AFFAIRE COCU ET CALENTIEV c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
Karar Dilini Çevir:
AFFAIRE COCU ET CALENTIEV c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

 
 
 
DEUXIÈME SECTION
 
 
 
 
 
 
 
AFFAIRE COCU ET CALENTIEV c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
 
(Requête no 20919/05)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ARRÊT
 
 
 
 
 
 
STRASBOURG
 
9 avril 2019
 
 
 
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Cocu et Calentiev c. République de Moldova,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Ivana Jelić, présidente,
Valeriu Griţco,
Darian Pavli, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 mars 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 20919/05) dirigée contre la République de Moldova et dont deux ressortissants de cet État, Mme Irina Cocu (« la requérante ») et M. Igor Calantiev (« le requérant »), ont saisi la Cour le 16 mai 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Me V. Iordachi, avocat exerçant à Chișinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. L. Apostol.
3. Le 24 août 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Les requérants sont nés respectivement en 1973 et en 1949 et résident à Chișinău.
5. En 2001, O.B. et S.C., des employés du ministère des Affaires intérieures (« le MAI »), tuèrent le mari de la requérante et le fils du requérant, tous deux chauffeurs de taxi, pour s’emparer de l’argent liquide que les chauffeurs portaient sur eux.
6. Par un arrêt du collège pénal de la cour d’appel de la République de Moldova en date du 11 juillet 2002, O.B. et S.C. furent condamnés à la prison à perpétuité. En même temps, ladite cour accueillit partiellement les actions civiles des requérants et condamna les coupables à verser à la requérante 160 lei moldaves (MDL) (11,70 euros (EUR) au taux de change de l’époque), représentant la somme d’argent dérobée à son époux, et 500 000 MDL (36 558,80 EUR) en réparation du préjudice moral. Le requérant se vit octroyer 14 080 MDL (1 209,50 EUR), représentant la somme d’argent volée à son fils, et 500 000 MDL en réparation du préjudice moral. La cour d’appel indiqua également qu’il incomberait aux juridictions civiles de se prononcer sur le restant des demandes des requérants.
7. À une date non précisée dans le dossier, les requérants entamèrent des actions civiles en dommages et intérêts dirigées contre le MAI et le ministère des Finances. Les actions visaient au remboursement des frais de justice et des dépenses liées à l’enterrement des victimes et à la réparation de leurs véhicules.
8. Par un jugement du 18 mars 2003, le tribunal de Centru condamna le MAI à verser 27 340 MDL (1 760 EUR) à la requérante et 50 050 MDL (3 222,10 EUR) au requérant en réparation du préjudice matériel. Les requérants, tout comme le MAI, interjetèrent appel.
9. Par un arrêt du 16 septembre 2003, la cour d’appel de Chișinău infirma le jugement de première instance et ordonna le réexamen de l’affaire.
10. Après avoir fait intervenir à la procédure O.B. et S.C., le tribunal de Centru rendit un nouveau jugement le 21 juin 2004. Il condamna O.B. et S.C. à payer à la requérante 27 343 MDL (1 901,50 EUR) et au requérant 47 190 MDL (3 281,66 EUR) à titre d’indemnisation. Les requérants interjetèrent appel.
11. Le 5 octobre 2004, la cour d’appel de Chișinău confirma le jugement de première instance. Les requérants se pourvurent en cassation.
12. Par un arrêt définitif en date du 22 décembre 2004, la Cour suprême de justice cassa les décisions des instances inférieures et décida de clore le procès. Elle indiqua que les requérants avaient déjà obtenu réparation de leurs préjudices en vertu de l’arrêt du 11 juillet 2002 de la cour d’appel de la République de Moldova, lequel avait l’autorité de la chose jugée.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
13. Les passages pertinents en l’espèce du code de procédure pénale du 24 mars 1961, en vigueur au moment des faits, sont ainsi libellés :
« Article 280. Sort de l’action civile
La juridiction ayant, au moment de la décision, apprécié la valeur des fondements invoqués et les preuves des prétentions des parties civiles admet l’action civile, entièrement ou partiellement, ou la rejette.
(...)
Dans des cas exceptionnels, lorsque l’affaire nécessite de remettre le jugement à une date ultérieure en vue d’établir le montant des dommages et intérêts dus à la partie civile, la juridiction peut admettre l’action civile dans son principe et décider qu’il incombera aux juridictions civiles de statuer sur le montant des dommages et intérêts dus.
Article 327. Les décisions susceptibles de recours
Peuvent faire l’objet d’un recours :
(...)
3) les décisions de la cour d’appel ;
