AFFAIRE CONSOCIVIL S.A. ET ZELINSCHI c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
Karar Dilini Çevir:
AFFAIRE CONSOCIVIL S.A. ET ZELINSCHI c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

 
 
 
DEUXIÈME SECTION
 
 
 
 
 
 
 
 
AFFAIRE CONSOCIVIL S.A. ET ZELINSCHI
c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
 
(Requêtes nos 27773/05 et 5314/06)
 
 
 
 
 
 
 
ARRÊT
 
 
 
 
 
 
 
STRASBOURG
 
28 mai 2019
 
 
 
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

Dans les affaires Consocivil S.A. et Zelinschi c. République de Moldova,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Ivana Jelić, présidente,
Valeriu Griţco,
Darian Pavli, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 avril 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (no 27773/05 et no 5314/06) dirigées contre la République de Moldova et dont la société Consocivil S.A. (« la société requérante »), d’une part, et Mme Maria Zelinschi et M. Igor Zelinschi (« les requérants »), d’autre part, ont saisi la Cour respectivement le 15 juillet 2005 et le 27 janvier 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, d’abord M. V. Grosu, puis M. L. Apostol.
3.  La société requérante et les requérants allèguent que l’annulation des arrêts irrévocables qui auraient été rendus en leur faveur a méconnu leurs droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
4.  Les requêtes ont été communiquées au Gouvernement le 17 novembre 2008 et le 28 avril 2008.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5.  La société requérante est une société anonyme de droit moldave, ayant son siège à Chişinău. M. Zelinschi et Mme Zelinschi sont nés respectivement en 1966 et en 1969 et résident à Chișinău.
A.  La requête no 27773/05
6.  Le 4 octobre 1994, l’ancienne société Consocivil S.A. (« la société C. ») conclut un contrat avec la société Stimul-M (« la société S.M. »), par lequel elle s’engageait à construire un immeuble pour le compte de celle-ci. Par le même contrat, la filiale no 51 de la société C. fut désignée comme responsable de l’exécution de la construction.
7.  À la suite de la non-exécution du contrat, la société S.M. et la société Stimul-W (« la société S.W. »), une branche de la société S.M., sollicitèrent en justice un dédommagement de ce préjudice. Le 15 juin 1999, le tribunal économique de circonscription admit l’action et condamna la société C. à payer à la société S.W. la somme de 249 538 lei moldaves (MDL) (environ 20 957 euros (EUR) à l’époque). Le titre exécutoire fut délivré sous le no 5‑7/99 et la société C. paya une partie de l’indemnité qu’elle avait été condamnée à verser, plus précisément la somme de 108 930 MDL (environ 7 114,06 EUR à l’époque).
8.  Le 30 juin 2000, la société C. se scinda en quatre personnes morales distinctes : la société requérante, Lucomont (« la société L. ») – l’ancienne filiale no 51, Execond et Consoveloce. La société requérante sollicita devant le tribunal sa substitution par la société L. dans la procédure d’exécution no 5-7/99, arguant à cet égard que la société L. s’était substituée à la filiale no 51 dans les dettes et créances de cette dernière, y compris la dette résultant de la non-exécution du contrat conclu avec la société S.M. Elle sollicita également l’annulation du titre exécutoire. Le 11 mai 2004, le tribunal économique de circonscription rejeta la demande. La société requérante exerça un recours contre cette décision. Par une décision définitive du 23 juin 2004, la cour d’appel économique accueillit le recours, substitua la société L. à la société requérante dans la procédure d’exécution et annula le titre exécutoire no 5-7/99. Elle reconnut ainsi la société L. débitrice de la dette de 249 538 MDL à l’égard de la société S.W.
