AFFAIRE CIOATĂ ET AUTRES c. ROUMANIE
Karar Dilini Çevir:
AFFAIRE CIOATĂ ET AUTRES c. ROUMANIE

 
 
 
QUATRIÈME SECTION
 
 
 
 
 
 
AFFAIRE CIOATĂ ET AUTRES c. ROUMANIE
(Requête no 48095/07)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ARRÊT
 
 
 
 
STRASBOURG
 
6 juin 2019
 
 
 
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Cioată et autres c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Georges Ravarani, président,
Marko Bošnjak,
Péter Paczolay, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section f.f.,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 mai 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête dirigée contre la Roumanie et dont la Cour a été saisie en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») à la date indiquée dans le tableau joint en annexe.
2.  La requête a été communiquée au gouvernement roumain (« le Gouvernement »).
EN FAIT
3.  La liste des requérants et les précisions pertinentes sur la requête figurent dans le tableau joint en annexe.
4.  Les requérants se plaignent de la durée excessive de la procédure civile.
EN DROIT
I.  SUR LA QUALITÉ DES FILS DES REQUÉRANTS ELENA TACHE ET ION TACE POUR POURSUIVRE LA REQUÊTE
5.  La requérante Elena Tache est décédée le 10 janvier 2009. Par une lettre du 25 mars 2011, M. Dan Tache le fils et héritier de celle-ci a exprimé son intention de poursuivre la requête. Le requérant Ion Tace est décédé le 11 octobre 2014. Par lettres des 19 avril 2016 et 22 octobre 2018, MM. Vasile Tace et Ion Daniel Tace, les fils et héritiers de celui-ci ont exprimé leur intention de poursuivre la requête.
6.  La Cour estime que les fils des requérants ont un intérêt légitime à faire constater l’existence d’une atteinte au droit garanti par l’article 6 § 1 de la Convention à ce que leur cause soit entendue dans un délai raisonnable (Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, §§ 1 et 39, CEDH 1999 VI, et Ernestina Zullo c. Italie [GC], no 64897/01, §§ 36-37, 29 mars 2006).
7.  Par conséquent, la Cour reconnaît que MM. Dan Tache, Vasile Tace et Ion Daniel Tace ont qualité pour poursuivre la présente procédure.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
8.  Les requérants allèguent que la durée de la procédure civile en question est incompatible avec l’exigence du « délai raisonnable ». Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
9.  Le Gouvernement excipe d’une exception d’irrecevabilité pour incompatibilité ratione personae, alléguant que le requérant Constantin Nicole n’a pas fourni de pouvoir pour se faire représenter par l’association Liga Păgubiţilor M.C.S. devant la Cour. Il constate que celui-ci a été représenté par son père, E.N., dans ses rapports avec l’association Liga Păgubiţilor M.C.S. et avec la Cour mais en l’absence toutefois d’un pouvoir dans ce sens.
10.  En l’espèce, la Cour observe que, s’il est vrai que le formulaire de requête n’a pas été accompagné d’un pouvoir autorisant le père du requérant à le représenter devant l’association Liga Păgubiţilor M.C.S. et implicitement devant la Cour, un tel pouvoir a été soumis par une lettre du 15 janvier 2018. De plus, par une lettre du 9 novembre 2018, le requérant a réitéré le fait d’avoir autorisé son père E.N. à le représenter dans toutes les démarches liées à la présente affaire.
11.  La Cour constate que le dossier de l’affaire contient à ce jour des documents faisant ressortir l’intention de ce requérant de soumettre la présente requête à la Cour par l’intermédiaire de l’association Liga Păgubiţilor M.C.S. (a contrario, Kars et autres c. Turquie, no 66568/09, § 59, 22 mars 2016), qui, d’ailleurs, a représenté l’ensemble des requérants dans la procédure interne.
12.  Dès lors qu’il a été amplement remédié à l’omission initiale au cours des phases ultérieures de la procédure suivie devant la Cour, rien ne permet de douter de la volonté réelle du requérant Constantin Nicolae d’introduire une requête auprès de la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention. Partant, la Cour rejette l’exception soulevée par le Gouvernement.
13.  La Cour rappelle ensuite que la durée « raisonnable » d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et à l’aide des critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).
14.  Dans l’arrêt de principe Vlad et autres c. Roumanie (nos 40756/06 et 2 autres, 26 novembre 2013), la Cour a conclu à la violation au sujet de questions similaires à celles qui font l’objet de la présente affaire.
15.  Après examen de l’ensemble des éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente quant à la recevabilité et au bien-fondé de la requête en question. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
16.  Il s’ensuit que cette requête est recevable et révèle une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
17.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
18.  Eu égard aux documents en sa possession et à sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’allouer les sommes indiquées dans le tableau joint en annexe.
19.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Dit que M. Dan Tache, héritier de la requérante Elena Tache, ainsi que MM. Ion Daniel Tace et Vasile Tace, héritiers du requérant Ion Tace, ont qualité pour poursuivre la présente procédure ;
 