Article 328. Les personnes qui peuvent former un recours
Peuvent former un recours les personnes mentionnées à l’article 307 du présent code.
Article 307. Les personnes qui peuvent interjeter appel
Peuvent interjeter appel :
(...)
4) en ce qui concerne les intérêts civils de l’affaire, la partie civile et la personne civilement responsable ; (...) »
14. Les passages pertinents en l’espèce du code de procédure civile du 30 mai 2003 sont ainsi rédigés :
« Article 445. Les pouvoirs et les décisions de la juridiction
(1) La juridiction, après avoir examiné le recours, peut :
(...)
d) admettre le recours et casser la décision d’appel et le jugement de première instance ayant décidé la clôture de la procédure ou rayer la demande du rôle si les conditions des articles 265 et 267 sont réunies.
Article 265. Les motifs de clôture de la procédure
La juridiction décide de clore la procédure dans les cas suivants :
(...)
b) lorsque, dans un litige entre les mêmes parties, concernant le même objet et la même cause, soit une décision judiciaire a été rendue et est devenue irrévocable soit une décision de clôture de la procédure est intervenue à la suite du désistement d’action du demandeur ou de l’homologation de la transaction entre les parties ;
(...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
15. Les requérants allèguent que, en se prononçant comme elle l’a fait dans l’arrêt du 22 décembre 2004, la Cour suprême de justice a violé leur droit d’accès à un tribunal, tel que prévu par l’article 6 de la Convention. Cette disposition est libellée comme suit dans ses parties pertinentes en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
16. Sans avoir soulevé d’arguments concernant la recevabilité de la requête, le Gouvernement soutient, entre autres, que les requérants n’ont pas contesté l’arrêt du 11 juillet 2002 de la cour d’appel de la République de Moldova.
17. La Cour note que l’argument du Gouvernement s’apparente à une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Elle estime que cette exception est étroitement liée à la substance du grief que les requérants fondent sur l’article 6 § 1 de la Convention, de sorte qu’il y a lieu de la joindre au fond. Par ailleurs, elle constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
18. Le Gouvernement considère que l’action civile des requérants dirigée contre le MAI et le ministère des Finances avait le même objet que leurs demandes formulées en qualité de parties civiles dans le procès pénal. Il expose que la seule différence entre ces actions judiciaires était les parties défenderesses contre lesquelles elles étaient dirigées. Ainsi, selon le Gouvernement, dans le cadre du procès pénal les défendeurs à l’action civile étaient les auteurs de l’infraction, O.B. et S.C., alors que dans le procès civil il s’agissait du MAI et du ministère des Finances. Le Gouvernement estime que, en l’espèce, c’est à juste titre que la Cour suprême de justice a retenu qu’il y avait autorité de la chose jugée. D’après le Gouvernement, la Cour suprême de justice a considéré que le but réel des requérants avait été la contestation de l’arrêt du collège pénal de la cour d’appel de la République de Moldova, lequel avait, selon la Cour suprême, l’autorité de la chose jugée.
19. Les requérants contestent la thèse du Gouvernement et considèrent qu’ils avaient le droit d’emprunter les voies de recours offertes par le système judiciaire interne, à savoir une action civile devant les juridictions civiles en réparation du restant des préjudices allégués. Ils soutiennent que, dans son arrêt du 11 juillet 2002, la cour d’appel s’est prononcée seulement sur une partie des prétentions pécuniaires formulées, et qu’elle a également noté qu’il incomberait aux juridictions civiles de se prononcer sur le restant de leurs demandes.
20. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention garantit à chacun le droit de faire statuer par un tribunal sur toute contestation portant sur ses droits et obligations de caractère civil (Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 36, série A no 18, et Zubac c. Croatie [GC], no 40160/12, § 76, 5 avril 2018).
21. En l’espèce, force est de constater que les requérants avaient la possibilité d’engager une action en justice et qu’ils en ont fait usage en assignant le MAI et le ministère des Finances en dommages et intérêts devant les tribunaux internes aux fins du remboursement des frais de justice et des dépenses liées à l’enterrement des victimes et à la réparation de leurs véhicules (paragraphe 7 ci-dessus).
