce jour, l’action en responsabilité civile délictuelle engagée par le requérant a abouti à un arrêt définitif rendu par la cour d’appel de Bucarest le 6 juin 2016 (paragraphe 21 ci-dessus). La partie de la requête relative aux conditions de détention à la prison de Jilava du 2 août 2013 au 24 avril 2014 ne saurait donc être considérée prématurée et rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes.
27. En revanche, même si l’État défendeur n’a pas soulevé d’objection quant à sa compétence ratione personae (Sejdić et Finci c. Bosnie‑Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 27, CEDH 2009), la Cour se doit d’examiner d’office si le requérant peut toujours se prétendre victime d’une violation de l’article 3 de la Convention pour autant que ce grief vise la période de détention susmentionnée.
28. À cet égard, elle renvoie aux principes déjà bien établis dans sa jurisprudence concernant la qualité de « victime » d’un requérant (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 178-193, CEDH 2006‑V). Il lui appartient de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités nationales, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement offert peut être considéré comme approprié et suffisant.
29. En l’occurrence, il ressort du contenu des jugements des 16 avril 2014 et 12 novembre 2015 que tant le tribunal de première instance que le tribunal départemental ont reconnu de manière expresse que le requérant n’a pas bénéficié à la prison de Jilava de conditions matérielles de détention conformes aux normes internationales en la matière et, plus particulièrement, d’un espace personnel suffisant (paragraphes 18 et 20 ci‑dessus). La Cour considère que les textes de ces jugements constituent une reconnaissance de la méconnaissance du droit du requérant garanti par l’article 3 de la Convention.
30. Pour ce qui est du redressement de la violation constatée, la Cour rappelle qu’il doit être approprié et suffisant (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 116, CEDH 2010). La qualité de « victime » d’un requérant peut aussi dépendre du montant de l’indemnité qui, le cas échéant, lui a été accordée au niveau national (Shilbergs c. Russie, no 20075/03, § 72, 17 décembre 2009). De même, la durée de la détention du requérant et les motifs invoqués par les juridictions internes pour rendre une décision figurent parmi les facteurs à prendre en compte pour décider si la réparation était adéquate et suffisante (ibid., § 74).
31. La Cour observe que, par le jugement du 12 novembre 2015, le tribunal départemental a examiné toutes les conditions de détention du requérant alors que celui-ci occupait une cellule de 51,09 m² et qu’il disposait d’un espace personnel inférieur à 2 m² (paragraphe 20 ci-dessus). Le requérant a vécu dans ces conditions du 2 août 2013 au 24 avril 2014, soit environ huit mois et vingt-deux jours.
32. La Cour est consciente qu’il est difficile de faire une estimation des dommages-intérêts à accorder pour préjudice moral. Il n’existe pas de norme permettant de mesurer la douleur et la souffrance, l’inconfort physique, la détresse mentale et l’angoisse en termes d’argent. Cela étant, la Cour estime que, compte tenu de la durée de la période de détention en cause, la somme accordée à l’intéressé par les juridictions nationales est conforme à sa propre jurisprudence en la matière (voir, plus récemment, Rezmiveș et autres c. Roumanie, nos 61467/12 et 3 autres, § 132, 25 avril 2017). Dès lors, elle considère que la réparation accordée par le tribunal départemental pour compenser la violation du droit du requérant garanti par l’article 3 de la Convention est suffisante pour enlever à ce dernier la qualité de victime.
33. Il s’ensuit que le requérant ne peut plus se prétendre victime d’une violation de l’article 3 de la Convention pour autant que ce grief porte sur ses conditions de détention à la prison de Jilava du 2 août 2013 au 24 avril 2014, et que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
2. Sur les conditions de détention à la prison de Jilava du 24 avril au 14 mai et du 5 novembre au 4 juin 2015
34. Le Gouvernement indique que, à la suite du jugement du 16 avril 2014, le requérant a été transféré le 24 avril 2014 dans une cellule dans laquelle il avait un espace personnel de 6 m². Il ajoute que, à partir du 5 novembre 2014, le requérant a été logé dans des cellules qui lui assuraient un espace personnel d’au moins 4 m².