9.  À une date non précisée dans le dossier, les sociétés S.W. et L. introduisirent une demande en révision de la décision définitive du 23 juin 2004. Elles alléguaient que la cour d’appel économique avait procédé à une appréciation erronée des circonstances de l’affaire et qu’elle avait examiné le recours en l’absence de la société S.W., en dépit de la demande de report d’audience que cette dernière aurait formulée. Le 8 décembre 2004, la cour d’appel économique rejeta leur demande comme dépourvue de fondement. Les sociétés S.W. et L. exercèrent un recours contre cette décision. La société requérante contesta ce recours, arguant d’une absence de motifs légaux susceptibles de justifier la demande en révision. Le 10 mars 2005, la Cour suprême de justice accueillit le recours, cassa la décision définitive du 23 juin 2004 qui était favorable à la société requérante et ordonna le réexamen de l’affaire. Pour motiver sa décision, elle indiqua que les juges d’appel avaient fait une appréciation erronée des circonstances de l’affaire.
10.  Le 29 juin 2005, la cour d’appel économique, statuant au principal, rejeta la demande de substitution de la société Consocivil S.A. par la société L.
B.  La requête no 5314/06
11.  Le 23 avril 2004, les requérants achetèrent à un tiers le sous-sol d’un cinéma, d’une superficie de 289 mètres carrés, pour un prix de 2 010 200 MDL (141 476,70 EUR à l’époque). Ils firent enregistrer leur droit de propriété dans le registre des biens immeubles.
12.  Par une décision définitive du 6 juillet 2005, la Cour suprême de justice rejeta l’action en nullité du contrat de vente qui avait été introduite par deux banques soutenant avoir des droits sur le sous-sol en question.
13.  Le 10 août 2005, les deux banques introduisirent une demande en révision de la décision du 6 juillet 2005, soutenant que le sous-sol en question ne constituait pas un bien immobilier séparé, mais faisait partie du cinéma et ne pouvait par conséquent être vendu séparément. Elles étayèrent leur demande par des certificats délivrés par des fournisseurs d’électricité et d’eau attestant l’existence d’un système unique d’approvisionnement en eau et en électricité du sous-sol litigieux et du cinéma. Les requérants contestèrent ce recours, estimant que la demande en révision était dépourvue de motifs légaux.
14.  Le 28 septembre 2005, la Cour suprême de justice admit la demande en révision déposée par les deux banques, cassa la décision du 6 juillet 2005 et ordonna le réexamen de l’affaire. Elle motiva sa décision par l’apparition de circonstances nouvelles, mais sans expliquer pourquoi les certificats en question n’avaient pas pu être présentés lors de l’examen de l’affaire sur le fond.
15.  Les procédures rouvertes se conclurent par un arrêt du 10 mai 2006 par lequel la Cour suprême de justice se prononçait en faveur des banques.
16.  Le 23 mars 2007, le ministère de la Culture et du Tourisme acheta le cinéma, y compris le sous-sol litigieux, et fit enregistrer son droit de propriété dans le registre des biens immeubles. Par la décision no 42 du 23 janvier 2008, le Gouvernement transmit le cinéma en gestion économique (gestiune economică) au théâtre national « Eugène Ionesco », entreprise d’État fondée par le ministère de la Culture.
17.  Après la communication de la requête au Gouvernement, le procureur général déposa une demande en révision des derniers arrêts rendus en défaveur des requérants (voir notamment les paragraphes 14 et 15 ci-dessus). Le 20 octobre 2009, la Cour suprême de justice accueillit la demande en révision, cassa les décisions défavorables aux requérants et constata la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Elle alloua 25 000 MDL à chacun des requérants pour préjudice moral et rejeta leur demande de réparation d’un préjudice matériel, estimant qu’il appartenait à l’agent du Gouvernement de résoudre par la suite la question d’un dommage matériel.
18.  Par une décision du 10 novembre 2009, le bureau cadastral de Chişinău rejeta la demande des requérants visant à l’enregistrement du droit de propriété en cause dans le registre des biens immeubles.
19.  Le 13 novembre 2009, le bureau d’exécution de Râşcani rejeta la demande d’exécution de la décision du 20 octobre 2009 présentée par les requérants, au motif que ladite décision ne prévoyait pas expressément le rétablissement du droit de propriété des requérants sur le sous-sol en question.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