22. La Cour observe que, en soi, pareille possibilité ne satisfait pas à tous les impératifs de l’article 6 § 1 : encore faut-il constater que le degré d’accès procuré par la législation nationale suffisait pour assurer à l’individu le « droit à un tribunal », eu égard au principe de la « prééminence du droit » dans une société démocratique (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 57, série A no 93). La Cour rappelle que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32, et García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 43, CEDH 2000-II).
23. La Cour rappelle par ailleurs qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes et que c’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII, et Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 33, Recueil 1998-I). Son rôle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. La Cour rappelle de plus que cela est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l’introduction de recours (Tejedor García c. Espagne, 16 décembre 1997, § 31, Recueil 1997‑VIII). Elle réaffirme enfin que la réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique, et que les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, la réglementation en question, ou l’application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d’une voie de recours disponible (Aepi S.A. c. Grèce, no 48679/99, § 23, 11 avril 2002).
24. La Cour rappelle ensuite que, si le requérant dispose éventuellement de plus d’une voie de recours pouvant être effective, il est uniquement dans l’obligation d’utiliser l’une d’entre elles (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999‑III). En effet, lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 58, CEDH 2009). C’est au requérant de sélectionner le recours qui est le plus approprié dans son cas. En résumé, si le droit national prévoit plusieurs recours parallèles relevant de différents domaines du droit, le requérant qui a tenté d’obtenir le redressement d’une violation alléguée de la Convention au travers de l’un de ces recours ne doit pas nécessairement en utiliser d’autres qui ont essentiellement le même but (Jasinskis c. Lettonie, no 45744/08, §§ 50 et 53-54, 21 décembre 2010).
25. En l’espèce, la Cour constate que, dans le cadre du procès pénal, la cour d’appel de la République de Moldova a accueilli partiellement les actions civiles des intéressés et condamné les coupables à verser aux requérants une indemnité pour dommage matériel (l’argent volé aux victimes) et pour dommage moral. La cour d’appel a aussi noté qu’il incomberait aux juridictions civiles de se prononcer sur le restant des demandes des requérants (paragraphe 6 ci-dessus).
26. La Cour constate également que les requérants ont effectivement fait usage du recours indiqué dans son arrêt par le collège pénal de la cour d’appel de la République de Moldova en ce qui concerne le restant des sommes réclamées pour préjudice matériel, à savoir une action en justice devant les juridictions civiles (paragraphe 7 ci-dessus).
27. La Cour rappelle que, certes, le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et qu’il peut donner lieu à des limitations implicitement admises, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État. En élaborant pareille réglementation, les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (F.E. c. France, 30 octobre 1998, § 46, Recueil 1998‑VIII, Yagtzilar et autres c. Grèce, no 41727/98, § 26, CEDH 2001‑XII, et Zubac, précité, § 78).
28. En l’espèce, la Cour observe que, dans sa décision du 22 décembre 2004, la Cour suprême de justice a conclu que les requérants avaient obtenu réparation en vertu de l’arrêt du 11 juillet 2002 de la cour d’appel de la République de Moldova. La Cour constate ensuite que c’est en s’appuyant sur les articles 445 et 265 du code de procédure civile que la haute juridiction a décidé de clore le procès civil au motif que le jugement rendu par le collège pénal de la cour d’appel de la République de Moldova avait l’autorité de la chose jugée sur les actions exercées par les requérants devant les juridictions civiles. Elle estime, avec le Gouvernement, que la reconnaissance de l’autorité de la chose jugée poursuivait un but légitime, car elle visait, sans nul doute, à assurer la sécurité des rapports juridiques en matière civile. Si cet objectif apparaît en lui-même légitime, il mérite, en l’espèce, un examen des plus attentifs, tout comme les conclusions de la cour d’appel rendues au pénal. Dans la présente affaire, le rôle de la Cour n’est point de contrôler les articles 445 et 265 du code de procédure civile en tant que tels, mais de vérifier si la manière dont la haute juridiction nationale a décidé de clore le procès, en appliquant les dispositions de la loi en matière d’autorité de la chose jugée, a respecté le droit d’accès des requérants à un tribunal (Yagtzilar et autres, précité, § 25).