35. Le requérant n’a pas présenté d’observations en réponse sur ce point.
36. La Cour constate que, du 24 avril au 14 mai 2014 (paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ainsi que du 5 novembre 2014 (paragraphe 14 ci-dessus) au 4 juin 2015, date de son transfert à la prison de Găești (paragraphe 6 ci‑dessus), le requérant a été logé à la prison de Jilava dans des cellules où il bénéficiait d’un espace personnel compris entre 4,56 m² à 6,22 m² et dans des conditions matérielles dont il ne s’est pas plaint après la présentation par le Gouvernement de ses observations (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour rappelle que lorsqu’un détenu dispose de plus de 4 m² d’espace personnel en cellule collective, cet aspect de ses conditions matérielles de détention ne pose pas de problème (Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, § 140, 20 octobre 2016). Dans ces circonstances, la Cour ne saurait conclure que les conditions générales de la détention du requérant à la prison de Jilava pendant cette période ont atteint le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention.
37. Il s’ensuit que cette partie du grief est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
3. Conclusion
38. Constatant que la partie du grief portant sur les conditions de détention du requérant dans le dépôt de la police de Bucarest, dans les prisons de Rahova et de Giurgiu ainsi que dans la prison de Jilava du 3 janvier au 1er août 2013 (paragraphe 11 ci-dessus) et du 15 mai au 4 novembre 2014 (paragraphe 13 ci-dessus) n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
39. La Cour renvoie aux principes bien établis dans sa jurisprudence en matière de conditions matérielles de détention (voir, par exemple, Muršić, précité, §§ 96-101). Elle rappelle en particulier qu’un grave manque d’espace dans une cellule pénitentiaire, pris soit seul soit combiné à d’autres lacunes, est un facteur à prendre en compte pour la détermination du caractère « dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention des conditions de détention décrites et pour la constatation d’une violation de cet article (ibid., §§ 122-141).
40. En l’espèce, la Cour note qu’il n’est pas contesté par le Gouvernement que le requérant a disposé pendant sa détention dans le dépôt de la police de Bucarest, à la prison de Rahova et à la prison de Jilava du 3 janvier 2013 au 1er août 2013 et du 15 mai 2014 au 4 novembre 2014 d’un espace personnel très réduit, à savoir entre 1,24 m² et 2,48 m² (paragraphes 8, 9, 11 et 13 ci-dessus). Or elle a déjà jugé que, lorsque la surface au sol dont dispose un détenu en cellule collective est inférieure à 3 m², le manque d’espace personnel est considéré comme étant à ce point grave qu’il donne lieu à une forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention. La charge de la preuve pèse alors sur le gouvernement défendeur, qui peut toutefois réfuter la présomption en démontrant la présence d’éléments propres à compenser cette circonstance de manière adéquate (Muršić, précité, § 137). Ayant examiné tous les éléments qui lui ont été soumis par les parties, la Cour constate que le Gouvernement n’a pas présenté d’éléments susceptibles de renverser la présomption de la violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des conditions de détention du requérant dans le dépôt de la police de Bucarest, à la prison de Rahova et à la prison de Jilava du 3 janvier 2013 au 1er août 2013 et du 15 mai 2014 au 4 novembre 2014 (ibid., § 138).
41. Pour ce qui est des conditions de détention à la prison de Giurgiu, la Cour note que le requérant a bénéficié d’un espace personnel supérieur à 3 m², à savoir de 3,39 m² (paragraphe 10 ci-dessus). Or, lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation que fait la Cour du caractère adéquat ou non des conditions de détention. En pareil cas, la Cour conclura à la violation de l’article 3 si le manque d’espace s’accompagne d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, notamment d’un défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturels, d’une mauvaise aération, d’une température insuffisante ou trop élevée dans les locaux, d’une absence d’intimité aux toilettes ou de mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques (Muršić, précité, § 139).