20.  Le droit interne pertinent en l’espèce concernant la révision des décisions définitives est résumé dans les affaires Popov c. République de Moldova (no 2) (no 19960/04, §§ 27-29, 6 décembre 2005) et Jomiru et Creţu c. République de Moldova (no 28430/06, §§ 26-27, 17 avril 2012).
EN DROIT
I.  SUR LA JONCTION DES REQUÊTES
21.  Eu égard à la similitude des requêtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles posent, la Cour décide de les joindre conformément à l’article 42 § 1 de son règlement et de les examiner conjointement dans un seul arrêt.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
22.  La société requérante et les requérants allèguent que l’annulation des jugements définitifs ayant été rendus en leur faveur a enfreint à leur égard les droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention et par l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellés :
Article 6 § 1 de la Convention
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no 1 à la Convention
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) »
A.  Sur la recevabilité
23.  Constatant que la requête no27773/05 n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
24.  Dans l’affaire no 5314/06 la Cour doit déterminer si les requérants peuvent encore se prétendre victimes au sens de l’article 34 de la Convention. Elle rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 180, CEDH 2006‑V).
25.  En l’espèce, la Cour observe que, par une décision du 20 octobre 2009, la Cour suprême de justice a cassé les décisions défavorables aux requérants et a rétabli la décision du 6 juillet 2005 qui leur était favorable. La Cour suprême de justice a également constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 et elle a alloué 25 000 MDL à chacun des requérants pour préjudice moral. La Cour observe toutefois que les requérants n’ont rien reçu pour l’éventuel préjudice matériel, malgré la demande qu’ils avaient formulée à ce sujet devant la Cour suprême de justice. Dès lors, la Cour considère que les requérants peuvent toujours se prétendre « victimes » au sens de l’article 34 de la Convention.
26.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B.  Sur le fond
27.  Dans l’affaire no 27773/05, la société requérante allègue que la demande en révision introduite par les sociétés L. et S.W. avait pour seule fin l’obtention d’un réexamen de l’affaire et d’une nouvelle décision.
28.  Dans l’affaire no 5314/06, les requérants allèguent que les documents qui, selon eux, avaient justifié l’admission de la demande en révision ne constituaient pas des circonstances nouvelles au sens de l’article 449 b) du code de procédure civile.
29.  Le Gouvernement conteste ces thèses. Il estime que les révisions avaient pour but la correction des erreurs judiciaires.
30.  Les principes généraux concernant la prééminence du droit et le principe de la sécurité juridique ont déjà été énoncés par la Cour dans un certain nombre d’arrêts (voir, par exemple, Roşca c. République de Moldova, no 6267/02, §§ 24-25, 22 mars 2005, et Oferta Plus S.R.L c. République de Moldova, no 14385/04, §§ 97-98, 19 décembre 2006).
31.  Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour observe que, dans l’affaire no 27773/05, la société requérante disposait d’un jugement définitif rendu en sa faveur, qui a été annulé pour cause d’appréciation erronée des faits (paragraphe 9 ci-dessus). Elle rappelle avoir constaté à maintes reprises que le réexamen d’une affaire au seul motif qu’il pût exister deux points de vue sur le sujet constituait une violation du droit à un procès équitable (Gridan et autres c. Roumanie, no 28237/03, § 16, 4 juin 2013).
32.  Dans l’affaire no 5314/06, la révision a été justifiée par l’apparition de circonstances nouvelles (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour rappelle que le réexamen d’une affaire au motif que des circonstances nouvelles ont été découvertes, en l’absence d’explications de la part des tribunaux nationaux sur la question de savoir pourquoi ces informations n’avaient pas pu être présentées lors du premier examen de l’affaire, constitue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, parmi beaucoup d’autres, Popov, précité, §§ 48-54, et Oferta Plus S.R.L, précité, §§ 103-107).