29. La Cour observe ensuite que, selon la décision rendue au pénal par la cour d’appel, les requérants n’ont obtenu qu’une réparation partielle des préjudices matériels allégués et que la cour d’appel a noté qu’il incomberait aux juridictions civiles de se prononcer sur le restant des demandes des requérants. Cependant, la Cour suprême de justice a décidé d’annuler le jugement du tribunal de première instance et la décision de la cour d’appel de Chișinău et de clore le procès civil.
30. La Cour note que, bien qu’il ressorte clairement de l’article 265 du code de procédure civile que la reconnaissance de l’autorité de la chose jugée nécessite une triple identité de parties, d’objet et de cause des deux actions (paragraphe 14 ci-dessus), la Cour suprême de justice a rejeté les actions des requérants intentées devant les juridictions civiles sans s’expliquer sur l’identité de parties, d’objet et de cause avec les actions civiles intentées devant les juridictions pénales (paragraphe 12 ci-dessus). La Cour suprême n’a procédé à une appréciation ni des montants alloués au pénal par la cour d’appel de la République de Moldova pour préjudices matériels ni de la faculté d’exercer un recours dans le cadre d’une procédure civile permettant d’obtenir des indemnités pour les autres préjudices.
31. Par conséquent, la Cour considère que les requérants ont été privés de toute possibilité de se voir rembourser le restant des sommes réclamées pour préjudice matériel en raison du refus par la Cour suprême de justice que leurs actions civiles fussent examinées dans le cadre d’une procédure au fond devant les juridictions civiles. Elle constate que le cadre législatif interne offrait à l’époque un recours au civil adéquat et effectif que les requérants devaient épuiser afin d’obtenir une solution définitive à leurs actions civiles, et qu’ils s’en sont prévalus. Elle constate également que les requérants n’étaient pas obligés d’épuiser les voies de recours pénales disponibles, car ils disposaient d’un recours accessible et effectif devant les juridictions civiles. La Cour constate enfin que, en décidant de clore le procès, la Cour suprême de justice a failli à maintenir un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
32. Dès lors, la Cour rejette l’exception de non-épuisement des voies de recours internes qui a été soulevée par le Gouvernement et elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE Nº 1 À LA CONVENTION
33. Invoquant l’article 1 du Protocole nº 1 à la Convention, les requérants se plaignent d’une atteinte à la propriété en raison du refus de la Cour suprême de justice d’examiner leurs actions en indemnisation.
34. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et qu’il doit donc aussi être déclaré recevable. Toutefois, eu égard à ses conclusions sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour ne saurait spéculer sur ce qu’aurait été l’issue de l’action si les exigences du droit d’accès à un tribunal avaient été respectées devant les juridictions internes.
35. Partant, elle estime qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le bien-fondé du grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Brezeanu c. Roumanie, no 10097/05, §§ 27 et 28, 21 juillet 2009).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
36. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
37. Les requérants réclament 5 000 euros (EUR) chacun pour préjudice moral.
38. Le Gouvernement estime ce montant excessif.
39. La Cour, statuant en équité, considère qu’il y a lieu d’octroyer à chaque requérant 3 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
40. Les requérants demandent également 1 260 EUR conjointement pour les frais et dépens engagés devant la Cour. À l’appui de leur demande, ils produisent les contrats signés avec leur avocat et un relevé détaillé des heures de travail de celui-ci.
41. Le Gouvernement estime ces prétentions excessives. Il ajoute que le nombre d’heures indiqué est trop élevé.
42. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’accorder aux requérants conjointement l’intégralité de la somme réclamée, à savoir 1 260 EUR pour la procédure devant elle.
C. Intérêts moratoires
43. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
 
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
 
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
 
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i. 3 000 EUR (trois mille euros) à chaque requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral,
ii. 1 260 EUR (mille deux cent soixante euros) conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
 
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 avril 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Hasan BakırcıIvana Jelić
Greffier adjointPrésidente

Full & Egal Universal Law Academy