2.  Déclare la requête recevable ;
 
3.  Dit que cette requête révèle une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure civile ;
 
4.  Dit
a)  que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes indiquées dans le tableau joint en annexe, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 juin 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Liv TigerstedtGeorges Ravarani
Greffière adjointe f.f.Président

ANNEXE
Requête concernant des griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention
(durée excessive de la procédure civile)
No.
Numéro et date d’introduction de la requête
Nom du requérant et date de naissance
Nom et ville du représentant
Début de la procédure
Fin de la procédure
Durée totale
Nombre de degrés de juridiction
Numéro de dossier devant la juridiction interne
Montant alloué pour dommage matériel et moral et frais et dépens par requérant /foyer
(en euros)[1]   
48095/07
09/10/2007
(10 requérants)
Florica Cioată
25/10/1937
 
Liga Păgubiţilor M.C.S.
Ploieşti
16/10/1995
07/04/2011
15 années, 5 mois et 25 jours
3 degrés de juridiction
238/1372/2009
9 000
Foyer
Eleonora Mihăilă
01/02/1949
Teodor Mihăilă
10/02/1947
Liga Păgubiţilor M.C.S.
Ploieşti
14/11/1995
07/04/2011
15 années, 4 mois et 26 jours
3 degrés de juridiction
238/1372/2009
9 000
Ana Nenciu
09/10/1950
 
Liga Păgubiţilor M.C.S.
Ploieşti
07/06/1995
 
07/04/2011
15 années, 10 mois et 4 jours
3 degrés de juridiction
238/1372/2009
10 000
Constantin Nicolae
19/11/1963
 
Liga Păgubiţilor M.C.S.
Ploieşti
24/11/1996
07/04/2011
14 années, 4 mois et 15 jours
3 degrés de juridiction
238/1372/2009
8 000
Foyer
Ana Popa
26/01/1938
Ștefan Popa
26/02/1938
Liga Păgubiţilor M.C.S.
Ploieşti
04/10/2003
07/04/2011
7 années, 6 mois et 1 jour
3 degrés de juridiction
238/1372/2009
2 000
Mariana Pruteanu
15/01/1943
Liga Păgubiţilor M.C.S.
Ploieşti
11/09/1995
07/04/2011
15 années, 6 mois et 29 jours
3 degrés de juridiction
238/1372/2009
10 000
Ion Tace
Né: 06/07/1938
Décédé: 11/10/2014
 
Héritiers/Foyer
Vasile Tace
09/05/1963
Ion Daniel Tace
17/03/1962
-
27/10/1995
07/04/2011
15 années, 5 mois et 14 jours
3 degrés de juridiction
238/1372/2009
9 000
Elena Tache
Née: 30/04/1931
Décédée: 10/01/2009
 
Héritier
Dan Tache
02/05/1957
Liga Păgubiţilor M.C.S.
Ploieşti
11/09/1995
07/04/2011
15 années, 6 mois et 29 jours
3 degrés de juridiction
238/1372/2009
10 000
 
[1].  Plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par la partie requérante.

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