33.  À la lumière des circonstances de l’espèce et des arguments avancés par les parties, la Cour ne voit aucune raison d’arriver à une conclusion différente dans le cas présent. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, en l’espèce, la procédure de révision a été utilisée par la Cour suprême de justice d’une manière incompatible avec le principe de la sécurité des rapports juridiques.
34.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’annulation des arrêts définitifs du 23 juin 2004 et du 6 juillet 2005.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
35.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage matériel
1.  Requête no 27773/05
36.  Au titre du préjudice matériel qu’elle dit avoir subi, la société requérante réclame la somme de 19 135,70 EUR, qui se décompose comme suit : 7 114,06 EUR représentant le montant qu’elle prétend avoir payé à la société S.W. en vertu du titre exécutoire no 5-7/99 (paragraphe 7 ci-dessus), 4 557,97 EUR représentant, selon elle, l’inflation calculée pour la période allant de 2004 à 2010 et 7 463,67 EUR représentant le préjudice qu’elle estime être résulté de l’impossibilité d’utiliser l’argent pendant la période allant de 2005 à 2010.
37.  Le Gouvernement argue de l’absence de lien de causalité entre une éventuelle violation et le préjudice matériel allégué par la société requérante.
38.  La Cour note que la décision définitive du 23 juin 2004, favorable à la société requérante et annulée à la suite de la demande en révision, ne reconnaissait à l’intéressée aucun droit à remboursement de la somme de 108 930 MDL qu’elle prétendait avoir payé à la société S.W. avant d’entamer la procédure de substitution. Par conséquent, la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et elle rejette cette demande.
39.  En ce qui concerne le préjudice matériel que la société requérante dit avoir subi à la suite de l’annulation de la décision de substitution et du titre exécutoire, la Cour relève que le titre exécutoire n’a pas été exécuté et l’article 449 h) du code de procédure civile permet la révision d’un procès sur le plan interne lorsqu’elle-même a constaté la violation de droits et libertés fondamentaux d’un requérant (Cereale Flor S.A. et Roşca c. République de Moldova, nos 24042/09 et 3159/10, § 54, 14 février 2017). Compte tenu de ces circonstances, la Cour décide qu’il n’y a pas lieu d’accorder à la société requérante d’indemnité pour dommage matériel.
2.  Requête no 5314/06
40.  Dans leurs observations des 28 novembre 2008 et 22 janvier 2010, les requérants réclamaient la restitution en nature du sous-sol en question ou, en cas d’impossibilité, l’octroi de la somme de 9 523 200 MDL, soit 601 972,20 EUR. Ils précisaient que cette somme représentait la valeur marchande du bien litigieux telle qu’elle aurait été établie par une expertise technique immobilière datée du 28 mai 2008. Ils sollicitaient également pour manque à gagner l’octroi de la somme de 703 475,52 EUR, correspondant aux loyers qu’ils auraient pu, selon eux, percevoir entre le 29 mai 2005 et le 15 décembre 2009 et aux intérêts moratoires connexes. Ils se fondaient sur un rapport financier établi par le Centre national d’expertises judiciaires auprès du ministère de la Justice. Selon ce rapport, l’estimation du manque à gagner prenait en compte la période allant de septembre 2005 à décembre 2009. Les requérants sollicitaient également des intérêts moratoires de 540 EUR par jour du 15 décembre 2009 jusqu’à l’adoption d’un arrêt par la Cour.
41.  Dans leurs observations complémentaires du 24 novembre 2014, les requérants ont présenté un nouveau rapport d’expertise établi le 13 novembre 2014, selon lequel la valeur marchande du bien serait de 6 297 000 MDL, soit 333 350 EUR. Ils ont réitéré leur demande présentée antérieurement pour préjudice matériel et ont demandé à la Cour de ne pas tenir compte de l’expertise du 13 novembre 2014 en raison de la diminution de la valeur marchande du bien et de leur allouer le montant évalué conformément à l’expertise du 28 mai 2008.