42. En l’espèce, la Cour note que, pendant sa détention à la prison de Giurgiu, qui a duré environ onze mois, le requérant a la plupart du temps été confiné dans sa cellule : en effet, lorsqu’il était détenu sous le régime dit « fermé » il bénéficiait d’une promenade journalière d’une heure et passait le reste de son temps dans sa cellule, y compris pour prendre ses repas (paragraphe 10 ci-dessus ; voir, mutatis mutandis, Enache c. Roumanie, no 10662/06, § 56 1er avril 2014, et Iacov Stanciu c. Roumanie, no 35972/05, § 175, 24 juillet 2012). De surcroît, elle considère que les allégations du requérant quant aux conditions d’hygiène déplorables, relatives notamment à la présence de différents parasites et au manque d’accès à l’eau courante, sont plus que plausibles et reflètent des réalités décrites par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants dans les différents rapports établis à la suite de ses visites dans les prisons roumaines (voir, mutatis mutandis, Todireasa c. Roumanie, no 35372/04, § 38, 3 mai 2011, et paragraphe 22 ci-dessus). La Cour rappelle également avoir déjà conclu dans d’autres affaires à la violation de l’article 3 de la Convention en raison principalement du manque d’espace individuel et des mauvaises conditions d’hygiène dans la prison de Giurgiu, et cela pendant des périodes correspondant à celle où le requérant y était incarcéré ou proches de celle-ci (Marian Toma c. Roumanie, no 48372/09, § 33, 17 juin 2014, Adrian Radu c. Roumanie, no 26089/13, § 29, 7 avril 2015, et Alexandru Enache c. Roumanie, no 16986/12, § 46, 3 octobre 2017). Dès lors, elle considère que, à la prison de Giurgiu, l’effet cumulatif des conditions subies a placé le requérant dans une situation contraire à l’article 3 de la Convention.
43. Compte tenu de tout ce qui précède, la Cour estime que les conditions de détention subies par le requérant dans le dépôt de la police de Bucarest, dans les prisons de Rahova et de Giurgiu ainsi que dans la prison de Jilava du 3 janvier au 1er août 2013 (paragraphe 11 ci-dessus) et du 15 mai au 4 novembre 2014 étaient contraires à l’article 3 de la Convention.
44. Partant, il y a eu, en l’espèce, violation de cette disposition par rapport à ces périodes de détention.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION
45. Invoquant les articles 3 et 9 de la Convention, le requérant se plaint également de ne pas avoir bénéficié d’un traitement médical adéquat en prison, d’avoir été agressé par des codétenus et d’avoir été empêché de pratiquer sa religion.
46. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, et pour autant qu’elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête est irrecevable et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1, 3 a) et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
47. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
48. Le requérant réclame 25 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi en raison de ses conditions de détention.
49. Le Gouvernement soutient que cette somme est exorbitante et injustifiée.
50. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
51. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire (paragraphe 2 ci-dessus), demande également 3 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il a versé au dossier une copie du contrat d’assistance judiciaire conclu avec Me C. Boghina d’où il ressort que les honoraires de l’avocate étaient de 1 900 EUR et les frais de secrétariat de 200 EUR, à payer directement à cette dernière.
52. Le Gouvernement soutient que la somme sollicitée pour les honoraires de l’avocate est excessive et indique qu’aucun récapitulatif des heures de travail n’a été présenté.
53. Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’octroyer au requérant au titre des frais et dépens 2 100 EUR, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d’impôt sur cette somme, moins les 850 EUR perçus du Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire. La somme ainsi obtenue (1 250 EUR) sera à verser directement sur le compte bancaire qui sera indiqué par Me C. Boghină (Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 288, 15 décembre 2016).
C. Intérêts moratoires
54. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des conditions de détention du requérant dans le dépôt de la police de Bucarest, dans les prisons de Rahova et de Giurgiu ainsi que dans la prison de Jilava du 3 janvier au 1er août 2013 et du 15 mai au 4 novembre 2014, et irrecevable pour le surplus ;
 
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
 
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i. 3 000 EUR (trois mille euros) au requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 1 250 EUR (mille deux cent cinquante euros), à convertir dans la monnaie nationale de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire qui sera indiqué par Me C. Boghină ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
 
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 janvier 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Andrea TamiettiPaulo Pinto de Albuquerque
Greffier adjointPrésident
 

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