42.  Le Gouvernement conteste ces prétentions, estimant que les sommes demandées sont excessives et qu’elles ont un caractère spéculatif. Il soutient que l’unique référence attestant la valeur réelle du bien, est la somme payée par les requérants pour l’acquisition du bien et qui constitue 2 010 200 MDL (141 476,70 EUR). Le Gouvernement précise que le sous-sol en question n’a jamais été destiné à la location et qu’il a fait l’objet de plusieurs litiges judiciaires, de sorte que sa valeur marchande ne peut pas, selon lui, être équivalente à celle d’autres biens libres de tout litige. Il indique que les requérants n’ont présenté aucune preuve concernant l’existence d’une activité financière – ou à tout le moins d’un projet d’activité – à l’égard de ce bien. Il ajoute que les requérants n’ont pas été en mesure de présenter un contrat de bail ou une promesse de bail.
43.  Ayant conclu en l’espèce à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’annulation de la décision définitive qui avait été rendue en faveur des requérants, la Cour partira de l’idée qu’il faut placer les requérants dans la situation qui serait la leur si la violation n’avait pas eu lieu, c’est-à-dire dans la situation antérieure à l’annulation du jugement du 6 juillet 2005. La Cour note que les requérants ont acheté le bien en 2004 pour une somme de 141 476, 70 EUR et qu’ils demandent 601 972,20 EUR sur la base d’un rapport établi en 2008 tout en fournissant un nouveau rapport d’expertise établi en 2014, dont il ressort que la valeur du sous-sol est de 333 350 EUR. Le Gouvernement, quant à lui, ne produit pas d’expertise.
44.  Compte tenu des informations dont elle dispose sur les prix du marché immobilier local, des éléments fournis par les parties et des pertes effectivement subies par les requérants en conséquence directe de la violation en question, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérants conjointement la somme de 142 000 EUR pour préjudice matériel.
45.  Quant aux sommes demandées pour des loyers non perçus et les intérêts moratoires connexes, la Cour ne saurait spéculer sur la possibilité et la rentabilité d’une location du sous-sol en question, et elle les rejette (Buzatu c. Roumanie (satisfaction équitable), no 34642/97, § 18, 27 janvier 2005, et Dragomir c. Roumanie, no 31181/03, § 27, 21 octobre 2008).
B.  Dommage moral
46.  Dans la requête no 27773/05, la société requérante sollicite 2 500 EUR pour préjudice moral. Dans la requête no 5314/06, les requérants réclament chacun 20 000 EUR.
47.  Le Gouvernement conteste ces sommes.
48.  La Cour constate dans l’affaire no 27773/05 que la société requérante a forcément subi un dommage moral et elle lui alloue 1 500 EUR à ce titre. Dans l’affaire no 5314/06, la Cour observe que chacun des requérants avait obtenu au niveau national la somme de 25 000 MDL pour préjudice moral. Par conséquent, elle rejette la demande formulée par les requérants pour préjudice moral.
C.  Frais et dépens
49.  Dans la requête no 27773/05, la société requérante demande 1 774,90 EUR pour frais et dépens.
50.  Le Gouvernement conteste cette somme.
51.  Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 100 EUR tous frais confondus et l’accorde à la société requérante.
52.  Dans la requête no 5314/06, les requérants n’ont présenté aucune demande pour frais et dépens.
D.  Intérêts moratoires
53.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Décide de joindre les requêtes ;
 
2.  Déclare les requêtes recevables ;
 
3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
 
4.  Dit
a)  que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i.  aux requérants M. et Mme Zelinschi, conjointement, 142 000 EUR (cent quarante-deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage matériel,
ii.  à la société requérante Consocivil S.A. 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral,
iii.  à la société requérante Consocivil S.A. 1 100 EUR (mille cent euros), plus tout montant pouvant être dû par la société requérante à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
 
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 mai 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Hasan BakırcıIvana Jelić
Greffier adjointPrésidente
 

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